Fragments d'un programme socialiste municipal
Le Grand Conseil (à majorité de droite et d'extrême-droite) avait refusé en septembre 2003 le budget 2004 que le gouvernement (à majorité de droite) lui présentait, contraignant ainsi le canton à vivre sous le régime des " douzième provisionnels ", reconduisant mécaniquement, mois après mois, le budget de l'année précédente. Il aura fallu attendre le 1er avril (la date s'imposait) pour que le gouvernement (à majorité de droite) présente un budget remanié au parlement (à majorité de droite). Prévision de ce " nouveau " budget : un déficit de l'ordre de 400 millions. Et pas de retour à l'équilibre budgétaire avant 2007. Mais c'est encore trop demander à la droite cantonale que d'accepter de s'en tenir là : d'où la surenchère de l' " Entente " : ce déficit, faisons-le payer d'abord à la fonction publique, puis à l'ensemble de la population (les " usagers " des services publics).
Comment en est-on arrivé là ? C'est tout simple : il suffisait de vider les caisses de l'Etat en diminuant les impôts (les impôts cantonaux constituent, en gros, les trois quarts des ressources de l'Etat), en supprimant des ressources, en accordant des cadeaux fiscaux. C'est ce qu'a fait l'Entente bourgeoise depuis des années, rejointe en 2001 par l'UDC. Prétexte de l'exercice : ça va attirer les gros contribuables et on vous promet des recettes supplémentaires . Résultat de cet intelligent calcul ? Pas plus de gros contribuables, et moins de recettes : 470 millions de moins que ce qui était prévu en 2003, un impôt sur les bénéfices dont le rendement chute d'un tiers par rapport au budget ! Faites confiance aux experts financiers de la droite genevoise (ou vaudoise ) : ils vous tondent un canton entier en une législature. Et dans le même mouvement, vous tondent les communes (dont les recettes fiscales dépendent essentiellement d'un impôt fixé par référence à l'impôt cantonal.), avant sans doute de tenter de supprimer purement et simplement la principale d'entre elle (la Ville).
La population du canton progresse de 5000 à 7000 personnes chaque année, Genève est la seule des cinq " grandes " villes suisses dont la population augmente régulièrement (elle a dépassé Bâle et est désormais la deuxième ville du pays par sa population), et le canton est l'un de ceux dont la population va le plus augmenter ces prochaines années (les projections de l'Office fédéral de la statistique font état d'une augmentation de 15 % de la population d'ici à 2040). Les besoins en personnel, notamment dans l'enseignement et la santé, mais également dans l'ensemble des services publics, s'accroissent donc constamment, et vont continuer à s'accroître. Le deuxième projet soumis par le Conseil d'Etat prévoit pratiquement de bloquer la création de nouveaux postes de travail dans la fonction publique, et de bloquer les subventions aux institutions parapubliques (ce qui conduira à bloquer la création de nouveaux postes de travail dans ce secteur " semi-public " aussi). Et la droite parlementaire va encore plus loin, c'est-à-dire encore plus bas : quelques postes en plus, c'est encore trop ! le maintien des effectifs, c'est encore trop !
Majoritaire au Conseil d'Etat depuis 1936 et au Grand Conseil depuis plus d'un siècle (à une interruption près, entre 1997 et 2001, le temps pour la gauche de créer une assurance-maternité, un revenu minimum d'insertion et le PACS, et le temps pour les finances cantonales de retrouver le goût des bonis financiers), la droite genevoise refuse d'assumer la moindre responsabilité dans le résultat financier calamiteux de l'exercice budgétaire cantonal. Elle se révèle même incapable d'élaborer un budget cantonal 2004. Elle se révèle plus incapable encore de remettre en cause ses propres dogmes fiscaux, lesquels ont précisément abouti à la crise des finances publiques : la majorité de droite et d'extrême-droite du parlement cantonal a passé son temps à caresser son propre électorat dans le sens du porte-monnaie, faisant se succéder des diminutions d'impôts bénéficiant essentiellement aux contribuables les plus riches. Résultat : les recettes publiques ont plongé, les déficits se sont creusés. Et pour l'avenir, une seule ressource : la prière aux dieux du marché pour que la conjoncture redevienne favorable, pendant qu'on s'obstine à proposer de nouvelles baisses d'impôts, et donc de nouvelles pertes de ressources pour les collectivités publiques.
Cette majorité de droite ne se révèle finalement capable que d'une chose : accuser la minorité de gauche d'être responsable des conséquences d'une politique de sous-enchère fiscale que la gauche, précisément, avait combattu. Et pour couronner le tout, et conformément au seul principe politique qu'elle se révèle capable de respecter, celui du " c'est pas moi, c'est l'autre ! ", l' " Entente " ne s'entend guère que pour rendre responsable des résultats financiers genevois de 2003 une ancienne Conseillère d'Etat, devenue Conseillère fédérale fin 2002, qui ne siégeait donc plus au gouvernement cantonal en 2003, n'était plus en charge de la gestion des finances publiques, ni du respect d'un budget présenté en septembre 2002, étudié, retravaillé en commission parlementaire (majoritairement composée de députés de droite, comme le parlement), contrôlé par l'Inspection cantonale des finances et par l'institution de cotation, et voté finalement par le parlement (à majorité de droite) après l'élection de Micheline Calmy-Rey au Conseil fédéral, en décembre 2002. Quand une municipalité de gauche (par exemple celle de la Ville) équilibre ses finances, la droite (municipale et cantonale) explique : la gauche n'y est pour rien, c'est grâce à la bonne conjoncture. Et quand les finances cantonales plongent parce que la droite cantonale elle-même s'est acharnée à en réduire les ressources, à qui doit-t-on rendre grâce ? Et quand les finances cantonales vaudoises plongent elles aussi, aussi profondément que les genevoises, parce que la même politique de sous-enchère fiscale a été pratiquée des deux côtés de la Versoix par le même genre de majorité de droite, et qu'elle a eu les mêmes conséquences (chute des recettes et déficit) c'est aussi " la faute à Calmy-Rey " et au Cartel intersyndical genevois ? En réalité, la même cause (la sous-enchère fiscale) et la même majorité (de droite) produisent le même effet (le déficit) et le même discours (c'est la faute, dans l'ordre, aux fonctionnaires, à la gauche et à pas de chance).
Vous avez admiré le trou financier de 2003 ? Vous serez ébahi par celui de 2004. Parce qu'entre-temps, la droite cantonale a encore réussi à réduire les recettes du canton, et donc ses sources de financement (suppression des droits de succession). L'initiative libérale de réduction des impôts a fait perdre à elle seule entre 350 et 400 millions de recettes au canton, soit l'équivalent du déficit prévu par le budget 2004. Argument massue des initiants : la baisse des impôts va faire tomber sur Genève une pluie de gros contribuables par l'odeur des économies alléchés . Mais au bout du compte, les impôts sur le capital et les bénéfices plongent de plus de 200 millions en un an, les impôts sur les gains des entreprises de 400 millions en deux ans, et entre 2002 et 2003, les rentrées fiscales reculent de 8 %.
L'étonnement n'est pas de mise : en réalité, l'assèchement des finances publiques cantonales (et par voie de conséquence communales) est délibéré : il s'agit de faire place nette, et casino libre, au marché, aux spéculateurs, aux grosses entreprises, aux hauts revenus. De réduire Genève à Monaco. D'ailleurs, très monégasquement, Genève a princièrement accordé en 2003 huit allègements fiscaux à de gros contribuables, ce qui a occasionné une perte fiscale de 39 millions de francs. Depuis 1998, la pratique des allègements fiscaux a fait perdre 432 millions aux caisses publiques (en 87 allègements). Et à ces allègements s'ajoutent les forfaits fiscaux : 640 cas en 2003, représentant une " assiette fiscale " de 230 millions. Combien les caisses publiques y ont-elles perdu ? Mystère. On peut seulement, en usant du même pifomètre que celui dont se servent les experts budgétaires de la droite, supposer que cette perte est de plusieurs dizaines de millions de francs chaque année, si ce n'est plus de 100 millions.
Refusant (évidemment) d'admettre sa responsabilité dans cette cacade, la droite cantonale nous ressort aujourd'hui la vieille antienne " c'est la faute aux fonctionnaires " (entendez : à l'ensemble des salariés de la fonction publique), et il s'impose donc de raboter les postes de travail et les subventions aux services publics (en particulier les transports publics, les hôpitaux et l'Université) pour qu'un soleil radieux se lève sur des finances publiques assainies. Ben voyons...
Il suffit pourtant de regarder les chiffres (ceux des comptes, ceux des budgets) pour constater que ce ne sont pas les dépenses qui grimpent mais les recettes qui plongent : 33 millions de moins pour l'impôt sur la fortune, 22 millions de moins pour l'impôt sur le capital, 26 millions de moins pour les parts cantonales à l'impôt fédéral et à la BNS, 60 millions de moins pour les autres impôts… La faute aux fonctionnaires ? A ceux des syndicats patronaux, peut-être, à leurs commis politiques, sans doute. A la pratique des forfaits et des allègements fiscaux, sûrement. A la réduction des impôts pour les hauts salaires et les grosses fortunes, sans conteste. Mais aux infirmières, aux instituteurs, aux assistants sociaux et aux autres salariés de la fonction publique, certainement pas… D'ailleurs, les économies réalisées grâce aux postes laissés vacants par la prise volontaire de retraite anticipée par des fonctionnaires (le " PLEND ") se chiffrent à près de 40 millions, et les charges de personnel se révèlent inférieures à ce que le budget prévoyait.
La crise des finances publiques cantonales ne serait qu'un épisode tragi-comique de plus du feuilleton politique local, si elle ne se répercutait, mécaniquement, et par le simple fait de l'absence d'autonomie communale, sur les finances publiques municipales en général, et celles de la Ville de Genève en particulier. Résultat de la crise des ressources des finances cantonales : une crise des ressources des finances municipales, puisque l'impôt municipal est fixé en proportion de l'impôt cantonal, et que chaque fois que la droite cantonale fait un cadeau à sa petite clientèle de gros contribuables, elle vide non seulement les caisses du canton, mais aussi celles de la Ville. La droite fédérale fait d'ailleurs exactement la même chose : quand elle propose des allègements fiscaux, elle entend en faire payer la facture aux cantons et aux communes….
La Ville de Genève avait fait un boni de 53,6 millions en 2002. Grâce à la droite cantonale, elle devrait accuser une perte de plus de 30 millions en 2003… alors qu'elle a parfaitement maîtrisé ses charges et ses dépenses. Mais ses recettes ont plongé de 63 millions (6,6 % par rapport aux prévisions), et les impôts de 90 millions.
La droite cantonale n'a donc pas seulement creusé le trou financier cantonal, elle y a aussi entraîné les communes, à commencer par la Ville. D'où l'idée de l'UDC, digne du génie pataphysique qui anime ce parti : puisque le canton est en faillite, dissolvons la Ville ! Le budget cantonal est déficitaire ? Chargeons-le encore des dépenses de la Ville (sans hériter de ses recettes, puisqu'on ne peut prélever un impôt municipal que là où il y a une commune…) ! Soyons résolument modernes : revenons-en à la situation de 1815 , faisons administrer la Ville par le canton (et ajoutons les charges et le déficit de l'une aux charges et au déficit de l'autre) !
Sur ce terrain, à vrai dire, l'UDC ne devrait pas avoir trop de difficulté à entraîner la droite libérale, quelques radicaux amnésiques et quelques technocrates vaguement " de gauche ", puisqu'une proposition du même tonneau (percé) avait déjà, il y a quelques années, été émise (il s'agissait alors non de dissoudre la commune de la Ville, mais d'en faire quatre, cinq ou six communes différentes. Avec quatre, cinq ou six budgets différents…)
A défaut d'idées nouvelles, la droite d'aujourd'hui a de la suite dans les idées de la droite d'avant-hier : celle de 1815 avait aboli le suffrage universel et la Commune de Genève ; la gauche de 1842-1846 les ont rétabli ; la droite de 2004 a toujours ce droit démocratique fondamental (le suffrage universel) et cette institution fondatrice de la démocratie (la commune) en travers de la gorge. Le suffrage universel ayant élu, confirmé et renforcé une majorité de gauche en Ville de Genève, la droite cantonale (et ses supplétifs municipaux) ressort du placard le vieux projet de suppression de la Commune de Genève, faisant ainsi d'une pierre deux mauvais coups : en supprimant la Commune, on abolit le suffrage universel communal, coupable de donner à la Ville une majorité de gauche.
On notera que le canton impose déjà aux communes des cadres et des normes budgétaires qu'il est lui-même incapable de respecter : par exemple l'exigence de ramener un budget déficitaire à l'équilibre dans un délai de quatre ans.
On notera aussi que les mêmes forces politiques qui prônent les économies budgétaires demandent aux communes en général, et à la Ville en particulier, de se charger de dépenses d'intérêt cantonal, et de balancer aveuglément quelques millions dans des gouffres financiers qu'eux-mêmes se sont acharnés à creuser : le Stade de la Praille, par exemple...
