Rwanda, Droits de l'Homme, Amnesty








Rwanda : droits de l'Homme


Mise à jour : 1er juin 2004
©Pascal Holenweg, Genève, 2004

Amnesty International, mai 2000 : LE COURS PERTURBÉ DE LA JUSTICE

Amnesty International, avril 2000 : Le fonctionnement cahotique de la justice rwandaise

Amnesty International, mars 2000 : Quand l'armée outrepasse ses pouvoirs

Rwanda : Á l'abri des regards, les "disparitions" et les homicides continuent (Rapport d'Amnesty International, 23 juin 1998)

La situation des réfugiés dans la région des Grands Lacs

Région des Grands Lacs : RÉFUGIÉS PRIVÉS DE PROTECTION - Rapport d’Amnesty International, mai 2000

Rapatriements massifs et droits de l'Homme

Procès inéquitables : un déni de justice

Rwanda : rompre le silence (septembre 1997)

Rwanda : Les civils pris au piège dans le conflit armé(decembre 1997)

Amnesty International : Jean-Bosco Barayagwiza ne doit pas échapper à la justice

Amnesty International : La demande de défèrement de Tharcisse Muvunyi et Augustin Ndindiliyimana, émise par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, représente un pas en avant vers la justice


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AI INDEX: AFR 47/008/2004     6 Avril 2004
AMNESTY INTERNATIONAL
DOCUMENT PUBLIC
Index AI : AFR 47/008/2004
ÉFAI
Londres, 6 avril 2004
Résumé

Le 7 avril 2004, le Rwanda commémore le dixième anniversaire du génocide de 1994, l'une des pires catastrophes humanitaires de ces dernières années. Pendant cent jours, d'avril à juin 1994, un million de Rwandais – soit environ 15 p. cent de la population – ont été tués par leurs compatriotes, et même par leurs propres voisins dans de nombreux cas. Ces homicides de civils désarmés se sont accompagnés d'actes de torture, notamment de viols, commis à grande échelle. Les Rwandais membres de l'ethnie des Tutsi ou considérés comme tels ont été les principales victimes des massacres orchestrés par le gouvernement dans le cadre du conflit armé qui a opposé, d'octobre 1990 à juillet 1994, les forces gouvernementales au Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politique armé. Outre le génocide, les deux parties en conflit ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Après la prise de pouvoir par le FPR en juillet 1994, sa branche armée, l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui constituait la majeure partie de la nouvelle armée nationale, a continué de commettre des exécutions extrajudiciaires, entre autres violations des droits humains contre des civils désarmés.
Dans le présent document, qui résume ses sujets de préoccupation, Amnesty International examine dans quelle mesure le gouvernement actuel a traité, au cours de la décennie écoulée, les points de tension qui ont débouché sur le génocide. L'organisation met l'accent sur la justice pénale, les droits à la liberté d'expression et d'association, les actes de violence contre les femmes, ainsi que sur les droits des réfugiés et les atteintes aux droits humains perpétrées en République démocratique du Congo (RDC), les séquelles du génocide rwandais ayant été ressenties au-delà des frontières du pays.
Quelque 80 000 personnes, dont certaines seraient innocentes, sont détenues dans les prisons rwandaises surpeuplées en attente d'un procès. Certains détenus, leurs proches et les membres de leur communauté ne croient pas qu'ils bénéficieront de procédures équitables. Les victimes du génocide attendent elles aussi la justice, ainsi que des compensations pour les violences subies. Des femmes et des jeunes filles ont été infectées par le virus du sida ou souffrent de séquelles permanentes et de maladies résultant des sévices sexuels qui leur ont été infligés. L'avenir est incertain pour les centaines de milliers de réfugiés rwandais rapatriés contre leur gré à la suite du génocide ; quelque 60000 autres, qui ne sont pas certains de vouloir rentrer au Rwanda, craignent un retour forcé. Enfin, la très grande majorité des Rwandais, les témoins horrifiés du génocide, veulent avoir la certitude qu'un tel crime ne se reproduira jamais.
Le gouvernement rwandais a justifié des arrestations arbitraires et des détentions illégales en arguant qu'il devait mettre fin à la culture de l'impunité régnant dans le pays. Il a affirmé que les individus soupçonnés de participation au génocide devaient être incarcérés alors même que l'État ne disposait pas de l'infrastructure ni du personnel nécessaire pour enquêter sur la crédibilité des accusations portées contre eux et les faire juger par un tribunal. Quoi qu'il en soit, l'impunité ne peut pas être éradiquée par des arrestations arbitraires et des détentions illégales.
Le gouvernement a tenté de légaliser temporairement ces dernières en rouvrant les tribunaux rwandais en septembre 1996. Une loi adoptée pour une durée de deux ans, avec effet rétroactif au 6 avril 1994, a suspendu les dispositions du Code rwandais de procédure pénale (CPP) qui garantissait les droits des personnes avant leur procès. Cette loi a été prorogée en décembre 1997, puis à nouveau en décembre 1999 jusqu'au 16 juillet 2001. Toutefois, cette suspension des garanties légales ne dispensait pas le gouvernement de ses obligations internationales relatives aux droits humains découlant de la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. À l'heure actuelle, des organisations rwandaises de défense des droits humains et des juristes estiment que les garanties légales du CPP sont bafouées dans au moins un tiers des arrestations et des détentions.
Le gouvernement rwandais a répété qu'il avait pour priorité absolue de remédier aux problèmes ayant entraîné le génocide et la guerre. Il affirme qu'il s'y emploie en mettant en œuvre des programmes garantissant la bonne gestion des affaires publiques, la justice, le développement économique et surtout le respect des droits humains. Malgré ces assurances, il n'a pas mis en place un système pénal crédible qui soit considéré comme juste et équitable par la majorité des Rwandais et il ne protège pas les libertés publiques dans le pays. En outre, les autorités ne garantissent pas l'accès à des voies de recours légales et aux soins médicaux pour les victimes du génocide, ni l'indemnisation de ces dernières, notamment les femmes violées, atteintes de maladies sexuellement transmissibles ou celles qui ont subi des violences sexuelles de la part de membres des forces de sécurité rwandaises. Enfin, le gouvernement n'a pas respecté ses obligations découlant de la Convention de 1951 relative aux réfugiés, qui prévoit de veiller à ce qu'aucun «réfugié [ne soit renvoyé dans un pays] où sa vie ou sa liberté serait menacée» et il s'est rendu coupable de violations massives des droits humains en RDC.


SOMMAIRE

Les défaillances du système judiciaire : les arrestations arbitraires et les détentions illégales
Les conditions carcérales
L'accélération des informations judiciaires
Les procès du génocide
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Les tribunaux ordinaires rwandais
La justice gacaca
L'absence de respect des autres droits humains
La violence contre les femmes
Les violations des droits des réfugiés et des personnes déplacées : les réfugiés rwandais et les personnes déplacées à l'intérieur du pays
La situation actuelle des réfugiés rwandais
Les atteintes aux droits humains en RDC
Conclusion et recommandations


Le 7 avril 2004, le Rwanda commémore le dixième anniversaire du génocide de 1994, l'une des pires catastrophes humanitaires de ces dernières années. Pendant cent jours, d'avril à juin 1994, un million de Rwandais – soit environ 15 p. cent de la population – ont été tués par leurs compatriotes, et même par leurs propres voisins dans de nombreux cas. Ces homicides de civils désarmés se sont accompagnés d'actes de torture, notamment de viols, commis à grande échelle. Les Rwandais membres de l'ethnie des Tutsi ou considérés comme tels ont été les principales victimes des massacres orchestrés par le gouvernement dans le cadre du conflit armé qui a opposé, d'octobre 1990 à juillet 1994, les forces gouvernementales au Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politique armé. Outre le génocide, les deux parties en conflit ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Après la prise de pouvoir par le FPR en juillet 1994, sa branche armée, l'Armée patriotique rwandaise (APR), qui constituait la majeure partie de la nouvelle armée nationale, a continué de commettre des exécutions extrajudiciaires, entre autres violations des droits humains contre des civils désarmés.
Dix ans plus tard, la plupart des Rwandais continuent de subir les séquelles du génocide et du conflit armé. Quelque 80000 personnes, dont certaines seraient innocentes, sont détenues dans les prisons rwandaises surpeuplées en attente d'un procès. Certains détenus, leurs proches et les membres de leur communauté ne croient pas qu'ils bénéficieront de procédures équitables. Les victimes du génocide attendent elles aussi la justice, ainsi que des compensations pour les violences subies. Des femmes et des jeunes filles ont été infectées par le virus du sida ou souffrent de séquelles permanentes et de maladies résultant des sévices sexuels qui leur ont été infligés. L'avenir est incertain pour les centaines de milliers de réfugiés rwandais rapatriés contre leur gré à la suite du génocide ; quelque 60000 autres, qui ne sont pas certains de vouloir rentrer au Rwanda, craignent un retour forcé. Enfin, la très grande majorité des Rwandais, les témoins horrifiés du génocide, veulent avoir la certitude qu'un tel crime ne se reproduira jamais.
Après sa prise de fonctions, le nouveau gouvernement, dominé par le FPR, a attribué le génocide et le conflit armé à des abus de pouvoir ainsi qu'à l'injustice et à la pauvreté. Il s'est engagé à éradiquer ces causes profondes en mettant en œuvre des programmes privilégiant la bonne gestion des affaires publiques, la justice et le développement économique. Tout en rendant hommage aux victimes et aux survivants du génocide, il faut également examiner la mesure dans laquelle le gouvernement rwandais a effectivement remédié aux problèmes qui ont entraîné le génocide et le conflit armé de 1990 à 1994.
En 2003, le gouvernement rwandais a célébré la fin de la période de transition prévue par les Accords d'Arusha, qu'il avait prolongée. Une nouvelle Constitution, la cinquième depuis l'indépendance du pays en 1962, a été adoptée par référendum le 26 mai 2003. L'élection présidentielle a eu lieu le 25 août, elle a été suivie d'élections législatives qui se sont déroulées entre le 29 septembre et le 3 octobre. Si la nouvelle Constitution garantit un certain nombre de droits fondamentaux, elle renferme également des dispositions qui limitent ces mêmes droits selon des formulations vagues susceptibles d'être interprétées d'une manière abusive par les autorités. Dans d'autres cas, ces droits sont restreints par des lois corollaires à la formulation tout aussi imprécise et source d'interprétation abusive. La Constitution semble aussi mettre en place des institutions démocratiques, mais, cette fois encore, certaines de ses dispositions vont à l'encontre de l'indépendance de ces institutions ou se substituent à elles. Bien que le gouvernement affirme que les élections de 2003 ont été le premier scrutin démocratique dans l'histoire du pays, les dirigeants et les membres des partis d'opposition ont été victimes de pressions sous forme d'interrogatoires répétés dans les postes de police, de détention illégale, de pots-de-vin et de menaces de mort. Des informations concordantes ont fait état d'actes d'intimidation des électeurs, avant les élections et le jour du scrutin, par des membres du parti au pouvoir.
En ce qui concerne la justice, depuis deux ans et demi, la Commission de la réforme du droit a élaboré des projets de réformes en vue de remédier à la perte de confiance de la population dans le système pénal ainsi qu'aux problèmes liés aux arrestations arbitraires et aux détentions illégales. La commission s'est également penchée sur les questions relatives à la compétence, à l'indépendance et à l'impartialité du personnel judiciaire ainsi que sur la corruption de l'appareil judiciaire et l'inégalité devant la loi. Sans minimiser l'action de cet organisme, sa création et son travail démontrent la gravité des problèmes auxquels le système pénal est confronté. Par ailleurs, il reste à adopter les propositions de réforme et à les mettre en œuvre.
Dans le présent document, qui résume ses sujets de préoccupation, Amnesty International examine dans quelle mesure le gouvernement actuel a traité, au cours de la décennie écoulée, les points de tension qui ont débouché sur le génocide. L'organisation met l'accent sur la justice pénale, les droits à la liberté d'expression et d'association, les actes de violence contre les femmes, ainsi que sur les droits des réfugiés et les atteintes aux droits humains perpétrées en République démocratique du Congo (RDC), les séquelles du génocide rwandais ayant été ressenties au-delà des frontières du pays.

Les défaillances du système judiciaire : les arrestations arbitraires et les détentions illégales

Au cours de la décennie écoulée, les arrestations arbitraires et les détentions illégales au Rwanda ont fluctué en fonction du niveau de tensions politiques et des menaces, réelles ou présumées, pour la sécurité intérieure. Les deux premières années du gouvernement d'unité nationale dominé par le FPR ont été marquées par des arrestations massives et par de graves dysfonctionnements du système judiciaire. Au cours des mois qui ont immédiatement suivi l'installation du nouveau gouvernement en juillet 1994, des militaires, mais aussi des autorités locales – ayant parfois reçu des mandats en blanc du parquet – ont placé illégalement en détention des milliers de personnes sur la base d'accusations non vérifiées. Les militaires ont régulièrement entravé le travail de la justice, arrêtant parfois des personnes qui avaient été remises en liberté par les autorités judiciaires. Dans la plupart des cas, les dossiers des détenus étaient inexistants, ou ne contenaient aucun élément de preuve relatif aux infractions qui leur étaient reprochées.
Le gouvernement rwandais a justifié ces arrestations arbitraires et ces détentions illégales en arguant qu'il devait mettre fin à la culture de l'impunité régnant dans le pays. Il a affirmé que les individus soupçonnés de participation au génocide devaient être incarcérés alors même que l'État ne disposait pas de l'infrastructure ni du personnel nécessaire pour enquêter sur la crédibilité des accusations portées contre eux et les faire juger par un tribunal. Quoi qu'il en soit, l'impunité ne peut être éradiquée par des arrestations arbitraires et des détentions illégales.
Le gouvernement a tenté de légaliser temporairement ces dernières en rouvrant les tribunaux rwandais en septembre 1996. Une loi adoptée pour une durée de deux ans, avec effet rétroactif au 6 avril 1994, a suspendu les dispositions du Code rwandais de procédure pénale (CPP) qui garantissait les droits des personnes avant leur procès. Cette loi a été prorogée en décembre 1997, puis à nouveau en décembre 1999 jusqu'au 16 juillet 2001. Toutefois, cette suspension des garanties légales ne dispensait pas le gouvernement de ses obligations internationales relatives aux droits humains découlant de la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. À l'heure actuelle, des organisations rwandaises de défense des droits humains et des juristes estiment que les garanties légales du CPP sont bafouées dans au moins un tiers des arrestations et des détentions.

Les conditions carcérales

Avant 1994, la capacité des prisons rwandaises était de 18000 places. Les nouvelles prisons ou extensions de prisons existantes n'ont pas suffi pour accueillir les dizaines de milliers de personnes arrêtées par la suite. De 1994 à 1996, la population pénitentiaire rwandaise est passée à plus de 90000 personnes. Le nombre de personnes incarcérées avait culminé à 124000 en 1997 et en 1998 ; environ 70 p. cent des prisonniers étaient alors détenus dans les 19 prisons que comptait le pays et les 30 p. cent restant dans des centres de détention de l'administration locale, les «cachots»(1). En dépit d'une diminution importante des arrestations d'auteurs présumés du génocide – le plafond de 4100 personnes par mois avait été atteint en 1995 – et d'une amélioration du fonctionnement du système pénal, le nombre de détenus reste élevé du fait du transfert de plusieurs dizaines de milliers d'entre eux des centres de détention de l'administration locale vers les prisons. À l'heure actuelle, on recense un peu moins de 80000 détenus au Rwanda ; environ 5000 d'entre eux sont toujours incarcérés dans des centres de détention de l'administration locale. Au début de 2003, les autorités ont annoncé qu'elles envisageaient la fermeture de quatre des 18 prisons en raison des problèmes d'hygiène et de santé pour les détenus et la population voisine de ces établissements. Cette mesure est rendue possible par la mise en liberté provisoire de quelque 20000 détenus au début de 2003 – 30000 autres devant être élargis en avril 2004 – ainsi que par la construction d'une nouvelle prison.
Entre 1994 et 2001, 11000 détenus seraient morts de maladies qui auraient pu être évitées, de malnutrition et des conséquences de la surpopulation. Des violences physiques exercées sur des détenus par des membres du personnel pénitentiaire seraient également à l'origine de morts en détention. À la fin de 1999, 17 directeurs de prison sur 19 ont été limogés, et 15 d'entre eux ont été emprisonnés pour corruption et mauvais traitements aux prisonniers. Bien que les conditions carcérales se soient régulièrement améliorées ces dernières années, le grave surpeuplement des prisons rwandaises et les conditions d'hygiène qui y règnent constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

L'accélération des informations judiciaires

Apparemment conscient de la surpopulation carcérale et de l'engorgement croissant du système judiciaire, le gouvernement rwandais a pris un certain nombre d'initiatives pour libérer les personnes incarcérées sans preuves suffisantes. Des commissions de triage ont fonctionné de la fin de 1994 au début de 1995 ; elles ont été remplacées, du début de 1997 à 1999, par des groupes mobiles, unités d'enquête itinérantes mises en place par le ministère de la Justice afin de recueillir des éléments de preuve pour les détenus sans dossier. Les commissions de triage étaient autorisées à examiner les dossiers des détenus afin de libérer les personnes incarcérées sans preuves suffisantes. Elles se sont révélées inefficaces essentiellement parce que les membres des forces de sécurité qui siégeaient en leur sein s'opposaient à la libération des détenus, indépendamment du contenu du dossier. Le travail des groupes mobiles a été entravé par le manque de personnel compétent ainsi qu'une insuffisance des moyens de transport et de communication. Ils ont examiné 60000 dossiers en 1998, ce qui a permis la libération de 1000 personnes seulement.
À partir de 2000, les représentants du parquet ont commencé à présenter des détenus devant leur communauté en demandant aux membres de celle-ci de fournir des éléments à charge ou à décharge. Ces séances sont menées d'une manière qui viole le plus souvent le droit à la présomption d'innocence des détenus ainsi que l'obligation de démontrer qu'il existe des éléments suffisants pour confirmer les accusations portées contre un individu. Les représentants du parquet disent souvent clairement aux membres de la communauté que le but principal de la séance est de recueillir des éléments à charge contre les détenus. Les témoins de la défense sont interrogés d'une manière intimidante laissant à penser qu'ils sont complices. En revanche, les témoins de l'accusation ne fournissent le plus souvent aucun élément de preuve ou seulement des preuves indirectes ou par commune renommée. Même dans ces conditions, 40 p. cent des quelque 3500 détenus présentés à leur communauté entre octobre 2001 et octobre 2002 ont été remis en liberté. Au cours du second semestre de 2003, 80 des 750 détenus présentés ont été élargis faute de preuves crédibles.
Entre novembre 1996 et octobre 1998, le gouvernement a annoncé qu'il libérerait les détenus dont les dossiers ne contiendraient pas d'éléments suffisants démontrant leur culpabilité. Certains membres du gouvernement ainsi que des groupes de survivants du génocide ont, dans la plupart des cas, réussi à réduire considérablement le nombre de prisonniers libérés ou ont veillé à ce que bon nombre d'entre eux soient de nouveau arrêtés. Le gouvernement a toujours affirmé qu'une fois libérés, ces détenus risquaient des représailles à leur retour dans leur communauté. Des études menées par des groupes de défense des droits humains ont toutefois révélé que ce n'était pas nécessairement le cas.
Le gouvernement rwandais est récemment revenu sur sa politique concernant les libérations. Plutôt que de privilégier la libération des prisonniers sans dossier, à savoir ceux qui ne font l'objet d'aucune accusation, qui ont bénéficié d'un abandon des poursuites ou contre lesquels aucun élément de preuve suffisant n'a été recueilli, les autorités s'orientent vers la libération provisoire des détenus qui ont avoué avoir commis des actes de génocide ou des crimes contre l'humanité. Près de 20000 personnes ont ainsi été remises en liberté provisoire au début de 2003 et 30000 autres devaient être élargies en avril 2004. Selon le communiqué présidentiel et les instructions du ministère de la Justice, ces personnes seront jugées au sein de leur communauté par des juridictions gacaca(2). Amnesty International a appelé à plusieurs reprises le gouvernement rwandais à réexaminer en priorité le fondement de ces libérations provisoires. Ces libérations ordonnées par le gouvernement concernent principalement les détenus ayant avoué et ne tiennent pas compte du maintien en détention de quelque 7000 prisonniers sans dossier.

Les procès du génocide

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été établi en novembre 1994 pour juger les personnes responsables de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire rwandais entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le TPIR a été confronté à de multiples problèmes. Il a fallu deux ans pour établir les bureaux à La Haye, Arusha et Kigali et une année supplémentaire pour résoudre les problèmes d'organisation et de financement. En avril 1996, une équipe de contrôleurs et d'enquêteurs du Bureau des services de contrôle interne (BSCI) des Nations unies a confirmé les accusations de mauvaise gestion, et découvert de nombreux éléments indiquant un dysfonctionnement, voire une totale absence de certains services administratifs. En 2001 et en 2002, le BSCI a découvert que certains avocats avaient été sollicités par leurs clients respectifs pour partager les sommes versées pour la défense des accusés ou avaient accepté de le faire. Des parents et amis de détenus avaient également été recrutés comme enquêteurs par la défense, des avocats avaient fait des cadeaux somptueux à leurs clients ou leur avaient fourni d'autres formes d'aide indirecte. En mai 2001, Carla del Ponte, procureur du TPIR, a révoqué sept juristes occupant de hautes fonctions pour «incompétence professionnelle». Le TPIR a également rencontré des difficultés pour recruter des enquêteurs compétents et expérimentés. Amnesty International a fait observer que le Tribunal avait manqué à ses propres règles de procédure et n'avait pas respecté les normes internationales en matière de droits humains relatives aux procès équitables(3). L'organisation a mis en évidence sept cas dans lesquels les accusés n'ont pas été traduits en justice dans un délai raisonnable et où des délais inexcusables se sont produits entre leur première comparution devant un juge et l'audition de leur requête.
Le Tribunal dépend également de l'État rwandais qui contrôle l'accès à la fois aux témoins et aux sites du génocide. Le Rwanda a voté contre la création du Tribunal et il a fait activement campagne contre les procureurs qui se sont succédé. Il a également interdit l'accès au Rwanda aux équipes d'enquêteurs du Tribunal, par exemple en refusant de garantir leur sécurité. De même, il a plusieurs fois empêché l'accusation de prendre contact avec des témoins au cours des procès. Trois procès ont été ajournés plusieurs fois en 2002 en raison de l'absence des témoins après que le gouvernement eut modifié les règlements sur les déplacements à la suite d'une déclaration de Carla del Ponte annonçant l'ouverture d'enquêtes visant des soldats de l'APR(4) et qui dénonçait l'influence du gouvernement sur des groupes d'auteurs d'actes de génocide qui faisaient pression sur les témoins pour les empêcher de déposer devant le Tribunal. En décembre 2002, le président du Conseil de sécurité a réaffirmé son soutien au TPIR, juridiction «impartiale et indépendante», en rappelant au Rwanda qu'il était tenu de coopérer avec lui.
Au 1er mars 2004, le TPIR avait placé en détention 66 personnes et en avait jugé 21, prononçant huit condamnations et un acquittement. Douze procédures d'appel sont en instance. Sept procès, impliquant 20 accusés, sont en cours.

Les tribunaux ordinaires rwandais
Avant le génocide, le système judiciaire rwandais était fragile, ne disposant que de ressources limitées et d'un personnel insuffisamment formé, et il souffrait d'un manque d'indépendance. Ce système médiocre a volé en éclats durant le génocide : les bâtiments des tribunaux ont été saccagés, et les quelques professionnels qualifiés ont été tués, ont participé au génocide, ou encore ont fui le pays. Le gouvernement rwandais, avec une aide considérable de la part de divers organes des Nations unies, de gouvernements étrangers et d'organisations non gouvernementales (ONG), a mis en œuvre les dispositions des Accords d'Arusha concernant la réorganisation du système judiciaire. L'objectif principal était de reconstruire les infrastructures du système judiciaire et de former le personnel nécessaire à son fonctionnement. Les juridictions civiles et pénales jugeant les affaires sans lien avec le génocide ont commencé à fonctionner en septembre 1996. Les chambres spécialisées dans les affaires de génocide créées dans chacun des tribunaux de première instance ont commencé à examiner les affaires de génocide et de crimes contre l'humanité en décembre 1996.
La mise en place des chambres spécialisées dans les affaires de génocide a constitué un progrès dans la recherche de la justice et marqué la fin de la culture de l'impunité. Des problèmes graves n'ont toutefois pas été résolus pour autant. Un certain nombre d'organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, ainsi que des experts juridiques ont exprimé leur profonde inquiétude quant à l'équité des procès(5). Les préoccupations d'Amnesty International portaient sur quatre points : l'absence de témoins et d'avocats de la défense pour la grande majorité des accusés ; le manque de temps et de moyens nécessaires pour que les accusés puissent préparer leur défense ; la compétence, l'impartialité et l'indépendance du gouvernement et des autorités judiciaires ; ainsi que la façon dont ont été menés des procès dans lesquels il était souvent évident que les accusés de génocide et d'autres crimes contre l'humanité étaient considérés d'emblée comme coupables par le juge et le procureur. Il est même arrivé que les accusés soient conspués par le public.
En avril 2000, Amnesty International a reconnu une amélioration de l'équité des procès tout en dénonçant la persistance de problèmes fondamentaux(6). Ceux-ci résultaient du climat socio-politique hostile dans lequel les tribunaux fonctionnaient ainsi que du nombre considérable d'affaires en instance et du manque dramatique de personnel judiciaire et d'avocats compétents et expérimentés. Les déclarations publiques et les agissements de certains responsables gouvernementaux ainsi que les pressions exercées sur les détenus par les groupes de survivants du génocide entretenaient un climat de peur qui affectait le personnel judiciaire, les accusés et les témoins. De nombreux témoignages continuaient de faire état de l'ingérence du gouvernement dans les décisions de justice et du non-respect de celles-ci par les responsables gouvernementaux, ce qui se manifestait notamment par de nouvelles arrestations de personnes acquittées à l'issue de leur procès. Les avocats de la défense et les témoins faisaient l'objet d'intimidations, ce qui conduisait les uns à se retirer des procès et les autres à refuser de témoigner car ils étaient conscients que le parquet utiliserait leurs déclarations pour les impliquer dans les crimes commis par l'accusé. Le manque de personnel judiciaire compétent et expérimenté continuait de susciter le doute quant à l'équité du système pénal rwandais.
Au cours de la mission de haut niveau d'Amnesty International qui s'est rendue au Rwanda en octobre 2003, les délégués ont de nouveau exprimé aux responsables de l'appareil judiciaire les préoccupations de l'organisation quant au système pénal. Les sujets d'inquiétude étaient en grande partie similaires à ceux évoqués par le passé : la persistance d'un grand nombre d'arrestations arbitraires et de détentions illégales en violation de la législation rwandaise et des traités internationaux auxquels le Rwanda est partie ; le non-respect des décisions de justice par les responsables gouvernementaux illustré par les nouvelles arrestations de personnes acquittées à l'issue de leur procès ; la corruption à tous les niveaux de l'appareil judiciaire ainsi que les préoccupations concernant la compétence, l'indépendance et l'impartialité de son personnel.
Entre décembre 1996 et juin 2003, les tribunaux ordinaires ont jugé 8820 individus soupçonnés de génocide, soit moins d'un p. cent des détenus. Le pourcentage des accusés condamnés à mort a diminué, passant de 30,7 p. cent en 1997 à 3,6 p. cent en 2002. Toutefois, 70 personnes ont été condamnées à mort en 2002 et 18 autres au cours du premier semestre 2003. Aucune exécution n'a été signalée depuis avril 1998, date à laquelle 22 prisonniers reconnus coupables de crimes de génocide ont été exécutés en public.
Le système judiciaire rwandais s'est toujours concentré sur les violations des droits humains commises sous l'égide du gouvernement précédent au cours du conflit armé et du génocide entre 1990 et 1994. Les tribunaux n'ont mené aucune enquête méthodique et impartiale sur les exactions commises par l'APR pendant cette période, en dépit d'informations crédibles faisant état de très nombreuses atteintes aux droits humains. De plus, les violations commises par les forces de sécurité rwandaises se sont poursuivies depuis l'arrivée au pouvoir du FPR. Les rapports d'Amnesty International contiennent de nombreux témoignages sur ces violations, malgré les tentatives délibérées du gouvernement pour faire obstacle à des enquêtes indépendantes(7). C'est ainsi qu'au cours de l'insurrection du Nord-Ouest de 1996 à 1998, le gouvernement a attribué la majorité des violations des droits humains aux «infiltrés», des membres de groupes d'opposition armés opérant depuis la RDC, alors que les témoignages recueillis par les délégués de l'organisation confirmaient que l'APR était responsable de la majorité des homicides de civils non armés(8).
Les délégués d'Amnesty International ont évoqué à plusieurs reprises avec de hauts responsables gouvernementaux et des membres des forces de sécurité l'impunité persistante dont bénéficient les membres des forces de sécurité responsables d'innombrables cas d'homicides illégaux, de «disparitions» et d'actes de torture, entre autres violations graves des droits humains commises tant avant l'arrivée du FPR au pouvoir que par la suite. En octobre 2003, des responsables de l'appareil judiciaire ont déclaré aux délégués de l'organisation que 1800 membres de l'APR purgeaient des peines infligées pour atteintes aux droits humains et ils ont précisé que 1500 d'entre eux avaient été poursuivis pour des actes commis durant le génocide de 1994. Toutefois, les éléments obtenus de l'Auditorat militaire laissent à penser que quelques dizaines de soldats de l'APR seulement ont fait l'objet de poursuites et que ceux qui ont été déclarés coupables ont purgé des peines symboliques. Pour lutter contre l'impunité, la justice doit rester équitable, transparente et non discriminatoire. Tous les responsables de violations des droits humains doivent être traduits en justice, dans le respect des normes internationales pour l'équité des procès, et sans que la peine de mort puisse être prononcée contre eux.

