Lettres
Protected By Wpoison ... et merde aux pollueurs de toile










Lettres à qui voudra bien lire


©Pascal Holenweg, Genève, 1999

Mes très chers,
Il vous en donc fallu du temps pour vous désouvenir de moi; vous l'avez fait, comme il est de coutume, en me célébrant; les révolutions ne subissent-elles pas le même sort, lorsque vient le moment de les commémorer ? Mais vous ne commémorez que pour mieux enterrer, et vos enterrements désormais sont de la même eau tiède que vos discours.
Passant en esprit sur telle colline où aux temps anciens vos ancêtres dressaient des échafauds, que certains d'entre vous, sans doute, rêvent de dresser à nouveau, j'y ai vu la stèle qui y fut érigée en expiations des flammes que l'on fit naguère danser autour d'un philosophe hérétique. Au pied de cette stèle, en guise de couronne, trônait une énorme poubelle aux armes de la Ville. C'est ainsi que vous saluez les idées et ceux qui, les ayant eu trop tôt, moururent de ne pas avoir eu la sagesse ou la lâcheté d'y renoncer. Sur l'île où vous l'avez figé, le Promeneur échappera-t-il longtemps à pareil outrage ? Il semble que ses paroles ne dérangent plus grand-monde. On ne le lit plus. D'autres ont des facilités qu'il n'avait pas -mais eux aussi, vous avez trouvé le moyen de les faire taire : en les portant aux nues...
Vous me commémorez donc, et me célébrez. Et l'an dernier, quelque autorité proclama l'année "année de la diversité". Vous regardant de là où je siège désormais, je vous trouve piteuse mine pour des célébrants de la diversité. Ainsi vous voilà au spectacle... Est-ce d'avoir renoncé à être vous-mêmes spectacle ? Année de la diversité... Serait-ce que toutes les autres ne furent et ne sont que de l'uniformité ? Vous n'avez célébré l'année de la femme qu'en écho de quelques millénaires de pouvoir des hommes, l'année de l'enfant qu'en reflet de plus encore de millénaire de sujétion des enfants; vous ne célébrerez l'année des pauvres que parce que des riches en auront décidé. Votre année de la diversité, mes beaux enfants, s'avance masquée de correction politique, culturelle, rhétorique. N'avez-vous fait que tourner en rond depuis deux siècles ?
Il y a encore ce qu'il convient de dire et de faire, il y a toujours ce qu'il ne convient pas de dire et ce qu'il ne convient pas de faire. Vous ne célébrez que pour mieux conjurer. Et vous fermez vos portes, et celles de vos pays, et dans vos rues les visages autres semblent si fort vous inquiéter que vous ne songez qu'à ces enclosures que l'on nomme "politique d'immigration" et que vous tracez en cercles autour de vous; trois cercles : celui des semblables, celui des différents, celui des indésirables. Et il y a dans vos livres des mots qui ne se doivent plus prononcer. Et il y a dans vos cités des idées qui n'ont plus droit de cité. La diversité valait bien qu'on lui consacre une année : avant elle et après elle, des siècles d'uniformité l'enserrent. Il vous semble gris le temps que vous vivez ? Mais il est à votre couleur. Ceux qui règnent ne trônent pas, et si le besoin de maîtres vous tenaille, ne cherchez pas les vôtres ailleurs qu'en vous regardant dans la glace. Le monde se maîtrise en silence; c'est d'avoir fait trop de bruit que j'en fus exclu.

Je ne suis que de passage, venu en voisin, en criminel revenu sur les lieux de son crime. Je vous vois tel que je vous avait connus, ne vous résignant pas à contempler à vos portes l'histoire en train de se faire, rêvant d'y prendre part mais terrifiés par ses risques. Ainsi étiez-vous déjà avant que je vienne vous réveiller. Ne me retenez pas. Vous n'en auriez pas la force. Je ne faisais que passer.
Je ne suis que le fantôme de la liberté