Bref, affublé d'une majorité incapable d'élaborer un budget, incapable d'accepter un budget élaboré par un gouvernement où la droite est également majoritaire, incapable d'accepter que la principale commune genevoise ait choisi une autre majorité politique que la sienne, incapable enfin de donner aux communes en général et à la Ville de Genève en particulier les compétences nécessaires, le canton s'avère aujourd'hui pour ce qu'il est : un poids, en sus de se confirmer pour ce qu'il est depuis des lustres : une excroissance obsolète. Il est donc temps de s'en débarrasser.
La commune est non seulement le premier niveau institutionnel de la démocratie, et sa base historique, elle est aussi, aujourd'hui, le seul niveau institutionnel " eurocompatible ", le seul à se retrouver des deux côtés de la frontière qui coupe la région genevoise en deux. A vrai dire, la Commune est d'ailleurs la seule collectivité publique que l'on retrouve dans tous les Etats démocratiques, et en particulier dans tous les Etats européens. C'est donc à partir d'elle que peut se construire une région genevoise, et cette région ne peut se construire qu'autour de la commune qui en est le centre : Genève.
A Genève, pourtant, la Ville est historiquement première -c'est à partir d'elle et de son long combat pour l'affranchissement que se constituent la République, devenue ensuite (et un peu par accident) République et Canton. Ici comme dans le reste de l'Europe, la ville est le lieu de la liberté, où s'inventèrent la démocratie politique et l'autonomie individuelle. Or le corps politique qui inventa la liberté est moins libre ici qu'ailleurs; cette méfiance à l'égard de la ville, a dans notre pays de fortes racines mythologiques et fait en quelque sorte partie de sa culture politique fondatrice. Le peuple des bergers, par nature pastorale ou instinct politique, se méfie du peuple des commerçants, des artisans, des ouvriers, des clercs et des commis; mais cette méfiance à l'égard de la ville est aussi, à Genève, un héritage historique -un héritage capté pour de fort politiques raisons.
Le paradoxe est donc écident, et d'une certaine manière l'injustice frappante, d'un canton né de la Ville (puisqu'elle se confondait la République) et restreignant autant qu'il est possible son autonomie; d'un canton né de la commune et le laissant aux communes, grandes ou petites, qu'une capacité de décision chichement mesurée; d'un pays, enfin, dont les deux tiers de la population vivent dans des villes mais qui ne leur reconnait aucun statut -sinon le même que celui de la plus petite des communes rurales. La Ville de Genève, mais aussi les grandes communes de son agglomération, est dans la situation absurde d'avoir à demander l'autorisation du canton pour installer un urinoir public tout en assumant la plus grande part de la politique culturelle de toute la région genevoises -ses marches vaudoises et françaises comprises. La Ville ne peut pas choisir seule le nom de ses rues mais doit subventionner seule des institutions culturelles d'importance régionale -voire, comme son opéra, d'audience internationale. A leur niveau, les autres municipalités genevoises sont dans la même situation.
Les communes genevoises sont donc sous tutelle cantonale; mais le canton n'a plus, s'il en a encore la prétention, les moyens de cette tutelle; la crise de l'Etat cantonal -crise financière et crise de légitimité- pourrait se révéler fort opportune pour les communes, et en outre assez utile au renouvellement de la réflexion politique d'un mouvement ("la gauche") et de partis "le PS, entre autres) que leurs habitudes de pensée et d'action poussent plutôt du côté de la centralisation cantonale, voire fédérale, alors même que leurs programmes fondateurs voyaient en la commune le lieu du changement social (et en la Commune de Paris la première tentative cohérente de ce changement). Il y a enfin dans la commune une réponse possible à l'abandon "libéral" des responsabilités sociales de la collectivité : la municipalisation est une alternative à la privatisation, autant qu'une réponse à la crise d'efficacité de l'Etat cantonal et fédéral. Plus proche des citoyennes et des citoyens, plus intimément liée au "tissu associatif", elle peut être une instance de régulation sociale plus "légitime" que les niveaux de décision politique plus lointains -plus légitime, et plus efficace.
Le système genevois est totalement anachronique; né à la fois de la restauration oligarchique de 1814 et des conflits politiques des décennies suivantes, ce système qui donne à Gy les mêmes compétences qu'à Genève, et en donne moins à Genève ou à Carouge que n'en ont Collonges-sous-Salève la française ou Commugny la vaudoise, témoigne plus du souci de contenir politiuement la Ville et ses habitants que de la recherche d'une répartition efficace et démocratique des charges et des droits. La Ville de Genève, d'ailleurs, ne sera reconnue comme une commune genevoise qu'en 1842 (elle avait déjà été une commune auparavant, mais brièvement, par le fait de son annexion à la France et de l'application de la loi du 28 Pluviôse an VII). Du point de vue de l'autonomie municipale, comme d'ailleurs du point de vue de la démocratie en général, la Restauration fut une régression -et la pérénnité du statut actuel des communes genevoises, et en particulier de celui de la Ville, est une absurdité.
La reconquête d'une réelle autonomie municipale est donc un projet progressiste -un projet "de gauche". Il l'était déjà en 1841 : la commune, disait alors James Fazy, "c'est la société vivante en chair et en os, où rien d'abstrait et d'inapplicable ne peut naître, parce que tout s'éprouve à l'instant même, sur les hommes qui la composent". C'est bien à ce niveau là que peuvent se vérifier la pertinence et la légitimité de projets politiques, si l'on veut bien admettre qu'un projet est autre chose qu'un discours -ou pis, une promesse électorale.
Genève fut une République deux siècles et demi avant de devenir, au surplus, un canton; elle ne put être une République que patce qu'elle avait été une Civitas. Cette ville, aujourd'hui, est le coeur d'une agglomération urbaine de 600'000 habitants. C'est dire que la ville réelle (le tissu urbain) dépasse de beaucoup la ville légale (la municipalité), et que la reconquête de l'autonomie communale devra aller de pair avec la construction politique d'une communauté urbaine au sein de laquelle les entités municipales existantes, qu'elles soient genevoises, vaudoises ou françaises, pourraient à la fois confronter leurs expériences, partager leurs besoins et coordonner leurs politiques. Nous avons à "faire le point" d'une situation absurde; nous avons à proposer une nouvelle distribution des tâches et des compétences, un nouveau partage des charges et des pouvoirs; nous avons enfin à nous défaire de réflexes politiques qui nous font oublier que la commune est le lieu premier du débat politique et de l'insertion citoyenne. La démocratie naît de la cité, la République est née de la Ville. L'une et l'autre peuvent aujourd'hui se renforcer par le renforcement de l'autonomie communale.
Vive la Commune !
Palimpseste d'un avant-projet de programme socialiste 2003-2007 pour la Ville de Genève
Sommaire
Introduction : VIVE LA
J’y vis, j’y parle, j’y agis, j’y
C. EXCLURE L’
D.
E. CONCRÉTISER LE DROIT AU
F. ASSURER LA
G. SOUTENIR LE
H. PROMOUVOIR LA
I. GÉRER
J. LA VILLE DONT LE PAYS EST LE
RÉSUMÉ : 173
CONCLUSION : Si tu n’espères pas l’
VIVE LA COMMUNE !
La Suisse n’aime pas ses villes, le canton de Genève se méfie de la Ville de Genève, la Ville de Genève doute d’elle-même. Mais à quelque chose crises sont bonnes : celles que nous traversons (crise politique, crise sociale, crise économique, crise culturelle) peuvent être prétexte à une renaissance de la ville -de la ville physique, dont Genève est le centre mais qui s’étend de Ferney à Annemasse et de Saint-Julien à Versoix, mais aussi de la Ville politique : la commune de Genève.
Une renaissance, puisqu’à Genève la ville est première, qu’elle fut Commune avant d’être République, et que c’est la Commune qui fit la République. Mais une réadaptation au monde, aussi : leurs structures et leurs pratiques politiques, leurs constitutions et leurs lois, Genève et la Suisse les ont héritées des révolutions du XIXème siècle : il fallait alors construire la démocratie moderne, et pour cela casser les résistances d’anciennes institutions. Ce qui a été fait alors reste certes, pour l’essentiel, à défendre, mais non comme on entretient pieusement une relique, en quoi quelques uns tentent par exemple de réduire la laïcité. Il faut cependant aussi réinventer une démocratie qui ne peut fonctionner à l’âge de l’internet selon les rythmes, les modes et les procédures du temps des diligences. La démocratie est encore partielle, amputée, exclue du domaine économique, étrangère aux pauvres et fermée aux étrangers. Dans l’invention d’une nouvelle démocratie, la ville a son rôle à jouer -un rôle déterminant, parce que la ville est le lieu de confrontation de tous les problèmes et de mise en débat de tous les projets. Or elle n’est encore dans ce pays, et plus caricaturalement encore dans ce canton, qu’un
Le débat politique peut et doit se faire aujourd’hui autour de la ville (et nous entendons bien pour notre part nous y consacrer). Chacun des grands enjeux auxquels nous sommes confrontés peut être abordé à partir de la ville -de la protection sociale à la construction européenne, du partage du travail à la solidarité internationale, de la lutte contre l’exclusion à la lutte contre l’insécurité. C’est aujourd’hui la ville elle-même qui se retrouve au cœur de la démocratie (qui naguère s’y inventa), tout en étant absente des institutions démocratiques. Cela vaut pour Genève, cela vaut pour la Suisse, cela vaut même pour l’Europe, dont la construction s’est faite jusqu’à présent (comme d’ailleurs celle de la Suisse) en agrégeant des Etats les uns aux autres.
Il n’y a pas de sociétés sans villes -sans ville, il n’y a que des communautés, sans politique, sans démocratie, sans autre projet que celui de leur propre conservation, et sans autre destin que celui de leur disparition. Nous avons aujourd’hui à inventer les règles, les institutions et les pratiques qui nous permettront d’entrer dans notre temps autrement qu’à reculons, de nous confronter au monde et de contribuer, si peu que ce soit, à le changer, et non d’en subir passivement le cours. Ces règles, ces institutions et ces pratiques doivent se conjuguer à un double impératif : celui de l’émancipation de la ville, celui de la construction d’une ville politique coïncidant avec la ville réelle. Cette émancipation implique l’accroissement de l’autonomie communale des villes -et de celle de toutes les communes ; cette construction implique la création d’une communauté urbaine.
Partout où les interventions centrales se révèlent inefficaces, gaspilleuses, contraignantes, et où le recours à la " loi du marché " n’est qu’une formidable régression, la commune est une alternative, en particulier la commune urbaine, qui dispose des moyens d’intervenir là où les instances politiques " supérieures " ne le peuvent pas, ne le veulent plus, ou ne peuvent que le faire mal. Nous voulons rompre avec une tradition séculaire : celle de la méfiance à l’égard de la ville. Concentre-t-elle les potentialités de désordre ? Elle concentre surtout celles de création ; est-elle un lieu d’incertitude ? Elle est d’abord une exigence d’inventer. Est-elle concurrente de l’Etat ? C’est parce qu’elle est le lieu de la démocratie, et dans une société où la démocratie est menacée d’être réduite à des programmes de jeux télévisés (ou de télé-achat…), elle est le lieu même d’où le débat démocratique pourra reconquérir l’opinion publique, le lieu où il porte sur ce qui importe et donc sur ce qui fait problème. L’autonomie communale sera la mesure de ce débat, l’émancipation des villes en sera l’objet, la communauté urbaine en sera le moyen, la démocratie locale en sera la méthode : plus les projets seront importants sur lesquels auront à se prononcer les citoyennes et les citoyens d’une commune, ou les habitantes et les habitants d’un quartier, plus le débat démocratique aura de réalité.
La municipalité est un instrument d’action politique ; en temps de crise(s), elle doit être l’instrument d’une action solidaire. Par définition, la commune est la négation du repli sur soi, et les moyens dont elle dispose doivent contribuer à faire de la solidarité autre chose qu’une référence métaphysique. La commune a quelque chose à faire contre l’exclusion sociale, pour l’élargissement de la démocratie, pour une " relance " économique durable ne se réduisant pas à des subventions déguisées aux grosses entreprises de la construction ou à des génuflexions devant le groupement des banquiers privés. Plus la Ville -et les communes, ensemble et avec la Ville- auront de compétences, plus elles seront animées d’une réelle volonté d’agir, mieux cela vaudra pour tout le monde -sauf peut-être pour les forces politiques, économiques et sociales qui se repaissent des crises et s’engraissent de leurs victimes- et plus clairement sera exprimé le refus de voir les collectivités publiques se comporter comme n’importe quelle multinationale " dégraissant " au hasard pour équilibrer des comptes dans lesquels les licenciements se traduisent par des gains en bourse.
En présentant ce programme à l’examen et au jugement de nos concitoyens, nous ne nous livrons pas à un rituel, nous passons un contrat. Nous tentons de décliner, dans chaque domaine de l’action collective où la Ville dispose de quelque compétence, et dans chaque domaine où des compétences nouvelles devraient lui être accordées, les principes qui sont les nôtres : l’égalité des droits, la justice sociale, les libertés individuelles, la souveraineté démocratique. Ce programme est donc un contrat ; nous le passons avec celles et ceux dont nous sollicitons le soutien et nous prenons un engagement : celui de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réaliser ce que nous proposons là où nous le proposons. Nous ne faisons pas d’autre promesse que celle-là, et c’est sur elle que nous entendons être jugés.