La justice gacaca
Les juridictions gacaca sont une forme de justice participative reposant sur les communautés qui a été introduite par le gouvernement en juin 2002(9). Les membres de la communauté choisissent en leur sein des juges honnêtes et intègres qu'ils aident en dressant, à l'échelle locale, la liste des victimes du génocide et des responsables présumés. Ils fournissent également une évaluation des dommages aux biens. Au cours des sessions de recueil d'informations puis lors des procès, tous les membres de la communauté sont collectivement tenus de donner un compte rendu fiable de ce qu'ils savent à propos des actes de génocide commis dans leur communauté. Des problèmes ont surgi à propos de la participation des membres des communautés, et notamment des juges désignés. Au cours des deux premières phases, les tribunaux gacaca doivent se réunir une fois par semaine de 8 h 30 à 16 heures et un quorum de participants doit être atteint. Les sessions commencent généralement en retard et sont fréquemment annulées faute de quorum. En outre, la participation est minimale. Les membres des communautés semblent avoir peur de dire précisément ce qu'ils savent à propos des actes de génocide à cause des pressions des survivants et des témoins, de la corruption, de l'absence de soutien des élites et des autorités locales, et du manque de confiance de la population en général envers le système pénal rwandais(10). Ce manque de crédit des tribunaux est dû à la persistance des arrestations arbitraires, au maintien en détention prolongée de prisonniers considérés comme innocents par la population, ainsi qu'à la remise en liberté par le parquet ou les tribunaux d'individus que la population estime coupables.
Les juridictions gacaca, qui devaient permettre d'accélérer les procès des détenus, n'ont pas rempli leur mission. Le gouvernement rwandais prévoyait que les tribunaux gacaca jugeraient les personnes soupçonnées d'infractions de catégories 2 à 4 dans un délai de trois à cinq ans(11). Depuis leur inauguration le 18 juin 2002, moins de 10 p. cent des tribunaux prévus sont opérationnels – 80 fonctionnaient en juin 2002 et 741 en novembre 2002. Ces 821 tribunaux n'ont réussi à mener à bien que les première et deuxième phases de leur mandat, qui en comportait trois. Au cours de la première phase, ils devaient relever les noms et adresses des individus qui vivaient au sein de la cellule(12) à la date du 6 avril 1994, répertorier les noms des victimes du génocide – résidentes de la cellule ou d'autres cellules – mortes sur le territoire de cette cellule, inventorier les dégâts aux biens, et relever le nom des auteurs présumés ainsi que les charges pesant contre eux. Au cours de la deuxième phase, les tribunaux doivent ouvrir des dossiers individuels et les classer dans l'une des quatre catégories définies par la loi. Le gouvernement prévoyait que les deux premières phases dureraient quatre mois. Il a fallu plus d'un an et demi pour les achever dans les cellules où les tribunaux gacaca sont opérationnels. Les juridictions qui avaient suspendu leurs activités durant les élections de 2003 doivent les reprendre en mai 2004. Les quelque 9000 tribunaux gacaca dont la création était envisagée deviendront également opérationnels à cette date. Aucun procès – correspondant à la phase 3 – n'a eu lieu, mais quelques dizaines de détenus ont été libérés faute de preuves.
Un autre problème résulte du fait que les 32000 aveux recueillis à la fin de 2002 par le ministère de la Justice mettaient en cause 250000 autres personnes. Le ministère avait recueilli 32000 autres aveux entre les remises en liberté provisoire de 2003 et la date limite du 15 mars pour les libérations d'avril 2004. On ignore combien de personnes sont mises en cause dans ces derniers aveux, mais le chiffre est probablement proche de celui de l'année précédente. Même si le nombre de personnes incriminées est fortement exagéré ou si les «complices» dénoncés ne sont pas tous arrêtés, le nombre sera suffisamment important pour entraîner une nouvelle surpopulation carcérale et un retard dans le traitement des dossiers. Les tribunaux gacaca qui se sont réunis, et sont relativement peu nombreux, ont également identifié des milliers de nouveaux suspects. Ce nombre augmentera inévitablement quand les autres juridictions gacaca deviendront opérationnelles, ce qui ne manquera pas de poser un énorme problème logistique que les tribunaux gacaca sous leur forme actuelle ne peuvent régler.
Deux mesures sont à la fois essentielles et assujetties à l'objectif de réconciliation de la justice gacaca : l'indemnisation des victimes du génocide et la mise en place d'un programme permettant aux personnes qui avouent avoir commis des actes de génocide ou des crimes contre l'humanité de purger une partie de leur peine sous forme de travaux d'intérêt général. Le Rwanda n'a pas encore adopté une loi d'indemnisation des victimes. Un projet de loi instituant le Fonds d'indemnisation a été examiné par le gouvernement rwandais en août 2002, mais il n'a pas été soumis à l'Assemblée nationale. La mise en place d'un fond d'indemnisation est essentielle car les réparations accordées par les tribunaux sont purement théoriques, la plupart des condamnés étant insolvables. Les tribunaux nationaux ont prononcé des peines prévoyant l'indemnisation des victimes et des survivants pour leur préjudice moral et matériel ; aucune de ces décisions n'a été exécutée. La loi créant le programme de travaux d'intérêt général a été adoptée et le ministère de la Justice a approuvé, en août 2002, un plan d'action, mais aucune mesure concrète n'a été prise. Ces deux exemples démontrent que le gouvernement rwandais ne donne pas la priorité à la justice en dépit des ressources importantes, financières entre autres, mises à sa disposition par la communauté internationale.

L'absence de respect des autres droits humains

Le gouvernement rwandais n'est pas disposé à protéger l'ensemble des droits humains, notamment le droit à la liberté d'expression et d'association. Des mesures sont prises pour réduire au silence les opposants et les détracteurs du gouvernement. Les autorités affirment parfois que les opposants politiques et les individus perçus comme tels, ainsi que les organisations locales de défense des droits humains et le personnel des journaux indépendants commettent des infractions. Ces allégations suffisent souvent à réduire au silence les coupables présumés ou à les contraindre à l'exil. De plus, elles entravent l'action des partis et des organisations contre lesquels de telles accusations sont portées ainsi que les activités de leurs membres et sympathisants. Les Rwandais ont souvent peur d'adhérer à des partis ou des organisations auxquels le gouvernement est opposé. Les autorités peuvent également restreindre les activités légales des organisations de défense des droits humains et de certains de leurs membres et exercer des pressions sur les entreprises pour qu'elles ne fassent pas de publicité dans les journaux indépendants. Le gouvernement exerce également des pressions qui prennent la forme de pots-de-vin, d'interrogatoires répétés dans les postes de police, de détention illégale et de menaces de mort. Enfin, il peut recourir aux procédures judiciaires. Le Rwanda a adopté la Loi n° 47/2001 du 18 décembre 2001 qui punit tout discours ou acte considéré comme encourageant la discrimination ou le sectarisme. Les tribunaux peuvent dissoudre les partis ou les organisations non gouvernementales reconnues coupables de sectarisme et il peuvent annuler le résultat d'élections si un candidat utilise la discrimination ou le sectarisme. Ce dernier terme est défini, en partie, comme «les paroles, les écrits ou les actes qui divisent la population […]». L'accusation de «divisionnisme», souvent formulée par le gouvernement mais donnant rarement lieu à des poursuites judiciaires, n'est pas spécifique et peut donner lieu à différentes interprétations et à des abus. En outre, elle est contraire au droit à la liberté d'expression et d'association énoncé par le PIDCP et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples auxquels le Rwanda est partie. Les articles de la Constitution qui garantissent le droit à la liberté d'expression et d'association précisent que l'exercice de ces droits ne doit pas entraîner de troubles à l'ordre public. La législation corollaire restreint davantage ces droits en précisant les conditions de leur exercice.
Le gouvernement a réagi au lancement du Parti démocratique pour le renouveau (PDR-Ubuyanja) par l'ancien président Pasteur Bizimungu en arrêtant les dirigeants et des membres présumés de ce mouvement. Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka, un de ses alliés politiques proches, sont détenus depuis avril 2002. Au moins 25 autres personnes soupçonnées d'avoir organisé des réunions clandestines du PDR-Ubuyanja ou d'y avoir participé ont été arrêtées en avril et en mai 2002 ; quatre d'entre elles étaient toujours incarcérées au moment de la rédaction du présent rapport. Le procès de ces six détenus, qui s'est ouvert le 31 mars 2004, a été immédiatement ajourné au 20 avril. Pasteur Bizimungu est accusé d'avoir tenté de créer une milice armée en vue de porter atteinte à la sûreté de l'État. Le procès a été ajourné à plusieurs reprises et retardé, notamment parce que Pasteur Bizimungu a interjeté appel sans succès devant la Cour suprême pour obtenir un abandon des charges retenues contre lui et qui ont changé depuis son arrestation.
Les partis politiques existants légalisés par les Accords d'Arusha ont également été pris pour cible, notamment le Mouvement démocratique républicain (MDR), le principal parti d'opposition. Une commission parlementaire a été chargée à la fin de 2002 d'examiner les divisions au sein du MDR et le rôle historique joué par ce parti dans les «divisions qui caractérisaient la société rwandaise». Le rapport de la commission désignait 46 personnes comme favorables à l'idéologie déviationniste du MDR. L'Assemblée nationale de transition a recommandé à l'unanimité la dissolution du MDR, ce que le gouvernement s'est empressé de faire. Deux militaires de grade élevé dénoncés comme «divisionnistes» ont fui le pays avant la publication du rapport ; d'autres personnes citées ou liées à des individus mentionnés dans le rapport ont «disparu» ou ont été arrêtées. L'une des personnes écrouées a été inculpée de «diffusion de propagande ségrégationniste et divisionniste» aux termes de la Loi n° 47/2001 du 18 décembre 2001, une autre de violation de la loi organique régissant les élections présidentielle et législatives (Loi n° 17/2003) et une troisième de violation du Code pénal rwandais. Le gouvernement a qualifié de «divisionnistes» le Parti libéral (PL) et le Parti social démocrate (PSD), qui avaient présenté des listes indépendantes pour les élections législatives. Ces deux partis avaient soutenu la candidature de Paul Kagame à la présidence.
Outre ses efforts pour empêcher des personnes d'avoir des activités politiques, le gouvernement poursuit une campagne en vue d'infiltrer, de diviser, de coopter ou d'obtenir la fermeture d'organisations de défense des droits humains et d'associations de la société civile, ce qui entrave le suivi de la situation des droits humains. La Ligue pour la promotion et la défense des droits de l'homme au Rwanda (LIPRODHOR), la principale organisation dans ce domaine, a été citée dans le rapport de la commission parlementaire comme finançant le MDR. Bien qu'aucune poursuite judiciaire n'ait été engagée contre elle, le gouvernement ne l'a pas autorisée à mener une campagne d'éducation civique avant les élections. La LIPRODHOR, qui anticipait d'autres mesures gouvernementales, a réduit ses activités de surveillance des atteintes aux droits humains pendant plusieurs semaines. Les autorités ont demandé à plusieurs organisations non gouvernementales internationales de quitter le Rwanda ; d'autres ont réduit leurs activités en raison du harcèlement et des actes d'intimidation des autorités.
La liberté de la presse est très limitée au Rwanda, en partie à cause du rôle meurtrier joué par les médias durant le génocide. La Loi sur la presse, adoptée en juillet 2002, démontre que le gouvernement ne souhaite pas garantir la liberté totale de la presse. Lorsque les médias expriment des opinions différentes de celles des autorités ou critiques à leur égard, ces dernières réagissent par des mesures d'intimidation et de harcèlement ainsi que par des arrestations.
Les journalistes sont fréquemment interrogés dans les postes de police, dénoncés par les autorités dans la presse contrôlée par le gouvernement et menacés de mort. L'autocensure est généralisée, les journalistes évitent d'aborder certains sujets ou d'en évoquer d'autres par crainte de représailles de la part des autorités. De nombreux journalistes indépendants se sont réfugiés à l'étranger ces dernières années.

La violence contre les femmes(13)

Le génocide et le conflit armé entre 1990 et 1994 ont durement frappé toutes les catégories de la société rwandaise, et plus particulièrement les femmes et les jeunes filles. Beaucoup de veuves et d'orphelins ont été obligés de survivre par leurs propres moyens. Les veuves de victimes de génocide et celles des hommes tués par le FPR dans les mois et les années qui ont suivi le génocide se sont retrouvées dans la même situation. Selon la coutume, les veuves doivent restituer la terre de leur mari à la famille de celui-ci, ce qui contraint souvent les familles des victimes à vivre dans le dénuement. La loi écrite a été modifiée après le génocide pour protéger les veuves de la pauvreté, mais la coutume qui impose que les veuves perdent leur terre reste largement respectée.
De nombreuses femmes qui ont survécu au génocide n'en sont pas sorties indemnes : une ONG qui aide les veuves du génocide estime que 67 p. cent des femmes qui ont été violées sont séropositives. De nombreuses femmes souffrent de séquelles permanentes comme des fistules(14) ou de maladies résultant des violences sexuelles qui leur ont été infligées.
Les violences sexuelles restent répandues au Rwanda. La police nationale ne constitue qu'une partie infime du mécanisme interne de sécurité. Dans les zones rurales, des jeunes gens reçoivent un uniforme et une arme après une formation rudimentaire et ils sont envoyés patrouiller dans les communautés. Les membres de ces forces paramilitaires – appelées Forces de défense locale (FDL) – sont accusés de violer des femmes les communautés qu'ils sont censés protéger. Ceux qui sont accusés de violences sexuelles sont rarement poursuivis ; dans les rares cas où un procès a débouché sur une condamnation, les coupables ont été remis en liberté au bout de quelques jours. Les membres des FDL agissent dans une quasi-impunité : l'un d'entre eux, qui avait violé une femme en 2001, a été détenu pendant une courte période par les autorités locales puis remis en liberté. Il a violé et tué une adolescente de quatorze ans dix jours plus tard et a de nouveau été relâché sans inculpation après avoir été détenu pendant une courte période par la police. On signale par ailleurs de nombreux cas de mariage forcé avec des membres des FDL et de viols avant ou après le «mariage».
Un journaliste travaillant pour le seul journal véritablement indépendant du pays a affirmé que les viols imputables aux FDL étaient «courants», et un défenseur des droits humains a déclaré que les violences exercées par les FDL contre les femmes étaient «extrêmement fréquentes». Cette question reste toutefois sensible d'un point de vue politique et les organisations locales de défense des droits humains n'ont pas été autorisées à publier les résultats de leurs recherches sur les agissements des FDL. Elles envisageaient d'organiser en mars 2003 une «journée de réflexion» sur les atteintes aux droits humains commises par les FDL, mais le gouvernement leur a demandé d'ajourner sine die cette manifestation. Les autorités n'ont pas invoqué la loi ni les règlements qui régissent les ONG pour interdire cette journée. Elles ont simplement dit aux ONG que cela n'était pas possible.

Les violations des droits des réfugiés et des personnes déplacées : les réfugiés rwandais et les personnes déplacées à l'intérieur du pays

À la suite du génocide et de la guerre, le nouveau gouvernement a été confronté à la présence de 390000 personnes déplacées dans 33 camps situés dans le sud-ouest du pays ainsi que d'un million de réfugiés environ au Zaïre – qui est devenu la République démocratique du Congo (RDC). On dénombrait également 600000 réfugiés en Tanzanie et 150000 au Burundi. Ces personnes terrorisées avaient fui les combats et un avenir très compromis. Certaines avaient été contraintes de fuir pour servir de bouclier à des dirigeants qui avaient planifié et exécuté le génocide. Toutefois, la majorité des réfugiés n'avaient joué aucun rôle dans le génocide.
Des membres de l'ancien gouvernement, de son armée (ex-Forces armées rwandaises – FAR) et des milices, responsables du génocide, ont été accueillis dans des camps de personnes déplacées au Rwanda. Ils ont également utilisé les camps de réfugiés des pays voisins pour mener des incursions armées à l'intérieur du Rwanda. Le gouvernement rwandais a fermé par la force des camps de déplacés entre octobre 1994 et mai 1995. Des milliers de civils ont été tués par les forces de sécurité rwandaises lors de la fermeture du camp de Kibeho.
Les rapatriements forcés de réfugiés rwandais depuis les camps du Zaïre ont commencé en août 1995. Ils ont été suivis d'une série de mesures, par exemple les restrictions aux déplacements et l'interdiction de toutes les activités économiques, qui avaient pour but de faire pression sur les réfugiés pour qu'ils rentrent au Rwanda. Toutefois, seuls 78000 Rwandais se sont fait enregistrer en 1995 pour un rapatriement volontaire. Les réfugiés affirmaient qu'ils ne voulaient pas retourner au Rwanda par crainte des arrestations arbitraires, de l'emprisonnement dans des conditions constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant et des atteintes persistantes aux droits humains(15). En novembre 1996, la guerre civile qui opposait dans l'est du Zaïre l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (Zaïre) (AFDL), les forces gouvernementales zaïroises, les ex-FAR et les milices a embrasé les camps de réfugiés. Six cent mille réfugiés ont alors été rapatriés au Rwanda en cinq jours. Quatre cent quatre-vingt mille autres se sont dirigés vers l'intérieur du Zaïre et vers d'autres pays d'Afrique centrale ; 234000 d'entre eux ont été rapatriés en juillet 1997. Quelque 200000 réfugiés sont toujours portés disparus. Ils ont probablement été massacrés par l'APR et ses alliés congolais.
Au début de décembre 1996, le gouvernement tanzanien et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont publié un communiqué commun qui fixait arbitrairement une date butoir pour le rapatriement des quelque 600000 Rwandais réfugiés en Tanzanie, en arguant que ceux-ci pouvaient rentrer chez eux en toute sécurité. La plupart des réfugiés sont rentrés à cette date.
Ces exemples illustrent comment la communauté internationale, les organisations intergouvernementales telles que le HCR et les pays d'accueil ont négligé les droits fondamentaux des réfugiés rwandais(16). Le principe de non-refoulement énoncé par le droit international relatif aux réfugiés dispose qu'aucune personne ne doit être renvoyée dans un pays où elle risque d'être victime de graves atteintes à ses droits(17). Les pays de la région des Grands lacs ont tous signé les conventions dans ce domaine. Les réfugiés peuvent choisir de rentrer volontairement dans leur pays, mais ils doivent prendre cette décision individuellement, sans aucune pression et sur la base d'informations objectives sur la situation dans leur pays d'origine. L'article V-1 de la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée en 1969 par l'Organisation de l'unité africaine (OUA), dispose que «Le caractère essentiellement volontaire du rapatriement doit être respecté dans tous les cas et aucun réfugié ne peut être rapatrié contre son gré.» Le principe de non-refoulement n'a pas été respecté lors des rapatriements massifs de 1996. Les retours qui ont eu lieu dans un climat de terreur généralisée, de confusion et d'absence d'information, n'ont pas été volontaires. Aucune procédure de sélection n'a été mise en place afin de permettre aux réfugiés d'expliquer les risques qu'ils encouraient en rentrant au Rwanda. Les réfugiés rentrés dans leur pays n'ont pas été enregistrés alors qu'une telle procédure aurait permis au HCR de surveiller les atteintes aux droits humains dont ils risquaient d'être victimes lors de leur réinsertion dans la société rwandaise. Les gouvernements des pays d'accueil et les autorités rwandaises ont réussi à empêcher le HCR de contrôler les rapatriements.

La situation actuelle des réfugiés rwandais

Depuis la fin de 2002, le HCR encourage le rapatriement des 60000 Rwandais qui sont toujours réfugiés dans les pays de la région. Le Rwanda, le HCR et 10 pays africains accueillant des réfugiés ont conclu des accords tripartites qui doivent garantir un rapatriement volontaire dans des conditions de sécurité et de dignité. Toutefois, moins de cinq p. cent des réfugiés se sont fait enregistrer volontairement dans la plupart de ces pays en vue de leur retour au Rwanda. Comme par le passé, les réfugiés expriment leur inquiétude à propos des violations persistantes des droits humains au Rwanda ainsi que leur manque de confiance dans le système pénal rwandais.
Près de 24000 Rwandais ont été récemment rapatriés de Tanzanie. Au début d'octobre 2002, au vu de l'amélioration des conditions de sécurité au Rwanda et du nombre croissant de réfugiés qui rentraient dans leur pays, entre autres, le gouvernement tanzanien a annoncé son intention de promouvoir, en collaboration avec le HCR, le rapatriement volontaire des Rwandais réfugiés en Tanzanie. Il a ajouté que ce processus allait débuter à la mi-novembre et que tous les Rwandais vivant en Tanzanie devraient avoir rejoint leur pays avant le 31 décembre 2002. Le rapatriement était pratiquement terminé à cette date malgré le manque de moyens financiers et de personnel et l'absence d'une procédure de sélection permettant aux réfugiés d'expliquer les raisons de leur départ du Rwanda. En juin 2003, le gouvernement tanzanien a rejeté les demandes de 931 réfugiés rwandais qui souhaitaient rester en Tanzanie car ils estimaient que les conditions de sécurité de leur pays n'était pas propice au retour ; ils ont tous été renvoyés de force au Rwanda en octobre 2003.
Bien que leur nombre ait été inférieur à celui des réfugiés rapatriés en 1996, les Rwandais renvoyés de Tanzanie au cours des six dernières semaines de 2002 et du dernier trimestre 2003 ont subi des violations similaires de leurs droits humains. Les dates butoir arbitraires, les pressions des pays d'accueil et le manque de moyens font douter du caractère volontaire de ces rapatriements. Le HCR et le gouvernement rwandais ne disposent pas de mécanismes institutionnalisés pour garantir que les réfugiés qui rentrent au Rwanda sont réinsérés dans la société et ne sont pas privés de leurs droits fondamentaux.
En août 2002, le gouvernement rwandais a commencé à renvoyer de force une partie des 30000 Congolais au moins réfugiés au Rwanda. Quelque 10000 d'entre eux ont été rapatriés au cours des trois premières semaines de septembre 2002. Ces réfugiés, majoritairement d'origine rwandaise, avaient fui la RDC en 1995 et en 1996 pour échapper aux persécutions des milices Interahamwe. Le HCR a protesté contre ces renvois en affirmant qu'ils n'étaient ni volontaires ni pérennes. La plupart de ces réfugiés sont revenus au Rwanda.

Les atteintes aux droits humains en RDC

Le gouvernement rwandais est partie au conflit en RDC qui a causé la mort d'environ 3300000 personnes entre août 1998 et août 2002. Les autorités ont invoqué deux raisons principales pour justifier leur invasion de la RDC en 1996 et en 1998 : fermer les camps de réfugiés qui servaient de base pour les incursions armées au Rwanda et protéger les Congolais d'ethnie tutsi vivant en RDC.
Le gouvernement rwandais a réussi à rétablir dans une certaine mesure la sécurité intérieure ; les invasions rwandaises de la RDC ont mis fin aux incursions de groupes armés au Rwanda depuis la mi-2001. Le coût pour la RDC a été considérable en termes de massacres de civils, de viols systématiques, d'exécutions extrajudiciaires d'individus soupçonnés d'infractions politiques ou de droit commun, d'utilisation généralisée d'enfants soldats, de torture, de «disparitions» et de mutilations. Malgré ces atteintes graves aux droits humains, les groupes armés rwandais, qui ont menacé les frontières du pays durant les quatre années où les troupes rwandaises ont occupé de larges portions de territoire dans l'est de la RDC, n'ont pas été totalement éliminés.
Les affrontements avec l'armée rwandaise ont convaincu de nombreux Congolais d'ethnie tutsi que le gouvernement rwandais se servait de leurs préoccupations réelles en matière de sécurité pour dissimuler ses propres objectifs économiques et politiques. En février 2002, des Tutsi du Sud-Kivu d'origine rwandaise – les Banyamulenge – sous la direction de Patrick Mazunsu, un ancien commandant du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), ont lancé un mouvement de rébellion contre le RCD-Goma, qui était soutenu par le Rwanda. Entre janvier et juin 2002, les forces rwandaises ont occupé une partie de la région du plateau de Minembwe-Itombwe, territoire des Banyamulenge, pour réprimer la révolte. Les civils ont été victimes de violences excessives et aveugles ; un grand nombre ont été tués au cours des combats et quelque 30000 ont dû fuir leur foyer.
En dépit de l'accord de cessez-le-feu conclu à Lusaka le 10 juillet 1999, de l'accord de Pretoria signé en juillet 2002 par la RDC et le Rwanda et de l'accord global sur la transition en RDC de décembre 2002, qui prévoyait le partage du pouvoir et la mise en place d'un gouvernement de transition en RDC en juillet 2003, le gouvernement rwandais participait toujours au conflit. Malgré le retrait officiel des forces rwandaises à la fin de 2002, celles-ci ont continué d'intervenir dans certaines régions de la RDC et l'armée rwandaise fournissait des armes et un entraînement, entre autres formes d'assistance militaire, à différentes milices et aux parties au conflit en RDC, notamment dans les provinces de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Tous ces groupes se livrent à des exactions massives à l'encontre des civils en RDC.

Conclusion et recommandations

Peu de nations ont été confrontées à la situation qu'a connue le gouvernement rwandais au lendemain du génocide et de la guerre en 1994. L'ampleur et la gravité des atteintes aux droits humains, la participation massive des civils à ces agissements, la désintégration de la société rwandaise et la destruction presque totale des infrastructures sont pratiquement sans précédent dans l'histoire de l'humanité.
Le gouvernement rwandais répète qu'il a pour priorité absolue de remédier aux problèmes ayant entraîné le génocide et la guerre. Il affirme qu'il s'y emploie en mettant en œuvre des programmes garantissant la bonne gestion des affaires publiques, la justice, le développement économique et surtout le respect des droits humains. Malgré ces assurances, il n'a pas mis en place un système pénal crédible qui soit considéré comme juste et équitable par la majorité des Rwandais et il ne protège pas les libertés publiques dans le pays. En outre, les autorités ne garantissent pas l'accès à des voies de recours légales et aux soins médicaux pour les victimes du génocide, ni l'indemnisation de ces dernières, notamment les femmes violées, atteintes de maladies sexuellement transmissibles ou celles qui ont subi des violences sexuelles de la part de membres des forces de sécurité rwandaises. Enfin, le gouvernement n'a pas respecté ses obligations découlant de la Convention de 1951 relative aux réfugiés, qui prévoit de veiller à ce qu'aucun «réfugié [ne soit renvoyé dans un pays] où sa vie ou sa liberté serait menacée» et il s'est rendu coupable de violations massives des droits humains en RDC.

Recommandations au gouvernement rwandais
    • La présomption d'innocence doit être reconnue jusqu'à ce que la culpabilité des accusés ait été prouvée à l'issue d'un procès équitable, conformément à la loi.
    • Des mesures doivent être prises pour protéger l'indépendance du système judiciaire à tous les niveaux et faire en sorte que les responsables judiciaires puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance et sans intervention extérieure.
    • Il est nécessaire de respecter scrupuleusement les garanties juridiques énoncées dans le Code de procédure pénale, ce qui implique de mettre un terme aux arrestations arbitraires et aux détentions illégales.
    • Tous les traités internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par le gouvernement rwandais doivent être appliqués.
    • Les traités suivants doivent être ratifiés : le Premier et le Deuxième Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
    • Le Protocole à la charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes doit être ratifié.
    • Il est nécessaire d'enquêter sur toutes les allégations de violations des droits humains commises par des agents de l'État. Les personnes soupçonnées de ces violations doivent être traduites en justice dans le respect des normes internationales d'équité des procès, ce qui exclut la peine de mort. Le gouvernement doit fournir régulièrement des informations sur les circonstances dans lesquelles ces violations ont été commises, et préciser notamment le nombre de violations, l'identité des auteurs de ces agissements, l'état d'avancement des investigations et les mesures prises contre les responsables.
    • Des enquêtes doivent être ouvertes sur toutes les atteintes aux droits humains commises durant la période couverte par la législation rwandaise sur le génocide, y compris celles qui ont été commises par le FPR. Les responsables présumés devront être traduits en justice.
    • Les violations des droits humains et les exactions doivent être dénoncées publiquement, indépendamment de la date à laquelle elles ont été commises et y compris lorsqu'elles sont imputables aux autorités gouvernementales ou aux forces de sécurité de l'État, afin de restaurer la confiance en la volonté du gouvernement de respecter les droits humains. Les autorités doivent montrer clairement à tous les secteurs de la société, y compris à leurs propres forces de sécurité, que les atteintes aux droits humains ne seront pas tolérées.
    • Le gouvernement doit coopérer sans réserve avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
    • La loi d'indemnisation des victimes du génocide doit être adoptée.
    • Tous les Rwandais doivent pouvoir exprimer leurs opinions, sans violence et sans crainte d'être victimes de violations de leurs droits.
    • L'accès aux soins médicaux pour les victimes de violences sexuelles doit être amélioré, en respectant des critères d'équité.
    • Les femmes et les jeunes filles qui ont été victimes de violences sexuelles doivent pouvoir bénéficier librement d'un soutien psychologique, des tests de dépistage du virus du sida (VIH), entre autres maladies sexuellement transmissibles, des traitements prophylactiques post-exposition destinés à prévenir les infections par le VIH et des autres mesures de protection de la santé des femmes.
    • Il convient de renforcer les programmes éducatifs destinés à la population en général ainsi qu'aux responsables de l'application des lois et aux professionnels de la justice, notamment par rapport à la législation existante sur l'héritage, le mariage et le propriété foncière, qui protège les droits des femmes.
    • Il faut poursuivre la formation approfondie et à long terme des membres de toutes les branches des forces de sécurité, notamment les forces armées et les Forces de défense locale (FDL), à tous les niveaux y compris ceux du commandement, pour faire en sorte qu'ils ne commettent ou ne cautionnent aucun viol ni autres formes de violences sexuelles.
    • Le gouvernement doit respecter toutes ses obligations découlant de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique adoptée en 1969 par l'OUA, et notamment le principe de non-refoulement qui prohibe le renvoi de personnes vers des pays où elles risquent d'être victimes d'atteintes graves à leurs droits fondamentaux.
    • Le HCR et les autres observateurs de la situation des droits humains doivent pouvoir accéder librement aux régions dans lesquelles les réfugiés sont réinstallés.
    • Il convient d'enquêter sur toutes les atteintes aux droits humains signalées par les réfugiés rentrés au Rwanda et intenter les procédures judiciaires appropriées.
    • Le gouvernement doit jouer un rôle moteur dans la région des Grands lacs pour promouvoir les droits humains et le droit international humanitaire.
    • Le gouvernement doit mettre un terme à la fourniture de matériel, d'armes, de personnel, de formation et de financement, entre autres formes d'assistance, à tous les groupes armés actifs dans l'est de la RDC.
    • Le gouvernement doit ouvrir sans délai des informations judiciaires impartiales, indépendantes et approfondies sur les violations des droits humains attribuées aux membres des forces armées rwandaises, dans le but de traduire les responsables en justice.