On peut rencontrer, sans le savoir, des ombres échappées des années de plomb. Des ombres qui l'étaient déjà dans ces années là, sans domicile fixe, sans visage, clandestins aux cheveux teints, sautant de cache en planque, vivant dans des tanières entre des poubelles. Terroristes, donc. Mais ne croyant qu'à moitié à ces discours politiques bétonnés, ces bunkers rhétoriques, pleins d'un prolétariat disparu, d'un parti armé dérisoire, d'une révolution improbable.
Il faut s'insurger contre les recettes de l'insurrection... Perdre le goût de l'autocritique, de ce masochisme de flagellants léninistes qui scandait les séances des organisations d'avant-garde. Et n'avoir aucun repentir quand vient le temps des repentis.
La lutte armée peut être comme un défi. Une preuve qu'on se donne à soi-même. La révolution alors redevient celle des romantiques, et non plus celle des révolutionnaires professionnels. On n'est plus soi-même quand on n'est plus qu'un "Camarade". Il faudrait n'accepter ni de recevoir des ordres, ni d'en donner. Choisir ses "coups", les actions en lesquelles on s'engage. Refuser les attentats aveugles, les bombes dans les banques, les provocations sanglantes destinées soi-disant à révéler le caractère intrinsèquement fasciste de la démocratie bourgeoise, refuser la punition des "traîtres à la classe ouvrière". Au nom de quoi flinguer un juge quand on s'est arrogé soi-même le droit de juger les autres, de disposer de leur liberté, de leur vie ?
Aujourd'hui, les terroristes occidentaux sont en charpie. Repentis lamentables ou nostalgiques momifiés. Bafouillent des regrets ou bégaient des slogans. Poupées de chiffon ou poupées mécaniques. Le temps est passé où l'on pouvait croire que l'exécution d'un bourreau pouvait venger la mort des victimes. Nombreux étaient déjà ceux qui n'y croyaient plus vraiment lors même qu'ils s'y prêtaient, mais qui avaient eu besoin d'agir, simplement, et étaient allé au plus immédiat, au plus brutal : éliminer l'adversaire. Mais l'adversaire toujours renaissait. Tuer un juge, c'était en faire naître un autre. Abattre un politicien, c'était donner son siège à son lieutenant ou à son concurrent. A quoi sert de tuer Moro pour se retrouver avec Andreotti ? Et les choses ainsi se reproduisaient à l'identique, ou au pire. Et ceux au nom de qui ce combat ce menaient n'en recevaient rien, ou alors des coups, encore et toujours.
Ils sont nombreux, ceux qui ont basculé dans la lutte armée parce que les poursuivaient les visages des enfants torturés, des affamés, des exilés. Mais la lutte armée faisait surgir d'autres visages, d'autres tortures, d'autres faims, d'autres exils. Et quand on tue un juge, dans le même temps continuent à crever ceux au nom de qui l'on a jugé le juge.
Il faudrait être combattant sans être militant. Il y a toujours du militaire dans le militant; du militaire, et de la discipline, de l'obéissance, de l'aveuglément. Le monde doit être peuplé de gens libres.
Et puis, ces militants passaient leur temps à s'auto- analyser, à s'auto-justifier et à s'entre-exclure, en des rituels parodiques de sectes se prenant pour des églises. Des bourgeois en rupture de milieu s'inventaient des filiations politiques, faute d'en avoir de sociales; fils de notaires parlant au nom du prolétariat, et finissant dans des prisons où les seuls prolétaires étaient leurs gardiens. Certains furent clandestins, immergés dans un monde détestable, un mode clos, dérisoire, une caricature du monde qu'ils voulaient changer et de la société qu'ils voulaient abattre. La force pour seule justification : "pour corps, la violence, et pour âme, le mensonge", comme le vieux Bakounine en faisait reproche au jeune Netchaïev.
C'était le temps des caves et des soupirails, des braquages et des courses-poursuites en bagnole. Un monde de beaufs et de machos obsédés par leurs flingues. Un monde de groupes cloisonnés et haineux, aux discours stéréotypés et aux stratégies absurdes. Les uns après les autres, de plus en plus isolés, de moins en moins compréhensibles, les terroristes sont tombés, abattus ou arrêtés. Quelques uns, salamandres que le feu ne pouvait atteindre, ont glissé entre les mailles des filets. Et puis, après un dernier feu d'artifice sanglant, se sont échappés de toute cette pathologie et ont disparu. Ceux là, peut-être, ont survécu à leurs délires. Mais à quel prix, et dans quel état ? Ils avaient rêvé d'un monde meilleur et avaient vécu un monde pire; ils avaient voulu un monde autre et avaient choisi pour le bâtir les mauvais moyens du monde dont ils voulaient se défaire. Quelques uns ne se départiront pas de ce rêve en abandonnant ces moyens : ceux-là ne demandent pas qu'on leur pardonne ce qu'ils ont fait. Qui, en ces temps là, ne rêva pas d'un Grand Soir, au petit matin ? Certains se contentèrent d'en parler, d'autres écrivirent. D'autres encore crurent devoir agir. Et furent défaits. Les vainqueurs jugèrent les vaincus. C'est toujours ainsi que les choses se passent.
Il était sans doute du destin des vaincus de l'être : qu'auraient-ils fait d'une victoire ? Tous leurs choix furent suicidaires, lors même qu'ils se donnaient pour offensifs. Les marches militantes étaient des marches funèbres. Ils furent nombreux, ceux que cette route épuisa et que l'on retrouva dans le fossé, égrénés dans les asiles, les prisons et les églises -ou les sectes. Le temps aujourd'hui est à l'expiation. Ceux qui alors ne juraient que par la lutte armée s'en viennent, contrits et humbles, faire une dernière fois leur autocritique, comme tant de fois ils le firent dans leurs organisations d'avant-garde. Mais c'était alors devant leurs camarades, et c'est aujourd'hui devant leurs juges. Ils sont si nombreux aussi ceux qui vibrèrent aux exploits des terroristes et qui, oublieux, dénonçent désormais l'ombre de Staline, du Goulag ou des Khmers Rouges dans toute volonté de changement. Hérétiques convertis devenus inquisiteurs. Enflammés ils y a vingt ans, conformistes d'aujourd'hui, et avec d'autant plus de prétention à avoir raison qu'ils ne cessèrent jamais de se tromper.


Contactez-nous, jugez-nous

Merci de bien vouloir répondre à ces quelques questions

les renseignements que vous nous donnez ne seront pas transmis ailleurs...
Facultatif
Votre adresse e-mail:

Votre URL:

Dans quel pays résidez-vous ?

De quelle nationalité êtes-vous (si vous n'êtes pas de celle de votre pays de résidence) ?

Que recherchez-vous sur TROUBLES ?

Souhaitez-vous recevoir régulièrement par E-Mail des informations ?

Sur quel thème, dans quel domaine ? (au maximum trois)

Souhaitez-vous adhérer à la Commission Socialiste de Solidarité Internationale ?
Encore quelque chose à dire ?

Votez pour nous




Cliquez ici pour participer à la liste Forum Socialiste