EMANCIPER LA VILLE, CONSTRUIRE LA RÉGION
On trouvera un avantage aux restrictions absurdes de l’autonomie municipale à Genève -un avantage et un seul : cette autonomie est si réduite qu’elle ne peut guère qu’être accrue, sauf à abolir la commune. Nous ne nous engageons pas dans un projet fondé sur l’autonomie communale par amour idéologique de l’autonomie communale pour elle-même (quoique le premier programme socialiste élaboré à Genève en fit un principe politique -mais ce programme datant de 1869, on pardonnera à ceux qui l’ont oublié, et ce texte ayant été inspiré, voire partiellement rédigé par Bakounine, on ne sera pas surpris qu’il ait été renié…), et moins encore par nostalgie des franchises perdues, mais pour cette raison évidente que la conquête de compétences et de pouvoirs par l’ensemble des communes est une condition de l’émancipation de la Ville et de la constitution d’une communauté urbaine faisant coïncider la ville politique et la ville réelle. Or cette émancipation est elle-même une condition de la rénovation de la démocratie, de son élargissement, de son enrichissement, en même temps que la communauté urbaine est une condition du renforcement de la capacité de la collectivité publique à présenter une alternative à la mercantilisation galopante de tous les rapports sociaux.
L’émancipation de la Ville
Le modèle municipal traditionnel, qui lie chaque citoyen à un espace politique local déterminé et un seul, a survécu à la situation historique et aux rapports sociaux qui le justifiaient (lorsque l’on habitait, travaillait, consommait en un seul et même lieu politique). Aujourd’hui, les lieux d’habitation, de travail, de consommation, de loisirs et de formation sont dissociés : une seule et même personne sera habitante, citoyenne et contribuable d’une commune, professionnellement active (et donc, à Genève, également contribuable) dans une autre, consommatrice, créatrice et spectatrice dans plusieurs autres -mais elle ne disposera toujours de droits politiques (quand encore elle en disposera) que dans la première, alors que les décisions prises dans les autres la concerneront tout autant. Parallèlement, la commune centrale de l’agglomération (la Ville de Genève) est chargée d’activités et d’infrastructures dont le champ des bénéficiaires et des usagers déborde largement de ses limites géographiques.
Nous proposons
La communauté urbaine
La Ville de Genève, avec ses 180'000 habitants, est le centre d’une agglomération urbaine de 600'000 habitants (dont 400'000 sur un espace d’urbanisation quasi continue), à cheval sur deux pays, deux cantons et deux départements, et qui se trouve elle-même être le centre d’une région de plus de 2 millions d’habitants (Genève, Vaud, l’Ain et Haute-Savoie), en croissance démographique et économique constante. 24 communes françaises font partie de cette agglomération, et plus de la moitié de leurs habitants travaillent en Suisse (presque tous dans le canton, dont la majorité en ville).
La ville physique (l’agglomération urbaine continue) et la Ville politique (la commune de Genève) sont sans rapport réel l’une avec l’autre, alors que les mêmes problèmes se posent à toutes les municipalités (genevoises, vaudoises et françaises) de l’agglomération, sans que ces municipalités aient les mêmes moyens d’y répondre, sans qu’aucune ait seule les moyens nécessaires pour les résoudre, et alors que le centre géographique de l’agglomération (la Ville politique) est aussi le lieu où se concentrent et se focalisent ces problèmes.
Il faut aujourd’hui pouvoir surmonter les clivages nés de l’organisation politique du territoire héritée des années trente du siècle passé, et dépasser la pluralité des gouvernements municipaux là où il n’y a plus différenciation fondamentale des problèmes concrets. Or on ne dépassera pas cette pluralité en la niant, et moins encore en abolissant la commune, mais en additionnant les compétences et les moyens, en fédérant les énergies et les volontés : c’est le projet de la communauté urbaine.
Une communauté urbaine existe d’ailleurs déjà, de facto, autour de Genève. Il s’agit de la faire exister de jure. La conquête de l’autonomie communale est une condition de cette reconnaissance d’une ville réelle dépassant la ville politique. Pour que l’agglomération ait forme institutionnelle, et pour que cette forme soit démocratique, la ville doit d’abord disposer d’un pouvoir sur elle-même, et accepter de le partager avec les autres municipalités de l’agglomération genevoise, y compris avec celles dont Genève est séparée par une frontière dont nous ne savons plus que faire et qui nous sépare non seulement de la France, mais aussi de l’Europe… Or la commune est le seul échelon institutionnel commun (même avec des compétences différentes) à l’Etat en Suisse et en France (il est d’ailleurs le seul échelon institutionnel commun à tous les Etats démocratiques…) : le canton français n’a rien à voir avec le canton suisse, qui n’a pas grand chose à voir avec le département français, la région française n’ayant quant à elle pas d’équivalent en Suisse…
Genève étant ce qu’elle est, là où elle est -c’est-à-dire sur une frontière-, la construction d’une communauté urbaine genevoise sera donc aussi la construction d’une " Europe " à notre mesure -une manière, en somme, de ne pas nous contenter de tenir sur l’Europe le discours autosatisfait des minoritaires convaincus d’avoir raison et finalement pas peu fiers d’avoir raison contre la majorité (suisse) ; une manière de tenter, là où nous le pouvons (et où nous le devons) de concrétiser un peu de ce discours. Nous sommes en tous cas convaincus qu’il n’y aura pas de coopération intercommunale réelle sans coopération transfrontalière, et pas de coopération transfrontalière concrète qui ne passe par les communes.
La municipalisation
Les communes genevoises sont sous tutelle d’un canton qui n’a guère les moyens de cette tutelle, et qui se trouve frappé de la même crise de légitimité que celle qui frappe tous les appareils d’Etat -et en particulier les trois appareils d’Etat fondamentaux : l’appareil répressif (l’Etat gendarme), l’appareil idéologique (l’Etat instituteur) et l’appareil économique (l’Etat social). Cette crise donne à une droite caporalisée à Genève par le parti libéral (et entraînée en Suisse par l’UDC) le prétexte, sinon l’occasion, d’entamer un processus de désengagement de la collectivité dans tous les domaines où elle s’était imposée comme un acteur déterminant de la concrétisation des droits fondamentaux.
Arc-boutée sur la défense conservatrice des terrains sociaux conquis par l’Etat (cantonal ou fédéral) depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une partie de la gauche semble ne plus avoir de programme que celui, purement défensif, d’une résistance à tout ce qui pourrait remettre en cause le mode de gestion des rapports sociaux et économiques auquel nous étions accoutumés, et qui faisait du canton le premier acteur de la vie collective genevoise (principal employeur, principal entrepreneur, première puissance financière locale etc…).
Entre ces deux attitudes, qui nous nous convainquent ni ne nous conviennent ni l’une, ni l’autre, nous choisissons la troisième : celle de la municipalisation, autrement dit celle du développement d’un secteur public fort, parallèlement au développement d’un secteur associatif émancipé à la fois des règles administratives et de pesanteurs bureaucratiques, et de la loi du profit sur quoi se fonde, nécessairement, le secteur privé.
DÉMOCRATISER LA DÉMOCRATIE
Depuis des décennies, le clivage s’approfondit entre les citoyens et les institutions politiques ; ce clivage n’est pas une opposition aux institutions, au système politique, aux élus, mais une désaffection, dont la mesure est l’abstention électorale. Entre un quart et un tiers de celles et ceux qui disposent du droit de voter et d’élire n’en font jamais usage et les deux tiers de ceux qui en usent ne le font qu’occasionnellement. La participation citoyenne aux décisions politiques est particulièrement faible dans les zones urbaines, et plus faible dans les quartiers populaires que dans les quartiers " bourgeois " : le critère déterminant de la participation politique est toujours le niveau de formation, et celui-ci est toujours lié au niveau de revenu. Bref : si au XIXème siècle, " les pauvres regardaient voter les riches ", au XXIème siècle, les pauvres regardent toujours voter les autres.
J’y vis, j’y parle, j’y agis, j’y vote
Aux citoyennes et aux citoyens qui renoncent à peser sur les décisions politiques, ou qui sont conduits à y renoncer, s’ajoutent celles et ceux qui n’ont pas même le droit d’y prendre part : les étrangers, qui sont pourtant usagers des services publics et contributeurs directs et indirects aux finances publiques -qui sans eux verraient leurs déficit se creuser vertigineusement- et aux assurances sociales -qui ne sont viables que grâce à l’apport massif des salariés immigrés. En outre, une part importante de ces " étrangers " sont nés chez nous : étrangers peut-être, mais pas immigrés, puisqu’ils sont d’ici et pas d’ailleurs…
Le système politique suisse évolue lentement, mais sûrement, vers un système de type oligarchique. On en revient à l’oligarchie que les révolutions démocratiques croyaient (ou voulaient faire croire) avoir abolie : parce qu’elle a accès (culturellement) aux informations qui lui permettent de choisir et de décider, une minorité de la population prend les décisions qui concernent tout le monde, alors qu’une majorité est ou se sent (ce qui politiquement revient au même) exclue du processus de décision. Cette inégalité d’accès aux " ressources " culturelles et aux informations nécessaires s’est accrue ces dernières années, après que les politiques de démocratisation des études, de généralisation de la formation, d’extension de la scolarisation, l’ait réduite. Un nouvel analphabétisme menace (sans d’ailleurs que l’ancien ait disparu) : il ne concerne plus seulement la lecture et l’écriture, mais aussi l’informatique ; il n’éloigne plus seulement du livre, mais aussi de l’ordinateur et de l’internet. Comme le vieil analphabétisme, le nouvel analphabétisme est une privation de pouvoir, un éloignement de la décision, une entrave à l’exercice des droits démocratiques.
Pour autant, la désaffection à l’égard des institutions n’est pas forcément synonyme de désaffection à l’égard de la chose politique : c’est de " la politique " dont on veut se tenir à l’écart, pas " du politique ", et l’impression donnée par la majorité des citoyennes et des citoyens de n’avoir plus conscience ou fierté de l’être, est trompeuse : en témoignent la multiplicité des mouvements sociaux, le nombre considérable des actions collectives, fussent-elles très localisées et " ciblées " sur des enjeux quotidiens. Le développement de ces mouvements et de ces actions est d’autant plus important qu’il peut entraîner à une action collective des femmes et des hommes qui s’étaient jusqu’alors tenus à l’écart de tout engagement public. Or sans cet engagement de citoyens " neufs ", le mouvement social ne serait que la courroie de transmission du mouvement politique, puisque la minorité politiquement active l’est aussi socialement. Les militantes et militants du mouvement associatif, les bénévoles des organismes d’entraide, des clubs sportifs, des groupements culturels, sont aussi des citoyennes et des citoyens exerçant les droits politiques dont ils disposent : ce n’est pas au sein du monde associatif que se recrutent les abstentionnistes.
EXCLURE L’EXCLUSION
Il n’y a pas de fatalité de l’exclusion sociale, s’il y a un choix possible de la marginalité. L’exclusion sociale est le produit d’une organisation sociale donnée et d’un mode de développement particulier, imposant des normes de comportement et des critères d’intégration auxquels toutes et tous ne peuvent satisfaire, et qui laissent de plus en plus de monde " sur le carreau ".
L’exclusion sociale est l’exclusion de droits fondamentaux : les exclus sont privés de ces droits, c’est-à-dire privés des moyens concrets, matériels, nécessaires à leur exercice. La lutte contre l’exclusion sociale est donc une lutte pour les droits sociaux, pour leur réalisation, au strict sens du terme : pour qu’ils aient une réalité concrète, tangible. Tout droit, si fondamental qu’il soit, et même un droit aussi " idéal " que la liberté individuelle ou la liberté d’expression, implique en effet des garanties concrètes -et au premier rang de ces garanties, celle de la couverture des nécessités vitales, et celle de la sécurité personnelle. On est loin, ici, de la charité et de l’assistance publique : puisque l’exclusion est une exclusion des droits fondamentaux, et dans la mesure où, parce qu’ils sont fondamentaux ces droits sont inconditionnels, le droit aux moyens de vie, c’est-à-dire aux moyens des droits, ne peut être conditionné ni par l’âge, le sexe, la nationalité, le statut social, ni par un travail, ni par une formation, ni par la conformité à un modèle de comportement, ni même par une adhésion aux normes communes, du moins tant que la non-adhésion à ces normes ne débouche pas sur la négation des droits d’autrui -d’où la légitimité du projet d’allocation universelle, versée à chacune et chacun, sans autre condition que celle de la résidence dans l’espace politique qui la garantit.
Les exclus n’ont pas être rendus coupables de leur exclusion, et l’exclusion n’est pas plus un vice qu’une fatalité. Dès lors, la collectivité n’a pas à exiger de celles et ceux qui en sont victimes qu’ils fassent amende honorable de leur exclusion ou de leur pauvreté, fût-ce en échange d’un revenu minimum. L’exercice concret des droits fondamentaux est lui-même un droit fondamental, et en tant que tel, il ne doit être ni monnayé, ni même contractualisé. Il n’y a pas de " contre-prestation " exigible à l’exercice d’un droit fondamental, puisqu’un tel droit n’est pas octroyé : " les hommes naissent libres et égaux en droit et le demeurent tout au long de leur vie " : toute personne a des droits, et le droit d’avoir ces droits. Toute personne doit donc avoir les moyens de ces droits, la tâche de la collectivité étant d’assurer ces moyens à celles et ceux qui en sont privés, pour quelque raison que ce soit.