********
Notes :

(1) Ces structures rudimentaires ont été construites à l'origine pour recevoir des détenus pour une durée maximum de quarante-huit heures, avant leur transfert en prison. En raison de la courte durée de la détention, les communes ne reçoivent aucun budget pour l'entretien des détenus qui dépendent de leur famille. De plus, les conditions de détention sont bien pires que dans les prisons et les violences physiques, y compris la torture, y sont plus courantes.
(2) Voir le document publié par Amnesty International et intitulé Rwanda. Gacaca : une question de justice (index AI : AFR 47/007/2002), décembre 2002.
(3) Voir le rapport d'Amnesty International intitulé International Criminal Tribunal for Rwanda : Trials and Tribulations (index AI : IOR 42/03/98), avril 1998.
(4) Le procureur Carla del Ponte a annoncé à plusieurs reprises l'ouverture d'enquêtes visant des soldats de l'APR. Elle les a suspendues après avoir été confrontée à une vive opposition du gouvernement rwandais dominé par le FPR.
(5) Voir le document publié par Amnesty International et intitulé Rwanda. Procès inéquitables : un déni de justice (index AI : AFR 47/08/97), avril 1997.
(6) Voir le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. Le cours perturbé de la justice (index AI : AFR 47/10/00), avril 1997.
(7) Voir les rapports d'Amnesty International intitulés Rwanda. Recrudescence alarmante des massacres (index AI : AFR 47/13/96), août 1996 ; Rwanda. Rompre le silence (index Ai : AFR 47/32/97), septembre 1997 ; Rwanda. Les civils pris au piège dans le conflit armé (index AI : AFR 47/43/97), décembre 1997 ; Rwanda. À l'abri des regards, les «disparitions» et les homicides continuent (index AI : AFR 47/23/98), juin 1998 ; Craintes pour la sécurité/«disparitions» présumées/détention au secret (index AI : AFR 47/003/2003) ; et Mettre fin à la violence contre les femmes : un combat pour aujourd'hui (index AI : ACT 77/001/2004).
(8) Voir le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. À l'abri des regards, les «disparitions» et les homicides continuent. op. cit.
(9) Voir le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. Gacaca : une question de justice, op. cit.
(10) Voir les Rapports sur l'initiative de réforme pénale : Report III : April-June 2002 et Report V, septembre 2003.
(11) La loi sur le génocide de la république du Rwanda définit quatre catégories d'infractions relatives au génocide et aux crimes contre l'humanité. La première catégorie inclut les organisateurs et ceux qui l'ont encadré, les personnes ayant abusé de leur position d'autorité, celles qui se sont distinguées par leur férocité ou leur cruauté particulière, ainsi que les coupables de tortures sexuelles. La deuxième catégorie inclut les auteurs ou les complices d'homicide volontaire ou de violences graves ayant entraîné la mort. La troisième catégorie comprend les personnes coupables d'autres atteintes graves aux personnes et la quatrième catégorie regroupe les auteurs d'atteintes aux biens.
(12) La cellule est la plus petite unité administrative au Rwanda, le nombre d'habitants de chaque cellule est compris entre 200 et 1000. Les juridictions gacaca fonctionnant à ce niveau sont chargées des deux premières phases du processus. Les procès et les appels relèveront essentiellement des tribunaux gacaca au niveau des secteurs, des districts et des provinces.
(13) Voir le document d'Amnesty International intitulé Marked for Death : Rape Survivors Living with AIDS in Rwanda, (index AI : AFR 47/007/2004), avril 2004.
(14) Une fistule survient en cas de rupture de la paroi séparant le vagin de la vessie ou des intestins. Les femmes perdent alors le contrôle de leurs fonctions excrétrices et sont mises à l'écart à cause de leur incontinence. La fistule peut être réparée par une opération chirurgicale.
(15) Voir le document d'Amnesty International intitulé Rwanda et Burundi. Le retour au pays : rumeurs et réalité (index AI : AFR 02/01/96), février 1996.
(16) Voir le document d'Amnesty International intitulé Rwanda. Les rapatriements massifs ne tiennent pas compte des droits de l'homme (index AI : AFR 47/02/97).
(17) Ce principe, énoncé à l'article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, est réaffirmé à l'article II-3 de la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée en 1969 par l'Organisation de l'unité africaine (OUA).
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AI INDEX: AFR 47/008/2004     6 Avril 2004

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Rwanda :

Á l'abri des regards, les "disparitions" et les homicides continuent
Rapport d'Amnesty International, 23 juin 1998

 

SOMMAIRE

Résumé

  1. Introduction
  2. La recrudescence alarmante des "disparitions"
  1. Les " disparitions" dans le contexte du conflit armé affectant le Nord-Ouest
  2. Les " disparitions" à Kigali de personnes originaires du Nord-Ouest
  3. Autres cas de " disparitions"
  4. Des " disparus" retrouvés
  5. La détention par l'armée
  1. Les massacres de civils non armés
  1. Le Nord-Ouest, région dévastée
  2. Les livraisons d'armes qui entretiennent le conflit
  3. Les massacres de civils non armés par l'APR
  4. Les massacres de civils non armés par les groupes armés d'opposition
  5. Les massacres dont les auteurs n'ont pas été identifiés
  1. La réponse du gouvernement rwandais aux accusations faisant état d'atteintes aux droits humains
  1. La réponse du gouvernement à Amnesty International
  2. L'opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda soumise à des restrictions
  1. recommandations
  1. Enquêtes sur les " disparitions" et moyens de prévention
  2. Enquêtes sur les exécutions extrajudiciaires et moyens de prévention
  3. Investigations indépendates sur les violations des droits humains
  4. Prévention des homicides délibérés et arbitraires commis par les groupes armés d'opposition opérant au Rwanda
  5. L'action des gouvernements étrangers et des organisations intergouvernementales.

 

Résumé

Entre décembre 1997 et mai 1998, des centaines, voire des milliers de personnes ont " disparu" au Rwanda. Plusieurs milliers d'autres ont été tuées par des membres des forces de sécurité rwandaises ou par des groupes armés d'opposition. Tandis que le conflit armé fait toujours rage dans le nord-ouest du pays, les couches les plus vulnérables de la population continuent de souffrir dans l'indifférence quasi totale de la communauté internationale. Les soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR) et les combattants des groupes armés d'opposition -dont certains seraient des membres de l'ex-armée rwandaise et de la milice Interahamwe, responsable de nombreux massacres lors du génocide de 1994- choisissent délibérément pour cibles des civils non armés, s'en prenant souvent sans distinction aux hommes, aux femmes et aux enfants. Début 1998, les informations faisant état d'homicides et de " disparitions" étaient devenues si fréquentes que nombre de Rwandais semblaient se résigner à cette violence, la considérant comme partie intégrante et inévitable de leur existence. Pourtant, les personnes disposant de pouvoir ou d'influence ont la possibilité de prendre des mesures pour mettre un terme à ces atrocités.

Le présent rapport offre une vue d'ensemble sur certaines des graves atteintes aux droits humains commises au Rwanda entre décembre 1997 et mai 1998. Nous nous penchons plus particulièrement sur le caractère systématique des " disparitions" et des exécutions extrajudiciaires imputées aux forces de sécurité rwandaises -notamment aux soldats de l'APR-, ainsi que des homicides délibérés et arbitraires perpétrée par les groupes armés d'opposition. Les cas de violations rapportés dans ce document ne représentent qu'une petite partie de tous ceux que nous avons recensés au cours de cette période.

Des délégués d'Amnesty International se sont rendus en février 1998 dans différentes régions du Rwanda, et notamment dans celle de Gisenyi (nord-ouest du pays). Malgré l'impossibilité de visiter certaines zones en raison du climat général d'insécurité qui y régnait, ils ont réussi à recueillir auprès de victimes, de proches de victimes, de témoins et d'autres sources des récits détaillés sur les homicides, les " disparitions" et les autres formes de violations. Ce rapport, fondé en partie sur ces témoignages, repose également sur les recoupements effectuée par la suite et les nouveaux éléments recueillis depuis mars 1998, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Durant leur séjour, les délégués de l'Organisation ont eu en outr des entretiens avec de hauts responsables du gouvernement rwandais et des forces de sécurité. La réponse des autorités face à nos motifs de préoccupation concernant la situation des droits humains se trouve résumée dans le présent rapport.

Nous adressons aux autorités rwandaises et aux groupes armés d'opposition opérant dans le pays une série de recommandations visant à faire cesser les " disparitions" , les exécutions extrajudiciaires et les homicides délébérés et arbitraires dont sont victimes les civils. Des recommandations sont également formulées à l'intention des gouvernements étrangers et des organisations intergouvernementales, qui ont un rôle crucial à jouer pour faire comprendre aux autorités rwandaises comme aux dirigeants des groupes armés d'opposition que ce n'est pas en attaquant délibérément la population civile qu'ils pourront un jour apporter la paix et la réconciliation dans le pays.

 

" Ici, les choses vont bien, sauf la vie (…). Un malade qui souffre d'une maladie qui ne peut pas guérir pense à beaucoup de choses dont il rêve. Quand aurons-nous la paix ?"

Extrait d'un témoignage recueilli dans la région de Gisenyi, Nord-ouest du Rwanda, en mars 1998

 

  1. Introduction

Entre décembre 1997 et mai 1998, des centaines, voire des milliers de personnes ont " disparu" au Rwanda. Plusieurs milliers d'autres ont été tuées par des membres des forces de sécurité rwandaises ou par des groupes armés d'opposition. Tandis que le conflit armé fait toujours rage dans le nord-ouest du pays, les couches les plus vulnérables de la population continuent de souffrir dans l'indifférence quasi totale de la communauté internationale. Les soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR) et les combattants des groupes armés d'opposition -dont certains seraient des membres de l'ex-armée rwandaise et de la milice Interahamwe, responsable de nombreux massacres lors du génocide de 1994 -choisissent délibérément pour cibles des civils non armés, s'en prenant souvent sans distinction aux hommes, aux femmes et aux enfants. Début 1998, les informations faisant état d'homicides et de " disparitions" étaient devenues si fréquentes que nombre de Rwandais semblaient se résigner à cette violence, la considérant comme partie intégrante et inévitable de leur existence.

Au cours de la seconde moitié de l'année 1997, Amnesty International a publié deux rapports qui décrivant la multiplication des atteintes aux droits humains au Rwanda, insistant sur le fait que, dans le contexte du conflit armé, les civils non armés étaient délibérément pris pour cibles (Note11). Les délégués de l'Organisation qui se sont rendus au Rwanda en février 1998 ont confirmé que le caractère systématique des homicides décrits dans ces rapports s'était encore aggravé. Ils ont également été frappés par l'augmentation du nombre des " disparitions" . Celles-ci étaient devenues si fréquentes au début de l'année 1998 que de nombreuses familles ne faisaient même plus l'effort d'aller signaler aux autorités ou aux organisations internationales la " disparition" de leurs proches, soit parce qu'elles craignaient pour leur vie, soit parce qu'elles savaient que cela n'entraînerait aucune ou pratiquement aucune mesure efficace en matière d'enquête. Pourtant, les personnes disposant de pouvoir ou d'influence ont la possibilité d'agir pour mettre un terme à ces atrocités.

Le présent rapport offre une vue d'ensemble sur certaines des graves atteintes aux droits humains commises au Rwanda entre décembre 1997 et mai 1998. Nous nous penchons plus particulièrement sur le caractère systématique des " disparitions" et des exécutions extrajudiciaires imputées aux forces desécurité rwandaises -notamment aux soldats de l'APR_, ainsi que des homicides délibérés et arbitraires perpétrés par les groupes armés d'opposition. Les cas de violations rapportés dans ce document ne représentent qu'une petite partie de tous ceux que nous avons recueillis au cours de cette période. Il n'est désormais plus possible de recenser tous les homicides et les " disparitions" commis au Rwanda, car il s'agit d'un phénomène de grande ampleur et de telles violations sont signalées quotidiennement. Les difficultés rencontrées dans la recherche, le regroupement et la vérification des informations -aussi bien pour les organisations rwandaises que pour les organismes étrangers- sont encore aggravées par le fait qu'on ne peut pénétrer dans nombre de zones où des massacres sont commis, et que les familles et smis des victimes n'osent témoigner des atrocités auxquelles ils ont assisté tant ils ont peur. Par ailleurs, l'accès du public à des compte rendus indépendants est sévèrement restreint en raison du strict contrôle exercé par le gouvernement rwandais sur la diffusion de toute information relative à la situation des droits humains. En conséquence, le monde extérieur ne peut que rarement avoir une idée globale de ce qui se passe au Rwanda.

En février 1998, des délégués d'Amnesty International se sont rendus dans différentes régions du pays, notamment dans les préfectures (Note2) de Gisenyi (nord-ouest du pays), d'Umutara et de Kibungo (dans l'Est), de Byumba (dans le Nord) et de Butare (dans le Sud), ainsi qu'à Kigali, la capitale. Malgré l'impossibilité de visiter certaines zones en raison du climat général d'insécurité qui y régnait, ils ont réussi à recueillir auprès de victimes, de proches de victimes, de témoins et d'autres sources des récits détaillés sur les homicides, les " disparitions" et les autres formes de violations. Ce rapport, fondé en partie sur ces témoignages, repose également sur les recoupements effectués par la suite et les nouveaux éléments recueillis depuis mars 1998, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Durant leur séjour, les délégués de l'Organisation ont eu en outre des entretiens avec de hauts responsables du gouvernement rwandais et des forces de sécurité. La réponse des autorités face à nos motifs de préoccupation concernant la situation des droits humains se trouve résumée dans le présent rapport.

Une fois encore, Amnesty International demande aux autorités rwandaises de tenir leurs engagements -si souvent réaffirmés- en matière de respect des droits fondamentaux, et de mettre un terme aux graves violations qui continuent d'être commises. L'Organisation invite toute particulièrement les autorités à enquêter sur les " disparitions" et les homicides de civils non armés qui sont le fait de membres des services de sécurité, et à empêcher que de tels actes ne se reproduisent. Tout gouvernement a le droit de défendre son pays contre une agression armée, et il lui incombe de protéger la population civile contre les attaques des groupes armés. Cela n'autorise cependant pas les forces de sécurité à tuer délibérément des civils non armés. Parallèlement, les groupes armés d'opposition doivent immédiatement cesser de prendre des civils non armés pour cibles et empêcher les éléments combattants dans leurs rangs de se livrer à de nouveaux massacres.

Amnesty International invite une nouvelle fois les gouvernements étrangers et les organisations intergouvernementales à entendre les appels réclamant l'adoption de mesures urgentes pour mettre fin aux atteintes au droit à la vie et autres violations commises quotidiennement sur le territoire rwandais, ainsi qu'à faire comprendre aux autorités rwandaises comme aux dirigeants des groupes armés d'opposition que ce n'est pas en attaquant délibérément la population civile qu'ils pourront un jour apporter la paix et la réconciliation dans le pays.

Outre les sujets abordés dans ce rapport, Amnesty International demeure préoccupée par d'autres atteintes systématiques aux droits fondamentaux commises au Rwanda, telles que les arrestations arbitraires, la détention prolongée sans inculpation ni jugement dans des conditions assimilables à une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant, les passages à tabac et autres formes de mauvais traitements en détention, les procès iniques et le recours à la peine de mort. Ces motifs d'inquiétude, qui sont développés plus longuement dans les publications antérieures d'Amnesty International, continuent de faire l'objet de recherches et d'actions de notre part.

Le 24 avril 1998, le gouvernement rwandais a procédé aux premières exécutions de personnes reconnues coupables, par des juridictions nationales, de participation au génocide de 1994. Nombre des suppliciés n'ont pas eu droit à un procès équitable. Amnesty International estime que l'exécution publique de ces 22 personnes, de même que toute exécution ultérieure, constitue un nouveau pas en arrière pour les droits humains au Rwanda, une grave régression susceptible de compromettre dangereusement les tentatives visnt à instituer dans ce pays la réconciliation et le respect de la vie humaine. Les préoccupations de l'Organisation à cet égard sont abordées de façon circonstanciée dans divers bulletins d'information et actions urgentes publiés avant comme après les exécutions (Note3).

  1. Cf. les rapports intitulés Rwanda. Rompre le silence (index AI : AFR 47/32/97, 25 septembre 1997) et Rwanda. Les civils pris au piège dans le conflit armé (index AI : AFR 47/43/97, 19 décembre 1997)
  2. Le Rwanda comprend 12 préfectures, qui sont divisées en communes, elles-mêmes divisées en secteurs, chaque secteur étant composé de cellules.
  3. Cf notamment les bulletins d'information suivants : Rwanda : 23 public executions will harm hope of reconciliation - Rwanda. 23 exécutions publiques risquant de compromettre tout espoir de réconciliation - (index AI : AFR 47/12/98, 22 avril 1998). Rwanda : Major step back for human rights as Rwanda stages 22 public executions - Vingr-deux exécutions publiques au Rwanda : un grand pas en arrière pour les droits humains - (index AI : AFR 47/14/98, 24 avril 1998), ainsi que l'Action urgente 126/98 du 22 avril 1998 et l'Action complémentaire du 27 avril 1998.

 

  1. La recrudescence alarmante des " disparitions"

La dramatique augmentation du nombre des " disparitions" constitue l'un des aspects les plis inquiétants de la récente évolution de la situation des droits humains au Rwanda. Les " disparitions" de sont pas un phénomène nouveau dans ce pays, mais elles ont atteint des proportions alarmantes depuis le second semestre de l'année 1997. Amnesty International a reçu de nombreux témoignages et appels à l'aide émanant de personnes qui avaient perdu toute trace de certains membres de leur famille. Les " disparus" sont souvent présumés morts, mais rares sont les familles qui ont retrouvé le corps de leur proche. On pense que certains " disparus" sont encore en vie, incarcérée dans des centres de détention non officiels ou que l'on peut visiter, par exemple des camps de l'armée (cf plus loin). Il est d'autant plus difficile de retrouver leur trace que nombre de ces centres de détention ne disposent d'aucun registre d'entrée.

On observe plusieurs types de " disparitions" : dans certains cas, des éléments indiquent que les forces de sécurité sont impliquées, mais dans d'autres, ni l'identité des ravisseurs ni leurs motifs ne peuvent être établis. Amnesty International reconnaît que les " disparitions" ne sont pas toutes directement imputables aux autorités. Il incombe néanmoins au gouvernement d'enquêter sur tous les cas de " disparitions" , même s'il n'apparaît pas clairement que des agents de l'Etat y aient participé.

  1. Les " disparitions dans le contexte du conflit armé affectant le Nord-Ouest
  2. Un grand nombre de personnes ont " disparu " dans le contexte du conflit armé qui touche les préfectures de Ruhengenri et de Gisenyi, dans le nord-ouest du pays. Il s'agit en majorité d'hommes qui, bien souvent, ont été regroupés par des soldats de l'APE, au cours d'opérations militaires, avant d'être emmenés vers des destinations inconnues. Certaines personnes se sont entendu dire par les soldats qu'on les conduisait à une réunion publique, puis elles ont " disparu ". C'est ainsi que le 14 février 1998, des habitants ont été rassemblée pour assister à une réunion dans le stade de Ruhengeri. Les hommes auraient été séparés des femmes, puis emmenés à bord de véhicules militaires. Il n'a pas été possible de savoir ce qu'ils étaient devenus. La même chose s'est produite le 15 mars 1998, lorsque 200 personnes environ, des hommes pour la plupart, ont été emmenées après que la population eut reçu l'ordre de se rendre dans le stade de Ruhengeri, à la suite d'une prétendue attaque de groupes armés survenue dans le ville un ou deux jours plus tôt ; on ignore également ce qu'il est advenu de ces personnes. L'APR a procédé à des arrestations massives et sans aucun fondement légal ; il est vraisemblable que certaines de personnes interpellées à ces occasions sont détenues dans des camps militaires (cf plus loin).

    Outre ces " disparitions " et leur caractère systématique, on estime à plusieurs milliers le nombre des personnes -il s'agit parfois de communautés entières- portées manquantes à la suite d'affrontements entre soldats de l'APR et groupes armés d'opposition, ou bien d'attaques perpétrées par l'un ou l'autre camp. Un certain nombre de villages des préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri ont été vidés de leurs habitants. Beaucoup d'entre eux ont probablement décidé de partir en raison du conflit armé, qui pousse des milliers de personnes à abandonner leur foyer. Certains s'en vont parce qu'ils s'attendent à des attaques contre leur village, d'autres fuisent au moment des attaques ou des combats. Certains villageois ont sans doute " disparu ". Toutefois, compte tenu du climat général d'insécurité et des difficultés d'accès, il est pratiquement impossible de déterminer avec certitude quels villageois ont " disparu ", et s'ils ont réellement " disparu " ou bien s'ils ont été tués ou arrêtés (et dans ces cas, par qui), ou encore s'ils se cachent. Certains ont aussi pu être pris en otages par les groupes armés.

    Citons l'exemple de ce jeune homme originaire de Nyamutera (préfecture de Ruhengeri), qui a perdu tout contact avec ses parents depuis que leur maison a été attaquée en décembre 1997. En dépit de recherches intensives, leur trace n'a pu être retrouvée. Début juin 1998, ce jeune homme ne savait toujours pas si ses parents étaient morts ou vivants.

    Exemple typique de ces personnes qui " disparaissent " alors qu'elles cherchent à se mettre en sûreté, l'histoire de ce paysan d'environ 60 ans dont on n'a plus de nouvelles depuis le 1er décembre 1997. A la suite d'une flambée de violence dans la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi) où il travaillait, il a fui vers la commune voisine de Rwerere por échapper au danger. Il n'a pas reparu depuis. D'autre cas semblables de " disparitions " dans cette commune ont été signalés en décembre 1997. Les victimes sont pour la plupart présumées mortes.

  3. Les " disparitions" à Kigali de personnes originaires du Nord-Ouest
  4. Le conflit armé et les violations persistantes des droits humains dans le Nord-Ouest ont incité de nombreux habitants des préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi à quitter cette région pour aller chercher la sécurité et un emploi ailleurs dans le pays. Beaucoup ont fait étape à Kigali, la capitale ; mais une fois là, ils n'ont cessé d'être en butte à des manœuvres de harcèlement et à des comportements discriminatoires de la part des forces de sécurité ou de certaines catégories de la population, et ils ont vu leurs droits fondamentaux bafoués. Les personnes originaires du Nord-Ouest sont immédiatement perçues comme suspectes ; elles sont souvent traitées d' " Interahamwe " et accusées de sympathies avec les groupes armés d'opposition alliés aux auteurs du génocide de 1994.

    Il semble qu'il existe une politique concertée consistant à discriminer les personnes natives du Nord-Ouest et les autres, uniquement en raison de leur région d'origine. Le lieu de résidence figurant sur la carte d'itentité et divers autres documents, les personnes venues du nord-ouest du pays sont aisément repérables. Toute personne est tenue de posséder une carte d'identité, ainsi qu'un document émanant des autorités de sa région d'origine si elle souhaite se rendre dans une autre région. En pratique, ces documents sont souvent difficiles à obtenir, et la liberté de circulation est soumise à des mesures de restrictions et à des contrôles stricts. Même les personnes en possession des documents nécessaires ne sont pas à l''bri d''ctes de garcèlement.

    De nombreuses personnes originaires du Nord-Ouest ont ainsi été arrêtées, surtout des hommes en âge de combattre, lors de contrôles d'identité effectués au hasard par les forces de sécurité, notamment aux barrages routiers mis en place par l'armée. Certaines ont été placées en détention, d'autres ont été relâchées après interrogatoire, et beaucoup ont " disparu " sans laisser de traces. Les autorités ont coutume d'expliquer ces " disparitions " en disant que les personnes arrêtées lors des contrôles d'ikdentité ont été renvoyées vers leur lieu de résidence, dans le nord-ouest du pays.

    Toutefois, dans de nombreux cas, les familles restées sur place ont affirmé que ces personnes n'étaient pas revenues.

    Citons le cas d'Emmanuel Tuyishime, ancien responsable de l'administration locale âgé d'une trentaine d'années, qui est parti de Gisenyi le 10 décembre 1997 pour chercher du travail à Kigali. C'est là qu'il a été vu pour la dernière fois, le 16 décembre. Depuis cette date, sa famille s'est lancée à sa recherche, s'informant auprès des centres de détention de différentes régions, où on lui répondait à chaque fois qu'il n'était pas là. Après avoir appris des autorités de Kigali que les habitants de Gisenyi étaient transférés vers leur région d'origine, les proches d'Emmanuel Tuyishime se sont rendus à plusieurs reprises dans le Nord-Ouest -au prix de grands dangers pour eux-mêmes-, à chaque fois en vain. Les autorités de Gisenyi leur ont déclaré qu'il n'y avait eu aucun transfert en provenance de Kigali.

    Les contrôles d'identité et les opérations de ratissage se sont multipliés à Kigali en décembre 1997 et en janvier 1998. De nombreux hommes originaires de la région nord-ouest ont été regroupés, puis placés en détention dans des casernes. Certains ont été relâchés, mais d''utres n''nt apparemment pas reparu. Ainsi, l''rmée a procédé à des opérations de ratissage le 3 décembre 1997 dans le secteur de Kimisagara, le 14 décembre dans celui de Gatsata, et le 20 décembre dans ceux de Cyahafi et, de nouveau, de Kimisagara;  tous ces secteurs sont situés dans la commune de Nyarugenge, qui fait partie de la préfecture d Kigali-zone urbaine. Ces opérations ont été marquées par des arrestations à grande échelle, de smauvais traitements systématiques et des " disparitions ". Les victimes étaient apparemment visées pour la simple raison qu'elles avaient des papiers d'identité indiquant qu'elles étaient originaires du Nord-Ouest. Parmi elles figuraient Jean-Bapriste Munyaneza, de la commune de Ramba (préfecture de Gisenyi), Laurent Sinamenye, de la commune de Ruhondo (préfecture de Ruhengeri) et Emmanuel Uwimana, un élève de 16 ans qui avait été transféré pour des questions de sécurité de son collège de la commune de Kibilira, sa région d'origine, vers un collège de Kigali.

    Wellars Nturanyeninkiko, qui travaillait à Kigali comme gardien d'une propriété, est allé en novembre 1997 rendre visite à des parents habitant dans la périphérie de la capitale. Cet homme d'une quarantaine d'année, originaire de Ruhengeri, n'a jamais reparu, Des amis se sont rendus à la prison où il aurait été détenu pendant une certaine période, afin de s'enquérir de son sort ; on leur a répondu qu'il n'était plus là. Depuis, tous les efforts déployée en vue de retrouver sa trace dans la région de Ruhengeri ont été vains en raison du climat d'insécurité qui continue de régner dans cette préfecture.

  5. Autres cas de " disparitions"
  6. Les cas de " disparitions " ne sont pas tous directement liés au conflit armé qui touche le Nord-Ouest. Sedesias Mugambira, ex-ministre, a été arrêté vers la mi-décembre 1997 à un barrage routier, à Kigali, alors qu'il revenait de la banque où il avait retiré une importante somme d'argent. Il a ensuite " disparu ". Selon certaines rumeurs, cet homme aurait été tué et son corps jeté dans une ancienne citerne située non loin du barrage mis en place par l'armée ; de fait, son corps n'a pas été rendu à sa famille. Sedesias Mugambira avait été arrêté à plusieurs reprises au cours de l'année 1997, et relâché à chaque fois en l'absence d'éléments prouvant sa participation au génocide. Propriétaire de plusieurs maisons près de Kigali, il a pu susciter des jalousies.

    Le 9 janvier 1998, des soldats sont venus chercher Juvénal Bagarirakose à son domicile, dans la commune de Kibilira. Située dans la préfecture de Gisenyi, cette commune était depuis plusieurs mois le théâtre de nombreuses violences et d'un fort climat d'insécurité. Avant de repartir avec leur prisonnier vers une destination inconnue, les soldats auraient mis le feu à des maisons voisines appartenant à deux de ses sœurs. Ni l'arrestation de Juvénal Bagarirakose, ni sa " disparition " n'ont, semble-t-il, été officiellement reconnues, et l'on craint qu'il ne soit mort. Enseignant de formation, Juvénal Bagarirakose, qui a également travaillé dans le secteur commercial, est marié et père de trois enfants. Réfugié dans l'ex-Zaïre de novembre 1994 à novembre 1996, il est ensuite retourné dans son pays. Quand il était réfugié, il a participé à diverses initiatives visant à favoriser le dialogue et à promouvoir des solutions non violentes au conflit au Rwanda. Il a poursuivi ces activités après son retour, jouant un rôle important dans les groupes de discussions et de prières rassemblant communautés hutu et tutsi, au su des autorités civiles locales et avec leur pleine coopération.

    D'autres cas de " disparitions " se sont produits dans la commune de Kibilira. Joy Musabirema et ses deux enfants, Shumbusho (8 ans) et Umugwaneza (6 ans), ont ainsi " disparu " le 13 janvier 1998. Des soldats seraient venus les chercher à leur domicile, dans le secteur de Kalehe, avant de les conduire vers une destination inconnue, à bord d'un véhicule militaire.

    Ladislas Mutabazi, procureur de Gisenyi, a été aperçu pour la dernière fois le 18 janvier 1998 à Base, près de Ruhengeri, alors qu'il rendait visite à des parents. D'après certaines informations, il se trouvait alors en compagnie d'un soldat de l'APR. A la date de février, des enquêtes officielles avaient été ouvertes par le ministre de la Justice et par la gendarmerie. On en ignore les résultats. Il ne semble pas que Ladislas Mutabazi ait fait l'objet de menaces avant sa " disparition ".

    Emmanuel Munyemanzi, journaliste, travaillait comme directeur de production pour la chaîne nationale de télévision rwandaise ; il a " disparu " le 5 mai 1998 à Kigali. Il s'était rendu le matin à son travail, comme à l'accoutumée, et n'a pas reparu. En mars 1998, il avait été suspendu de ses fonctions à la télévision et muté à un autre poste à l'Office rwandais d'information (ORINFOR). Le directeur de la chaîne télévisée nationale a également été suspendu. Il semble que ces suspensions soient liées à un différend avec le directeur de l'ORINFOR.

    Evariste Twagirumukiza, commerçant de son état, a été arrêté dans la matinée du 13 mai 1998 à Kigali, par des hommes armés en uniforme militaire. Il aurait été emmené à bord d'un véhicule appartenant à la gendarmerie du quartier de Nyamirambo, à Kigali. Début juin, on ignorait toujours où il se trouvait. Les autorités auraient démenti toute participation à son enlèvement.

    " Disparitions " massives dans la région d'Umutara

    Fin décembre 1997 et début janvier 1998, une vague de " disparitions " a touché la préfecture d'Umutara, dans l'est du pays, et plus particulièrement les communes de Kahi et de Gabiro. On ne connaît pas le nombre total des " disparus " : plusieurs sources font état d'au moins 100 personnes " disparues ", tandis que d'autres parlent de plusieurs centaines. Ces " disparitions " se sont produites après qu'un taxi eut été attaqué sur la route de Nyagatare, le 22 décembre 1997. Au moins cinq personnes ont trouvé la mort au cours de cette attaque, dont la responsabilité a été officiellement attribuée à un groupe armé d'opposition. On pense que la vague de " disparitions " qui a suivi était une action de représailles. Les auteurs des " disparitions " seraient des soldats de l'APR, aidés de civils tutsi de la région. Certains membres des autorités civiles locales seraient également impliqués.

    Les premières " disparitions " ont eu lieu le 24 décembre, la veille de Noël, en divers endroits et notamment à Kabarore et à Kiziguro. A la suite de contrôles d'identité effectué par des responsables militaires, un certain nombre de personnes auraient été emmenées à bord de camions vers une destination inconnue. Certaines étaient chez elles lorsqu'elles ont été appréhendées. D'autres se trouvaient dans des lieux publics. Parmi les " disparus " figurent plusieurs membres d'une chorale, dont Jean-Baptiste Ntabara, qui s'apprêtaient à célébrer Noël. Ont également " disparu " Viateur Nzabarinda et sa sœur Mukabutare, ainsi que Joseph Karake, un étudiant en religion d'une vingtaine d'années ; alors qu'il se trouvait chez lui, il a été contraint de monter à bord d'un véhicule militaire avec d'autres personnes et n'a jamais reparu.

    Médard Gashumba, auxiliaire médical, a été arrêté le 25 décembre 1997 et détenu dans le " cachot " (centre de détention de l'administration locale) de Gabiro, avant d'être relâché un peu plus tard dans la journée. Le 26 décembre, des soldats sont venus chez lui et l'ont abattu, puis auraient emporté son corps. Son épouse Perpétue, sa fille Liliane Ingabire, âgée de quatre ans, et deux domestiques, ont été emmenés et n'ont jamais été revus ; on suppose qu'eux aussi ont été tués. Ni le corps de Médard Gashumba, ni ceux de sa femme, de sa fille et des deux domestiques n'ont été retrouvés. Ces meurtres pourraient avoir pour origine un litige foncier avec le bourgmestre de la commune de Gabiro -un ancien soldat de l'APR_, qui occupait l'une des maisons de Médard Gashumba. Selon des informations non confirmées, le bourgmestre aurait personnellement donné l'ordre de relâcher Médard Gashumba le 25 décembre, et il aurait été présent lorsque les soldats sont venus à son domicile pour le tuer.

    Au cours des jours qui ont suivi, des témoins auraient vu les soldats regrouper, souvent de nuit, un très grand nombre d'habitants de divers endroits de la région, avant de les conduire vers des destinations inconnues. Parmi les victimes figuraient un homme d'environ 80 ans, Abraham Ndumyiriye, ses deux fils Joseph Tegeri et Seth Rwamirera, leurs femmes et leurs enfants, son petit-fils Igirimbabazi, qui était étudiant, et un autre petit-fils, Festus Nkurunziza, ainsi que l'épouse de ce dernier et leurs deux enfants. De même, Mugenzi, sa femme et leurs sept enfants, Niyoyita et sa femme, Nkende et sa sœur Kumuzana, Innocent Sebahire, enseignant, ainsi qu'un vieil homme du nom de Samuel Bizirumwera, sa femme et leurs enfants, n'ont jamais reparu.

    La majorité des victimes étaient d'anciens réfugiés revenus de Tanzanie en décembre 1996, lorsque ce pays a renvoyé des centaines de milliers de Rwandais réfugiés sur son sol. Pendant leur exil, leurs maisons avaient, pour la plupart, été occupées ; après leur retour, les réfugiés ont donc dû vivre dans des abris improvisés en attendant qu'on leur restitue leurs biens. Il semble que peu après leur " disparition ", ces abris aient été enlevés. Nombre des victimes étaient originaires du nord-ouest du Rwanda, ce qui correspond à la caractéristique générale des " disparitions " dans tout le pays.

    A peu près à la même époque -fin décembre 1997 et janvier 1998, plus de 30 corps non identifiés ont été retrouvés, dans au moins trois endroits distincts de la préfecture d'Umutara. On ignore s'il s'agissait de victimes de la vague de " disparitions ", ou dans quelle mesure ces événements sont liés. Vers le 23 décembre, une douzaine de corps ont été découverts dans la commune de Rukara ; il semble que certains avaient été brûlés après avoir été ligotés à un arbre. Aux alentours du 9 janvier, ce sont quelques 15 cadavres qui ont été retrouvés dans la commune de Murambi. Le 22 janvier, 13 corps ont encore été retrouvés dans cette commune, à Kiziguro. Les soldats ont empêché quiconque d'approcher les corps pour les identifier.

    Les " disparitions " et les autres faits qui se sont produits dans la préfecture d'Umutara en décembre 1997 et en janvier 1998 n'ont guère mobilisé l'opinion publique. Pour autant qu'on le sache, pas plus les autorités nationales que les administrations locales n'ont pris de mesures pour enquêter sur ces événements.

  7. Des " disparus" retrouvés
  8. Des " disparus " n'ont été retrouvés -morts, bien souvent- que dans une petite minorité de cas. Jean-Damascène Munyaneza, éducateur, a " disparu " le 5 janvier 1998 après avoir été emmené vers une destination inconnue alors qu'il se trouvait à son domicile de Bicumbi, dans la préfecture de Kigali -zone rurale ; son cadavre mutilé n'a été retrouvé que deux semaines plus tard.

    Frédéric Kayogora, anncien directeur d'école, a été arrêté en mai 1997 à son retour de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre). Il a été détenu plusieurs mois à la gendarmerie de Remera, à Kigali, avant d'être relâché. Les autorités auraient refusé de lui délivrer un document attestant qu'il avait été mis en liberté provisoire. La maison de Frédéric Kayogora à Kigali était occupée par des responsables de l'armée. Au cours de la seconde quinzaine de janvier 1998, il est allé voir ces occupants illicites afin de négocier avec eux la restitution de son bien. Il n'y jamais reparu. Son corps mutilé a été retrouvé plus tard à la morgue par des membres de sa famille.

    Jean-Marie Vianney Nsabimana, un commerçant de Kigali âgé de 28 ans et marié depuis peu, a " disparu " le 4 décembre 1997. Il a été emmené par tois hommes en civil dont l'un au moins portait un fusil. Quelques jours après, son cadavre a été retrouvé à la morgue de l'hôpital de Kigali. Il avait le crâne défoncé, et son corps était déjà dans un état de décomposition avancé. Un gardien qui affirmait avoir reconnu l'un des hommes venus chercher Jean-Marie Vianney Nsabimana a été arrêté, puis relâché après avoir déclaré qu'il s'était trompé ; il semble qu'il ait fait l'objet de manœuvres d'intimidation.

    Citons le cas plus inhabituel de ce pasteur presbytérien de Kibuye, Siméon Nzabahimana, et de cinq autres personnes -dont Hubert Bigaruka, Charlotte Bahiga et Jean Bizimungu -qui ont " disparu " à Kigali le 14 février 1998, puis ont été relâchés sains et saufs, après avoir été détenus sans inculpation durant deux semaines. Ils avaient été interpellés lors de leur arrivée à Kigali par des membres des forces de sécurité, apparemment parce qu'ils avaient pris en stop un rebelle présumé. En débit de l'importante publicité faite autour de leur " disparition ", leurs familles n'avaient reçu pendant ces deux semaines aucune information sur leur lieu de détention ou leur état de santé.

  9. La détention par l'armée

Certes des personnes " disparues " seraient aux mains des forces armées, mais il est pratiquement impossible de savoir où elles sont détenues. Les autorités militaires continuent d'interdire aux parents des détenus, aux organisations humanitaires et de défense des droits humains, ainsi qu'au Comité international de la Croix-Rouge, l'accès à presque tous les centres de détention de l'armée, A en croire de rares témoignages recueillis auprès d'anciens détenus qui ont été libérés de ces centres, un grand nombre de personnes y seraient détenues, dont des civils. La majorité des personnes emprisonnées dans des camps militaires ne font l'objet d'aucune inculpation, ni d'aucune forme de procédure judiciaire.

Les conditions de vie dans les centres de détention militaires -comme dans les autres prisons et centres de détention du Rwanda- soulèvent des inquiétudes d'autant plus vives qu'il n'est pas possible d'y pénétrer. D'anciens détenus affirment que les mauvais traitements y sont fréquents. Un homme détenu début 1997 dans le camp militaire de Muhoza, à Ruhengeri -et qui a été tué quelques mois après sa libération- a souffert de graves blessures provoquées par des mauvais traitements. Il a déclaré que de nombreuses personnes étaient détenues dans ce camp, parfois pendant plusieurs mois, dans des conditions très pénibles, notamment en raison de l'insuffisance de la nourriture. Il a décrit ses compagnons de détention dans les termes suivants : " C'est comme s'ils étaient morts ".

Jean-Pierre Sibomana, inspecteur de police judiciaire, a été arrêté en février 1998 par des soldats à Nyarutovu (préfecture de Ruhengeri), puis détenu dans le camp militaire de Muhoza. Selon les registres, il aurait été ensuite été remis en liberté ; toutefois, certaines sources ont affirmé qu'il n'avait pas été relâché mais qu'on l'avait emmené hors du centre de détention pour l'abattre.

Un autre inspecteur de police judiciaire, Alphonse Kaburabuza, a " disparu " le 28 décembre 1997 à Nyamugali (préfecture de Ruhengeri). Il auait été vu pour la dernière fois à Base, en compagnie des soldats qui l'avaient arrêté. Il aurait été conduit dans un centre de détention militaire, puis en serait reparti la nui même à bord d'un véhicule habituellement utilisé, semble-t-il, par les responsables de ''dministration locale. Cet homme n'a jamais reparu. Des responsables civils locaux auraient déclaré, lorsqu'on les a prévenus de son arrestation, qu'ils ne comptaient pas intervenir.

Le 15 décembre 1997, Martin Rugemangenzi a été arrêté par des soldats de l'APR dans le secteur de Nyakabanda, commune de Nyarugenge (préfecture de Kigali). Il aurait d'abord été détenu dans un camp militaire local. Toutefois, quand sa famille est venue s'enquérir de son sort, elle s'est entendue dire qu'il n'était pas détenu là. Il semble qu'il était toujours incarcéré dan ce camp en janvier 1998, mais on ignore où il se trouve depuis cette date.

Parmi les nombreux cas non résolue de personnes ayant " disparu " aux mains de l'armée figure celui de 112 anciens membres des Forces armées rwandaises (ex-FAR), qui faisaient partie d'un groupe de quelque 155 Rwandais rapatriés de force du Gabon en août 1997 (Note4). A leur arrivée à Kigali, ces 112 militaires ont été immédiatement arrêtés et détenus par l'armée. Depuis cette date, il est strictement interdit de leur rendre visite et on ignore où ils sont, malgré les appels répétés du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et des organisations de défense des droits humains, qui réclament des informations et le droit de les rencontrer.

Certains de ces 112 anciens militaires seraient soupçonnés d'avoir pris part au génocide de 1994 ; aucun d'entre eux n'a toutefois été formellement inculpé, ni traduit en justice. Il est à craindre qu'ils n'aient été tués.

4. Cf Action urgente 248/97 (index AI : AFR 26/01/97, 31 juillet 1997) et les Actions complémentaires du 11 août 1997, du 12 août 1997 et du 12 septembre 1997.

 

  1. Les massacres de civils non armés

Tout au long de l'année 1997 et durant les cinq premiers mois de 1998, des milliers de civils non armés ont été tués au Rwanda, certains par des soldats de l'APR, d'autres par des membres de groupes armés d'opposition plus connus sous l'appellation d' " infiltrés ", et d'autres encore par des tueurs non identifiés.

La majorité des massacres se sont produits dans les préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, dans le Nord-Ouest, mais depuis décembre 109078, la violence a aussi gagné la préfecture de Gitarama, dans le centre du pays. Globalement, ces massacres obéissent au même schéma que celui déjà relevé dans les récents rapports d'Amnesty International (Note5), à savoir : des attaques lancées par des groupes armés d'opposition sont suivies d'opérations anti-insurrectionnelles de grande ampleur menées par l'armée. Néanmoins, certains massacres n'ont pas été immédiatement précédés par des attaques de l'opposition armée, ou n'étaient pas directement liés à celles-ci.

L'opinion publique en général ne dispose que de peu d'informations concernant l'ampleur et la nature de ces massacres. L'image qu'en donnent les médias subit fortement les effets du contrôle exercé par le gouvernement sur l'information, notamment pour ce qui est du conflit armé touchant le nord-ouest du pays. Si les attaques attribuées aux groupes armés d'opposition bénéficient parfois d'une large publicité, les homicides de civils par les soldats de l'APR sont en revanche rarement signalés. Lorsque les auteurs ne sont pas identifiés, les massacres sont souvent imputés de façon automatique à l'opposition armée, sans qu'il soit procédé à aucune vérification indépendante. Aux mesures de restriction frappant l'information s'ajoutent les difficultés rencontrées pour accéder à nombre des zones où se produisent les massacres. La plupart des journalistes étrangers qui ont pu se rendre dans le Nord-Ouest au cours de ces derniers mois étaient ecortés par des militaires de l'APR, ce qui limite grandement les chances ou les possibilités d'obtenir des informations sur les violations des droits humains commises par l'armée. De nombreux médias internationaux basés hors du Rwanda ont tendance à s'en remettre aux informations fournies par les médias rwandais contrôlés par l'Etat ou aux communiqués délivrés par les responsables du gouvernement. Cette mainmise sur l'information a permis de renvoyer au monde extérieur une image globalement déformée de la situation des droits fondamentau au Rwanda, le résultat étant que peu de personnes à l'étranger ont conscience de l'ampleur des violations qui y sont perpétrées ou du fait que, depuis 1997, les forces de sécurité rwandaises ont tué un plus grand nombre de civils non armés que les groupes armés d'opposition.

Un habitant de Gisenyi a ainsi décrit la situation en janvier 1998 :

Toute ma famille a été décimée, ma femme, mes enfants et mes frères. Je reste seul. Je ne ne sais pas où aller. Je me sens vraiment perdu dans un monde très hostile et très féroce. Ils ont été tués par les militaires qui étaient à la recherche des miliciens (…). La communauté internationale devrait faire tout son possible pour venir au secours de ceux qui restent (…) on cache les informations : les étrangers ne peuvent pas savoir exactement ce que sont les paysans qui meurent alors qu'ils n'ont rien à faire avec les miliciens, et qu'ils ignorent même leurs visées. Les miliciens eux aussi ont tué (des) Tutsi, vous l'avez quelquefois écouté à la radio, point positif, mais quand c'est l'autre éthnie qui est tuée, on ne dit rien (…). Le Rwanda va vers un gouffre. Chez nous, il ne reste plus rien. "

(5) Cf les documents index AI : AFR 47/32/97 et index AI : AFR 47/43/97, ibid. On trouvera dans ces rapports des informations sur les causes du conflit armé qui se déroule dans le pays.

 

  1. Le Nord-Ouest, région dévastée
  2. L'ampleur et la fréquence des violences dans le Nord-Ouest ont continué de croître en janvier et en février 1998. Outre l'aspect délibéré des attaques visant les civils et commises par les deux parties au conflit (cf plus loin), la nature militaire du conflit a pris un caractère patent à mesure que les groupes armés d'opposition donnaient l'impression d'user de tactiques de plus en plus audacieuses. Des attaques de ces groupes contre des objectifs aussi bien militaires que civils ont été signalées. D'après des informations émanant de la région même, un grand nombre de soldats de l'APR auraient été tués, parfois plus de 100 en un seul affrontement. Début 1998, des sources locales ont affirmé que les soldats de l'APR craignaient de s'aventurer dans certaines zones de la préfecture de Gisenyi vraisemblablement passées sous le contrôle des groupes armés d'opposition et devenues pratiquement des " zones interdites ". Il semble que les soldats ne s'y rendent que pour y mener des opérations militaires avec des objectifs spécifiques, avant de s'en retirer aussitôt. Les autorités civiles locales -les bourgmestres de nombreuses communes, par exemple- ne peuvent plus travailler sur place et ont été obligées de se replier sur la ville de Gisenyi pour leur propre sécurité. Les zones qu'elles ont abandonnées se retrouent dépourvues d'autorité civile ou d'administration reconnue. Toujours selon les sources locales, les groupes armés ont étendu à tel point leur contrôle sur certaines zones qu'ils organiseraient eux-mêmes la gestion des marchés et diffuseraient leurs propres bulletins d'information.

    Comme nous l'avons déjà dit dans des rapports récents, la population civile de ces régions est prise au piège : ceux qui ne peuvent pas fuir pour se mettre en sécurité sont inévitablement les victimes des attaques lancées par l'une ou l'autre des parties au conflit. Certains habitants se font tuer parce qu'ils se retrouvent pris entre deux feux lors d'affrontements entre les soldats de l'APR et les groupes armés d'opposition. Mais de nombreux autres sont délibérément et arbitrairement visés -surtout s'ils appartiennent à des groupes de population vulnérables, comme les vieillards ou les personnes déplacées-, car chacun des deux camps les utilise dans leurs tactiques comme des pions sans défense. D'autres encore sont pris spécifiquement pour cibles en raison de leurs affiliations présumées : ainsi, les soldats de l'APR ont massacré de nombreux civils non armés soupçonnés d'être membres ou sympathisants de l'opposition armée. Parallèlement, les groupes armés d'opposition ont tué des civils non armés accusés de collaborer avec les autorités. La population n'a pas le choix. Toute personne peut être tuée parce que l'un des camps la soupçonne de coopérer avec l'autre. Il n'y a pas de place pour la neutralité.

    Les jeunes enfants figurent au nombre des victimes innocentes de cette violence. Beaucoup ont été tués, et ceux qui ont survécu ont souvent été profondément traumatisés par les scènes atroces de carnage auxquelles ils ont assisté. En janvier 1998, un garçon de dix ans originaire de la commune de Rwerere (préfecture de Gisenyi) s'est enfui de chez lui en emmenant avec lui ses deux frères plus jeunes, l'un âgé de cinq ans et l'autre encore un bébé : il venait d'être témoin du meurtre de 10 personnes, dont ses parents et ses grands-parents. Début décembre 1997, un garçon âgé de quatre ans a été retrouvé vivant, une corde autour du cou, dans la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi) ; il était allongé auprès de sa mère qui avait été battue à mort.

    Conséquence directe du conflit armé, la population souffre aussi d'une pénurie de plus en plus grave de nourriture -ironie cruelle, si l'on tient compte du fait que le Nord-Ouest est l'une des régions les plus fertiles du Rwanda. Les soldats de l'APR ont obligé la population à détruire les plantations de bananes sous prétexte que les rebelles viendraient s'' cacher. Dans certaines zones, ils ont ordonné aux habitants de ne pas procéder aux récoltes. Les paysans qui ont tenté d'o'trepasser cet ordre ont été directement menacés, et certains ont été tués par les forces gouvernementales. En janvier 1998, dans la préfecture de Gisenyi, un jeune homme qui refusait de détruire sa plantation aurait été passé à tabac par les soldats. Début février, dans le secteur de Rugerero, commune de Rubavu (préfecture de Gisenyi), une paysanne du nom d'Esther et sa fille adolescente auraient été tuées par des militaires parce qu'elles avaient voulu récolter les patates douces de leur champ.

    Dans le cadre de sa stratégie anti-insurrectionnelle, l'armée recourt à la tactique de la terre brûlée dans de nombreuses zones du Nord-Ouest, incendiant champs et habitations. Des centaines de maisons ont parfois été brûlées, ce qui semble s'apparenter à une forme de châtiment collectif visant la population civile en représailles des actions menées par les groupes armés d'opposition. C'est ainsi que les 9 et 10 février 1998, les soldats de l'APR auraient mis le feu à plus de 100 maisons dans les communes de Mukingo et de Nkuli (préfecture de Ruhengeri) et dans celle de Karago (préfecture de Gisenyi). Beaucoup de ces maisons étaient apparemment vides, leurs occupants étant déjà parvenus à s'enfuir ; toutefois, un certain nombre de personnes ont été brûlées vives dans leur maison : c'est apparemment le cas d'André Bayagibeto, un homme d'environ 70 ans, qui habitait dans le secteur de Nyabirehe (commune de Mukingo).

    Les délégués d'Amnesty International qui se sont rendus dans la préfecture de Gisenyi en février 1998 ont décrit une région qui était devenue pratiquement méconnaissable en certains endroits. Les collines habituellement vertes et couvertes d'une végétation luxuriante présentaient toutes les marques visibles de la dévastation. Les champs avaient été brûlés, les récoltes réduites à néant. Les maisons étaient vides et leurs portes à moitié arrachées ; certaines n'étaient plus que cendres. Des villages entiers semblaient désertés. A de rares exceptions près, les seuls véhicules circulant sur les routes étaient des blindés de l'armée.

    De leur côté, les groupes armés d'opposition ont également contraint les populations locales à les ravitailler en nourriture ; les personnes qui s'y refusaient risquent de le payer de leur vie. Dans certaines zones, ils auraient tenté d'empêcher les paysans de vendre leurs produits aux marchés de Kigali, arguant que l' " ennemi " (c'est-à-dire le gouvernement) allait en bénéficier. Ainsi, le 17 décembre 1997, plus de 15 habitants de la commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri) auraient été tués par des membres d'un groupe armé pour avoir voulu se rendre dans un endroit où ils auraient pu vendre leurs pommes de terre à des négociants chargés de les acheminer vers Kigali.

    Tant les soldats de l'APR que les groupes armés d'opposition se sont rendus responsables de pillages à grande échelle, faisant main basse sur les biens, le bétail, les récoltes et autres possessions. Il est également arrivé que les uns comme les autres contraignent la population locale à participer aux pillages. De nombreux dispensaires et écoles ont dû fermer.

  3. Les livraisons d'armes qui entretiennent le conflit

En dépit des preuves accables désignant les deux parties au conflit comme responsables jour après jour du massacre de civils non armés, et malgré les condamnations répétées de la communauté internationale concernant la prolifération des armes légères dans l'ensemble de la région des Grands Lacs, l'APR et les groupes armés d'opposition continuent d'être ravitaillés en armes et en équipements dont ils se servent pour bafouer les droits humains et le droit humanitaire international.

Outre les armes à feu, d'autres types d'armes sont souvent utilisés pour tuer les civils, tels que baïonnettes, gourdins cloutés, machettes, couteaux et outils agricoles. Ils seraient surtout utilisés par les groupes armés d'opposition, mais plusieurs témoins sans liens entre eux ont signalé que des soldats de l'APR recouraient parfois à ce type d'armes, ainsi que des civils tutsi se livrant à des attaques avec l'appui des militaires.

Des vendeurs d'armes ont fourni des équipements militaires aussi bien aux anciennes forces de sécurité qu'aux nouvelles, avec un mépris manifeste des droits humains, entretenant ainsi un conflit dont la majorité des victimes sont des civils non armés. Des sociétés installées en Israël -utilisant des intermédiaires en Europe de l'Est-, en Chine et en Afrique du Sud ont approvisionné en armes et en équipements militaires les ex-forces armées rwandaises, avant et pendant le génocide de 1994 (Note 6). Des sociétés de ces mêmes pays ont continué de fournir armes et équipements à l'APR, parfois par le truchement de sociétés implantées dans des pays tiers.

En 1997, l'APR aurait reçu des armes en provenance de Roumanie par le biais d'une société israélienne sise près de Tel Aviv. D'après des articles parus dans la presse roumaine début 1998, un avion de fabrication russe, loué à une compagnie ukrainienne, s'est envolé en avril 1997 de Bucarest, la capitale roumaine, en direction de Kigali -et non de l'Ethiopie, destinataion qui était apparemment prévue sur le plan de vol. L'avion transportait semble-t-il à son bord quelque 80 tonnes d'armements -des mitrailleuses notamment- et de munitions. A en croire les articles de presse, ce chargement apparaissait dans les documents du ministère rwandais des Transports comme un chargement de pièces détachées. L'un des articles affirmait que des armes en provenance de Roumanie avaient également été envoyées au Rwanda en février 1997.

Le gouvernement rwandais aurait obtenu 24 hélicoptères MI de fabrication russe par l'intermédiaire d'une société basée en Afrique du Sud (Note 7). L'APR continue d'utiliser des hélicoptères militaires lors de ses opérations dans des zones habitées par des civils non armés. Au cours des premiers mois de 1998, des hélicoptères s'envolaient quotidiennement de Kigali vers les régions du Nord-Ouest en proie au conflit armé. Dans les préfectures de Gisenyi, de Ruhengeri et de Gitarama, plusieurs sources ont signalé que les hélicoptères ne servaient pas uniquement à effectuer des missions de surveillance, mais également à attaquer les zones où des rebelles étaient supposés se cacher. Un nombre indéterminé de civils non armés auraient trouvé la mort lors de certaines de ces attaques (Note 8).

Le 28 janvier 1998, le Rwanda a signé un accord de coopération militaire avec le Zimbabwe, qui a lui-même des accords de fourniture d'armes avec la Chine. Il a été annoncé que le Zimbabwe allait participer à un programme de formation destiné à l'armée et à la police rwandaises. Ni le calendrier de mise en œuvre, ni le contenu de ce programme n'ont été révélés. Amnesty International redoute que ce programme ne serve à renforcer certaines pratiques déjà utilisées, compte tenu du propre bilan de l'armée et de la police zimbabwéennes en matière de violations des droits humains. Rappelons notamment que des membres des forces de sécurité zimbabwéennes ont fait usage de leurs armes et passé à tabac des citoyens zimbabwéens pendant et après les troubles qui ont agité le pays, en janvier 1998.

Ce n'est pas tout : Le Zimbabwe aurait en outre fourni une assistance militaire -notamment sous forme d'armes, de munitions et de moyens de transport- aux soldats de l'APR opérant en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), ainsi qu'à l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), devenue l'actuelle armée congolaise. L'AFDL, appuyée par l'APR, s'est rndue responsable en 1996 et en 1997 de l'exécution extrajudiciaire et de la " disparition " de dizaines de milliers de civils non armée en RDC, parmi lesquels figuraient des réfugiés rwandais. Une société zimbabwéenne s'est associée avec une entreprise chinoise de fourniture d'armement afin de faciliter l'envoi d'armes à l'AFDL.

Les Etats-Unis demeurent aussi un proche allié du gouvernement rwandais, tant sur le plan politique que militaire (Note 9). Les autorités américaines devraient faire la lumière sur le lien existant entre la formation qu'elles ont dispensée aux forces de l'APR en 1996, en 1997 et en 1998, au cours desquelles de graves violations desdroits humains ont été commises. Elles devraient également fournir des éclaircissements sur le rôle exact joué par le personnel militaire américain présent, semble-t-il, sur le territoire rwandais -qu'il y ait été envoyé par le gouvernement américain ou par des sociétés privées.

Les armes livrées aux groupes armés d'opposition continuent d'être acheminées de manière clandestine. En raison de l'embargo -toujours en vigueur- imposé par les Nations Unies le 17 mai 1994 (soit plus d'un mois après le commencement du génocide) sur les armes destinées aux membres des ex-Forces armées rwandaises, ceux-ci ne peuvent recevoir de nouvelles armes que par des canaux illicites. Néanmoi,s il semble qu'ils n'aient guère de difficulté à s'en procurer grâce à la prolifération des armes légères dans la région des Grands Lacs et alentour, grâce aussi à l'existence de réseaux de trafiquants et aux liens étroits qui existent entre les groupes armés d'opposition rwandais et ceux des pays voisins comme l'Ouganda, la RDC, le Burundi et l'Angola. C'est ainsi que début 1998, les forces gouvernementales soudanaises auraient tenté de réunir dans le parc national de la Garamba (nord-est de la RDC), à proximité des frontières avec l'Ouganda et le Souda, des membres des groupes armés d'opposition rwandais en exil, d'un groupe armé ougandais -le West Nile Bank Front (WNBF, Front de la rive occidentale du Nil- et de groupes armés de la RDC.

En plus des armes que certains membres de l'ex-armés rwandaise ont rapporté à leur retour d'exil, les groupes armés d'opposition opérant sur le sol rwandais disposent d'armes saisies lors d'attaques contre les positions de l'APR. L'intensification du conflit armé -que les massacres de civils par l'APR lors d'opérations anti-insurrectionnelles n'ont fait qu'aggraver- a suscité chez les groupes armés d'opposition un besoin toujours plus grand en armes.

En avril 1998, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1161 (1998) afin de relancer les travaux de la commission qui avait été créée en septembre 1995 pour enquêter sur les livraisons d'armes et autres équipements au profit des ex-Forces armées rwandaises. Cette commission d'enquête a produit trois rapports ; le dernier en date a été achevé en 1996, mais il n'y été publié par le Conseil de sécurité qu'un an après, en décembre 1997. Les recommandations précises qui y figurent pour donner suite aux travaux de la commission n'ont jamais été suivis d'effets.

Amnesty International a apporté son soutien aux travaux de la commission dès sa création en 1995. Elle se félicite de constater qu'elle va pouvoir poursuivre son action, et continue de coopérer avec elle. L'Organisation exhorte cependant le Conseil de sécurité à étendre le mandat de la commission d'enquête, au vu des changements importants qui se sont produits dans la région depuis l'arrêt de ses investigations, tant au plan politique et militaire qu'au niveau de la situation des droits humains (Note 10). Il convient notamment de reconnaître que les graves violations des droits humains et du droit humanitaire -dont le nombre et la gravité n'ont cessé de croître depuis la fin 1996- ne sont pas commises uniquement par les ex-FAR et les groupes armés qui leur sont liés, mais également par les soldats de l'APR. Le mandat de la commission doit tenir compte du fait que certaines des armes et des munitions utilisées par les groupes armés d'opposition opérant au Rwanda (qu'ils soient composés de membres des ex-FAR ou d'autres éléments) ont été prises à des soldats de l'APR.

La commission devrait aussi mener des enquêtes exhaustives sur les livraisons d'armes et d'équipements militaires faites aux forces de sécurité rwandaises actuelles et aux groupes armés d'opposition par les forces de sécurité et les groupes armés du Burundi, de la RDC et de l'Ouganda, ou par leur intermédiaire, ainsi que par d'autres pays voisins. Des liens étroits continuent d'exister entre ces forces et leurs homologues au Rwanda, et les frontières entre ces pays sont assez perméables pour permettre d'effectuer sans difficulté des transferts d'armes et d'équipements militaires dans la région. Cette perspective élargie peut aider la commission à mieux comprendre les dimensions régionales du conflit rwandais et à prendre conscience de l'effet dévastateur des transferts d'armes -licites ou illicites-, qui favorisent les violations massives des droits humains dans plusieurs pays de la région.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies doit veiller à ce que la commission d'enquête dispose de soutiens politiques et de rssources financières suffisants pour inclure ces différents éléments dans son mandat, et il doit demander à tous les gouvernements concernés de coopérer pleinement avec elle. Amnesty International invite instamment les Etats membres des Nations Unies à assumer leur responsabilité et donc à apporter leur indispensable contribution financière, afin que la commission puisse travailler efficacement.