On aura fait un grand pas dans la lutte contre l’exclusion sociale lorsqu’on en aura fait reposer le coût sur les " acteurs " socio-économiques qui la provoquent -de même qu’on aura fait un grand pas dans la lutte contre le chômage le jour où l’on aura fait assurer son financement, à commencer par celui de l’assurance-chômage, par ceux qui licencient. En attendant ce jour " où le droit du plus faible aura remplacé sur le trône le droit du plus fort ", la politique sociale, telle que nous la concevons, doit avoir pour objectif de réduire au maximum les risques objectifs d’exclusion sociale, individuelle et/ou collective, en assurant aux personnes et aux groupes les plus menacés d’exclusion la garantie concrète de jouissance des droits fondamentaux dont l’absence, la privation ou la non-concrétisation définit une situation d’exclusion. Aucune discrimination selon la nationalité ne devra être faite : toutes les mesures prises dans le domaine social, au sens large, doivent bénéficier également aux Suisses et aux étrangers, quel que soit leur statut. Aucune discrimination selon le sexe, l’âge ou le statut social n’est acceptable : Lorsqu’une prestation publique correspond à un droit fondamental, cette prestation doit être assurée à toutes et tous, au prix ou au tarif le plus bas possible, et dans toute la mesure du possible gratuitement.
L’objectif d’une politique sociale de proximité, telle qu’elle peut être développée par une commune, est de rétablir le lien social rompu entre la personne et la collectivité, en respectant les droits et l’autonomie de la première, c’est-à-dire en respectant la pluralité des modes de vie, et en ne considérant pas la norme courante (travail salarié à plein temps, famille traditionnelle etc…) comme la seule acceptable.
L’affaiblissement des liens sociaux traditionnels, s’il a permis et accompagné un accroissement de la liberté individuelle (c’est-à-dire de l’autonomie individuelle de comportement), a accru à la fois le sentiment d’isolement d’une partie de la population, l’anonymat (on ne connaît et ne fréquente plus guère son voisinage) et les tensions entre groupes sociaux et générations. De multiples petits conflits naissent de cette fragmentation sociale -de petits conflits qui ne sont certes pas une menace pour l’ordre public, mais qui contribuent à dégrader la qualité de la vie et à restreindre la liberté de celles et ceux qui ne peuvent s’y soustraire : les plus pauvres et les plus faibles.
L’apparente " montée de l’insécurité " est essentiellement faite de l’accroissement de petits délits voire de comportements non délictueux (les " incivilités ") mais perçus comme menaçants, lors même qu’ils ne le sont pas forcément. De ce point de vue, le sentiment d’insécurité n’est pas un fantasme : il est la perception de faits réels, sans doute relativement bénins pris isolément, mais dont l’accumulation et la récurrence constituent la gravité. Les incivilités sont constituées par des actes juridiquement sans gravité (déprédations, attitudes agressives, irrespectueuses des autres, injures etc…) mais dont les conséquences sociales sont d’autant plus importantes qu’elles sont subies par des personnes socialement fragilisées. Les incivilités pourrissent la vie de gens dont la vie est déjà difficile : elles sont une violence de faibles sur de plus faibles encore. Or même excessive, même sans fondement objectifs, la perception subjective d’une insécurité aboutit à une auto-privation de la liberté individuelle. Cette hyper-perception, faussée mais reposant tout de même sur des faits, pousse celles et ceux qui la subissent à se priver de l’exercice de certains de leurs droits les plus fondamentaux (à commencer par la liberté de se déplacer), ou à renoncer à l’utilisation de certains équipements publics. Quand une personne n’ose plus traverser un espace public, suivre un itinéraire, marcher de nuit, elle est privée d’une liberté fondamentale -et il importe peu que ce soit en raison d’une menace réelle ou seulement ressentie : le résultat est le même, et c’est à ce résultat qu’il convient de remédier. Or on ne répondra durablement à l’insécurité réelle qu’en s’attaquant à ses causes, et à l’insécurité perçue qu’en s’attaquant à l’insécurité réelle…
Lutter contre la pauvreté -pas contre les pauvres
Genève a redécouvert ses pauvres et ses exclus ; ils n’avaient pas disparu de la réalité sociale -ils avaient disparu du regard social : on les avait cachés et ils s’étaient cachés, puis on les avait oubliés. 6000 personnes (la moitié en ville) doivent dans ce canton riche avoir recours à l’assistance publique pour couvrir leurs besoins essentiels. Beaucoup de gens qui auraient besoin d’une aide sociale n’y ont pas droit ; d’autres, qui y auraient droit, ne le savent pas, ou ne l’obtiennent pas. De plus en plus nombreuses sont les personnes qui, ne correspondant pas aux normes traditionnelles de l’insertion et de l’activité sociale (le salariat, la famille, la propriété) sont privées d’accès aux droits théoriquement garantis à tous. La normalité sociale dont nous héritons, et avons si grand-peine à nous défaire, est celle d’un individu adulte échangeant son temps contre un salaire lui permettant de continuer à vendre son temps. Ce qui déroge à cette norme devient par définition " anormal " : " anormale " donc, la pauvreté et donc " anormaux " les pauvres. Mais normaux, les bas salaires des " travailleurs pauvres " contraints de demander une aide sociale, alors qu’ils ont un emploi à plein temps ?
Lutter contre les toxicomanies, pas contre les toxicomanes
La lutte contre la toxicomanie (ou plutôt : contre les toxicomanies, au pluriel) est depuis une vingtaine d’années un enjeu politique majeur, relevant à la fois de la politique sociale, de la politique de santé publique, de la politique de sécurité publique et de la défense des libertés fondamentales. Genève ne peut évidemment échapper à la remise en cause générale des stratégies suivies traditionnellement dans ce domaine, même si le problème ne prit pas ici le caractère théâtral qu’il eut à Zurich il y a quelques années, avec le spectacle des " scènes ouvertes ".
Il n’y a pas de société sans toxico-manie, il n’y a pas de ré-ponse uni-que et définitive à la toxicomanie, il n’y a pas non plus de toxicomanie plus acceptable qu’une autre, s’il en est de légales et d’illégales. Il n’y a même pas, en réalité, de " toxicomanie en soi " : la situation des cocaïnomanes n’est pas celle des héroïnomanes, qui n’est pas celle des alcooliques, qui n’est pas celle des tabagiques. Aux différentes substances et aux dépendances qu’elles induisent correspondent des situations, des dangers et donc des réponses différentes : il faut reconnaître et assumer la multiplicité des pratiques et des stratégies, et prendre la mesure du triple échec de la prohibition (qui n’a pas rendu les drogues inaccessibles mais a constitué un marché noir contrôlé par un milieu criminel), de la répression de la consommation (qui aggrave la situation des toxicomanes, entrave les efforts de prévention et ajoute aux dangers des drogues ceux de leur consommation clandestine) et de la distinction du statut juridique des drogues en fonction du seul critère de leur usage coutumier ou non (drogues légales en vente pratiquement libre, drogues légales en vente médicalement contrôlée, drogues illégales dont l’usage est toléré mais le commerce interdit, drogues illégales dont l’usage et le commerce sont interdits…).
L’accueil de la petite enfance
Le besoin de lieux d’accueil pour les petits enfants n’a pas disparu. Le retard pris dans les décennies précédant le changement de majorité politique en Ville de Genève ne pouvait être rattrapé aussi rapidement que la nouvelle majorité le souhaitait, d’autant que la structure même du système d’accueil, avec une multiplicité de crèches et de jardins d’enfants privés (mais subventionnés jusqu’à 95 % par la collectivité) totalement autonomes les uns des autres, gérant eux-mêmes leurs listes d’attente et le champ géographique des bénéficiaires de leurs services, n’a pas facilité les choses. La demande de place en crèches et jardins d’enfants excède toujours de beaucoup l’offre, et les listes d’attentes sont longues : on estime qu’à l’heure actuelle, les deux tiers des gardes de petits enfants relèvent soit du bénévolat, soit du travail au noir. Toute collectivité publique, et la commune comme les autres, est fournisseuse de services et de prestations dont l’offre et les conditions d’offre peuvent soit avantager, soit désavantager les femmes (autrement dit : soit concrétiser le principe d’égalité des droits, soit l’ignorer). Une offre plus abondante de lieux d’accueil pour la petite enfance (et de structures parascolaires) permettra aux femmes de s’engager plus commodément dans une vie professionnelle régulière, et aux parents (femmes et hommes) de s’engager dans une réduction librement choisie, et non plus imposée, de leur temps de travail. En outre, plusieurs études démontrent que la création de places en crèches procure un bénéfice social (et même économique) sans commune mesure avec le coût budgétaire de cette création, pour ne rien dire de l’amélioration de la qualité de vie des parents.
Autour de l’école
Le confinement et la densité de Genève et donc le manque d’espace disponible, la volonté de rentabiliser le sol au maximum et le refus légitime (d’ailleurs couronné de succès, puisque Genève est la seule des " grandes villes " suisse dont la commune-centre n’ait pas perdu, mais gagné des habitants) d’accepter le dépeuplement de la Ville, tout rend difficile la construction d’écoles et de lieux destinés aux enfants d’âge scolaire. Les projets de construction de tels équipements suscitent souvent une opposition des habitants, opposition compréhensible lorsque ces constructions menacent des espaces publics à disposition de la population, mais beaucoup moins acceptable lorsqu’elle est fondée sur le principe du " touche pas à mon jardin, installe ton école dans celui du voisin "...). Pour autant, de nouvelles écoles et de nouveaux équipements parascolaires doivent être construits, dans les meilleures conditions possibles.
L’âge venant…
Les personnes les plus âgées sont menacées d’une exclusion à la fois sociale, due à la raréfaction de leurs ressources matérielles (en particulier pour celles qui ont atteint l’âge de la retraite avant ou peu après l’introduction du Deuxième Pilier), et physique (due à l’inadaptation de la ville et de la vie urbaine à leurs possibilités). Fragiles dans leurs déplacements face à une circulation automobile insuffisamment maîtrisée (aux risques de laquelle s’ajoutent ceux de l’usage des trottoirs comme pistes cyclables, de skate ou de rollers), ressentant particulièrement le sentiment d’insécurité, elles sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus âgées et donc de plus en plus fragiles. Le vieillissement de la population, plus prononcé dans les communes-centre des villes (la " pyramide des âges " y est en effet plus déséquilibrée que dans les autres zones démographiques urbaines, avec une proportion plus élevée de personnes âgées et très âgées, et plus basse de jeunes adultes, d’adolescents et d’enfants), est une tendance lourde de l’évolution démographique depuis des décennies. Or l’action de la collectivité est encore contrainte par des réflexes, des structures et des pratiques héritées d’un temps où les jeunes étaient beaucoup plus nombreux que les vieux; aujourd’hui il n’est pas rare de voir des personnes du " troisième âge " prendre en charge leurs parents.
La solidarité par l’association
Toute politique de solidarité sociale n’est pas forcément vouée à être mise en œuvre par l’administration publique centrale ou des services publics centraux. Si les critères de l’économie privée (la rentabilité, le profit) sont contradictoires de ceux de la politique sociale (la nécessité ou l’utilité des prestations, les besoins des usagers, le respect de leurs droits), les critères et les modes de fonctionnement du secteur associatif rendent parfaitement légitime une délégation de certaines tâches à des associations (ou des fondations de droit public), notamment dès lors qu’il s’agit d’expérimenter des pratiques nouvelles et de répondre à des besoins émergents.
Une économie au service de la cité -et non une cité au service des banquiers privés
L'ÉCONOMIE EST AU CENTRE DE LA POLITIQUE. COMME LA TUMEUR EST AU CENTRE DU CANCER.
Les économies dites (par elles-mêmes) " dévelop-pées " traversent une crise profonde, plus ou moins douloureuse selon l’état en lequel cette crise les a surprises, et dont l’accroissement brutal du nombre des chômeurs a été la première conséquence. Il s’agit à la fois d’une crise d’adaptation de l’appareil économique aux nouvelles conditions et aux nouvelles capacités de production, et d’une crise de concurrence. Economiquement, la crise se mesure par l’accroissement de l’importance des capitaux spéculatifs par rapport aux capitaux investis dans la production, et par un accroissement des investissements de " rationa-lisation " des méthodes de production au détriment des investissements d’amélioration de la production et des conditions sociales des producteurs.
Face à une telle crise, l’attente d’une " relance " qui serait suscitée par quelque(s) grand(s) projet(s) somptuaires (genre " traversée de la rade "), tient du fétichisme : l’adaptation de l’appareil économique aux possibilités de production et aux conditions des échanges internationaux nécessitera un effort considérable de la part des collectivités publiques, tous niveaux de décision confondus -un effort d’autant plus considérable que l’on ne prendra pas seulement en référence les " grands équilibres macro-économiques ", mais aussi les droits sociaux des gens. L’effort d’ " adaptation économique " ne saurait en effet pour des socialistes se payer de la dégradation des conditions de travail et d’existence : il n’a même de sens et de légitimité que s’il se traduit par leur amélioration constante. Quant aux moyens de cette " adaptation ", les privatisations de services publics sont sans doute à ranger au rang des pires. Du point de vue même de la " modernisation de l’appareil économique ", le maintien, le développement et, là où il a été entamé, la restauration d’un secteur public et de services publics forts s’impose -avec à la clef le renforcement et l’élargissement de leurs prestations.
Même si l’autonomie communale est à Genève plus réduite que n’importe où ailleurs en Suisse, et même si les compétences de la Ville sont confinées dans un cadre excessivement étroit, le pouvoir économique d’une collectivité publique qui peut dépenser un milliard par an est loin d’être négligeable. La Ville de Genève est en fait le second acteur économique du canton, après le canton lui-même. Compte tenu de ce poids économique et financier, et dans les limites (à élargir) de ses compétences, la Ville mène donc, qu’elle le veuille ou non, le dise ou non et la planifie ou non, une politique économique.
Partager le travail
Nous vivons peut- être la fin de la généralisation du salariat stable et à plein temps comme norme des rapports de travail. Le nombre des chômeurs, des travailleurs occasionnels, des exclus du travail, des personnes en formation, des travailleurs (et surtout des travailleuses) à temps partiel, des indépendants et des retraités sortis (bon gré, mal gré) du cycle salarial, est aujourd’hui à Genève plus élevé que celui des salariés " traditionnels " (occupant un emploi salarié, stable, à plein temps). La baisse régulière de la proportion des salariés " tradi-tionnels " au sein de la population résidente (rappelons que le nombre d’emplois est à Genève supérieur au nombre de personnes résidentes " professionnellement actives "), baisse plus prononcée en Ville que dans l’ensemble du canton, est due à la fois à des facteurs structurels (le vieillissement de la population, l’allongement de la durée de la formation, notamment), conjoncturels (le chômage, sans doute la forme la plus stupide de réduction du temps de travail) et sociaux (la difficulté pour les femmes de concilier travail à plein temps et responsabilités familiales, quand ces responsabilités restent toujours mal partagées au sein du couple -du moins quand couple il y a).
La politique sociale et économique (et donc d’emploi) des collectivités publiques tarde à prendre toute la mesure de cette évolution sociale et reste fondée sur le salariat traditionnel au lieu que de l’être sur un projet de partage du travail (c’est-à-dire de coïncidence du travail disponible et du travail nécessaire).
La réduction du temps de travail est la clef d’une nouvelle répartition du travail (entre travail rémunéré et non-rémunéré, travail constitutif du revenu et travail socialement nécessaire, travail des hommes et travail des femmes). Plus cette réduction sera importante, plus la redistribution du travail sera profonde ; plus cette redistribution sera maîtrisée, mieux elle sera acceptée. Nous sortons par la crise d’une société organisée, normée autour d’une certaine conception du travail, qui nous vient du XIXème siècle : salarié, stable, à plein temps, masculin. A la remise en cause de ce modèle, nous opposons encore ce modèle lui-même, sans tenir compte des autres modes d’engagement social -à commencer par celui des femmes, assumant sans rémunération la plus grande part du travail non-marchand, et, avec ou sans rémunération, la plus grande part du travail tout court. L’évolution sociale en ce qui concerne la répartition du travail (du temps et du volume de travail) tend à constituer deux groupes de travailleurs (salariés ou non) : ceux qui sont bien payés pour le travail qu’ils font, mais qui travaillent trop, trop longtemps et trop intensément, et ceux qui sont assistés pour survivre, parce que leur salaire est insuffisant -ou qu’ils n’ont pas de salaire, ni de revenu régulier du travail. On ne sortira de cette situation qu’en procédant à une double répartition du travail : en répartissant le volume de travail rémunéré disponible entre tous les travailleurs potentiels, et en répartissant le volume de travail nécessaire (rémunéré ou non) entre tous ceux qui peuvent en fournir.
REINVENTER LA VILLE
Toute action politique porte sur un espace borné par les " frontières " que l’organisation étatique a déterminées. La maîtrise de cet espace est donc un enjeu politique essentiel. Il en découle que le développement de la ville doit faire l’objet d’une planification, sauf à se satisfaire de contempler les ravages de la spéculation immobilière et du champ libre laissé aux intérêts privés. Cette planification, dont le contenu doit pouvoir être régulièrement infléchi, doit être démocratique, soumise à consultation, à négociation et à ratification, sous une forme ou une autre, par les habitants -puisqu’il faut se résoudre à devoir constamment rappeler aux forces économiques et politiques que cette évidence gêne, qu’une ville n’est pas un entrelacs de parkings, d’autoroutes et de supermarchés, mais une collectivité humaine, et que ce sont ceux qui l’habitent qui la font.
Le territoire urbain n’est pas un espace neutre, c’est un champ politique. L’enjeu politique premier de l’organisation de ce territoire concerne la répartition de son affectation (entre logement, commerce, industrie, loisirs, culture, administration publique, circulation des personnes et des biens, espaces verts et espaces libres). Cette répartition détermine l’identité physique de la ville, c’est-à-dire le cadre et les conditions de vie de ses habitants. A Genève, cette identité physique " déborde " très largement des limites politiques de la commune centre : la ville réelle, celle qui se manifeste par une continuité du domaine bâti, traverse tout le canton et se prolonge au-delà de ses frontières et des frontières nationales : politiquement, la Ville de Genève s’arrête au bas des routes de Meyrin et de Chêne, mais physiquement, la ville de Genève va de Ferney à Annemasse… Toute question d’urbanisme et d’aménagement doit donc être posée à l’échelle de la ville réelle. Cette échelle, c’est celle de la communauté urbaine.
Un urbanisme par et pour les urbains
" Construire la ville en Ville " fut le mot d’ordre, le programme et effectivement la politique de la gauche dans les années septante et quatre-vingt. Cette politique a permis à Genève de freiner, puis d’inverser un mouvement démographique qui, depuis la fin des années soixante, se traduisait par une déperdition de population pour la ville. L’objectif poursuivi a été atteint : Genève est aujourd’hui la seule des " grandes " villes suisses (soit les communes de plus de 100'000 habitants -elles sont cinq-, qui ne sont toutes à l’échelle européenne que des villes moyenne) dont la population ait augmenté : La population de Genève a dépassé celle de Bâle, et a atteint en 2002 les 182'560 habitants (3123 de plus en un an). Les limites de la Ville politique n’ayant quant à elles pas changé (le territoire communal n’a pas augmenté), Genève est redevenue la ville la plus dense de Suisse. Hors du centre historique de la ville (Cité, Saint-Gervais), qui fut toujours caractérisé par une très forte densité de population et d’activités économiques, une densité excessive est source de conflits de toute nature entre les différents occupants de l’espace, et provoque une péjoration des conditions d’habitat.
Genève manque d’espace : la ville reste confinée dans un périmètre politique étroit, et l’espace dont la ville dispose à l’intérieur de ce périmètre reste mal réparti : la densification de la ville tient aussi à ce qu’on y a fait, et continue d’y faire, la part trop belle aux voies de circulation et de stationnement des automobiles .
Mais la ville n’est pas qu’une addition d’espaces spécifiques (logements, activités économiques, espaces verts, voies de circulation) ; elle est un ensemble, au sein duquel les espaces non-bâtis constituent -quand ils ne sont pas l’objet d’une appropriation privée- des espaces collectifs et des lieux possibles de pratique démocratique et de solidarité : l’Agora n’est pas un bâtiment mais une place.
Nous refusons
Le critère et la mesure : la qualité de la vie
La qualité et la pertinence des choix urbanistiques ne se mesurent pas au plaisir des urbanistes mais à la qualité de la vie des habitants de l’espace urbanisé : la ville doit être faite par et pour ses habitants. A contrario, ce qui pèse sur cette qualité de vie ou la dégrade est le signe d’erreurs d’urbanisme.
A Genève, la principale nuisance subie par les habitants est le bruit (" viennent ensuite ", et dans le désordre, puisque ce classement est en constante modification : la pollution, la saleté, l’encombrement, l’insécurité). Mais au-delà de ce qui directement la dégrade, la qualité de la vie en ville dépend essentiellement de la qualité de l’aménagement de la ville.
Les compétences des communes genevoises en matière d’aménagement sont extrêmement limitées. Cependant, la nécessité n’est pas réduite pour autant d’un engagement actif des collectivités locales dans la défense de la qualité de la vie de leurs habitants. La Ville doit donc agir dans ce domaine, en usant de toutes les compétences dont elle dispose, et en acquérant des compétences nouvelles.
Le bruit est depuis des années la première nuisance citée comme telle par les habitants de la ville, et les mesures effectuées depuis trente ans signalent une dégradation constante de la situation dans ce domaine. La ville semble de plus en plus bruyante (quoique cette nuisance soit inégalement répartie, cette inégalité recouvrant largement celle des ressources financières des habitants), et les moments de silence relatif (ou de moindre bruit) de plus en plus rares. Un bruit de fond continuel et de plus en plus fort accompagne tous les moments de la vie en ville. Ce bruit n’est plus fait de " bruits humains " mais de bruits de machines, d’équipements, de moteurs.
La nuisance sonore dans l’espace urbain est étroitement liée à la circulation automobile motorisée (automobiles, transports publics, deux roues motorisés, les véhicules les plus petits n’étant pas les moins bruyants), laquelle produit un bruit incessant (contrairement au bruit produit par le travail, qui cesse quand cesse le travail, c’est-à-dire sauf exception dès le début de soirée).
La péjoration des conditions de vie des habitants est également due à la pollution de l’air ; à Genève, cette pollution, comme celle par le bruit, comme une bonne part de l’insécurité et de l’encombrement, comme les difficultés de déplacement dans la zone urbaine- est d’abord la conséquence du trafic automobile -à quoi s’ajoutent dès l’automne les rejets dans l’atmosphère de composants des carburants de chauffage.
La qualité de la vie en ville dépend également de la qualité de l’espace urbain mis à la disposition du public, et de la qualité de son aménagement. Cette qualité est notable à Genève -ce qui ne signifie pas qu’elle ne puisse être accrue. Un embellissement de la ville est possible ; il implique évidemment que soit préservé ce qui, fait de Genève une belle ville -moins cependant par son architecture ou son urbanisme que par sa situation et son cadre géographique (la beauté de Genève n’est pas dans ses bâtiments ou ses rues, mais dans son lac, son fleuve, les montagnes qui dessinent son horizon).
La propreté d’une ville participe de sa beauté -sachant qu’il n’y a de propreté parfaite que dans l’absence totale de vie. Or la ville est un lieu de consommation, et donc de gaspillage, dans une société qui est elle-même une société de gaspillage (crise ou pas crise) : gaspillage de biens, de ressources, d’énergie. La prise de conscience écologique, " démargina-lisée " dans les années soixante, prudemment concrétisée dès les années septante, a néanmoins permis de développer des stratégies de réduction des gaspillages et de récupération des produits de l’activité humaine, dont les déchets.
La ville (ses habitants, ses services publics, ses entreprises, ses visiteurs) produit une montagne composite de déchets de toute sorte. Cette "montagne" peut ne pas être improductive, à condition qu’un tri systématique soit fait de ce qui la compose, et que la plus grande part possible en soit réutilisée, et non simplement éliminée, puisque l’élimination des déchets produit elle-même des déchets, est source de pollution et consomme une énergie importante pour le plus absurde des usages.
La liberté de déplacement : une liberté des personnes, pas un droit des machines
Beaucoup reste à faire pour limiter la circulation automobile en ville, et en écarter le trafic de transit. Les opérations menées jusqu’à présent ont certes donné des résultats positifs, mais la ville reste surchargée d’un trafic automobile dont une bonne part pourrait se reporter sur d’autres modes de se déplacer. Or il n’y a pas cinquante manière d’inciter les automobilistes à se déplacer plus rationnellement qu’en voiture -pas cinquante, et pas même deux : il n’y en a qu’une : restreindre l’offre, c’est-à-dire la possibilité même de se déplacer en voiture en ville. A l’inverse, toute augmentation de l’offre, quelque forme qu’elle prenne, se traduit par une augmentation du trafic. Les blocages à surmonter pour mener une politique des transports alternative à l’engorgement auto(im)mobile proviennent essentiel-lement du lobby automobile et de certains commerçants, minoritaires, qui semblent n’avoir rien appris ni rien compris des succès obtenus dans des villes comparables à Genève, ni des avantages que dans ces mêmes villes les commerçants ont retiré de la réalisation de zones piétonnes, et qu’ils en retireront également à Genève. Les prévisions catastrophistes des opposants aux plans de restriction de la circulation (" Circulation 2000, ce sera la mort des commerces ! ") ne se sont évidemment pas réalisées, puisque seuls 25 % des clients des commerces du centre-ville s’y rendaient en voiture, et que ce client sur quatre n’est pas si arrimé à sa bagnole qu’il ne puisse continuer de fréquenter les commerces auxquels il est accoutumé s’ils se retrouvent en zone piétonne. De plus en plus nombreux sont désormais les acteurs économiques du centre-ville, commerçants compris, à admettre l’utilité et les effets positifs de mesures que nombre d’entre eux avaient pourtant combattues, même si quelques uns s’obstinent à se croire encore dans les années ’60 du siècle passé, et à ne pas même envisager que l’on puisse faire l’expérience d’une autre politique que celle du " tout automobile ".