  1. On trouvera des exemples de ces livraisons d'armes aux ex-forces armées rwandaises, en 1994 et en 1995, dans le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. Les auteurs du génocide reçoivent toujours des armes (index AI : AFR 02/14/95, 13 juin 1995)
  2. Des officiers de l'APR avaient préalablement suivi un cours de formation au pilotage des avions et des hélicoptères en octobre 1996, en Afrique du Sud, comme en fait état le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. Rompre le silence, op.cit.
  3. Le rapport d'Amnesty International publié sous le titre Rwanda. Les civils pris au piège dans le conflit armé, op.cit., en fournit quelques exemples.
  4. Des précisions sur les liens militaires entre les Etats-Unis et le Rwanda figurent dans le rapport d'Amnesty International intitulé Rwanda. Rompre le silence, op.cit.
  5. Au nombre des changements importants survenus depuis 1996, citons les attaques contre les camps de réfugiés dans l'ex-Zaïre, menées par l'AFDL, et des soldats de l'APR, et qui ont fait des dizaines de milliers de morts ou de " disparus " parmi les réfugiés rwandais ; rappelons également la changement de gouvernement intervenu dans l'ex-Zaïre -devenu la République démocratique du Congo- après que l'AFDL et ses alliés eurent chassé l'ex-président Mobutu ; mentionnons encore le rapatriement forcé de centaines de milliers de réfugiés rwandais par la RDC, la Tanzanie et le Burundi ; relevons enfin l'interdiction du conflit armé sur le territoire rwandais.

 

  1. Les massacres de civils non armés par l'APR
  2. " Les militaires arrivent, ils brûlent, ils razzient, ils pillent. Notre maison a été brûlée, et nous avons pris la fuite. Et comme le malheur n'arrive pas seul, ma mère a été tuée (...). Ã soixante-cinq ans, elle n'a pas pu se sauver lorsque les hommes en armes approchaient, et elle s'eest cachée dans un ravin. C'est alors que l'un d'entre eux l'a tuée d'une balle dans la tête (...) Personne n'ose pointer du doigt les assassins parce qu'ils ont la force des armes ".

    Témoignage anonyme recueilli au Rwanda en aveil 1998

    Des milliers de civils non armés ont été exécutés de façon extrajudiciaire par les soldats de l'APR lors d'opérations de ratissage menées dans le nord-ouest du pays. Ces opérations militaires ont officiellement pour objectif d'arrêter des rebelles, mais la plupart du temps, ces derniers ont déjà quitté les lieux lorsqu'arrive l'armée. Dans certains cas, des civils tutsi armés ont participé à des massacres, essentiellement de civils hutu, avec la coopération active ou passive des militaires ; en outre, selon certaines informations, des soldats auraient distribué des armes aux populations tutsi de la région.

    Le 23 décembre 1997, une opération militaire a été lancée dans la commune de Nyamutera (préfecture de Ruhengeri). Un certain nombre de personnes ont trouvé la mort dans leur maison en flammes, dont deux soeurs, Liberata et Alphonsine, ainsi que les deux enfants de cette dernière, un petit garçon de cinq ans et une fillette de deux ans.

    Début janvier 1998, un nombre indéterminé de personnes ont été tuées pendant et à la suite d'affrontements entre les soldats de l'APR et les membres d'un groupe armé d'opposition, dans le secteur de Raba, commune de Rushashi (préfecture de Kigali-zone rurale). De nombreux civils ont tenté de quitter cette zone pour échapper aux combats. Des femmes et des personnes âgées, dans l'impossibilité de fuir, auraient été tuées chez elles par les soldats de l'APR lors d'une opération militaire qui s'est déroulés autour du 6 juin. Parmi les victimes figureraient notamment Bendantunguka et Bahizi, tous deux septuagénaires., Sembare et Komonyo, qui avaient dans les 80 ans, et la femme de Ndumiwe, âgée d'une soixante d'années.

    Le 13 janvier 1998, à l'issue d'une série d'opérations militaire intensives destinées à la recherche de rebelles dans la commune de Kinigi (préfecture de Ruhengeri), les soldats de l'APR auraient encerclé la cellule de Kinege, dans la secteur de Ginasa, et tué plus de 60 personnes, dont Jaffet Kanyarwunga, 61 ans, ses deux épouses Sifora (63 ans) et Marthe (57 ans), leurs quatre enfants, ainsi que Kayihura (71 ans), Ndahayo (14 ans) et Justine Mukabarera (23 ans). Un certain nombre de soldats et de rebelles auraient également été tués au cours des combats qui ont suivi.

    Les 7 et 8 février 1998, les forces de l'APR lancées à la poursuite de rebelles auraient massacré une centaine de civils à Bushobyo, Shonyi et Rugonero, dans la commune de Kanama (préfecture de Gisenyi). Pierre, maçon de profession, Victor, ancien ouvrier typographe, Ndayambaje, paysan, et Jeanne, commerçante, faisaient partie des victimes.

    Selon des sources émanant de la région de Gisenyi, les populations déplacées en raison des combats et des massacres auraient été encouragées par les soldats de l'APR à revenir dans leurs villages d'origine sous prétexte que la sécurité y était rétablie. Au cours d'une réunion publique qui s'est tenue le 19 février 1998 dans le secteur de Busogo, commune de Mukingo (préfecture de Ruhengeri), un commandant local de l'APR aurait déclaré aux personnes déplacées : " Il faut aller mourir là chez vous et non venir contaminer les autres ". Beaucoup n'ont eu d'autre choix que d'obéir à cette injonction. Début février 1998, plusieurs dizaines de paysans qui étaient retournés dans le secteur de Basa (commune de Rubavu, préfecture de Gisenyi), parce qu'on leur avait dit que la zone était calme, ont été regroupés par les soldats de l'APR avant d'être emmenés dans un véhicule militaire à la gendarmerie. Le lendemain, aux premières heures de la matinée, des voisins ont entendu pendant environ deux heures des détonations d'armes à feu à proximité de la gendarmerie. Les paysans n'ont jamais reparu ; on suppose qu'ils sont morts.

    À partir de la fin février et tout au long des mois de mars et d'avril 1998, des informations sont parvenues sur l'intensification du conflit armé dans la préfecture de Gitarama, dans le centre du pays (cf. également plus loin). Aux alentours du 13 mars 1998, suite à des affrontements entre l'armée et un groupe armé d'opposition dans un centre commercial de Kayenzi (préfecture de Gitarama), au cours desquels plusieurs " infiltrés " présumés auraient été tués, les soldats auraient regroupé un certain nombre d'habitants et les accusant d'aider l'opposition armée. Au moins sept personnes -deux femmes et cinq hommes- auraient été abattues par les soldats dans le secteur de Kayenzi, dans la commune du même nom.

    Vers le début avril 1998, un nombre indéterminé de personnes auraient été tuées par les soldats de l'APR à Kanyamatembe, commune de Kanama (préfecture de Gisenyi). Parmi les victimes se trouvaient Gasyomvono (15 ans), Ringira (13 ans), Birategetse (72 ans), Anastasie et son fils de 17 ans, Jules ; Anastasie aurait été tuée parce qu'elle refusait de laisser les soldats emmener son fils.

    Environ 150 personnes auraient été tuées le 12 mai 1998 lors d'une opération militaire dans le secteur de Birembo, commune de Giciye (préfecture de Gisenyi). Selon les témoignages, toutes les victimes étaient des civils non armés que les soldats de l'APR ont délibérément pris pour cibles. Il y avait parmi elles des personnes âgées, comme Rubyeyi (84 ans) et Bayazana Tamari (76 ans), un responsable de cellule du nom de Bagirurwimo (67 ans), ainsi que de jeunes enfants dont Uwamahoro (9 ans). Les soldats se seraient en outre livrés au pillage, et ils auraient mis le feu à plus de 30 maisons.

    En mai 1998, les forces de l'APR ont encerclé plusieurs zones dans le secteur de Gakenke, commune de Gatonde (préfecture de Ruhengeri). Un très grand nombre de civils non armés auraient été tués, dont au moins 40 personnes dans la cellule de Bukekera ; nombre des victimes étaient des personnes âgées, des femmes ou des enfants. Citons notamment les noms de Hiram Mpayimana (60 ans), de son fils François Cyubahiro (34 ans), de Jaffet (Mvukiyehe (80 ans), de son épouse Régine (75 ans), d'Alfred Sebatware, un enseignant d'une trentaine d'années, d'Atalie, une femme âgée de 45 ans, et de trois frères, Antoine et Zacharie Bipfuyekubaho, tous deux sexagénaires, et Bavakure, environ 50 ans. Les soldats de l'APR auraient utilisé des hélicoptères pour attaquer la zone. On ignore si les victimes mentionnées plus haut ont été tuées lors des attaques en hélicoptère ou si elles ont été abattues à leur domicile par les militaires. Cette fois encore, de nombreuses maisons ont été incendiées.

    Massacres dans la commune de Mukingo

    La commune de Mukingo, dans la préfecture de Ruhengeri, a été le théâtre de violences épouvantables, particulièrement durant les mois de janvier et de février 1998. Plusieurs centaines de civils auraient trouvé la mort au cours de cette période ; en outre, de nombreux soldats de l'APR et des combattants des groupes armés d'opposition ont également été tués. D'après une source locale, plus de 350 maisons ont été brûlées dans au moins six secteurs différents, entre le 30 janvier et le 24 février.

    Au lendemain d'une opération militaire menée le 21 janvier dans les secteurs de Shingiro et de Muhingo, plus de 200 cadavres ont été recensés, dont la moitié environ étaient ceux de jeunes enfants et de bébés. Parmi les victimes figuraient également une cinquantaine de jeunes hommes que les soldats de l'APS avaient séparés du reste de la population, après avoir regroupé celle-ci dans la cellule de Mucaca (secteur de Shingiro). Les soldats auraient abattu ces hommes après leur avoir ligoté les bras dans le dos.

    Le 24 janvier 1998, dans différentes cellules du secteur de Nyabirehe, plus de 120 personnes auraient été massacrées par les soldats de l'APR, aidés de civils tutsi armés originaires de la région. Certaines des victimes ont été tuées à coups de baïonnette et de couteau ; d'autres ont eu le crâne défoncé à coups de pierre ; d'autres encore, essentiellement des femmes et des enfants, auraient été brûlées vives dans leur maison ; c'est notamment ce qui est arrivé à plus de 20 personnes dans la cellule de Gahira. Aucune arme à feu n'aurait apparemment été utilisée. Une source locale a déclaré que les victimes -surtout les hommes- étaient ligotées les bras dans le dos pour prévenir toute résistance. Il semble qu'ensuite, on leur faisait poser la tête sur une large pierre, puis on leur fracassait le crâne avec une autre pierre. Des témoins arrivés sur les lieux peu après ont affirmé avoir vu des traces de sang et des cheveux sur les pierres de l'endroit. Simon Kagano, la cinquantaine, est l'une des personnes assassinées de cette façon. Rukangagara, un homme d'environ 75 ans, a succombé des suites de multiples blessures causées par un couteau. Amnesty International a reçu les noms de plus de 50 autres victimes de cette tuerie.

    Amnesty International a également obtenu les noms de plus de 120 personnes massacrées, semble-t-il, lors d'opérations militaires qui se sont déroulées en février, toujours dans la commune de Mukingo. Il s'agit notamment de 20 personnes tuées le 8 février dans le secteur de Rwinzovu, de plus de 70 autres assassinées le 9 février dans les secteurs de Shingiro, de Kimonyi, de Muhingo, de Gikoro, de Rwinzovu, de Gataraga et de Nyabirehe, et de plus de 20 autres encore qui ont trouvé la mort le 23 février, de nouveau dans les secteurs de Gataraga et de Shingiro. La majorité des victimes auraient été tuées à coups de couteau, de barre de fer ou de pierre.

    Le 21 février 1998, des affrontements violents ont opposé les forces de l'APR aux rebelles, suite à une embuscade organisée par un groupe armé d'opposition dans le secteur de Gikoro, au cours de laquelle une vingtaine de soldats auraient été tuées. Lors d'une opération militaire visant à pourchasser les rebelles, les soldats de l'APR auraient incendié plus de 50 maisons de Gikoro et des secteurs voisins. De nombreux habitants ont fui la zone pour se mettre en sécurité, mais certains n'en ont pas eu la force. C'est ainsi qu'au moins quatre personnes âgées auraient été tuées par l'APR à proximité des bureaux de l'administration communale de Mukingo : il s'agit de Nyiramarora (76 ans), de Nyisarugese (84 ans), de Sebakara et de Sebicyrare, tous deux nonagénaires.

    Les combats entre l'APR et les rebelles se poursuivent dans la commune de Mukingo depuis mars 1998, et d'autres massacres de civils non armés ont été signalés. C'est ainsi qu'au moins huit personnes auraient été tuées le 3 mai 1998 par des soldats lors d'une opération militaire dans le secteur de Rwinzovu. Parmi les victimes fugirient Harelimana (62 ans), Serugali (72 ans), Gahutu (12 ans) et Mahirwe (2 ans). Les soldats se seraient également livrés à de nombreux vols de bovins ou autre bétail appartenant aux habitants de la région.

    Massacres dans la commune de Rubavu en janvier 1998

    Amnesty International a reçu des informations précises, émanant de plusieurs sources indépendantes, concernant le massacre de plus de 300 civils non armés lors d'opérations militaires menées au cours de la première quinzaine de janvier 1998 dans les secteurs de Muhira et de Rugegero, dans la commune de Rubavu (préfecture de Gisenyi). Il semble que le massacre le plus atroce ait eu lieu le 11 janvier à Keya, dans le secteur de Muhira. L'opération militaire organisée ce jour-là était apparemment une réponse à l'attaque lancée la veille par un groupe armé d'opposition dans la commune voisine de Nyamyumba, au cours de laquelle plusieurs personnes avaient été tuées ; des bureaux et des véhicules de l'administration locale avaient aussi été incendiés.

    Aux alentours du 5 janvier, les autorités locales de la préfecture de Gisenyi ont organisé une réunion publique, au cours de laquelle elles auraient averti les habitants qu'ils seraient punis s'ils ne dénonçaient pas les rebelles de la région. La présence à la réunion était obligatoire. Les soldats sont allés chercher les gens chez eux pour les emmener à la réunion, y compris ceux qui étaient malades. Pendant et après la réunion, ils auraient tué une trentaine de personnes dans le voisinage. Certaines des personnes emmenées par les soldats au prétexte d'assister à la réunion auraient été tuées en chemin. Sebazungu, sa femme et plusieurs de ses proches auraient ainsi été brûlés vifs dans une maison du secteur de Murara.

    Dans la matinée du 6 janvier, un très grand nombre de personnes auraient été tuées dans le secteur de Rugerero, dont certaines dans leurs propre maison. Vers le 11 janvier, 30 autres personnes auraient été massacrées dans la commune voisine de Nyamyumba, où elles étaient venues se réfugier pour échapper aux violences. Certes d'entre elles, comme Thérèse Sukiranya, une femme âgée du nom de Suzanne et sa fille Nyirahumure, auraient été abattues et leur corps, brûlé ; elles ont été par la suite ensevelies dans des fosses communes. D'autres corps ont été retrouvés sur les berges de la rivière.

    Le 11 janvier, les soldats de l'APR ont lancé une nouvelle opération dans le secteur de Muhira. Parmi les personnes tuées à leur domicile figuraient Wenceslas (42 ans) et son frère Joseph Twagiramungu (34 ans), à qui on aurait ordonné de s'agenoulller avant de les abattre sur-le-champ.

    Les soldats ont ensuite encerclé la cellule de Keya, où ils ont massacré entre 200 et 300 personnes. D'après le récit d'un témoin, ils ont rassemblé les habitants, puis ont séparé les hommes, les femmes et les enfants, chaque groupe dans un endroit différent. Après avoir pris aux victimes tout l'argent qu'elles avaient sur elles, les soldats les auraient abattues. D'autres personnes ont été tuées chez elles. Les soldats auraient ensuite entassé les corps dans les maisons, avant d'y mettre le feu.

    Amnesty International a reçu une liste comportant les noms de plus de 200 des victimes tuées à Keya. En voici quelques-uns : un couple d'une trentaine d'années, Emmanuel Rutikanga, fonctionnaire de justice, et sa femme Thérèse Mujawayezu, institutrice, ainsi que leurs quatre enfants ; Frida Mukamwezi, ancienne infirmière âgée d'une vingtaine d'années ; Angéline Ndavakure, une veuve de 45 ans, et ses six enfants ; Alhponse Mihigo, ensengnant de 43 ans, sa femme Philimène Murekatete, 39 ans, et leurs sept enfants dont le plus jeune avait 4 ans ; Dismas Sinumyavo (68 ans), son épouse Cécile (65 ans), leurs fils Vincent et Vianney -ainsi que la femme de Vianney, Florida, et leurs six enfants- et leurs cinq filles, Dative Uwimana, Pélagie Uwamahoro, Consolée Mukamuhire, Illuminata et Béata ; Spiridion Ndimubanzi, charpentier d'environ 70 ans, sa femme et leurs quatre plus jeunes enfants ; Jean (70 ans) et sa femme Margarita (69 ans) ; Ignace (53 ans), sa femme Thérèse, leurs six fils -Janvier, Jean-Damascène, Théogène et Kigingi (qui avaient tous entre 20 et 30 ans), Pierre (18 ans) et Edouard (17 ans)-, leur fille Nyiramuha et leurs deux belles-filles Innocentia et Maria, toutes âgées de moins de 30 ans, plus leurs quatre petits enfants dont le plus âgé avait à peine 4 ans ; Magdalene Nyirangaruye (60 ans) et sa fille Midari (40 ans) ; Mushamburere (43 ans), sa femme Régina et leurs sept enfants ; Godefroid (48 ans), sa femme Astérie et leurs huit enfants.

    Trois personnes qui avaient survécu au massacre auraient été tuées au cours des jours suivants alors qu'elles étaient revenues sur les lieux pour tenter de rassembler quelques biens.

    Au matin du 12 janvier, les soldats de l'APR ont bouclé le secteur de Rugerero, puis sont allés de maison en maison, tirant semble-t-ul sur toute personne suspecte aperçue dans cette zone ; plus de 30 personnes ont été tuées. Parmi les victimes figuraient Emmanuel Mirasano (57 ans), ancien bourgmestre de la commune de Rubavu, et une vingtaine de personnes qui avaient trouvé refuge chez lui, dont Blandine Nyiragire, son mari et ses quatre enfants (dont un bébé de 6 mois à peine). Théogène (14 ans), et cinq autre enfants dont les parents avaient été tués en août 1997 lors de diverses opérations militaires. Le cousin d'Emmanuel Mirasano, Dieudonné Iyamuremye (32 ans) s'est rendu sur les lieux du massacre le 13 janvier. Il a été tué trois jours plus tard, le 16 janvier, à son domicile de Gisenyi, en même temps que son frère Janvier Kwisanga, âgé de 22 ans. Il se peut que Dieudonné Iyamuremye ait été spécifiquement visé pour s'être trouvé sur les lieux de la tuerie dès le lendemain et pour avoir révélé en partie ce qui s'était passé.

    Le 14 janvier, cinq soldats de l'APR se sont présentés au domicile d'Elisa Ntamakiriro, une femme âgée de 70 ou 80 ans qui habitait dans la cellule de Rasamaza (scteur de Muhira). Ils lui auraient ordonné de se déshabiller devant chez elle, puis lui auraient tiré une balle dans la bouche. Ils ont également tué Pontien Turimubumwe (22 ans), qui vivait chez Elisa Ntamakiriro depuis que sa mère et sa soeur avaient été tuées en août 1997.

    La commune de Rubavu avait déjà été le théâtre d'extrêmes violences depuis octobre 1997, suite à une période d'intenses combats entre les soldats de l'APR et les groupes armés d'opposition. Selon des sources locales, près de 400 personnes auraient été tuées entre octobre et décembre 1997, la plupart dans les secteurs de Bulinda et de Murara, d'autres dans ceux de Rugerero, de Muhira et de Gisa. D'après ces mêmes sources, la majorité des massacres de civils commis au cours de cette période seraient le fait des soldats de l'APR. Amnesty International a reçu les noms de plus de 150 voctimes, hommes, femmes ou enfants ; parfois, des familles entières ont été massacrées. Des soldats de l'APR et des combattants des groupes armés d'opposition ont également été tués.

    Informations complémentaires concernant les massacres perpétrés dans la commune de Bulinga en décembre 1997 et en avril 1998

    Dans son rapport de décembre 1997, intitulé Rwanda. Les civils pris au piège dans le conflit armé (op.cit.), Amnesty International recense un certain nombre de massacres survenus dans la commune de Bulinga (préfecture de Gitarama) pendant et après l'attaque du cachot communal par des groupes armés, le 3 décembre. L'Organisation a depuis lors recueilli de nouvelles informations sur les événements qui se sont produits au cours des jours suivants. L'attaque en hélicoptères lancée par l'APR -qui a immédiatement suivi celle des groupes armés à Bulinga- n'a pas eu lieu à Bulinga même, comme cela a été dit dans un premier temps, mais dans la commune voisine de Nyabikenke.

    Le 4 décembre, un certain nombre de personnes ont été tuées dans la commune de Bulinga lors d'une offensive de l'APR, qui agissait apparemment à titre de représailles après l'attaque menée par les groupes armés. Parmi les victimes recensées dans le secteur de Remera figuraient Kanyogote et huit personnes qui se trouvaient chez lui -dont son petit fils-, Mathias Niwanshuti, sa femme et ses enfants, les dux fils de Rusatsi et le fils d'une femme nommée Languida.

    Le 11 décembre, les forces de l'APR auraient aussi tué un certain nombre de personnes dans le secteur de Nyarutovu, dont Jean Gashumba, Eulade Ntawirinda, Virginie, Ruberakurora et Nsabimana. Il s'agissait vraisemblablement d'une opération de représailles faisant suite à une attaque survenue le 10 décembre et imputée à un groupe armé d'opposition (cf. plus loin).

    Courant décembre, les soldats de l'APR ont également tué un certain nombre de détenus qui avaient été libérés du cahot de Bulinga le 3 décembre ; certains n'avaient pas signalé leur libération aux autorités locales, comme cela leur avait été ordonné. Alphonse, Semanwa, un charpentier appelé Gaheto et un électricien connu sous le nom de Makanika figuraient parmi les victimes. Le 13 décembre, un ancien enseignant, Narcisse Nsengiyumva, et Célestin Uwizeyimana, connu sous le nom de Kibuye, auraient été tués par des membres des forces de sécurité en présence d'un responsable civil de l'administration locale. Thomas Ngendahimana -ancien fonctionnaire locale-, sa femme Dative Kakuze et son fils Anaclet Kayitano ont été tués aux alentours du 6 décembre ; ils étaient d'anciens détenus auxquels on avait dit de se présenter au bureau local après leur libération. D'autres personnes ont été tuées dans le cachot même : plusieurs détenus, dont un ancien comptable du nom de Désiré Degeri, Rugwizangoga et Mbarubucyeye, auraient été appelés par les soldats, puis abattus. D'autres victimes encore, dont un ancien enseignant, Boniface Rugwizangoga, et sa femme Perpétue Nyirabakiga, auraient été tuées derrière les bureaux de l'administration locale, vers le 26 décembre.

    Les proches de certains détenus ont également été pris pour cibles : Florent Ntabashwa, âgé d'une vingtaine d'années, a été abattu à son domicile début décembre parce qu'il refusait de dire où se trouvait son père, ancien détenu, aux soldats qui l'interrogeaient.

    Fin décembre, deux instituteurs, Jean-Baptiste et Kabano, auraient été arrêtés par des responsables civils et militaires alors qu'ils marchaient sur une route, puis placés en détention dans le cachot de Bulinga. Le lendemain, il semble qu'ils ne s'y trouvaient plus. Leurs corps ont été retrouvés dans un fossé le jour suivant ; ils avaient été tués à coups de marteau et de gourdin.

    Le 9 ou le 10 avril 1998, une autre attaque a visé le cachot de Bulinga, mais on en ignore les circonstances exactes. Un certain nombre de détenus libérés pendant l'attaque sont retournée au bureau de l'administration communale pour s'y faire enregistrer, comme cela leur avait été demandé par les autorités locales. Au moins 12 d'entre eux auraient été tués, dont Jean-Baptiste Havugimana -un enseignant-, Sylvère Habyarimana, Léonidas Ntamashakiro, Jean-Damascène Munyampirwa, Fidèle Kamonyo, Epaphrodite Ntampaka et Jean Ntabashwa.

    Polémique autour du massacre de la grotte de Nyakimana

    Dans son rapport intitulé Rwanda. Les civils pris au piège dans le conflit armé (op.cit.), Amnesty International signalait également qu'un grand nombre de civils non armés -entre 5000 et 8000 selon les sources locales- avaient été tuées entre le 23 et le 28 octobre par les soldats de l'APR, dans la grande grotte de Nyakimana, située dans la commune de Kanama (préfecture de Gisenyi). Des représentants du gouvernement rwandais ont mis en doute le compte rendu de l'Organisation sur ce massacre. Depuis la publication du rapport au mois de décembre, Amnesty International a recueilli de nouvelles informations confirmant sa description des circonstances dans lesquelles se sont produits les événements de Nyakimana. Toutefois, comme nous l'avons déja dit, le nombre total des victimes n'est toujours pas connu, les corps n'ayant pas été retrouvés. Il n'est pas non plus possible de dire avec certitude combien de personnes ont été tuées directement par les soldats de l'APR et combien d'autres sont peut-être mortes de faim, de soif ou pour d'autres raisons.

    Suite à l'importante publicité faite autour des informations concernant ce massacre, des représentants de gouvernements étrangers et d'organisations internationales se sont rendus sur les lieux, à l'invitation des autorités rwandaises, et se sont vu indiquer les entrées de la grotte. Toutefois, ni les autorités rwandaises, ni les organisations locales ou internationales, ni aucun gouvernement étranger n'ont mené une enquête sur les morts survenues à l'intérieur de la grotte.

    Parmi les personnes conduites à la grotte en décembre 1997 figurait Davud J. Scheffer, ambassadeur itinérant des Etats-Unis chargé des crimes de guerre, qui se trouvait au Rwanda pour enquêter principalement sur le massacre de plus de 300 réfugiés congolais, tués à Mudende (préfecture de Gisenyi) par un groupe armé d'opposition (cf plus loin). Pas plus que les autres personnes escortées vers le site par l'APR, il n'y pu mener d'enquête approfondie sur le massacre, ce qui ne l'empêche pas de conclure ainsi son rapport du 16 décembre 1997 : " Il n'existe visiblement aucun élément plausible prouvant que des milliers de civils aient été tués par les forces de l'APR dans ces grottes d'origine volcanique (...). Certains éléments indiquent toutefois que des être humains sont bien morts dans ces grottes ". David J. Scheffet ajoute : " L'odeur de mort (...) n'était pas aussi suffocante que celle qu'il m'a été donné de sentir lors de l'exhumation de centaines de corps (...). S'il y avait eu des milliers de cadavres dans ces grottes, l'odeur de mort aurait été bien plus présente, et les mouches plus nombreuses. Je doute également que l'APR ait pu ou ait voulu pénétrer dans ces grottes pour y commette un tel nombre d'homicides ". Le rapport recommande aux représentants des Etats-Unis au Rwanda de continuer à surveiller la présence de l'APR aux entrées de la grotte, ainsi que le nombre de civils revenant dans le voisinage, et de se tenir prêts à examiner les restes humains trouvés dans la grotte dès que la sécurité le permettra. Six mois plus tard, le gouvernement américain ne semble pas avoir mis en oeuvre cette recommandation.

    Amnesty International comprend que le climat général d'insécurité dans la région et le manque d'équipements techniques appropriés aient pu empêcher d'enquêter immédiatement à l'intérieur de la grotte. Il n'en demeure pas moins qu'une telle enquête est indispensable si l'on veut établir la vérité sur ce qui s'est produit et informer les familles des victimes. L'Organisation demande qu'une enquête indépendante soit ouverte de toute urgence sur cette affaire et que les gouvernements étrangers ou les organisations intergouvernementales, notamment les organismes des Nations Unies concernés, fournissent tout ce qui est nécessaire en matière d'équipements techniques, de fonds et de moyens de sécurité pour mener cette enquête à bien. Les autorités rwandaises se doivent de coopérer pleinement afin que toute la lumière soit faite. Amnesty International demeure prête à apporter des rectificatifs à ses déclarations antérieures si une enquête indépendante démontre que celles-ci étaient inexactes.

     

  3. Les massacres de civils non armés par les groupes armés d'opposition
  4. Le nombre de massacres de civils non armés par les groupes armés d'opposition a également augmenté au cours de ces derniers mois. La composition exacte de ces groupes, leur direction et leur organisation nous sont encore inconnues. On y retrouverait des membres des ex-FAR et des milices ayant participé au génocide de 1994, mais on ignore quelle est la proportion d'anciens et de nouveaux combattants.

    Si, dans certains cas, il semble que les civils tutsi copnstituent l'objectif spécifique de leurs attaques, il arrive de plus en plus souvent que des Tutsi et des Hutu soient tués sans aucune distinction. Certains civils hutu ont été plus particulièrement visés en raison de leur rôle présumé en tant que collaborateurs ou informateurs des autorités, d'autres pour avoir refusé de rejoindre les rangs des groupes armés ; régulièrement, en effet, des informations font état de recrutement forcé. Les autorités civiles de l'administration locale -les responsables de cellule ou les conseillers de secteur, par exemple- ont également été pris pour cibles. L'une des tactiques les plus fréquemment utilisées par l'opposition armée consiste à organiser des embuscades sur les routes, puis à incendier les véhicules et à tuer tous les occupants sans distinction. Les bâtiments publics, comme les bureaux de l'administration locale et les écoles, sont également visés. Les personnes habitant les zones où opèrent les groupes armés ont signalé qu'ils trouvent souvent des messages écrits placés en différents endroits pour annoncer l'imminence d'une attaque.

    Dans la nuit du 10 décembre 1997, plusieurs personnes ont été tuées dans le secteur de Nyarutovu, commune de Bulinga (préfecture de Gitarama, lors d'une attaque dont la responsabilité a été attribuée à un groupe armé d'opposition. Parmi les victimes figuraient Joseph Nzirorera, Boniface Musoni -responsable de la cellule de Kinigi-, Augustin Harindintwari et Révérien Ntubugaruka. Ces homicides ont été commis à la suite de l'attaque contre le cachot de Bulinga, le 3 décembre, et des massacres de représailles imputés à l'APR (cf plus haut).

    Les groupes armés d'opposition seraient à l'origine de plusieurs attaques menées fin 1997 dans la préfecture de Kigali -zone rurale, notamment dans la commune de Rushashi. Le 17 décembre 1997, par exemple, un conseiller du secteur de Minazi, Jean-Damascène Bimenyimana, a été tué, ainsi que sa mère Judith Dusengimana. On pense qu'il a été pris pour cible en raison de sa qualité de fonctionnaire du gouvernement ; il avait, semble-t-il, dénoncé des rebelles présumés et organisé leur arrestation.

    Le 27 décembre 1997, des hommes armés ont massacré au moins 28 personnes, membres de trois familles différentes, dans le secteur de Kaya, commune de Nyakinama (préfecture de Ruhengeri). Certaines des victimes étaient soupçonnées d'avoir révélé à l'APR l'endroit où se cachaient des groupes armés. Egalement fin décembre, au moins neuf personnes soupçonnées d'entretenir des liens étroits avec les autorités auraient été tuées à Mburabutoro, commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri), à Murambi et à Gitega, commune de Gaseke (préfecture de Gisenyi), ainsi qu'à Bumba, commune de Karago (préfecture de Gisenyi).

    De même, six personnes accusées de collaborer avec l'APR auraient été tuées par un groupe armé dans le secteur de Rwinzovu, commune de Mukingo (préfecture de Ruhengeri), aux alentours du 9 janvier 1998. Parmi les victimes figuraient Ayinkamiye -une femme d'une vingtaine d'années-, Bamenyakunda, 22 ans, et Théophile Tegereza, 17 ans.

    Le 19 janvier au matin, dans la préfecture de Gisenyi, des groupes armés d'opposition auraient massacré une quarantaine de personnes lors de l'attaque d'un car transportant des ouvriers de la Brasserie et limonaderie du Rwanda (BRALIRWA), la plus importante entreprise nationale de ce type. Le car, qui avait à son bord quelque 80 passagers dont la plupart étaient des employés de la brasserie, est tombé dans une embuscade sur la route principale, à quelques kilomètres des locaux de BRALIRWA, dans la commune de Nyamyumba. Les assaillants auraient tiré dans les pneux du car, puis ils l'auraient aspergé d'essence avant d'y mettre le feu. De nombreux passagers, pris au piège à l'intérieur, ont été brûlés vifs. Lorsque la population locale est arrivée sur les lieux, nombre de corps n'étaient déjà plus identifiables car ils avaient été réduits en cendres. Une dizaine de personnes ont été abattues à l'extérieur du car alors qu'elles tentaient de fuir. Au total, quelque 40 victimes sont à déplorer, aussi bien hutu que tutsi ; un nombre au moins aussi important de passagers ont été grièvement blessés. Jean Munyamashara, Barnabé Ruberwa, Gonzalve Karangura, Athanasie Muhimpundu, Bishirandora, Marie Masengesho, Adamu et sa femme, Maisha Munyakazi, Vénuste, Ignace Habyarimana, Godefroid, Jean-Damascène et Aimé se trouvaient parmi les victimes. La plupart des personnes interrogées par Amnesty International ont attribué la responsabilité de cette attaque aux groupes armés d'opposition. Quelques-unes, cependant, ont déclaré que les auteurs pouvaient être des soldats de l'APR.

    En l'espace de deux jours seulement, une centaine de civils ont été tués au cours de deux attaques distinctes imputées aux groupes armés d'opposition. Dans la soirée du 5 février 1998, l'attaque menée par un groupe armé d'opposition dans les cellules de Nyamutekera et de Kabatezi, secteur de Jenda, commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri) a fait plus de 40 morts et de 20 blessés parmi la population civile. Au nombre des victimes figuraient notamment Sebahatu, Mucocori, Rudatinya et Gaudence. Le lendemain, des massacres auraient été commis en représailles par des civils tuti, avec le renfort de soldats de l'APR ; on ignore le nombre des victimes. Dans la nuit du 6 au 7 février 1998, les membres d'un groupe armé d'opposition ont encore tué entre 50 et 60 civils, hommes, femmes et enfants, aussi bien hutu que tutsi, dans un camp pour personnes déplacées situé à Byahi, au nord de la ville de Gisenyi. Les victimes auraient été tuées à coups de machette, de baïnonnette et de couteau. Il y a également eu de nombreux blessés.

    Dans la nuit du 29 au 30 mars 1998, neuf personnes auraient été tuées par un groupe armé d'opposition dans la commune de Nyabikenke (préfecture de Gitarama). Parmi les victimes figuraient Charles Komeza et sa femme Laurence Nyirampundu, tous deux septuagénaires, ainsi que Fidèle Nkejabagabo et ses deux fils. Il semblerait que Charles Komeza ait été spécifiquement visé en raison de sa collaboration présumée avec les autorités. Son corps et celui de sa femme auraient été retrouvés décapités.

    Lors de leur séjour au Rwanda en février 1998, les délégués d'Amnesty International ont recueilli de nouvelles informations sur le massacre de plus de 300 réfugiés congolais commis le 11 décembre 1997 à Mudende (préfecture de Gisenyi) par des groupes armés d'opposition (Note11). Au camp de réfugiés de Gihembe à Byumba, dans le nord du Rwanda, où les réfugiés ont été transférés après l'attaque, ils ont pu interroger des témoins du massacre ainsi que de nombreux réfugiés ayant perdu de proches parents. Un homme, qui avait reçu une balle dans la jambe, a déclaré qu'il avait assisté à l'attaque, posté à la fenêtre d'un bâtiment du camp. Une vieille femme, dont le fils aîné et deux petites filles de deux et trois ans ont été tués, a suivi le déroulement du massacre de sa cachette, sous un lit du dispensaire. Il y avait alors plus de 100 personnes dans le dispensaire ; elle a affirmé être l'unique survivante. Elle est restée cachée sous le lit lusqu'au lendemain matin. Parmi les victimes figuraient Kwitegetse et son fils de 18 ans, Nyirakamodoka et son fils Mavuo (5 ans), Edouard (2 ans), Domina (36 ans) et sa fille de 2 ans, Nyirabagisha et ses deux enfants de moins de 2 ans, Midagu (72 ans), Rutsibuka (70 ans), Joli (10 ans), Nyarameteri (45 ans), Kyarankotsa (30 ans), et son fils de 2 ans, et Nyarabukara (16 ans).

    Outre les cas rapportés plus haut, l'Agence de presse rwandaise a souvent fait état d'autres massacres attribués aux " infiltrés ". Dans de nombreux cas, il n'a pas été possible de vérifier les circonstances axectes et l'ampleur de ces massacres, ni de confirmer l'identité de leurs auteurs.

    (11) Pour plus de précisions concernant ce massacre, se reporter au chapitre 2.2 du document index AI : AFR 47/43/97, ibid.

     

  5. Les massacres dont les auteurs n'ont pas été identifiés

Les auteurs de nombreux homicides délibérés et arbitraires de civils n'ont pas été identifiés. Il n'existe souvent aucune indication claire quant à leur identité ou leurs motifs, ce qui rend les enquêtes difficiles. Dans d'autres cas, les affirmations et les interprétations se contrdisent quant à savoir qui, des soldats de l'APR ou des groupes armés d'opposition, est responsable de tel ou tel acte.

Une des vagues de massacres a touché la commune de Rushashi, préfecture de Kigali-zone rurale, de novembre 1997 à janvier 1998. De nombreux fonctionnaires de l'administration civile locale figuraient parmi les victimes. Le 13 novembre, par exemple, 12 personnes ont été tuées lorsque plusieurs maisons ont été attaquées dans le secteur de Gatare, commune de Rushashi. Athanase Rugwizimbaraga, conseiller du secteur, était au nombre des victimes, ainsi que ses deux épouses et ses trois fils. Des informations contradictoires attribuent la responsabilité de cette tuerie soit à un groupe armé d'opposition, soit à l'APR.

Le 25 décembre 1997, quelques jours après des affrontements entre les forces de l'APR et des groupes armés, plus de 50 personnes auraient été tuées en différents endroits du secteur de Raba (commune de Rushashi, préfecture de Kigali-zone rurale), avec des armes à feu ou des armes traditionnelles. Parmi les victimes se trouvaient Albert Mivumbi et ses enfants, Matako, sa femme et ses tois enfants, Rukera, sa femme et ses deux enfants, le responsable de la cellule de Mutara, ainsi que la femme du responsable de la cellule de Bikonde et ses quatre enfants. L'identité des meurtriers n'a pu être confirmée.

Le 7 janvier 1998, un ancien enseignant et fonctionnaire de l'administration locale a été tué avec se femme et ses enfants par des hommes armés en uniforme militaire, dans le secteur de Muyongwe, commune de Tare (préfecture de Kigali-zone rurale). Seul leur fils de 12 ans a survécu. On ignore l'identité des auteurs de cette tuerie, ainsi que leurs motifs.

Le 2 janvier 1998, l'abbé Jean-Marie Vianney Nsengumuremyi a été la cible de tirs alors qu'il était au volant de sa voiture, dans le secteur de Rugegero, commune de Rubavu (préfecture de Gisenyi). Il a échappé à la mort, mais a souffert de graves blessures à la jambe et à la cuisse. L'attaque a été menée par une dizaine d'inconnue armés. On ignore si Jean-Marie Vianney Nsengumuremyi était spécifiquement visé et, dans ce cas, pour quelle raison. Dans les jours qui ont suivi, plusieurs autres véhicules ont été attaqués sur la même route.

La responsabilité de certaines attaques a été publiquement et officiellement attriuée à des groupes armés d'opposition ; des sources dignes de foi ont outefois indiqué que les auteurs pouvaient en être des soldats de l'APR. Citons le cas d'une attaque contre le couvent des Soeurs de la Résurrection, à Busasamana, dans la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi), où, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1998, sept religieuses et trois autres personnes ont été frappées à coups de machette. Cinq religieuses sont mortes sur le coup : il s'agit de Berthilde Mukamuhire, d'Epiphanie Gasigwa, de Césarine Uwimana, de Xavéra Mukagakwaya -toutes âgées de 30 ans à peine- et de Félicité Benimana (41 ans). Deux autres religieuses, grièvement blessées, ont été laissées pour mortes. L'une d'elles, soeur Devota Rwangeyo, a reçu une balle dans la tête et a succombé à l'hôpital, début février, des suites de ses blessures. Trois autres personnes -un gardien employé par le couvent, ainsi que la femme et le frère du catéchiste de la paroisse- on également été tuées. Les religieuses avaient reçu le conseil de quitter la région en raison du climat général d'insécurité régnant é Mutura, mais elles avaient refusé d'abandonner la population locale ; elles pensaient manifestatement qu'elles ne seraient pas prises pour cibles, se considérant comme neutres et sans engagements politiques. L'une des raisons pouvant expliquer cette attaque tient peut-être au fait qu'elles auraient offert l'hospitalité à des personnes dont les maisons avaient été incendiées par les soldats de l'APR.

Le 28 janvier 1998, André Ndikumana, ancien juge, et son domestique Joseph Nyampeta, ont été étranglés à leur domicile de Cyangugu, une ville du Sud-Ouest du pays. Leurs meurtriers portaient, semble-t-il, l'uniforme militaire, mais leur visage était dissimulé. Quelques semaines avant sa mort, André Ndikumana avait commencé à travailler comme interprète et représentants d'Avocats sans frontières, une organisation non gouvernementale belge présente au Rwanda et qui s'emploie à fournir une aide juridictionnelle aux victimes et aux accusés dans les procès pour participation au génocide. On ignore la raison pour laquelle il a été tué. Certains pensent que ce meurtre est à mettre en relation avec ses activités pour le compte d'Avocats sans frontières. Plusieurs autres juristes travaillant pour cette organisation ont également été victimes de violations des droits humains ; l'un a " disparu " en janvier 1997, un autre a été arrêté en septembre de la même année et se trouve toujours en prison, inculpé de participation au génocide, et plusieurs autres ont reçu des menaces. Le meurtre d'André Ndikumana pourrait également avoir pour toile de fond un litige foncier : quelques semaines avant sa mort, sa maison lui avait été restituée après avoir été occupée illégalement.

Le 31 janvier 1998, le père Vjeko Curic, un prêtre catholique de nationalité croate, a été tué en plein centre de Kigali. Il a reçu plusieurs balles dans la poitrine, tirées par un homme portant l'uniforme militaire selon certains témoins et habillé en civil selon d'autres. Le père Vjeko, qui était en possession d'une arme pour pouvoir se protéger, a eu le temps avant de mourir de tirer une fois sur son agresseur, le blessant à la jambe. Ce dernier a été aperçu alors qu'il s'enfuyait en courant. D'après certaines sources, il aurait ét. conduit à l'hôpital, mais d'autres affirment qu'il a été arrêté et laissé à la garde d'un fonctionnaire local, à qui il aurait faussé compagnie peu après. Quelle que soit la bonne version, les enquêtes officielles sur la mort du pète Vjeko ne semblent pas avoir progressé, bien que cette affaire ait fait l'objet d'une importante publicité et que plusieurs personnes ayant assisté au meurtre soient prêtes à témoigner.

Le père Vjeko, curé dans le diocèse de Kabgayi (préfecture de Gitarama), vivait au Rwanda depuis plus de quinze ans. Il était connu pour l'aide qu'il apportait indifféremment aux deux communautés, tutsi et hutu. Plusieurs hauts responsables du gouvernement rwandais ont assisté à ses obsèques. Le père Vjeko se savait en danger car il avait déjà été menacé à plusieurs reprises et avait échappé de peu à des attaques. Pour l'heure, Amnesty International n'est pas en mesure de confirmer les différentes raisons avancées pour expliquer son meurtre, dont voici quelques-unes : il aurait été en possession de très nombreuses informations concernant les violations des droits humains ; ou bien il aurait eu un différend avec des soldats qui faisaient pression sur lui pour qu'il trouve des maisons, alors que son programme d'aide au logement était destiné aux groupes en difficulté ; ou bien encore, des tensions avec ses collègues seraient apparues au sujet du budget dont il avait la charge.

Le 26 février 1998, une dizaine de personnes ont été tuées dans le secteur de Bihembe, commune de Bicumbi, préfecture de Kigali-zone rurale. Parmi les victimes figuraient Habimana, sa femme et leurs cinq enfants, qui auraient payé de leur vie le fait que Habimana venait de prendre des mesures pour se faire restituer ses biens. On dispose toutefois de trop peu d'éléments pour pouvoir désigner les auteurs de ces homicides.

Le 13 mai 1998, un nombre indéterminé de civils ont été tués dans les secteurs de de Mukirangwe et de Nyarutembe, commune de Nyamutera (préfecture de Ruhengeri). Parmi les victimes figuraient des personnes âgées, dont Hélève Nyiragahinda (86 ans), Ancile (66 ans), à moitié aveugle, Nyahire et François Kimonyo, et d'autres personnes dont Ragwiba, Patricie et Athanasie.

Ezechiel Ndibwani, juge au tribunal de première instance de la préfecture de Ruhengeri, a été tué dans la nuit du 27 au 28 mai 1998 à son domicile de Ruhengeri ; ses meurtriers -dont l'identité n'a pas été établie- l'ont décapité. Cet homicide pourrait être lié aux fonctions qu'Ezechiel Ndibwami occupait en tant que juge dans des procès de personnes accusées d'avoir pris part au génocide de 1994.

Massacres dans la préfecture de Gitarama

A la fin du mois de février 1998, une nouvelle flambée de violence a éclaté dans plusieurs communes de la préfecture de Gitarama. Au cours des mois de mars et d'avril, des affrontements ont opposé les soldats de l'APR à des membres de groupes armés d'opposition ; selon certaines informations, les deux camps auraient massacré des civils non armés dans plusieurs communes, notamment dans celles de Bulinga, de Mushubati, de Nyakabanda, de Kayenzi et de Rutobwe. Dans certains de ces massacres, déjà évoqués plus haut, des éléments indiquent qu'ils ont été commis soit par les soldats de l'APR, soit par des groupes armés d'opposition.

En outre, 11 personnes ont été tuées le 6 mars dans le secteur de Mara, commune de Rutobwe, dont Rukeratabaro, ses deux fils Gérald et Adrien, sa fille, son petit-fils, ainsi que plusieurs membres de la famille de Gisagara. Entre le 9 et le 13 mars, toujours dans la commune de Rutobwe, au moins 10 habitants du secteur de Cyubi auraient été massacrée, parmi lesquels Sylvère Karera, sa femme Marthe, son fils Gaetan, sa fille Mélanie, et son père Makashi. L'identité des meurtriers n'a pu être confirmée. Dans la nuit du 8 au 9 mars, neuf autres personnes ont été tuées à Murara, également dans la commune de Rutobwe ; au nombre des victimes figuraient Blandine, une octogénaire, plusieurs écoliers, et Kamananga, âgé d'environ six ans. Dans ce cas précis, des sources locales ont désigné plusieurs soldats basés dans la région comme ayant pu être impliqués dans cette attaque.

Le 10 avril, plus de 20 personnes auraient été tuées à l'aide d'armes traditionnelles après avoir été rassemblées de force à l'intérieur d'une maison dans la commune de Musambira (préfecture de Gitarama). Voici les noms de quelques unes de ces victimes : Gérard Habimana, se femme Nyirakimonyo et leurs trois enfants, Benoôt Murihano, sa femme Mukanzini et leurs cinq enfants, Catherine Urayeneza, ses deux fils et ses deux filles, ainsi que Bélancile Mujawayezu. La responsabilité du massacre a été attribuée aux rebelles. Selon certaines sources locales, ces derniers auraient toutefois bénéficié de la complicité de soldats de l'APR originaires de la région, qui auraient cherché à venger la mort de membres de leur propre famille assassinés durant le génocide.

Le lendemain dans la soirée, soit le 11 avril, le préfet de Gitarama, Désiré Nyandwi, a échappé de peu à une tentative de meurtre dans la commune de Nyamabuye, lorsque sa voiture a été prise dans une fusillade. Son chauffeur a été tué, ainsi que plusieurs autres personnes -dont trois femmes- qui voyageaient dans deux autres voitures, auxquelles les assaillants auraient mis le feu. L'identité de ces derniers n'a pu être établie avec certitude.

Découverte de cadavres non identifiés

Un certain nombre de cadavres qui, pour la plupart, n'ont pu être identifiés, ont été trouvés dans différentes régions du Rwanda. Les découvertes de ce genre se sont apparemment multipliées dans la capitale et sa banlieue, cers la fin décembre 1997 et en janvier 1998. Un homme a ainsi dénombré 12 corps non identifiés découverts dans les rues de Kigali en l'espace de trois semaines, aux alentours de Noël et du nouvel-an. Certains avaient été égorgés, d'autres décapités, d'autres encore poignardés dans le dos. Vers le mois de novembre 1997, huit corps auraient été trouvés à proximité d'un centre catholique pour la jeunesse à Gikoro (Kigali) ; ils présentaient des marques de blessure par balle. Si la famille des victimes ne peut être identifiée ou localisée, les corps sont simplement enterrés. Dans la plupart des cas, on pense que les victimes n'ont pas été tuées à l'endroit où elles sont retrouvées, mais que leur corps a été transporté là après coup. Le gouvernement affirme qu'il enquête sur les circonstances de ces morts, mais on ne sait rien des conclusions de ces investigations.

L'un des rares cas où un corps ainsi retrouvé a pu être identifié est celui de Placide Rurangirwa, un homme d'une trentaine d'années originaire de la préfecture de Ruhengeri, qui a été vu vivant pour la dernière fois le 1er janvier 1998 à Gisozi, non loinm d'un camp militaire, dans la préfecture de Kigali. Son cadavre a été découvert le lendemain.

Des cadavres ont également été retrouvés dans d'autres régions du pays. Fin décembre 1997 et en janvier 1998, plus de 30 corps non identifiés ont été découverts en trois endroits distincts de la préfecture d'Umatara, dans l'est du Rwanda (cf. plus haut, chapitre II.3). Dans les régions du Nord-Ouest touchées par le conflit armé, la découverte de cadavres, parfois mutilés, est une chose courante. D'après des habitants de la préfecture de Gisenyi, des corps sont souvent rejetés sur les rives du lac Kivu.

  1. La réponse du gouvernement rwandais aux accusations faisant état d'atteintes aux droits humains
  1. La réponse du gouvernement à Amnesty International
  2. En février 1998, des délégués d'Amnesty International ont rencontré des membres du gouvernement rwandais et des forces de sécurité, notamment plusieurs hauts responsables attachés au Bureau de la présidence, au ministère de la Justice et à celui des Affaires étrangères, ainsi que le procureur militaire et le chef de l'état-major de la gendarmerie. Les délégués ont fait part des inquiétudes de l'Organisation concernant la situation générale des droits humains au Rwanda, en faisant également état de cas précid d'homicides et de "disparitions", dont certains ont été relatés plus haut.

    Les réactions des autorités ont été diverses. Certains responsables ont paru sincèrement déterminés à améliorer la situation des droits fondamentaux, assurant à Amnesty International que des enquêtes étaient en cours sur les massacres et les "disparitions", tout en faisant observer qu'il était souvent difficile, notamment dans les cas de "disparitions", d'aboutir à des conclusions définitives quant à l'identité des auteurs. D'autres responsables ont en revanche réagi de façon plus hostile, accusant l'Organisation de publier des informations fausses et non vérifiées dans le but de ternir l'image du gouvernement rwandais, ainsi que de collaborer avec des opposants. L'un de ces responsables a mis en garde Amnesty International en déclarant que l'Organisation allait se mettre dans une situation difficile si elle continuait à diffuser des rapports comme ceux qu'elle avait publiés récemment sur le Rwanda.

    Globalement, les autorités ont affirmé que la situation des droits humains n'était pas aussi mauvaise que le prétendaient ls rapports d'Amnesty International et d'autres organisations, et que des mesures significatives étaient prises en vue de mieux protéger ces droits. Elles ont également soutenu que la plupart des massacres de civils n0n armés étaient le fait des groupes armés d'opposition. Concernant les massacres imputés aux soldats de l'APR, la thèse officielle était que les victimes n'était pas des civils mais de rebelles, ou bien des civils soutenant activement les rebelles. Les autorités ont en outre insisté sur le fait qu'il était difficile de distinguer les civils des rebelles, ces derniers se mêlant délibérément aux populations locales. Elles se sont toutefois refusées à admettre que, même si certains individus se faisant passer pour des civils étaient en réalité des rebelles, les forces gouvernementales n'en étaient pas moins tenues, au regard de la loi, de s'abstenir de tuer toute personne ne représentant pas un danger mortel immédiat, désarmée ou mise hors de combat.

    Certains responsables, reconnaissant que des soldats de l'APR avaient parfois exécuté des civils non armés de façon extrajudiciaire, ont déclaré que de telles affaires faisaient l'objet d'une procédure et que les auteurs de ces actes étaient traduits en justice. Le procureur militaire a affirmé qu'aucun cas de violation des droits humains porté à sa connaissance n'échappait à l'ouvertur d'une enquête, ni restait impuni. Cependant, en dépit des demandes répétées d'Amnesty International, les autorités n'ont jamais fourni aucune précision sur le nombre exact d'affaires concernant des soldats de l'APR arrêtés, inculpés et jugés pour des atteintes aux droits fondamentaux, ni sur l'identité de ces soldats ou sur la nature spécifique des charges retenues contre eux.

    Au nombre des quelques exceptions à cet état de choses, relevons le cas de ces deux soldats de l'APR qui ont été sommairement exécutés en janvier 1998 pour leur rôle présumé dans deux affaires d'homicides (Note12). Les autorités ont justifié ces exécutions sommaires -qui ont eu lieu sans aucune forme de procédure judiciaire préalable- en expliquant qu'elles auraient un effet dissuasif. Elles ont touzefois certifié que de telles exécutions n'auraient plus lieu à l'avenir.

    Répondant aux critiques visant ces méthodes de recherche, Amnesty International n'a cessé de demander aux autorités de lui citer des exemples précis de cas qui, selon elles, auraient donné lieu à des compte rendus erronés, et d'expliquer en quoi ceux-ci étaient erronés. En règle générale, les autorités se sont montrées peu empressées ou désireuses de donner les exemples demandés, ce qui ne les a pas empêchées de continuer à affirmer que les informations de l'Organisation étaient fausses. Face aux assurances fournies par le gouvernement selon lesquelles tous les cas présumés d'exécutions extrajudiciaires faisaient l'objet d'enquêtes, Amnesty International a évoqué plusieurs exemples bien documentés de massacres imputés à l'APR en 1997 et en 1998, mais elle n'a reçu des autorités aucune réponse quant à la progression ou aux conclusions des enquêtes correspondantes.

    Depuis avril 1998, les relations entre Amnesty International et le gouvernement rwandais se sont dégradées. Un repésentant de la diplomatie rwandaise a refusé de rencontrer le secrétaire général de l'Organisation au motif que le gouvernement était en train de reconsidérer la nature de ses relations avec cette dernière. Amnesty International n'en continuera pas moins à oeuvrer en faveur de l'établissement d'un dialogue constructif avec les représentants du gouvernement rwandais, estimant qu'il est essentiel, pour l'avenir à court et à long terme de la protection des droits humains dans ce pays, que se prolongent les discussions concernant les cas précis de violations et les moyens efficaces à adopter afin d'éviter que d'autres ne se produisent.

    12. Pour toute précision concernant ces affaires, veuillez vous reporter à l'Action urgente 17/98 du 19 janvier 1998 (AFR 47/03/98) et à l'Action complémentaire du 3 février 1998 (AFR 47/06/98)

     

  3. L'opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda soumise à des restrictions

L'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda a été créée à l'initiative du Haut Commissaire aux droits de l'Homme des Nations Unies, au lendemain du génocide de 1994. Aux termes de l'accord conclu entre le gouvernement rwandais et les Nations Unies, les membres de cette opération ont pour mission, entre autres, d'enquêter sur les violations des droits humains et des principes du droit humanitaire -notamment sur d'éventuels actes de génocide-, de mettre en oeuvre différents programmes dans le domaine de l'administration de la justice, de collaborer avec d'autres instances pour rétablir la confiance, faciliter le retour des réfugiés et des personnes déplacées et reconstruire la société civile, de surveiller la situation des droits fondamentaux, d'aider à remédier aux problèmes qui se posent et d'empêcher que de nouvelles violations ne soient perpétrées.

Depuis 1997, l'opération des Nations Unies se heurte à des difficultés croissantes. En raison du climat général d'insécurité, ses membres ne peuvent plus, dans certaines zones, se livrer à un travail minutieux de surveillance de la situation des droits humains ; les régions où ont lieu le plus grand nombre de massacres et de " disparitions " sont désormais pratiquement inaccessibles. Ainsi, le personnel de l'opération n'ose plus guère s'éloigner des villes ou des principales routes des préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri. Des mesures de sécurité très sévères ont d'ailleurs été prises depuis février 1997, date à laquelle cinq membres de l'opération ont été tués à Cyangugu, dans le Sud-Ouest du Rwanda (Note13).

Les relations entre les responsables de l'opération et le gouvernement rwandais se sont progressivement dégradées. Le Haut Commissaire aux droits de l'Homme des Nations Unies, Mary Robinson, s'est rendue au Rwanda en décembre 1997. Dans une déclaration faite à l'issue de son séjour, Mary Robinson a qualifié la situation des droits humains d'inquiétante, et a dénoncé les graves atteintes à ces droits commises tant par les forces gouvernementales que par les groupes armés d'opposition. Cette déclaration a été vivement critiquée par le gouvernement rwandais, qui a accusé Mary Robinson, entre autres, de dénaturer de façon outrancière les faits relatifs à la situation des droits humains dans le pays.

En mai 1998, l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda a essuyé un nouveau revers important. Le 7 mai, en effet, le gouvernement rwandais a décidé d'expulser le responsable de l'opération chargé de l'information et de la presse, suite aux critiques que ce dernier avait formulées à propos de l'exécution publique de 22 personnes, le 24 avril. Le gouvernement a également décidé de suspendre les activités de l'opération tant que son mandat n'aurait pas été rééexaminé, et il a demandé que le responsable et son adjoint retournent à Genève afin d'ouvrir des discussions sur l'avenir de l'opération. Début juin, aucun accord formel n'avait encore été conclu concernant le réexamen du mandat, et toutes les activités de l'opération demeuraient gelées tandis que se poursuivaient les discussions entre les autorités rwandaises et le Haut Commissaire aux droits de l'Homme, sans qu'aucun signe de convergence ne soit perceptible dans l'immédiat.

Le gouvernement rwandais avait demandé une révision conjointe du mandat de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda, et il avait suggéré des changemens impliquant notamment qu'elle renonce à ses activités touchant à la surveillance et au recensement des violations. Il avait déclaré que la mission de surveillance devait désormais être dévolue non à une organisation internationale mais à des organisations locales, en faisant notamment référence à la Commission nationale des droits de l'Homme, récemment créée mais pas encore opérationnelle. Amnesty International estime toutefois que, compte tenu de la situation qui prévaut actuellement au Rwanda, une telle proposition n'est pas réaliste et qu'elle est, dans certains cas, impossible à mettre en oeuvre par les organisations locales de défense des droits humains, essentiellement pour des raisons de sécurité. cela fait de nombreux mois que ces organisations locales ne peuvent, dans nombre des zones touchées par le conflit, armé, enquêter sur les atteintes aux droits fondamentaux qui leur sont signalées ; quant aux investigations entreprises dans d'autres régions du pays, elles se font elles-mêmes dans des conditions de grand danger. En outre, il n'existe pour l'instant aucune garantie claire laissant à penser que la Commission nationale des droits de l'Homme, ou tout autre organisme de défense des droits humains institué par le gouvernement pourra mener ses activités en toute liberté, indépendance et impartialité.

Amnesty International est particulièrement préoccupée par les pressions qu'exerce le gouvernement rwandais en vue d'obtenir que le volet " surveillance " du mandat de l'opération soit abandonné. Cette préoccupation résulte du fait que l'opération est l'une des toutes dernières organisations internationales encore en mesure de surveiller sur le terrain la situation des droits humains au Rwanda. Depuis plusieurs années, en dépit de difficultés et de contraintes toujours plus nombreuses, ses membres ont recensé les atteintes aux droits humains perpétrées par les forces gouvernementales ou par les groupes armés d'opposition, et ils ont publié les rapports à ce sujet. Ces rapports constituent une partie essentielle de l'analyse globale de la situation des droits fondamentaux au Rwanda destinée à la communauté internationale, notamment aux gouvernements étrangers et aux médias. Bien qu'au cours de ces derniers mois, le rythme des rapports se soit espacé, il est indispensable de maintenir l'opération des Nations unies dans le pays, car elle garantit un minimum de surveillance internationale de la situation des droits humains, et elle fournit aux organisations gouvernementales et non gouvernementales rwandaises une aide en matière de protection et de promotion de ces droits.