Le vélo est sans doute, dans une ville comme Genève, le moyen le plus simple et le plus pratique de se déplacer, la marche mise à part. Ce qui entrave encore son usage tient aux risques que l’on continue à devoir prendre pour emprunter des voies de circulation dominées par l’automobile -ce qui ne justifie d’ailleurs nullement que des cyclistes fassent courir des risques à des piétons (en particulier aux plus fragiles d’entre eux : personnes âgés, personnes à mobilité restreinte, enfants) en utilisant trottoirs ou zones piétonnes comme s’il s’agissait de pistes cyclables.
La séparation des voies de circulation en fonction des moyens de transports devrait se faire en fonction essentiellement de la vitesse du véhicule (quand véhicule il y a). Genève est une ville concentrée, où les distances sont relativement réduites d’un point à un autre (les deux points les plus éloignés de la ville peuvent être joints à pied en une heure), et que l’on peut assez aisément parcourir en marchant, ce qui est après tout, du moins pour la majorité de la population adulte, le mode de déplacement le plus normal, le plus simple et le plus sain (si les conditions en sont réunies) sur de courtes distances. Mais là encore, comme dans le cas du déplacement à vélo, la confrontation avec la circulation automobile (et les deux roues chassés de la rue par la confrontation avec le trafic automobile) est une entrave au libre déplacement à pied.
Nous nous opposons
CONCRÉTISER LE DROIT AU LOGEMENT
La Ville de Genève est l’un des plus grands propriétaires immobiliers du canton. L’importance de son " parc immobilier " lui donne une capacité considérable d’influence sur la politique du logement dans tout le canton (et, au-delà, dans toute la région), en particulier en période de crise du logement.
Les dispositifs légaux concernant les logements subventionnés (HLM) ne fonctionnent plus efficacement comme dispositifs de logement social, mais comme dispositifs de logement des classes moyennes, au détriment des couches sociales les plus défavorisées. En trente ans, une politique du logement initialement tournée vers la satisfaction des besoins des " classes populaires " en général a abouti à ce que la majorité des logements subventionnés soient occupés par des locataires dont le niveau de revenu se situe autour ou au-dessus de la moyenne et de la médiane locales. Une redéfinition des moyens de cette politique s’impose donc, pour concrétiser un objectif inchangé : le droit au logement.
L’évolution sociale concourt à rendre ce changement urgent : les logements disponibles sont souvent affectés de manière gaspilleuse : le nombre de pièces par habitants est élevé à Genève, et des facteurs économiques et sociaux difficilement surmontables dissuadent les personnes âgées et les couples dont les enfants sont partis de quitter des logements devenus trop grand pour eux, alors que des familles aux revenus insuffisants pour leur permettre de se loger sur le marché " libre " doivent se contenter, elles, de logements trop petits. Dans le même temps, des locataires dont les revenus ont, pour une raison ou une autre (dont le chômage), chuté, sont contraints de garder des appartements aux loyers excédant désormais leurs possibilités réelles, faute de pouvoir trouver un nouveau logement, moins cher, sur un marché " hypertendu ". Il est enfin pratiquement impossible à un chômeur (ou une personne endettée, pour quelque raison que ce soit) de se voir accorder un bail.
Un projet de loi constitutionnelle, proposé par le Conseiller d’Etat Laurent Moutinot, prévoit de créer un parc de " logements sociaux pérennes " en lieu et place de l’actuel système de logements subventionnés (HBM, HLM, HCM). Ces logements resteraient de manière permanente sous le contrôle de l’Etat, et les loyers seraient fixés en proportion du revenu. Un cinquième des logements locatifs pourraient faire partie de ce parc de logements sociaux. Ce projet mérite un soutien de la Ville.
ASSURER LA SÉCURITÉ, POUR ASSURER LES LIBERTÉS
Le droit à la sécurité est un droit fondamental de la personne, et la défense de ce droit une obligation fondamentale de la collectivité publique -mais une obligation que des mesures de contrainte policière ou judiciaire ne suffisent absolument pas à remplir ; toute politique répressive est au contraire porteuse de risques de dégradation de la situation.
Ce qui menace au premier chef la sécurité des personnes n’est d’ailleurs pas ce qui constitue le sentiment d’insécurité : l’insécurité ressentie n’est pas fonction des menaces réelles et les groupes sociaux les plus sensibles au sentiment d’insécurité ne sont pas ceux qui sont les plus victimes de l’insécurité réelle. Pour autant, l’insécurité ressentie, même lorsqu’elle n’est pas la conséquence d’une menace réelle, aboutit au même résultat : à une privation de liberté. Il est indifférent qu’une personne n’ose plus sortir seule dans la rue, à certaines heures ou dans certains lieux, sous l’effet d’une crainte objectivement infondée ou à cause d’un risque réel : dans l’un ou l’autre cas, c’est sa liberté de déplacement, son autonomie individuelle, son droit à circuler librement dans la ville, qui sont atteints. Le sentiment d’insécurité et la réalité de l’insécurité n’ont peut-être en commun que de se nourrir l’un et l’autre de la crise sociale, ce qui implique qu’ils soient combattus l’un et l’autre par un travail sur leurs causes sociales, par exemple le chômage, l’exclusion sociale, la précarité -voire l’illégalité- du statut d’un grand nombre d’immigrés, la criminalisation de la toxicomanie...
Le sentiment d’insécurité se nourrit aussi de petits conflits sans grandes conséquences objectives, mais qui, accumulés, récurrents, finissent par prendre une importance considérable. Les actes de petite délinquance et les " incivilités ", parce qu’ils sont fréquents et visibles, concourent à instaurer une atmosphère de menace permanente, décalée de la réalité mais perçue néanmoins comme une réalité. Les incivilités sont constituées par des actes juridiquement bénins (déprédations, attitudes agressives, irrespectueuses des autres, injures) mais dont les conséquences sociales sont d’autant plus graves qu’elles sont subies par des personnes déjà socialement fragilisées. Les incivilités pourrissent la vie de gens dont la vie est déjà difficile : elles sont une violence de faibles sur de plus faibles encore.
Selon les statistiques de la police genevoise, les délits et violences commis par des mineurs sont certes en augmentation (+ 13 % d'arrestations entre 2001 et 2002 pour des infractions pénales), mais l'augmentation des délits ne signifie pas une augmentation des délinquants : la Protection de la Jeunesse constate à la fois le fréquence de la récidive (un-e seul-e délinquant commettant plusieurs délits, et étant arrêté-e plusieurs fois), et l'augmentation du nombre des plaintes émanant d'institutions publiques et de parents -ce qui signale d'ailleurs une sorte de transfert de la charge éducative de la famille et de l'école vers la justice, dont ce n'est pas vraiment le rôle.
En 2002, à Genève, les jeunes de 10 à 18 ans représentaient en moyenne un peu moins d'un tiers (31,3 %) des infractions au Code pénal, un peu plus d'un tiers (35 %) de celles liées à la loi sur les stupéfiants et un dixième de celles concernant le code de la route. Les moins de 19 ans représentent un peu plus du tiers (33,7 %) des arrestations de ressortissants suisses, un peu plus du quart (28,2 %) de celles des étrangers résidants et un peu plus du quart (39,6 %) de celles de requérants d'asile domiciliés hors du canton.
Globalement, la criminalité et la délinquance ont augmenté de 7,7 % entre 2001 et 2002, selon les statistiques policières (qui concernent les crimes et délits ayant entraîné une intervention de la police, et qui mesurent donc plus l'activité de cette dernière que celle des criminels et délinquants). le 88,1 % des infractions au droit pénal dénombrées concernaient le patrimoine. En 2002, 5607 arrestations ont été effectuées, soit 9,6 % de plus que l'année précédente.
. Les infractions contre l'autorité publique ont pratiquement doublé, mais elles n'ont été que 365 en 2001 (185 en 2001) . Les vols à la tire ont augmenté d'un tiers (34,1 %), et sont passés de 2258 en 2001 à 3029 en 2002 . Les crimes et délits contre l'intégrité sexuelle ont augmenté de 40,3 % et sont passés de 298 à 418 entre 2001 et 2002 . Les infractions et les crimes contre la vie et l'intégrité corporelle ont augmenté de 16,6 % et sont passée de 1325 (dont 6 homicides) à 1545 (dont 14 homicides) entre 2001 et 2002
Le nombre de délinquants et criminels Suisse est passé entre 2001 et 2002 de 757 à 821 (+ 8,45 %), celui des étrangers résidants de 564 à 575 (+ 1,95 %), celui des étrangers non résidants de 1452 à 1426 (- 1,79 %), celui des requérants d'asile domiciliés à Genève de 165 à 258 (+ 56,4 %) et celui des requérants d'asile domiciliés dans d'autres cantons (Vaud, essentiellement) de 176 à 402 (+ 128,4 %).
SOUTENIR LE SPORT QUI SE PRATIQUE, PAS CELUI QUI SE MARCHANDE
Le sport à Genève est d’abord et surtout une pratique d’amateurs qui se livrent à une activité sportive par envie et par jeu, sans autre objectif que le plaisir qu’ils y peuvent prendre. Il s’agit d’un sport populaire, pratiqué à des degrés et des niveaux divers par des dizaines de milliers de personnes, et qui n’a pas grand chose à voir avec les grandes manifestations dites " de prestige " (c’est-à-dire, bien plus trivialement, commerciales) que l’on tente avec plus ou moins de succès de mettre sur pied. C’est en tant qu’il est créateur d’un lien social que le sport mérite d’être soutenu par la collectivité publique, et non pour l’illusion qu’il serait une " thérapeutique " contre quelque mal social, quelque douleur personnelle.
Le caractère massif de la pratique du sport pose des problèmes de surcharge, d’inadaptation ou de vieillissement des équipements existants (par exemple les piscines, la patinoire des Vernets, le stade des Charmilles). Il incombe aux collectivités locales de remédier à ces problèmes, mais en se concentrant sur les équipements en leurs mains : l’argent public doit aller aux équipements publics.
Les grandes manifestations sportives, spectaculaires, publicitaires et médiatisées, ne font pas une " politique du sport " mais une politique du spectacle sportif ; autrement dit, elles font du sport une marchandise. D’un point de vue social et culturel (puisque comme pratique de masse, le sport est une pratique culturelle), les manifestations sportives genevoises les plus intéressantes sont celles qui font la plus large place à la participation populaire (Course de l’Escalade, course VTT dans la Vieille ville) : comme la culture le sport est d’abord une pratique sociale (individuelle ou collective), et n’est un spectacle qu’à partir de cette pratique. Pour qu’une manifestation sportive ait un impact local et un effet d’entraînement sur les pratiques individuelles, il faut qu’elle corresponde à une activité sportive à laquelle les amateurs aient la possibilité matérielle de se livrer.
La pratique individuelle et autonome d’activités sportives est certes, quantitativement, en augmentation constante (surtout si l’on tient compte de la pratique extra-institutionnelle), mais une partie du public qui pourrait être touché, notamment au sein des classes d’âge jeunes postscolaires, ne l’est pas, et refuserait d’ailleurs de s’insérer dans les structures plus ou moins contraignantes des clubs et des associations existantes. Les adolescents refusent par ailleurs de se retrouver dans les mêmes lieux et les mêmes structures que les enfants, et refusent également de voir leurs activités circonscrites à des lieux isolés de l’habitat et de l’animation urbaine. Ils tendent donc à pratiquer les sports (ou, en général, les jeux) auxquels ils s’adonnent dans des espaces voués à d’autres fins, avec les risques de dégradation, les nuisance et les problèmes de sécurité (pour eux-mêmes ou pour les autres) que cela implique.
Le sport est un domaine dans lequel les communes de l’agglomération genevoise peuvent et doivent collaborer efficacement. Les usagers des installations sportives de la ville proviennent de toute la région, et nombre de sportifs habitant en ville s’entraînent ou se livrent à leur sport hors de la ville.
PROMOUVOIR LA CRÉATION CULTURELLE
Si par le mot de " culture " on entend toute expression symbolique du rapport des humains les uns avec les autres, avec leur société et avec le monde, ce terme prendra dans un programme politique un sens plus restrictif, désignant les lieux spécifiquement voués à cette expression, les moyens accordés à ces lieux et à ceux qui y œuvrent, et la conception que la collectivité publique se fait de son rôle culturel.
Il y a ici un paradoxe, constitutif de la politique culturelle elle-même : la création culturelle est aussi, et peut-être surtout, l’expression de l’insatisfaction (pour le moins) de l’individu face à la réalité, ou du refus d’une réalité donnée. Ceux-là même qui veulent décrire le monde ne disent que leur étrangeté au monde. Le mouvement par lequel un individu dit ses relations aux autres, et au monde, est toujours un mouvement qui oppose à la réalité donnée une réalité différente, implicite ou explicite, mais toujours contradictoire, sinon alternative. t&
Or, s’agissant de " politique culturelle ", nous parlons de l’action d’un pouvoir politique (municipal, en l’occurrence), autrement dit, d’un élément de ce que toute création culturelle conteste, par le fait même qu’elle " créée de la culture ". Dès lors, il n’y a de culture " officielle ", ou de culture soutenue par l’officialité, qui ne recèle quelque contestation de l’officialité. Le temps d’ailleurs se charge de faire le tri : nous ne retenons de la création culturelle passée que ce qu’elle eut et peut encore contenir de subversif, et nous retournons contre la réalité d’aujourd’hui cela même qui fut peut-être dans le passé la commande d’un pouvoir soucieux de susciter sa propre louange (ainsi des opéras baroques).