Amnesty International considère que pour rétablir la transparence et affirmer son engagement en faveur des droits humains, le gouvernement rwandais devrait autoriser l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda à poursuivre toutes les activités prévues par son mandat actuel -y compris et tout particulièrement celles relatives à la surveillance des violations qui se commettent aujourd'hui-, et qu'il devrait coopérer pleinement de façon que ces activités puissent être menées à bien. Parallèlement, Amnesty International incite l'opération à poursuivre et à développer ses programmes d'aide aux organisations locales de défense des droits humains et aux institutions nationales -notamment au système judiciaire-, dont c'est le rôle de protéger et promouvoir les droits humains. L'Organisation pense que ces deux fonctions sont liées -la surveillance et la dénonciations des violations, et la mise sur pied et le renforcement des organisations et institutions locale de défense des droits humains-, car la reconstruction d'une société rwandaise fondée sur le respect des droits fondamentaux passe nécessairement par la reconnaissance explicite, là où ils se posent, des graves problèmes qui continuent d'exister en ce domaine, ainsi que par la définition et la mise en oeuvre de mesures destinées à prévenir toute nouvelle violation.

13. Pour plus de détails, se reporter au chapitre 1.10 du rapport d'Amnesty International index AI : AFR 47/32/97, ibid. Fin mai 1998, six personnes accusées d'être impliquées dans le meurtre des cinq membres de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda ont été condamnées à mort par un tribunal de Cyangugu.

 

  1. Recommandations

Amnesty International pense qu'en dépit de la multiplication des graves atteintes aux droits humains commises ces derniers mois eu Rwanda, il est encore temps pour les gouvernants de prendre des mesures efficaces afin d'empêcher d'autres massacres et de nouvelles " disparitions ", et commencer à restaurer le respect pour les droits fondamentaux dans le pays. Les gouvernements étrangers et les organisations intergouvernementales ont également un rôle crucial à jouer pour faire cesser ces violations et convaincre les autorités rwandaises qu'il est dans leur intérêt de mettre en oeuvre les mesures énumérées ci-après. Amnesty International rappelle à toutes les parties concernées que les atteintes aux droits humains évoquées dans le présent rapport constituent de graves violations du droit international relatif à ces droits, ainsi que du droit humanitaire international, et notamment de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949.

Les recommandations présentées ci-après visent tout particulièrement à empêcher que d'autres " disparitions ", exécutions extrajudiciaires ou homicides délibérés et arbitraires à l'encontre de civils ne se produisent. Elles reprennent et complètent certaines des recommandations figurant dans les rapports antérieurs d'Amnesty International et qui, pour la plupart, n'ont malheureusement pas été appliquées à ce jour. En outre, l'Organisation invite instamment les autorités rwandaises à adopter les deux Programmes en 14 points joints en annexe, destinés à la prévention des " disparitions " et des exécutions extrajudiciaires.

  1. Enquêtes sur les " disparitions" et moyens de prévention

Les agents du gouvernement rwandais ne peuvent être automatiquement tenus responsables de toutes les " disparitions " qui se produisent au Rwanda. Il incombe cependant aux autorités d'enquêter sur tous les cas qui leur sont signalés, et de prendre les mesures qui s'imposent pour traduire les coupables en justice et empêcher que de tels actes ne se reproduisent. Amnesty International renvoie notamment le gouvernement rwandais au texte de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1992, dans sa Résolution 47/133. Par ailleurs, l'Organisation prie vivement les gouvernements étrangers d'aider le gouvernement rwandais en lui fournissant les fonds ou les compétences nécessaires, afin de faciliter notamment l'ouverture d'enquêtes.

Amnesty International demande au gouvernement rwandais de :

  1. dire clairement que les " disparitions " constituent une grave violation des droits humains, et que toute personne accusée d'être responsable de " disparitions " sera traduite en justice ;
  2. ouvrir sans délai des enquêtes approfondies sur les cas de " disparitions " présum,ées, et informer les familles des personnes " disparues " de l'avancement des enquêtes, ainsi que de leurs conclusions ;
  3. ouvrir une enquête s'il apparaît qu'une personne " disparue " est morte, afin d'établir les causes de son décès. La famille aura accès à toute information relative au décès et sera autorisée à se faire représenter au niveau de l'enquête. Le corps de la personne décédée sera rendu à sa famille dès que possible ;
  4. autoriser les organisations de défense des droits humains et les organisations humanitaires à accéder à tous les centres de détention civils et militaires, afin de faciliter la recherche des personnes signalées comme " disparues " et permettre de vérifier si elles sont détenues. Les autorités devraient systématiquement consigner sur un registre le lieu d'incarcération des détenus, en notant également leur éventuel tranfèrement d'un centre de détention dans un autre, et tenir ces informations à la disposition du public ;
  5. veiller à ce que nul ne soit détenu au secret ou dans un centre de détention non officiel.
  6. mettre un terme à la pratique consistant à détenir des civils dans des centres de détention militaires.
  1. Enquêtes sur les exécutions extrajudiciaires et moyens de prévention

Les autorités rwandaises refusent de reconnaître que les exécutions extrajudiciaires font partie intégrante de leur politique, affirmant que celles qui se sont produites étaient des actes isolés dus à des soldats indisciplinés. Le gouvernement n'en demeure pas moins responsable de toutes les violations des droits humains perpétrées par des agents de l'Etat, y compris des massacres de civils non armés commis par les soldats de l'APR dans le cadre du conflit armé.

Le droit à la vie est garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que par la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, qui ont tous deux été ratifiés par le Rwanda. Les massacres de civils qui ont eu lieu dans le contexte du conflit armé constituent également une violation du droit humanitaire international, notamment de l'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève.

Amnesty International appelle le gouvernement rwandais et les forces de sécurité -en particulier les hauts responsables de l'APR- à mettre en oeuvre de toute urgence, et dans leur intégralité, les mesures énoncées ci-après, afin d'épargner la vie des civils non armés qui ne prennent pas part au conflit armé. L'Organisation demande au gouvernement de :

  1. interdire aux membres des forces de sécurité rwandaises de se rendre responsables d'exécutions extrajudiciaires, et veiller à ce que les principes des Nations Unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions soient pleinement appliqués ;
  2. condamner publiquement et officiellement les exécutions extrajudiciaires, au plus haut niveau, à chaque fois que de tels actes sont signalés ;
  3. mener des enquêtes approfondues et indépendantes sur les cas d'exécutions extrajudiciaires qui sont signalés, publier les résultats de ces enquêtes, et veiller à ce que les personnes reconnues responsables d'avoir commis ou donné l'ordre de commettre des exécutions extrajudiciaires soient immédiatement suspendues de leurs fonctions et déférées à la justice.
  4. Amnesty International accueille favorablement le fait que quelques membres des forces de sécurité accusés d'exécutions extrajudiciaires ont été arrêtés ; l'Organisation invite le gouvernement à faire en sorte que ce genre de mesures ne demeurent pas exceptionnelles et deviennent au contraire courantes. Le gouvernement devrait divulguer le nombre et l'identité des soldats de l'APR arrêtés pour participation présumée à des exécutions extrajudiciaires, en précisant le détail des crimes spécifiques dont ils sont accusés et la progression de la procédure engagée à leur encontre. Si les personnes incriminées sont inculpées, elles devront bénéficier d'un procès public conforme aux normes internationales d'équité, sans que le recours à le peine de mort soit envisagé

  5. garantir un strict contrôle hiérarchique au sein de l'APR et transmettre des instructions aux chefs de l'armée, à tous les niveaux, afin qu'ils n'aient recours à la force meurtrière que dans les situations où celle-ci s'avère strictement nécessaire pour protéger la vie -conformément à l'article 3 du Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois-, et seulement dans la mesure exigée par les circonstances. Les responsables de l'application des lois doivent être instruits du fait qu'ils ont le droit et le devoir de refuser d'obéir à tout ordre visant à leur faire prendre part à une exécution extrajudiciaire ;
  6. rappeler aux membres des forces de sécurité, à tous les niveaux, qu'il est de leur devoir de protéger la totalité de la population civile au Rwanda.
  7. prendre des mesures pour empêcher les civils armés tutsi de commettre des massacres, et enquêter sur les cas où des soldats de l'APR auraient pu y participer, notamment en fournissant des armes à la population. Ã chaque fois que cela est possible, les soldats de l'APR devraient intervenir pour prévenir de tels massacres.
  8. veiller à ce que tous les membres des forces de sécurité aient connaissance des normes internationales relatives à la conduite des responsables de l'application des lois et reçoivent une formation en ce domaine ; ils devront notamment connaître les instruments des Nations Unies tels que les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, le Code de conduite pour les responsables de l'appliation des lois, et les Principes directeurs en vue d'une application efficace du Code de conduite pour les responsables de l'application des lois.

 

  1. Investigations indépendantes sur les violations des droits humains
  2. Amnesty International demande aux autorités rwandaises d'autoriser et de faciliter les investigations menées au Rwanda par les organisations locales et internationales de défense des droits humains sur les atteintes à ces droits, que celles-ci soient le fait des groupes armés d'opposition ou des forces de sécurité. Les autorités devraient permettre à ces organisations d'accéder sans restriction à toutes les régions du pays, ainsi qu'à tous les centres de détention civils et militaires. Elles devraient également apporter leur pleine coopération aux investigations sur les massacres de civils non armés, les " disparitions " et toutes autres atteintes aux droits humains.

    Amnesty International exhorte en outre le gouvernement rwandais à autoriser l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda à poursuivre ses activités dans le pays, en lui donnant les moyens d'accomplir toutes les tâches actuellement prévues par son mandat, notamment celles liées à la surveillance de la situation des droits humains et au recensement d'informations dans ce domaine.

  3. Prévention des homicides délibérés et arbitraires commis par les groupes armés d'opposition opérant au Rwanda

Les groupes armés d'opposition qui se rendent responsable de prises d'otages et d'homicides délibérés et arbitraires à l'encontre de civils non armés ne commettent pas seulement de graves violations du droit humanitaire international, ils provoquent aussi de nouvelles violences en fournissant aux forces de sécurité rwandaises et aux civils armés le prétexte d'opérations de représailles, au cours desquelles un grand nombre de civils non armés sont exécutés de façon extrajudiciaire.

Les chefs des groupes armés d'opposition doivent :

  1. Arrêter de tuer des civils non armés et dire clairement à leurs subordonnés que les homicides délibérés et arbitraires de civils non armés ne seront plus tolérés ;
  2. transmettre à tous leurs subordonnés des instructions pour qu'ils respectent les principes de base du droit humanitaire international, énoncés dans l'article 3 commun aux Conventions de Genève. Ils doivent notamment empêcher que les non-combattants et les personnes ne participant pas directement aux hostilités ne soient tués. La collaboration présumée ou réelle des civils non armés avec les autorités ne peut en aucun cas justifier le fait de les prendre pour cibles ;
  3. enquêter sur les homicides délibérés et arbitraires commis par leurs subordonnés, dénoncer ces actes et informer le public des mesures prises en vue de prévenir de nouveaux homicides ;
  4. coopérer avec les enquêteurs du Tribunal international pour la Rwanda, afin d'identifier et de traduire en justice les personnes ayant joué un rôle majeur dans le génocide perpétré dans le pays en 1994.

 

  1. L'action des gouvernements étrangers et des organisations intergouvernementales.

Peu de gouvernements étrangers ou d'organisations intergouvernementales ont à ce jour entrepris une action efficace pour tenter d'empêcher que la situation des droits humains au Rwanda ne se dégrade encore davantage, ou même simplement reconnu publiquement l'ampleur et la gravité des violations commises dans le pays. La plupart de ceux qui ont fait des déclarations concernant la situation des droits humains se sont souvent bornés à dénoncer les exactions imputées aux groupes armés d'opposition, en minimisant, voire en passant sous silence les violations perpétrées par les forces de sécurité rwandaises. Amnesty International demande aux gouvernements étrangers -notamment à ceux de la région-, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales telles que les Nations Unies et l'Organisation de l'Unité africaine, de prendre les mesures suivantes :

  1. Faire tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir des informations précises et indépendantes sur la situation actuelle des droits humains au Rwanda, et veiller à ce que toute décision soit prise sur la base d'une connaissance complète de la réalité sur le terrain ;
  2. condamner publiquement les violations systématiques des droits humains qui ont lieu au Rwanda, et en particulier le fait que toutes les parties au conflit prennent délibérément pour cibles des civils non armés ;
  3. user de toute leur influence sur le gouvernement rwandais, sur les forces de sécurité ou sur les groupes armés d'opposition, pour qu'ils respectent les normes internationales relatives aux droits humains et le droit humanitaire international, et qu'ils appliquent les recommandations énoncées plus haut ;
  4. demander au gouvernement rwandais de fournir régulièrement des informations actualisées sur les actions entreprises en vue d'empêcher de nouvelles exécutions extrajudiciaires ou " disparitions ", assorties de précisions sur l'avancement des enquêtes et sur les mesures adoptées pour traduire les responsables de ces actes en justice ;
  5. fournir aux autorités une aide appropriée pour la conduite de ces enquêtes lorsque celles-ci souffrent d'un manque de ressources ou de compétences ;
  6. aider notamment les autorités à ouvrir et conduire des enquêtes indépendantes sur les cas spécifiques de massacres de grande ampleur, tel que le massacre présumé d'au moins plusieurs milliers de personnes dans la grotte de Nyakimana, à Kanama (préfecture de Gisenyi), en octobre 1997 ; fournir les compétences et les équipements nécessaires pour que ces enquêtes soient menées dès que possible, et veiller à ce que les conclusions en soient rendues publiques ;
  7. prier instamment le gouvernement rwandais de lever les mesures de suspension frappant les activités de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'homme au Rwanda et de permettre à celle-ci de mener à bien toutes les tâches figurant actuellement dans son mandat, notamment celles liées à la surveillance de la situation des droits humains et au recensement d'informations en ce domaine ;
  8. empêcher les livraisons au Rwanda d'armes légères ou autres types d'équipements militaires, de sécurité ou de police susceptibles d'être utilisés par les forces de sécurité rwandaises ou par les groupes armés pour bafouer les droits humains. Compte tenu du caractère persistant et systématique des homicides arbitraires de civils non armés perpétrés par toutes les parties au conflit -homicides sur lesquels nous disposons de nombreuses informations-, il est clair que dans la situation présente, ce type d'équipements est de nature à favoriser directement la perpétuation de nouvelles atteintes aux droits humains.
  9. Les équipements de sécurité classés " non meurtriers " (comme les hélicoptères et les blindés) servent aussi à favoriser les violations des droits humains, notamment dans les régions isolées du pays, et ne doivent donc pas être fournis aux deux camps en présence.

    Les gouvernements qui décident d'autoriser le transfert au Rwanda d'autres types d'équipements ou de compétences dans les domaines militaires, de sécurité ou de police, parce qu'ils sont certains que cela n'entraînera pas de nouvelles et graves atteintes aux droits humains, ne doivent s'y résoudre que si de tels transferts peuvent faire et font l'objet d'une surveillance efficace. Si de graves violations sont commises à la suite de ces transferts, les contrats de livraison doivent être immédiatement annulés.

  10. soutenir les travaux de la commission des Nations Unies chargée d'enquêter sur les transferts d'armes à destination des ex-forces armées rwandaises, et inviter vivement le Conseil de Sécurité à étendre le mandat de cette commission de manière à couvrir tous les transferts d'armes qui servent à commettre au Rwanda de graves violations du droit humanitaire international et des normes relatives aux droits humains. Cela signifie notamment permettre à la commission d'enquêter sur les transferts destinés aux actuelles forces de sécurité rwandaises et aux groupes armés d'opposition, et de dénoncer ces transferts. Compte tenu des liens politiques et militaires étroits qui existent entre les différents pays de la région, la commission devrait également mener des enquêtes approfondies sur les armes et les équipements militaires livrés au Rwanda en étant fournis ou relayés par les forces de sécurité et les groupes armés d'opposition du Burundi, de la RDC et de l'Ouganda, ou par d'autres pays limitriphes.
  11. veiller à ce que toute formation éventuellement dispensée aux forces de sécurité rwandaises comporte une formation sur les principes du droit international relatif aux droits fondamentaux et du droit humanitaire international, ainsi qu'aux modalités d'application de ces principes.


Région des Grands Lacs :

Les réfugiés et les personnes déplacées sont toujours livrés à un sort incertain

(Amnesty International, 24 janvier 1997)
La situation en Tanzanie
Les normes internationales
Les dangers au Zaïre
Un programme d'action pour ceux qui restent

Résumé

En octobre et en novembre 1996, une grande partie de la communauté internationale a gardé les yeux fixés sur la région est du Zaïre, où se déroulait une tragédie humanitaire de grande ampleur. La violence, qui couvait depuis longtemps, a fini par éclater, se muant en un état de guerre ouverte marqué par des violations massives des droits de l'Homme. Plus d'un million de réfugiés originaire du Rwanda et du Burundi, ainsi que plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées de nationalité zaïroise, se sont alors retrouvés pris entre deux feux et ont eux-mêmes été arbitrairement et délibérément pris pour cibles par les parties au conflit. Tandis que la communauté internationale se perdait en discussions et tergiversations quant à l'éventuel envoi dans la région d'une force d'intervention sous commandement canadien, des milliers de personnes mouraient. Dans le même temps, des milliers d'autres réfugiés étaient renvoyée de force au Rwanda et au Burundi.

En fin de compte, les réfugiés et les personnes déplacées n'ont eu d'autre chois que la fuite. Des centaines de milliers d'entre eux sont retournée au Rwanda, environ 60'000 ont gagné le Burundi, des dizaines de milliers de Burundais et de Zaïrois se sont tournés vers la Tanzanie, tandis que d'autres, dont on ignore le nombre, s'enfonçaient plus profondément à l'intérieur du territoire zaïrois. La communauté internationale, après s'être félicitée d'avoir incité les réfugiés à revenir au Rwanda, s'est empressée de penser à autre chose. Prenant prétexte de la tournure que prenaient les événements au Zaïre, la Tanzanie, qui accueillait sur son sol près d'un million de réfugiés, a alors entrepris de renvoyer chez eux contre leur gré des centaines de milliers de Rwandais. Une fois encore, la communauté internationale -notamment le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)- a approuvé et encouragé cette nouvelle mesure.

Les événements qui se sont produits au cours des derniers mois dans la région des Grands Lacs ont été marqués par un incroyable mépris pour les droits, la dignité et la sécurité des réfugiés. Dans le présent document, Amnesty International fait état de certaines de ses préoccupations face à l'inquiétante détérioration de la situation dans la région en matière de protection des réfugiés. Nous avons par ailleurs, dans des rapports récents, fait le récit détaillé des violences que subissent les réfugiés et les personnes qui retournent dans leur pays.

Le présent rapport veut avant tout mettre l'accent sur le fait que la crise que connaît l'Afrique centrale en matière de réfugiés est loin d'être terminée. Il reste encore, dans toute la région, un très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées qui sont exposées à de multiples dangers. Les réfugiés risquent toujours d'être renvoyée de force, et certains "décident" de revenir chez eux en raison des graves dangers qui les menacent dans les pays qui les ont accueillis. Les affrontements armés et les atteintes aux droits de l'Homme, notamment au Burundi et dans l'est du Zaïre, sont susceptibles de provoquer une nouvelle vague de réfugiés et de personnes déplacées.

Amnesty International demande aux gouvernements des différents Etats concernés, ainsi qu'au HCR et à la communauté internationale, de veiller à ce que des mesures immédiates soient prises pour garantir la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées et pour empêcher que, dans toute la région des Grands Lacs, les principes élémentaires relatifs à la protection des réfugiés ne soient encore un peu plus battus en brêche.


Introduction

En octobre et en novembre 1996, une grande partie de la communauté internationale a gardé les yeux fixés sur la région est du Zaïre, où se déroulait une tragédie humanitaire de grande ampleur. La violence, qui couvait depuis longtemps, a fini par éclater, se muant en un état de guerre ouverte marqué par des violations massives des droits de l'Homme. Plus d'un million de réfugiés originaire du Rwanda et du Burundi, ainsi que plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées de nationalité zaïroise, se sont alors retrouvés pris entre deux feux et ont eux-mêmes été arbitrairement et délibérément pris pour cibles par les parties au conflit. Tandis que la communauté internationale se perdait en discussions et tergiversations quant à l'éventuel envoi dans la région d'une force d'intervention sous commandement canadien, des milliers de personnes mouraient. Dans le même temps, des milliers d'autres réfugiés étaient renvoyée de force au Rwanda et au Burundi.

En fin de compte, les réfugiés et les personnes déplacées n'ont eu d'autre chois que la fuite. Des centaines de milliers d'entre eux sont retournée au Rwanda, environ 60'000 ont gagné le Burundi, des dizaines de milliers de Burundais et de Zaïrois se sont tournés vers la Tanzanie, tandis que d'autres, dont on ignore le nombre, s'enfonçaient plus profondément à l'intérieur du territoire zaïrois. La communauté internationale, après s'être félicitée d'avoir incité les réfugiés à revenir au Rwanda, s'est empressée de penser à autre chose. Prenant prétexte de la tournure que prenaient les événements au Zaïre, la Tanzanie, qui accueillait sur son sol près d'un million de réfugiés, a alors entrepris de renvoyer chez eux contre leur gré des centaines de milliers de Rwandais. Une fois encore, la communauté internationale -notamment le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)- a approuvé et encouragé cette nouvelle mesure.

Les événements qui se sont produits au cours des derniers mois dans la région des Grands Lacs ont été marqués par un incroyable mépris pour les droits, la dignité et la sécurité des réfugiés. Dans le présent document, Amnesty International fait état de certaines de ses préoccupations face à l'inquiétante détérioration de la situation dans la région en matière de protection des réfugiés. Nous avons par ailleurs, dans des rapports récents, fait le récit détaillé des violences que subissent les réfugiés et les personnes qui retournent dans leur pays*. Le présent rapport tient à souligner que la crise que connaît l'Afrique centrale en matière de réfugiés est loin d'être terminée. Il reste encore, dans toute la région, un très grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées qui sont exposées à de multiples dangers. Les réfugiés risquent toujours d'être renvoyés de force, et certains "décident" de revenir chez eux en raison des graves dangers qui les menacent dans les pays qui les ont accueillis. Les affrontements armés et les atteintes aux droits de l'Homme, notamment au Burundi et dans l'est du Zaïre, sont susceptibles de provoquer une nouvelle vague de réfugiés et de personnes déplacées. Des mesures immédiates doivent être prises pour garantir la sécurité des réfugiés et des personnes déplacées et pour empêcher que, dans toute la région des Grands Lacs, les principes élémentaires relatifs à la protection des réfugiés ne soient encore un peu plus battus en brèche.

* Cf Retours massifs vers le Rwanda : les droits de l'Homme sont oubliés (index AI : AFR 47/02/97, janvier 1997); Zaïre : Dans l'est du pays, des atteintes aux droits de l'Homme sont commises loin des regards (index AI : AFR 62.29.96, 19 décembre 1996); Burundi : Des réfugiés rapatriés de force au péril de leur vie (index AI : AFR 16/34/96, 20 novembre 1996); Rwanda et Burindi : le retour au pays, rumeurs et réalités (index AI : AFR 02/01/96, 20 février 1996).

I. La situation actuelle : l'absence de protection constitue une trahison

1. La Tanzanie renvoie de force les réfugiés
"(...) tous les Rwandais réfugiés en Tanzanie devront être rentrée chez eux avant le 31 décembre 1996"

Ces propos, extraits d'une déclaration du gouvernement tanzanien datant du début décembre, ont été approuvés et cosignés par le HCR. Ils sont révélateurs du caractère fragile de la protection internationale destinée aux réfugiés. Dans le mois qui a suivi cette déclaration, la majorité des quelque 540'000 Rwandais réfugiés en Tanzanie sont retournés dans leur pays.

Les réfugiés qui jugeaient dangereux de rentrer chez eux ne se sont pas vu offrir d'autres possibilités. Ce n'est qu'aujourd'hui, une fois achevée l'opération de rapatriement, que le HCR exprime l'espoir que la Tanzanie va instituer une procédure de "filtrage" permettant d'examiner les requêtes de ceux qui redoutent par dessus tout de rgagner leur pays. Dans un premier temps, des dizaines de milliers de réfugiés ont fui les camps pour tenter de s'enfoncer davantage à l'intérieur du territoire tanzanien, dans l'espoir de rejoindre tel ou tel pays limitrophe. Les forces de sécurité tanzaniennes ont intercepté les fuyards et les ont "réorientés" vers la frontière rwandaise. Des cas de recours excessifs à la force, de mauvais traitements et de viols ont été signalés. Plusieurs prêtres catholiques qui s'opposaient au rapatriement forcé des réfugiés ont été expulsés par le gouvernement tanzanien. Selon certaines informations, des soldats rwandais étaient présents à l'intérieur des camps ou à proximité au moment du rapatriement*.

Les informations qui nous parviennent aujourd'hui indiquent que certains réfugiés qui refusent de rentrer chez eux sont arrêtés et placés dans un camp de détention situé dans le nord-ouest du pays. Dans la confusion générale, d'autres réfugiés qui souhaitaient rester ont à l'évidence été contraints de retourner dans leur pays. Seules quelques milliers de personnes ont pu trouver un refuge temporaire ailleurs : elles ont réussi à franchir la frontière ougandaise, mais là aussi, on leur a fait comprendre qu'elles ne seraient pas autorisées à rester. Un certain nombre de réfugiés ont par ailleurs été refoulés par les autorités kényanes.

Le retour de ces réfugiés était-il volontaire ? Les considérations de sécurité au Rwanda existaient-elles vraiment ? Ce sont là des considérations de première importance lorsque l'on décide de rapatrier des réfugiés. Pourtant, ces questions cruciales ont été négligées ou à peine évoquées dans la hâte de vouloir achever l'opération avant la date limite, arbitrairement fixée. Que de telles négligences aient été possibles, qu'elles aient été légitimées par le HCR et si rapidement acceptées par la communauté internationale en dit long. Le monde a-t-il encore la volonté de protéger les réfugiés ou bien privilégions-nous désormais, pour des raisons politiques et financières, le retour plutôt que la sécurité ?

*Cf le rapport d'Amnesty International intitulé "Rwanda : Human rights overlooked in maa repatriation (index AI : AFR 47/02/97, janvier 1997) - Retours massifs vers le Rwanda : les droits de l'Homme sont oubliés
2. Zaïre et Burundi : expulsions et retours dans un climat de violence

La Tanzanie n'est pas seule concernée. Durant la seconde moitié de l'année 1996, un très grand nombre de réfugiés rwandais ont quitté, de gré ou de force, le Burundi et le Zaïre : en juillet et en août, 75'000 personnes ont ainsi fui le Burundi après avoir été victimes de menaces et de violences de la part des forces de sécurité de ce pays; en novembre et en décembre, suite à l'éclatement d'un conflit en octobre dans l'est du Zaïre, ce sont 700'000 personnes qui ont fui ce paxs pour échapper aux atrocités commises indifféremment par tous les camps en présence. En 1996, environ 1,3 million de personnes sont retournées chez elles, ce qui représente approximativement une augmentation de la population de 20 %. Dans certaines régions du Rwanda, les personnes qui sont revenues sont désormais plus nombreuses que le reste de la population. Les conséquences d'un tel afflux de personnes en un court laps de temps peuvent se révéler extrêmement graves pour un pays qui tente encore de se remettre d'un génocide monstrueux et de reconstruire une société déchirée par la guerre civile. Dans ces circonstances, et considérant le terrible héritage rwandais en matière de violations des droits de l'Homme, toute décision concernant la protection et le retour des réfugiés doit être prise avec la plus grande prudence.

Lorsque les combats ont éclaté dans l'est du Zaïre, des milliers de réfugiés burundais ont été chassés de cette région. Selon certaines informations, des groupes armés zaïrois et tutsi ont attaqué des réfugiés burundais afin de les contraindre à rentrer chez eux, allant même jusqu'à les livrer aux forces gouvernementales burundaises postées à la frontière. Au moins 500 de ces réfugiés revenus dans leur pays auraient été tués par des soldats burundais; d'autres ont "disparu"*. Au Burundi, la guerre civile se poursuit, et de graves violences ethniques à caractère politique continuent d'être commises; depuis la fin juillet 1996, au moins 10'000 victimes ont été recensées. Les massacres de civils innocents qui continuent d'être perpétrés dans le pays atteignent des proportions effrayantes**.

*Cf Burundi. "Des réfugiés rapatriés de force au péril de leur vie" (index AI : AFR 16/34/96)
* Cf Burundi : Crimes against humanity continue as the world remains silent (index AI : AFR 16/39/96, 20 décembre 1996) - Burundi. La communauté internationale garde le silence tandis que des crimes contre l'humanité continuent d'être perpétrés.
3. Les normes internationales

Alors qu'il ne s'est guère trouvé de voix pour dire que les réfugiés burundais étaient prêts à rentrer chez eux volontairement, la communauté internationale, et notamment le HCR, s'est empressée de déclarer que le retour des réfugiés rwandais dans leur pays était volontaire. Les réfugiés rwandais sont-ils retournés chez eux volontairement ? Pourquoi cette question est-elle importante ? Le meilleur des retours est évidemment celui qui s'effectue de façon volontaire, et c'est cela qui permet en partie de garantir que les droits et la dignité des réfugiés sont respectés.

En outre, si leur retour est librement consenti, les personnes revenant chez elles auront probablement plus de chances de se réintégrer. Le retour volontaire est également une façon de reconnaître que les réfugiés sont généralement les mieux placés pour juger des conditions qui les attendent dans leur pays d'origine, et savoir si la situation est suffisamment sûre. A cet égard, le caractère volontaire du retour joue un rôle de protection important.

En matière de protection des réfugiés, le droit international insiste sur le rôle central du rapatriement librement consenti, et le statut du HCR met l'accent sur ce point. Le Comité exécutif du HCR a déclaré que "le caractère essentiellement volontaire du rapatriement devrait toujours être observé"* et que "les réfugiés ne doivent être rapatriés que s'ils en expriment librement le désir; le caractère liobrement consenti et individuel du rapatriement des réfugiés et la nécessité d'effectuer ce rapatriement dans des conditions de sécurité absolue (...) doivent toujours être respectés"**.

Les Etats africains sont allés plus loin dans la mesure où ils se sont engagés, dans le cadre de traités ayant force contraignante, à garantir que le "caractère essentiellement volontaire du retour sera respecté dans tous les cas, et (qu')aucun réfugié ne sera renvoyé dans son pays contre son gré"***. Le HCR, qui a exprimé son accord avec ces principes, a récemment insisté sur le fait que "le caractère volontaire du rapatriement constitue la pierre angulaire de la protection internationale en ce qui concerne le retour des réfugiés", précisant que la décision doit être prise en toute connaissance de cause et qu'il faut respecter le libre choix des personnes****.