La création culturelle est donc toujours inévitablement subversive -et peut le rester même après avoir été réduite à l’état de marchandise, ce qui témoigne bien de sa capacité de résistance. Or c’est cette subversion que l’ " officialité " (la Commune, en l’occurrence) va subventionner. Pour le dire plus clairement : telle que nous la concevons, la politique culturelle consiste à payer des gens pour cracher dans la soupe qu’ils nous servent. Cette conception de la politique culturelle implique l’abandon de toute prétention du politique à dicter le contenu du culturel -et nous combattrons tout tentation de définir une culture officielle, un art officiel, une création officielle.
Cela étant, il y a bien une hiérarchie culturelle, mais qui ne se mesure pas socialement : les formes les plus " hautes " de la création culturelle ne sont pas par définition celles auxquelles participent les couches " élevées " (matériellement) de la société, mais celles auxquelles on accède par le plus grand effort intellectuel ou sensible. La seule difficulté d’accès à la culture qui se justifie est celle qui est contenue dans la création culturelle, ou dans sa représentation ; hors de cela, aucune ségrégation n’est admissible, et la ségrégation par l’argent moins encore que toute autre. Tout le monde doit pouvoir accéder à tout ce qui se créée ou est représenté -à chacun ensuite de faire l’effort personnel (sensible, intellectuel) que l’œuvre requiert. A l’exigence implicite aux créations culturelles ne doit donc pas s’ajouter l’obstacle financier : toute création culturelle doit pouvoir être socialement d’autant plus accessible à tous qu’elle sera plus exigeante. Ne croyant pas à un accès sans effort à la culture, nous sommes pour cette raison même décidés à réduire les obstacles matériels à cet accès.
La politique culturelle, autrement dit : l’action des collectivités publiques dans le(s) domaine(s) culturel(s), s’est longtemps contentée pour l’essentiel d’une politique du patrimoine, c’est-à-dire de la représentation de ce qui a été créé dans un passé plus ou moins lointain. Or une politique culturelle digne de ce nom doit également porter sur la création présente (dite, par pléonasme, " contemporaine ".
La politique culturelle n’est pas une politique artistique : elle n’a pas à choisir des domaines de la création culturelle ou des formes d’expression et à en exclure d’autres, et moins encore à déterminer des formes et des champs de " culture officielle " ou d’ " art officiel ". Cela étant, si nous ne reconnaissons à aucun pouvoir politique le droit de déterminer les formes et les contenus de la culture, nous considérons que toute politique culturelle se doit de concentrer ses efforts sur cette part de la création et de la représentation culturelles qui a besoin d’un soutien public, parce qu’elle ne représente pas (ou pas encore) une source de profit possible pour le secteur privé, et qu’elle n’est donc pas soutenue par lui.
La démocratisation de l’accès à la culture, à la formation et à l’expression culturelles et artistiques, passe par la décentralisation de l’équipement culturel dans les quartiers et par l’organisation de manifestations festives, confrontant la création et le patrimoine culturels à un public qui ne se déplace pas, ou rarement, dans les institutions (ni dans les marges) culturelles. La Bâtie-Festival, la Fête de la musique, la Fureur de lire, la Nuit de la science, les Journées du Patrimoine, sont des exemples de cette volonté de " faire sortir la culture du milieu culturel ", des exemples dont on devrait d’ailleurs s’inspirer pour faire des " Fêtes de Genève " autre chose que ce qu’elles sont (exercice sans grand risque, dès lors qu’il serait difficile de faire pire). De même, la politique culturelle d’une ville comme Genève se doit d’apporter tout le soutien possible aux lieux, aux acteurs et aux moments de création et de représentation culturelles des communautés immigrées.
Depuis près de cinq siècles, Genève s’est constituée par le fait culturel (religieux, littéraire, philosophique). Cet héritage fait aujourd’hui de Genève la " capitale culturelle " d’une région qui s’étend bien au-delà des frontières cantonales (et à plus forte raison des " frontières " municipales), et un lieu de création et de représentation dont l'importance est totalement disproportionnée de son poids démographique. Pour autant, l’institution reste en deçà de cette réalité, et ne prend pas en compte la dimension régionale de la politique culturelle genevoise.
La capacité de création culturelle et artistique d’une collectivité (ici, Genève, supra muros) se mesure à l’activité de ses marges. Ce qui se créée hors des institutions culturelles les irrigue et constitue le patrimoine culturel à venir : " c’est par leurs marges que tiennent les pages d’un livre ". Un soutien à la création culturelle implique donc, comme une priorité et non comme un accessoire, un soutien à ce qui est au départ création dans les marges. Il n’y a peut-être par définition de création culturelle que d’avant-garde, décalée de la réalité donnée ; la décadence d’une création culturelle ou d’un mode d’expression, commence là où cesse le conflit entre elle et la société, et où s’accroît sa valeur marchande (pensons, pour ne prendre que cet exemple, au destin du rap). La culture n’aboutit au Marché que par la médiocrité, puisque elle y aboutit par la rentabilité. La collectivité a donc le devoir de soutenir la création culturelle marginale, ce soutien se réduisant au fur et à mesure qu’il produit ses effets, c’est-à-dire au fur et à mesure que cette création sort de la marge.
Toutes collectivités publiques suisses confondues, c’est-à-dire Ville, communes (suburbaines et rurbaines) et canton additionnés, Genève est de tous les cantons celui qui consacre le plus de ressources à la culture (du moins si l’on s’en tient à la définition que donnent des dépenses culturelles des statistiques fédérales qui ne distinguent pas ou distinguent mal éducation, culture et loisirs, investissements et subventions, charges durables et soutiens ponctuels). La statistique fédérale fait de la Ville de Genève la collectivité locale suisse qui consacre la plus grande part de ses ressources budgétaires à la culture et une étude française, portant sur 200 villes européennes en 1989, situait Genève dans le " peloton de tête " du soutien public à la culture.
La Ville de Genève doit cependant assumer seule l’essentiel de la charge financière de la politique culturelle de la région, et la quasi totalité de la charge financière liée aux grandes institutions culturelles. Le canton a certes un budget culturel, mais il est en grande partie " consommé " par le soutien à quelques institutions -le Conservatoire et le Conservatoire populaire, l’Institut Jacque-Dalcroze, l’OSR- et au total, le canton ne consacre au domaine culturel (hors école) que le tiers de ce qu’y consacre la Ville.
Le principe général qui domine, par habitude et par héritage bien plus que par réflexion et par choix, la répartition des tâches culturelles, est toujours le suivant : la culture à la Ville, la formation au canton, avec quelques transgressions fondées sur ce paradoxe qui confine politiquement à l’absurde : les institutions les plus " lourdes " à la Ville, les soutiens ponctuels (notamment à la culture de proximité ou d’expérimentation) au canton. Les choses, cependant, pourraient (un peu) bouger, du moins si l’on en croit les intentions exprimées par les responsables de la politique culturelle de la Ville (Alain Vaissade) et du canton (Martine Brunschwig-Graf). Acceptons-en l’augure…
Que l’essentiel de la vie culturelle genevoise soit pris en charge par la Ville n’est pas en soi absurde, et relève même d’une certaine " fatalité ", puisque cette commune est la commune-centre de la région, celle qui définit la région qui autour d’elle se constitue. Mais qu’il n’y ait aucune participation des autres communes à cette prise en charge, alors que la majorité des habitants de la région habite hors des limites de la Ville, est en revanche parfaitement absurde, et nuisible : cela fragilise les institutions culturelles en les faisant dépendre d’une seule source de financement, cela réduit les capacités de soutien à la culture non-institutionnelle, cela écarte, enfin, les autres communes du pouvoir de décision en matière de politique culturelle. Un financement des institutions culturelles commun à l’ensemble des communes permettrait de conjuguer deux principes-clefs : celui de subsidiarité (puisque les communes resteraient maîtresses du jeu face au canton) et celui d’innovation (puisque des ressources nouvelles seraient dégagées pour le soutien aux formes, aux expressions et aux contenus culturels nouveaux).
Genève a besoin de rassembler les ressources qu’elle peut consacrer à la culture, et de coordonner les acteurs institutionnels affectant ces ressources. Ce besoin est certes plus évident en période de crise (ou de restrictions) financière(s) qu’en période d’abondance budgétaire, mais il s’agit d’un besoin permanent. L’investissement dans la culture est socialement l’un des plus " rentables " de tous ceux qu’une collectivité publique peut consentir -à condition, évidemment, qu’on ne cherche pas à imposer aux dépenses culturelles publiques les critères de rentabilité de l’investissement privé dans les marchés porteurs de plus-values immédiates.
Il nous faudra bien sortir de l’invraisemblable enchevêtrement qui caractérise le processus de décision et de subventionnement de la politique culturelle à Genève : un enchevêtrement où les concurrences entre instances, les guerres tribales entre institutions, les égoïsmes locaux, l’inaction des uns compensée par la surcharge des autres, la charge financière des grosses institutions et le coût prévisible des nouveaux investissements, aboutissent non seulement à un gaspillage absurde des ressources, mais aussi et surtout à dresser les intervenants culturels les uns contre les autres dans une chasse aux subventions où chacun est le concurrent de son voisin, où les partisans d’un théâtre sont affrontés à ceux d’un musée, les partisans d’une Maison de la Danse à ceux d’une Maison des Musiques, les créateurs indépendants aux créateurs " institutionnels ", les partisans des premiers aux défenseurs du Grand Théâtre, les partisans des seconds aux défenseurs de l’Usine, les amis du Théâtre de Carouge à la Ville de Genève et finalement les intervenants culturels domiciliés (ou actifs) en Ville à ceux domiciliés (ou actifs) hors des limites politiques de la ville.
La mise en commun des ressources, en même temps que la création d’une instance subventionnante nouvelle, est la condition de la mise en commun des capacités créatrices des uns et des autres -et donc de l’accroissement de la capacité créatrice de tous. Genève ne peut qu’y gagner, et personne n’a grand-chose à y perdre -à ceci près que cette mise en commun suppose évidemment un partage du pouvoir entre la Ville et le canton, mais surtout entre la Ville et les autres communes, en échange d’un engagement accru de tous les acteurs institutionnels qui se satisfont aujourd'hui que la charge de la politique culturelle genevoise repose essentiellement sur la Ville, laquelle se satisfait non moins aisément d’être à elle seule le " ministère genevois de la Culture " -seul domaine politique, il est vrai, où le principe de subsidiarité est à Genève respecté, et où la Commune s’impose au canton.
Cela étant, le subventionnement par la collectivité publique des acteurs de la vie culturelle régionale ne doit pas aboutir à l’octroi de rentes de situation, mais doit inciter à la recherche, à l’innovation, à l’émergence de nouvelles formes culturelles, de nouveaux langages et de nouveaux contenus culturels -mais également de nouveaux modes de " gestion de la création culturelle " -et de gestion des institutions culturelles.
GÉRER AUTREMENT
L'AMBITION SOUVENT FAIT ACCEPTER LES FONCTIONS LES PLUS BASSES. C'EST AINSI QU'ON GRIMPE DANS LA MÊME POSTURE QUE L'ON RAMPE (Jonathan Swift)
Le mot " politique " désigne à la fois la gestion des intérêts collectifs et le projet social, c’est-à-dire les règles que l’on propose au jeu social, les droits et les libertés que l’on entend garantir, les devoirs et les contraintes que l’on entend accepter. Un programme politique exprime pour l’essentiel cette deuxième définition de la politique. Reste la première : la manière dont sont conduites et gérées les " affaires publiques " détermine en effet les chances de réalisation d’un projet social, dans un contexte donné. Le contexte dans lequel nous présentons ce programme est un contexte de crises (nous ne risquons rien à l’affirmer, dès lors que " nos sociétés " sont en crises depuis trente ans), ce qui impose une gestion d’autant plus efficace et inventive que nous avons précisément pour projet de changer les règles du jeu, en mettant en œuvre tous les moyens (même légaux) disponibles.
Une politique de rigueur dans la gestion financière n’est donc pas une fin en soi (la rigueur pour la rigueur relève de la psychorigidité, et il y a sans doute mieux à trouver dans l’héritage calviniste), mais le moyen de financer les engagements collectifs, notamment dans le domaine social, dans la culture et dans les réformes de structure.
La Commune est une collectivité publique, mais elle n’est pas l’Etat (d’où, d’ailleurs, la persistante méfiance en laquelle l’Etat la tient). N’étant pas l’Etat, elle n’est pas un appareil de contrainte, mais un prestataire de services à la population. Ses services publics ne sont pas des appareils de contrôle social, et ne sont pas de ceux (les services publics centraux) qui ont constitué les capitalismes nationaux. A sa mesure, la Commune réalise d’une certaine manière autant le projet des premiers socialistes (" passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses ") que la rhétorique social-libérale (faire du service public un service au public) ; les services publics municipaux sont, en effet, des services au public. Ils ne sont (pas plus que la rigueur) une fin en soi, et ne sont pas vraiment des appareils d’Etat (même s’ils s’insèrent dans le cadre légal qui structure les appareils d’Etat). Ils peuvent donc réellement être les instruments d’une concrétisation des droits fondamentaux, et de couverture des besoins sociaux. Les moyens (financiers, humains, techniques) mis à leur disposition, les compétences légales qui leur sont accordées, doivent être déterminés en fonction de ce projet, des principes d’universalité et d’égalité d’accès aux prestations publiques et des critères d’utilité des prestations et d’efficacité de leur fourniture : il s’agit de remplir le mieux possible, en respectant les droits des usagers et ceux des travailleurs du secteur public municipal, le rôle de prestataires qu’ont les services publics municipaux. De ce point de vue au moins, l’extrême restriction de l’autonomie municipale à Genève a un avantage : la Commune n’est pas un appareil de contrainte. Certes, cette caractéristique " libertaire " des municipalités genevoise ne tient pas tant à une adhésion aux thèses de Bakounine ou de Luigi Bertoni qu’à la volonté du canton de se réserver le monopole de la capacité de contrainte, mais le fait est là : il est possible, ici et maintenant, de renforcer des services publics " au service du public ", de développer des modalités d’appropriation sociale et de démocratisation radicale des services publics -bref, de prouver par la Commune que " collectivité publique " n’est pas le petit nom euphémique de " collectivisme policier ".
"Je hais les grands. Je hais leur état, leur dureté, leurs préjugés, leurs petitesses et leurs vices. Et je les haïrais bien davantage si je les méprisais moins." (Jean-Jacques Rousseau)
La fonction publique est depuis des années un bouc-émissaire commode pour des forces politiques qui, n’ayant aucun projet crédible de gestion (ainsi que l’ont prouvées les diverses affaires laissées derrière lui par le précédent gouvernement cantonal, et son prédécesseur " monocolore ", de la Banque Cantonale aux Offices des Poursuites) tentent de faire accroire qu’il suffit de réduire la masse salariale en supprimant des postes de travail, en plafonnant les salaires et en péjorant les conditions de travail pour " rétablir l’équilibre des finances publiques " sinon améliorer le fonctionnement de l’Etat. Or les tâches assumées par la fonction publique sont indispensables, à quelques exceptions près (qui sont précisément celles auxquelles la droite tient le plus : l’armée, par exemple) ; ces tâches consistent en la concrétisation des droits fondamentaux proclamés par ailleurs ; la fonction publique assume bien ces tâches, dans des conditions souvent difficiles ; et le secteur privé ne les assumerait pas mieux, ainsi que l’ont démontré les effets des privatisations de services publics opérées dans certains pays d’Europe (voyez les chemins de fer britanniques…), et surtout ne pourrait les assumer qu’au prix d’un report de charge sur les usagers, puisque son critère d’efficacité n’est ni l’utilité de la prestation fournie, ni la qualité de sa fourniture, mais le profit qu’il peut en tirer : une poste à Saint-Jean, cela n’est pas " rentable " : que les petits vieux de Saint-Jean se débrouillent, ils n’ont qu’à se mettre à l’internet…
Cela dit, le travail politique de rationalisation et de démocratisation du fonctionnement de l’administration et des services publics est essentiel. Il est la condition de leur légitimité, et du soutien que les citoyens peuvent apporter à la résistance aux privatisations et à la mercantilisation du " service au public ". Ce travail a commencé, il doit se poursuivre, et sans doute, lui aussi, se radicaliser.
Toute fiscalité a mauvaise presse : il n’y a pas d’impôt populaire, sinon celui qui n’est payé que par les autres. Il ne faut cependant pas désespérer de la capacité de compréhension (plus simplement dit : de l’intelligence) des contribuables : la réaction " antifiscale " est plus une critique de l’usage que font les pouvoirs publics des impôts qu’ils perçoivent qu’un refus de l’impôt " en soi ". Un travail d’information et d’explication du rôle et de la nature de la fiscalité est donc nécessaire, afin de faire comprendre le mécanisme de redistribution des richesses à partir de l’impôt direct, et de faire connaître l’usage que la collectivité fait des ressources qu’elle obtient.
La dépense publique est toujours un investissement. Reste à en convaincre les contribuables, et on n’y parviendra que si l’affectation des ressources de la collectivité est conforme aux besoins de celle-ci, et évite les gaspillages improductifs -s’il en est de productifs…
LA VILLE DONT LE PAYS EST LE MONDE
"Dans la naissance du mouvement socialiste genevois (et, plus généralement, du mouvement socialiste suisse), la part des réfigués et des immigrés fut considérable. Les premières organisations réellement socialistes à Genève furent créées par des révolutionnaires russes, allemands, français, italiens; animées par des militants venus de toute l'Europe, puis du reste du monde. La solidarité internationale a été le creuset du socialisme genevois et suisse; elle reste aujourd'hui une préoccupation constante; elle le sera encore à l'avenir. cette solidarité internationale est enfin la condition de la résolution pacifique des conflits et du maintien de la paix. C'est là un engagement d'importance pour la social-démocratie" (Micheline Calmy-Rey, en 1989)
Genève n’existe que par son rapport privilégié au monde : cette cité s’est constituée comme un carrefour, cette commune comme un lieu d’échange, cette République comme le centre de débats d’idées, puis de négociations internationales. Ce qui a constitué Genève reste sa raison d’être, et son avenir : l’approfondissement, l’élargissement et la perfection du rôle que lui lègue son histoire, de ville dont le pays est le monde. Encore faut-il ne pas oublier que le monde réel n’est pas celui qui parade dans les conférences internationales, les forums économiques mondiaux et les conseils d’administrations des multinationales. La géographie peut être trompeuse : nous devons être plus proches de Porto Alegre que de Davos. Le rapport de Genève au monde doit se concrétiser dans un rapport plus étroit, et plus égalitaire, avec les marges et les périphéries du monde riche. Genève n'a pas besoin de s’ouvrir au monde, mais aux mondes.
Cette ouverture aux mondes correspond déjà à la réalité de la Genève pluriculturelle (un tiers de la population étrangère de Genève, laquelle représente près de la moitié de la population tout court de la Ville, est ressortissante de pays non membres de l’Union européenne, et la majorité des ressortissants de pays de l’Union européenne le sont de pays du sud de l’Europe -France non comprise). Nous savons que cette réalité peut poser problèmes -mais nous sommes de celles et ceux pour qui ces problèmes sont bien moins graves que ceux que subiraient une ville fermée aux autres cultures, une société repliée sur elle-même, une communauté refusant de confronter ses valeurs à celles des autres. Les conflits qui secouent le monde suscitent toujours dans un pays qui en est plutôt préservé des réactions d’intolérance, des discours d’amalgame, des expressions de rejet de l’ " autre ". Nous condamnons ces réactions, nous récusons ces discours, nous refusons ces expressions. Nous ignorerons ce rejet.
173 propositions socialistes
La Communauté urbaine
Lutter contre la pauvreté, pas contre les pauvres
L’âge venant
Une économie au service de la cité, et non une cité au service des banquiers privés
MAÎTRISER LE CADRE DE VIE
Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas (Héraclite
Genève, 21 mars 2007, 1er Germinal
Ma très chère,
Je n’étais plus revenu à Genève depuis quatre ans ; tu sais ce qui m’en avait tenu éloigné : je ne m’étais pas exilé, mais ce qui me requérait ailleurs avait singulièrement plus de force que ce qui m’aurait retenu dans ma ville. Ma ville ? J’ai toujours la même impression d’étrangeté à m’entendre dire ce possessif. Genève n’appartient à personne, et surtout pas à ceux qui croient en détenir les clefs. Ni même à ceux qui croient pouvoir parler en son nom. Mais à ceux qui l’habitent, d’où qu’ils viennent. Et à ceux qui la rêvent, où qu’ils soient.
Revenant sur mes pas, j’ai retrouvé la ville changée, comme agrandie. Mais si Genève est autre qu’il y a quatre ans, c’est pour avoir été fidèle à elle-même, à ce qui l’avait constituée, à ce qu’elle continuait d’être même sans le savoir ou sans qu’elle s’en souvienne. Genève ne s’est changée que pour pouvoir à nouveau ressembler à elle-même.
Il faut bien que je te dise ce changement : il est à la fois profond et, pour chaque chose changée, presque imperceptible. J’avais quitté une ville ankylosée, ne sachant plus très bien ce qu’elle voulait faire d’elle-même, se remettant encore lentement d’avoir, quelques années auparavant, abandonné à d’autres le soin de lui assigner un destin -et quel destin ! celui d’un centre commercial, d’un parking, d’un échangeur d’autoroutes… Genève s’est réveillée, et se réveillant s’est ébrouée, et s’ébrouant s’est émancipée. Il a d’abord fallu qu’elle échappe à ses propres frontières, celles de la commune, celles du canton, celle de la Suisse même. Cela s’est appelé la " communauté urbaine ". La communauté, qui vient de la Commune, et urbaine, pour retrouver la ville. S’ébrouant, la Ville s’est reconnue vieille de 2000 ans, Commune depuis 1000 ans, République depuis 500 ans, et canton pour l’accessoire, puisque, revenus dans les fourgons d’une armée autrichienne, quelques notables avaient encore si grande peur des révolutions de France qu’ils virent en la Suisse une assurance-vie.
Lasse de contempler à ses portes l’Europe en train de se faire, fatiguée d’attendre que se déchirent les mythes et que se dissipent les peurs pour que la Suisse en soit, Genève a décidé de sauter à communes jointes par dessus cette frontière qui traversait la ville réelle. Les élus municipaux, les associations, les lieux culturels de toute la région travaillent désormais en commun, sur tous les problèmes qu’ils ont en commun. Une évidence, dis-tu ? une évidence, sans doute, mais qui mit si longtemps à s’imposer qu’on avait fini par la prendre pour un projet révolutionnaire. Eppur si muove…
Il en fut d’autres évidences comme de celle-ci, et je mesure encore mal les obstacles qu’il aura fallu surmonter pour que des mots comme " solidarité ", " démocratie ", " qualité de la vie ", sortent des discours pour prendre leur vrai sens, lourd, palpable, vérifiable… On a toujours beaucoup parlé ici, et beaucoup écrit. Genève est une ville de mots. Il aura fallu en dire et en écrire beaucoup, longtemps, pour que les actes suivent. Ils ont suivi.
Genève caracolait en tête des statistiques de chômage ? la Ville a créé des emplois, réduit le temps de travail, partagé le travail, soutenu des activités nouvelles…
Genève étouffait sous les bagnoles ? Elles en sont sorties. Le croiras-tu ? On peut marcher dans les rues sans risquer de s’y faire écraser, et je puis aujourd’hui, premier jour de printemps, écouter de la musique fenêtres ouvertes, sans devoir me couvrir les oreilles d’un casque pour que le vacarme des moteurs ne se mêle pas aux notes et aux chants.
La démocratie s’était endormie ? Les Conseils généraux de quartier, le budget participatif, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers, l’ont réveillée…
Genève était enserrée dans ses frontières ? la Communauté urbaine les a estompées…
Il fut un temps où l’on pouvait croire que la démocratie ne pouvait fonctionner que si les citoyens ne s’en servaient pas. Les taux massifs d’abstention qu’elle connaissait n’étaient pas une faiblesse du système, et moins encore une menace pesant sur lui, mais une condition même de son fonctionnement. Ainsi la décision politique restait-elle en mains d’un petit nombre de gens (surtout des hommes, surtout des universitaires, surtout des membres actifs d’organisations politiques, sociales ou économiques puissantes, surtout des gens aisés…) décidant pour le grand nombre. Fermée aux étrangers, étrangère aux pauvres, méfiante à l’égard des femmes, ignorante des jeunes, cette vieille démocratie était devenue un jeu d’initiés, cette vieille République un club privé.
Tu le vois : il s’est passé quelque chose ici. Genève n’a peut-être pas été révolutionnée mais (pardonne-moi ce jeu de mot que l’Histoire me souffle) réformée, et au fond c’est un peu la même chose. Elle est à nouveau cette ville un peu orgueilleuse, résistant dans le même mouvement où elle s’ouvre, provinciale et planétaire tout à la fois. Nous avons retrouvé le monde -le vrai, pas celui des chiffres et des quantités, celui des hommes et des femmes, des idées et des peuples. Celles et ceux que l’on pourchasse pour leur parole libre trouvent à nouveau ici un asile ; les villes que l’ordre du monde déchirent trouvent en la nôtre une amie. Genève ne donne plus de leçons, elle tend la main. Elle sut le faire autrefois, puis elle l’oublia. Elle prit pour une raison d’être ce qui n’était qu’un moyen d’exister ; sa richesse l’avait assoupie, elle sommeillait sur son matelas d’or, bercée par le murmure de ses banquiers, quelques souvenirs héroïques meublant ses rêves. De profondes crises l’ont réveillée, et contrainte à des choix parfois rudes. Ce n’est pas si facile qu’on le dit de rompre avec des habitudes dont avait fait des lois, et avec des lois que l’on prenait pour une fatalité. Ce fut fait pourtant, et bien fait.
J’avais envie de revenir à Genève, j’ai désormais envie d’y rester. Et je t’y attends.
Fidèlement,
Jean-Jacques