Concernant le retour des Rwandais réfugiés dans trois pays différents, aucune de ces deux exigences n'a été respectée. On a beaucoup parlé du fait que de nombreux réfugiés n'avaient pas pris la décision de rester en exil en toute connaissance de cause, qu'ils y avaient été contraints par la terreur exercée par des extrémistes qui contrôlaient les camps, et qui étaient liés à l'ancienne armée rwandaise et au précédent gouvernement de ce pays. Il est clair que ce facteur a joué un grand rôle. Toutefois, les pays d'accueil et la communauté internationale n'ont pas fait grand-chose pour faire cesser les manopeuvres d'intimidation. S'ils avaient décidé de remédier à cette situation, des dispositions importantes auraient pu être prises en vue de savoir avec exactitude ce que souhaitaient réellement les réfugiés.

Les quelques mesures sans grande portée qui ont été prises pour éloigner les auteurs d'actes d'intimidation n'ont abouti qu'à des arrestations arbitraires et illégales, et parfois à des refoulements à la frontière. En 1995, le HCR a recruté 1500 soldats zaïrois pour assurer l'ordre dans les camps situés dans l'est du Zaïre. S'il semble que cette mesure ait entraîné une amélioration des conditions de sécurité dans les camps, on ne comprend cependant pas bien pourquoi il n'a pas été demandé aux soldats de désarmer les réfugiés qui détenaient des armes. Au lieu de cela, les soldats zaïrois se sont rendus responsables d'arrestations arbitraires de réfugiés accusés de manoeuvres d'intimidation. Une trentaine de personnes ainsi désignées sont toujours détenues au Zaïre; de nombreuses autres ont été renvoyées de force au Rwanda, où elles se trouvent pratiquement toutes incarcérées dans des conditions de détention épouvantables.

Lorsqu'est venu pour les réfugiés rwandais le moment de partir, le SEUL choix qu'ils avaient étaient de revenir chez eux -il s'agissait souvent d'une question de vie ou de mort. Ce choix n'était d'aucune façon un libre choix : au Burundi, il leur fallait échapper aux persécutions des militaires; au Zaïre, c'était pour eux le seul espoir de survivre au conflit qui embrasait la région Est, aux sanglantes attaques lancées contre les camps de réfugiés, ainsi qu'à la famine, les organisations humanitaires ayant été contraintes de suspendre les secours; en Tanzanie, enfin, l'armée a agi de telle sorte que les réfugiés ne pouvaient prendre d'autre chemin que celui conduisant à la frontière.

S'il n'a pas été volontaire, le rapatriement s'est-il au moins effectué dans de bonne conditions de sécurité ? C'est une question absolument vitale pour garantir que la protection des réfugiés joue pleinement son rôle en matière de respect des droits de l'Homme. Pour pouvoir dire que les conditions prévalant dans le pays d'origine d'un réfugié sont devenues suffisamment sûres et justifient que ce dernier revienne chez lui, il faut être en mesure d'affirmer que la situation a vétitablement et durablement changé. Si tel est le cas, la personne en question perd sa qualité de réfugié. Si nous ne pouvons raisonnablement être sûre que les changements intervenus vont durer, nous ne pouvons forcer les réfugiés à rentrer chez eux. Ceux-ci peuvent continuer de prétendre à une protection qui leur est nécessaire autant qu'elle leur est due.

Amnesty International a suivi de près les efforts et les initiatives du gouvernement rwandais en vue d'améliorer la protection des droits de l'Homme dans le pays. La tâche est écrasante et le gouvernement a fait un certain nombre de promesses encourageantes. Toutefois, de graves problèmes subsistent. La population carcérale tourne aujourd'hui autour de 92'000 prisonniers, dont des enfants, des vieillards et des personnes malades. Un nombre important de réfugiés rwandais ont été interpellés à leur retour du Burundi, de Tanzanie ou du Zaïre, et les arrestations se poursuivent. Au début de l'année 1997, on estimait à environ 5500 le nombre total de personnes appréhendées à leur retour; la majorité d'entre elles venaient de Tanzanie. En outre, plus de 2000 Rwandais avaient été arrêtés dans leur payys à la date de novembre 1996 après avoir quitté le Burundi.

Si, parmi les personnes arrêtées, beaucoup ont pu jouer un rôle dans le génocide, il en est un certain nombre qui n'y auraient aucunement participé. Lorsque les réfugiés rwandais ont commencé à revenir massivement du Zaïre, le gouvernement de Kigali a promis qu'il ne serait procédé à aucune arrestation sans qu'une enquête approfondie ne soit conduire au préalable par le ministère public. Même dans le meilleur des cas, avec un système judiciaire fonctionnant parfaitement bien, il n'aurait pas été possible, en l'espace d'un mois, de mener des enquêtes approfondies sur des accusations mettant en cause 5500 suspects. Certaines personnes ayant trouvé à leur retour leur maison occupée ont été arrêtées à la suite de différends avec les nouveaux occupants. Dans les prisons, la surpopulation continue de faire des victimes parmi les détenus. Dans certains centres de détention, les prisonniers n'ont même pas assez de place pour s'étendre.

Le système judiciaire rwandais, totalement désorganisé, n'a tout simplement pas pu faire face à une telle avalanche de dossiers. Ce n'est qu'aujourd'hui, soit deux ans et demi après le génocide, que s'ouvrent les premiers procès. C'est là une avancée dont il faut assurément se féliciter; il n'en demeure pas moins que subsistent de sérieux motifs d'inquiétude quant à la façon dont la justice est administrée, et qui sont surtout liés au manque cruel d'avocats de la défense et de magistrats compétents (procureurs et juges). Il est absolument indispensable que des garanties en matière d'équité des procès soient mises en place, car les accusés devant répondre des chefs les plus graves -organisation et supervision du génocide- risquent la peine de mort. Deux sentences capitales ont d'ores et déjà été prononcées, à l'issue de procès qui ont duré quatre heures et dont Amnesty International estime qu'ils ont été manifestement iniques. Les accusés n'ont bénéficié d'aucune assistance juridique*****.

En ce qui concerne la situation des droits de l'Homme au Rwanda, les "disparitions", les homicides délibérés et arbitraires et les agressions physiques contre des civils figurent au nombre des autres graves motifs de préoccupation auxquels aucune solution n'a encore été apportée. Amnesty International a fait savoir que l'année 1996 avait été marquée par une augmentation brutale du nombre des homicides commis tant par l'armée que par les groupes d'opposition armés; pour la seule période comprise en avril et juin 1996, au moins 650 assassinats de civils sans défense ont été recensés******. En août, plus de 250 autres personnes ont été tuées. Au cours des mois qui ont suivi, il semblerait que le nombre des assassinats ait diminué. Mais depuis les retours massifs du Zaïre en novembre et de la Tanzanie en décembre, des homicides sont à nouveau signalés de plus en plus fréquemment dans différentes régions du pays, notamment dans les zones jouxtant la frontière avec le Zaïre et avec la Tanzanie. Un grand nombre de personnes auraient été tuées, dont des Rwandais revenus dans leur pays. On ne connaît pas toujours l'identité des tueurs. Les personnes qui sont retournées chez elles ont en outre rencontré des difficultés pour récupérer leurs terres et leurs biens, notamment dans les régions de l'Est. Les nouveaux occupants ont parfois refusé de rendre les terres et menacé les anciens propriétaires.

D'un point de vue plus général, il va être très difficile pour le Rwanda de répondre aux besoins élémentaires et satisfaire aux exigences sociales de ceux qui reviennent. Le Programme alimentaire mondial (PAM) parle de "conditions de vie difficiles", de "sombres perspectives", d'un "approvisionnement en nourriture fragile et irrégulier" et il fait observer que la réinstallation et la réintégration des personnes qui retournent chez elles représentent un "défi majeur"*******. Le HCR redoute que "les autorités locales ne soient pas en mesure de faire face à tous les problèmes qui surgissent : arrestations, ordre public, occupation des maisons, occupation des terres, problèmes de santé, inscriptions et distributions de l'aide"********. Il semble que la tension soit vive dans un certain nombre de communes, notamment dans des zones comme celle de Kibungo, où ceux qui reviennent sont plus nombreux que les personnes installées. Cette situation, qui entraîne privations et souffrances, risque fort de provoquer de nouvelles violences.

Amnesty International estime que les conditions n'étaient pas remplies pour permettre le retour des réfugiés. Les autorités rwandaises n'ont pas encore prouvé qu'elles s'engagaient fermement à protéger les droits de l'Homme. La persistance des atteintes aux droits fondamentaux en décembre et en janvier est venus illustrer cette absence d'engagement. En outre, le caractère hâtif et forcé des retours peut fort bien entraîner de nouvelles violations, dans une situation où les autorités et toute la société rwandaise doivent faire face à des tensions et des émotions trop longtemps contenues.

* Conclusion no 18 (XXXI) §(b), 1980
**Conclusion no 40 (XXXVI) §(b), 1985
***Article V (1) de la Convention de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, adoptée le 10 septembre 1969 et entrée en vigueur le 20 juin 1974.
****HCR, Division de la protection internationale, "Voluntary Repatriation : International Protection" -Le rapatriement volontaire et la protection internationale-, 1996, page 10
*****Cf Rwanda, Procès équitables pour les premiers accusés (index AI : AFR 47/03/97, NWS 05/97, 14 janvier 1997)
****** Cf supra : Rwanda, recrudescence alarmante des massacres.
*******Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et Programme alimentaire mondial (PAM), Crop and Food Supply Assesment Mission to Rwanda Special Report -Mission d'évaluation des récoltes et de l'approvisionnement alimentaire pour le rapport spécial sur le Rwanda-, 23 décembre 1996
********HCR, Great Lakes Crisis -La crise dans la région des Grands Lacs-, 23 décembre 1996.

II. Danger et incertitude concernant ceux qui restent

Si l'intérêt de la communauté internationale s'est refroidi, la tragédie des réfugiés de l'Afrique centrale n'en est pas pour autant terminée, loin de là. Il reste, dans tous les pays de la région, un nombre très important de réfugiés et de personnes déplacées. Personne n'est en mesure d'avancer un chiffre précis, et les estimations varient considérablement. Ce qui est certain, c'est que beaucoup de réfugiés et de personnes déplacées ont désormais trouvé refuge dans des zones isolées et difficiles d'accès, qui sont hors d'atteinte de la plupart des organismes humanitaires. Bien que la communauté internationale se désintéresse de leur sort, ils continuent de courir de grands dangers.

1. Tanzanie

A l'heure actuelle, quelque 230'000 réfugiés burundais hutus se trouvent en Tanzanie, et il en arrive de njouveaux tous les jours. Entre 60'000 et 70'000 ont fui le Burundi en novembre et décembre 1996, quand des combats ont éclaté dans la province de Ruyigi, dans l'est du pays. D'autres ont fui la région est du Zaïre, en proie à des affrontements armés, en novembre 1996. De nombreux autres Burundais se trouvent depuis plusieurs années en Tanzanie en qualité de réfugiés. Des Zaïrois ont également trouvé refuge en Tanzanie, mais leur nombre est moins important : on estime qu'ils sont 38'000 dans la région de Kigoma, auxquels se sont ajoutés 5000 nouveaux venus, qui sont arrivés début janvier 1997 en provenance de la ville zaïroise de Fizi.

Pour le moment, le gouvernement tanzanien autorise la plupart de ces réfugiés à rester; toutefois, des informations alarmantes laissentent entendre que des groupes de Burundais auraient été renvoyés de force dans leur pays, et que des réfugiés zaïrois et burundais ayant fui les camps de Kigoma auraient été arrêtés. Une telle attitude fait craindre que les autorités de Dodoma ne finissent aussi par imposer une date limite au retour des Burundais et des Zaïrois. Des Zaïrois qui avaient payé 50 US dollars pour un visa de trois mois ont vu brusquement leur visa annulé ou sa durée de validité ramenée à une semaine par les autorités tanzaniennes; cette mesure a été assortie d'une menace d'explusion si ces personnes n'acceptaient pas de verser par la suite une nouvelle somme d'argent afin de prolonger leur visa. Les conséquences d'un retour forcé vers l'un ou l'autre pays seraient désastreuses. La situation au Burundi et dans l'est du Zaïre demeure explosive. De fait, si cette situation continue à empirer, on s'attend à un exode massif de réfugiés, qui prendront très probablement la direction de la Tanzanie.

L'expulsion du camp tanzanien de Kitale d'au moins deux groupes de réfugiés burundais, l'un composé d'au moins 48 personnes et l'autre de 126, a donné lieu début janvier à une tragédie. Tous les réfugiés ont été tués par les forces de sécurité burundaises dans des circonstances laissant à penser qu'ils ont été victimes d'exécutions sommaires et délibérées; sur le groupe de 126 personnes, quatre seulement ont réussi à s'enfuir et ont survécu. Le premier groupe avait été expulsé de Tanzanie le 5 janvier, ou aux alentours de cette date, et emmené au camp militaire de Muyinga, au Burundi. Là, les membres du groupe ont été torturés, avant d'être tués le lendemain. Du second groupe, expulsé le 10 janvier, 122 personnes ont été tuées par les forces de sécurité burundaises au poste-frontière de Kobero. Différentes versions ont été avancées concernant les circonstances de ce massacre; selon certaines allégations, les réfugiés ont tenté de s'échapper d'un centre de détention, ou bien les soldats auraient paniqué lorsqu'une femme a lancé une grenade, qui n'a pas explosé. Un représentant du HCR qui se trouvait à l'époque à Kobero aurait été éloigné du lieu du massacre avant que les tirs ne commencent. Les autorités burundaises ont déclaré que six ou sept soldats, dont un caporal, avaient été arrêtés dans le cadre de cette affaire.

Il semble que les réfugiés aient été accusés par le gouvernement tanzanien d'avoir participé, dans le camp de Kitale, à des affrontements entre partisans de deux groupes rebelles hutus, affrontements qui ont fait huit morts parmi les réfugiés. Les combats auraient opposé des membres du Parti pour la libération du peuple hutu (PALIPEHUTU) et du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD). La majorité des personnes renvoyées au Burundi étaient apparemment affiliées au PALIPEHUTU. Il semble cependant qu'elles n'aient pas eu la possibilité de répondre aux accusations portées contre elles, ni de les réfuter avant d'être regroupées puis emmenées dans des camions de l'armée tanzanienne vers la frontière. Il semble également que la décision d'expulsion ait été prise au niveau local, sans consultation ni approbation des fonctionnaires compétents de l'administration centrale. De fait, quatre jours après le massacre, le vice-ministre de l'intérieur tanzanieen, Emmanuel Mwambulukutu, aurait déclaré que la Tanzanie n'avait "jamais expulsé de réfugiés burundais" (AFP, 14.1.1997).

A la lumière de ce type d'évènements dramatiques, il est possible de douter des promesses de la Tanzanie selon lesquelles les réfugiés burundais et zaïrois seront autorisés à rester sur son sol. Le ministre de l'Intérieur tanzanien a déclaré le 12 janvier que tous les réfugiés burundais devront s'être fait enregistrer dans les camps avant le 18 janvier. Il a également enjoint aux Burundais d'envisager sérieusement de retourner dans leur pays, en laissant entendre que les dangers qui les y attendaient n'étaient pas aussi graves que certains le prétendaient. Amnesty International craint vivement que de tels propos n'annoncent certains plans visant à renvoyer chez eux un grand nombre de réfugiés burundais, voire même à exiger que tous s'en retournent dans leur pays, comme cela s'est passé pour les réfugiés rwandais. Le ministre de l'Intérieur a en outre fait savoir que les réfugiés zaïrois devaient se faire également enregistrer auprès de l'administration des camps, ce qui laisse craindre d'éventuels retours vers la région est du Zaïre, où règne une situation dangereuse et totalement instable.

Le retour dans leur pays des Rwandais réfugiés dans les camps tanzaniens est presque terminé. Des informations inquiétantes ont fait état de sévices -notamment de viols- sur la personne de réfugiés aux mains des soldats ou des policiers tanzaniens. Par ailleurs, des milliers de réfugiés continueraient de se cacher en Tanzanie et seraient activement recherchés par les autorités du pays. D'après des informations émanant du HCR, 50'000 Rwandais se trouvaient toujours en Tanzanie à la date du 1er janvier 1997.

Certains réfugiés qui refusaient de rentrer se sont livrés aux autorités tanzaniennes ou ont été arrêtés. Au moins une cinquantaine d'entre eux se trouvent dans le camp de détention installé à Mwisa, dans la région nord-ouest du pays. Le 15 janvier, des représentants du gouvernement ont déclaré que 6354 réfugiés rwandais avaient été appréhendés dans le cadre d'une opération spéciale de répression menés dans le district de Ngara. Les autorités n'ont toujours pas mis en place de procédure de "filtrage" permettant d'examiner les requêtes formulées par ces personnes. Le HCR vient de faire savoir qu'il espérait que le gouvernement tanzanien allait instituer une procédure de ce type afin que les cas des Rwandais qui ne souhaitent pas rentrer chez eux soient examinés. Auparavant, Amnesty International s'était inquiétée du fait que le HCR n'avait pas insisté auprès du gouvernement tanzanien pour qu'il respecte cette obligation légale, et ne s'était pas assuré que les réfugiés en avaient connaissance, avant que ne commence en décembre l'opération de rapatriement*.

Le HCR a pu nouer quelques contacts avfec les détenus de Mwisa, mais il n'a pas encore eu la possibilité de réellement s'entretenir avec eux. Au nombre des détenus figurent des personnes soupçonnées d'avoir participé au génocide; l'on croit savoir qu'elles pourraient être déférées au Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui siège à Arusha (Tanzanie). Amnesty International enquête actuellement sur certaines informations selon lesquelles d'autres réfugiés qui refusent de retourner dans leur pays, mais qui n'ont apparemment pas été accusés de violations des droits de l'Homme, sont également détenus.

* Cf Tanzania/Rwanda : International Coopération in Forcing Rwandese Refugee Back from Tanzania (index AI : AFR 02/35/96, 6 décembre 1996) - Tanzanie/Rwanda. Une coopération internationale en vue de forcer les réfugiés rwandais à quitter la Tanzanie.
2. Zaïre

A en croire certaines informations inquiétantes, des dizaines de milliers de réfugiés rwandais et burundais -le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avance le chiffre de 270'000, tandis que le HCR parle de 330'000 personnes- se trouvent toujours dans l'est du Zaïre, à Shabunda, à Tingi-Tingi, à Amisi et dans les campagnes environnantes, où l'aide humanitaire ne leur parvient que très difficilement. Le HCR commence à peine à pouvoir entrer en contact avec ces réfugiés. Dans la zone de Shabunda, le CICR était le premier sur le terrain. Dans un premier temps, l'approvisionnement des réfugiés n'a pu se faire que selon un itinéraire difficile, en utilisant des gros-porteurs, puis des avions plus légers, des piroques et, enfin, des bicyclettes. De nombreux réfugiés sont malades ou blessés. D'après le HCR, jusqu'à 15 personnes meurent quotidiennement dans le camp de Tingi-Tingi, où le manque de nourriture a donné lieu à des conflits entre réfugiés et habitants de la région. Selon l'UNICEF, la mortalité infantile a connu dans ce camp une hausse alarmante : ainsi, en une seule journée, 12 enfants âgée de moins de cinq ans sont décédés.

Durant tout le mois de décembre 1996, on ne savait rien du sort et des conditions de vie des réfugiés restés au Zaïre. Si l'on dispose désormais de renseignements plus précis concernant les réfugiés de Shabunda, de Tingi-Tingi et d'Amisi, on est en revanche sans nouvelles d'autres réfugiés. D'après le HCR, un groupe comptant 4500 réfugiés, venus d'on ne sait où, a soudain fait son apparition le 6 janvier au nord-ouest de Bukavu; à la date du 9 janvier, 10'000 réfugiés s'étaient rassemblés dans cette zone, prêts à rentrer au Rwanda.

Pendant ce temps, les combats se poursuivent dans l'est du Zaïre. Les forces armées d'opposition continuent de gagner du terrain, tandis qu'il est question d'une contre-offensive à grande échelle organisée par les Forces armées zaïroises (FAZ). Le HCR fait observer qu'en raison du conflit, il est difficile d'apporter une aide appropriée aux réfugiés de Shabunda, de Tingi-Tingi et d'Amisi, car l'ouverture de couloirs humanitaires en vue d'atteindre ces réfugiés nécessiterait de traverser une zone de guerre. Il semble qu'à Goma la crainte ne cesse d'augmenter face à une reprise éventuelle de la ville par les soldats zaïrois et de ce qui pourrait s'ensuivre. Selon certaines informations, les troupes zaïroises assistées de mercenaires étrangers se regrouperaient dans la ville de Kisangani, première étape d'une probable tentative de reconquête des territoires tombés aux mains des groupes armés. Les camps de réfugiés de Shabunda, de Tingi-Tingi et d'Amisi sont situés entre les deux forces armées en présence, et la crainte est grande de voir à nouveau les réfugiés pris entre deux feux, voire désignés comme cibles. Par ailleurs, des affrontements auraient lieu au sein de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) à la suite de différends entre ce groupe armé dirigé par des Tutsi et la milice baptisée "Mai mai". En outre, des informations ont fait état d'une attaque contre le village de Mushaki et d'embuscades attribuées à des membres de l'ex-armée rwandaise et de la milice "Interahamwe", qui apporteraient leur aide aux troupes zaïroises.

Fin décembre, le CICR et Médecins sans frontières ont rappelé les membres étrangers de leurs équipes présentes dans cette zone en raison du danger et du climat de violence qui y régnaient. La sécurité étant de plus difficile à assurer, le HCR a suspendu provisoirement ses opérations dans le centre de transit de Tongo, près de Goma. Le 15 janvier, le Programme alimentaire mondial (PAM) a suspendu ses vols humanitaires à destination de l'est du Zaïre, après que des réfugiés et des soldats zaïrois eurent encerclé un avion qui transportait de la nourriture. Les représentants du PAM ont admis qu'une telle mesure allait avoir des conséquences dramatiques pour les réfugiés, plus de 50 % de l'approvisionnement étant actuellement acheminé par avion. Le même jour, le gouvernement zaïrois a annoncé une suspension de trois jours de tous les les vols à destination de cette région. Tous les membres d'organisations humanitaires internationales ont quitté Amisi le 15 janvier en raison de l'insécurité grandissante.

Le HCR a récemment fait connaître ses motifs de préoccupation concernant la sécurité des réfugiés restée au Zaïre. Il a fait état de certaines informations selon lesquelles le camp de Tingi-Tingi serait contrôlé par des extrémistes hutu, et indiqué que les réfugiés risquaient de ne pouvoir décider librement de leur retour au Rwanda. Le HCR a demandé que des mesures soient prises pour séparer les réfugiés des personnes qui se livrent à des actes d'intimidation. Il a également évoqué l'éventualité d'évacuations ciblées de réfugiés par la voie des airs afin de les ramener au Rwanda, et appelé à l'ouverture de couloirs humanitaires vers les zones où des réfugiés se sont repliés, ces couloirs pouvant faciliter les rapatriements et servir à l'acheminement de l'aide.

Il est une autre catégorie de personnes qui ont été tragiquement négligées, celle des personnes déplacées qui se trouvent dans l'est du Zaïre. Plus de 300'000 Zaïrois ont déjà été déplacés en raison de la violence et des exactions commises dans la région du Nord-Kivu, avant que le conflit armé n'éclate et octobre 1996. Il est certain que ce chiffre a considérablement augmenté, et qu'il va inévitablement augmenter encore si une contre-offensive est lancée ou si les combats entre factions s'intensifient.

Amnesty International redoute que de graves violations des droits de l'Homme ne continuent d'être perpétrées dans l'est du Zaïre par toutes les parties au conflit*. Si l'insécurité persiste, le risque est grand de voir les atteintes aux droits fondamentaux se multiplier et provoquer de nouveaux déplacements de populations, de nouveaux flots de réfugiés. Dans un tel contexte, le sort des réfugiés et des Zaïrois déplacés sera on ne peut plus précaire. La force multinationale qui devait intervenir pour protéger les réfugiés au Zaïre n'a pas connu un grand avenir : elle a été démantelée après que la communauté internationale eut déclaré que la crise des réfugiés avait été résolue. Sans ce type de soutien tant logistique que sécuritaire, il est quasiment impossible pour les organismes humanitaires d'assurer la protection des réfugiés et de satisfaire leurs besoins élémentaires. Dans ces circonstances, il est devenu difficile d'obtenir des informations précises sur la situation des droits de l'Homme.

* Cf Zaire - Hidden from scrutiny : human rights abuses in esatern Zaire (index AI : AFR 62/29/96, décembre 1996) - Zaïre. Dans l'est du pays, des atteintes aux droits de l'Homme sont commises loin des regards.
3. Les autres Etats de la région

La sécurité des Burundais réfugiés au Rwanda constitue un important motif de préoccupation. Le 30 septembre 1996, 392 Burundais ont été renvoyés de force du Rwanda vers la province de Cibitoke (dans le nord-ouest du Burundi), une zone où les forces de sécurité burundaises et les groupes armés d'opposition se sont rendus responsables de nombreux massacres. En juin et en juillet 1996, entre 3000 et 4000 Burundais ont fui vers la Rwanda après que des massacres eurent été signalés à Cibitoke*. A la mi-janvier 1997, certaines sources ont indiqué que les autorités rwandaises voulaient fermer un camp de réfugiés burundais situé dans la préfecture de Gikongoro. Dans un premier temps, le gouvernement de Kigali avait l'intention de renvoyer 1500 réfugiés vers le Burundi, pour la plupart contre leur gré. Il a apparemment accepté de revenir sur sa décision à la suite des protestations émises par le HCR. A la connaissance d'Amnesty International, cependant, rien n'indique que les autorités rwandaises vont autoriser les réfugiés à rester.

En Ouganda, 3000 réfugiés rwandais qui ont fui la Tanzanie ignorent ce que l'avenir leur réserve. Les autorités ougandaises ont fait part de leur intention de renvoyer ces réfugiés vers la Rwanda ou vers la Tanzanie. Près de 10'000 autres réfugiés rwandais qui avaient fui en 1994 et 1995 se trouvent déjà en Ouganda. Depuis que le conflit armé a éclaté dans l'est du Zaïre, plusieurs milliers de Zaïrois et de réfugiés rwandais ont gagné la région ouest de l'Ouganda. D'après certaines informations, un groupe d'environ 300 réfugiés zaïrois serait récemment arrivé à Hoima, dans l'ouest du pays.

Un certain nombre de Rwandais qui cherchaient à fuir la Tanzanie pour atteindre le Kenya ont été stoppés à la frontière; d'autres auraient réussi à entrer au Kenya puis à gagner la région de Mombasa. La sécurité a désormais été renforcée le long de la frontière tanzano-kenyane. En 1994, de nombreux réfugiés rwandais avaient fui vers le Kenya; là, les autorités du pays les ont fréquemment harcelés, recourant aux arrestations, à la détention pour de courtes périodes et aux menaces d'expulsion. Plusieurs détracteurs connus de l'actuel gouvernement rwandais ont été tués, et d'autres blessés; les responsables seraient des agents du gouvernement rwandais. Par ailleurs, on sait que le Kenya abrite plusieurs ressortissants rwandais soupçonnés d'avoir joué un rôle important dans le génocide, mais qu'il n'a rien fait pour enquêter sur leurs agissements, ni pour les déférer à la justice ou les remettre au Tribunal pénal international pour le Rwanda.

En outre, selon certaines sources, plus de 20 réfugiés ayant fui la région est du Zaïre seraient arrivés à un centre de regroupement de réfugiés situé dans le nord de la Zambie.

* Cf Action urgente Rwanda/Burundi : 392 réfugiés burundais expulsés du Rwanda. Plus de 3000 autres menacés d'expulsion (index AI : AFR 02/09/96, 3 octobre 1996)

III. Un programme d'action pour protéger ceux qui restent

On estime donc en gros que, dans la région des Grands Lacs, le nombre des réfugiés rwandais, burundais et zaïrois s'élève à au moins 500'000 personnes -mais il pourrait en réalité avoisiner les 750'000. Le nombre des personnes déplacées dans leur propre pays pourrait être équivalent. Cette crise humanitaire est loin d'être résolue. Que faut-il faire pour que ces personnes bénéficient de la protection dont elles ont besoin, et pour qu'elles ne soient pas si vite abandonnées à leur sort, tant par les pays d'accueil que par la communauté internationale ?


Rwanda : Les rapatriements massifs ne tiennent pas compte des droits de l'Homme

(Rapport d'Amnesty International, janvier 1997)

Introduction
Les retours massifs en provenance du Zaire
L'organisation du retour des personnes réfugiées au Zaire
Expulsions massives de Rwandais réfugiés en Tanzanie
Les réfugiés rentrant au Rwanda risquent d'etre victimes de violations des droits de l'Homme
La collaboration de la communauté internationale a l'expulsion des réfugiés
Recommandations

Résumé

On estime à un demi-million le nombre de Rwandais réfugiés au Zaïre qui, entre le 15 et le 19 novembre 1996, sont retournée dans leur pays; au cours des jours suivants, des dizaines de milliers d'autres ont pris le même chemin. Après plus de deux années passées en exil, ces personnes ont finalement dû fuir l'escalade de la violence et les effroyables atteintes aux droits de l'Homme commises par toutes les parties au conflit, conflit qui a éclaté en octobre 1996 dans l'est du Zaïre.

Plusieurs gouvernements étrangers et organisations intergouvernementales, dont les organes des Nations Unies installés au Rwanda, ont fait connaître leur relative satisfaction concernant l'opération de rapatriement de novembre 1996. Apparemment encouragé par cette absence de critiques de la part de la communauté internationale, le gouvernement tanzanien a décidé, en décembre, qu'il allait à son tour expulser des centaines de milliers de réfugiés rwandais. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a participé au renvoi forcé dans leur pays des Rwandais qui s'étaient réfugiés en Tanzanie.

Au cours des opérations de rapatriement organisées tant à partir du sol zaïrois que du territoire tanzanien, il semble que l'on ait oublié un problème plus vaste, celui posé par le non-respect des droits de l'Homme au Rwanda. Pourtant, à la mi-décembre 1996, le nombre de personnes détenues sans jugement tournait autour de 90'000, dont plus d'un millier étaient rentrées du Zaïre ou de Tanzanie. En outre, dans beaucoup de centres de détention, la surpopulation continuait de provoquer des décès parmi les détenus. Enfin, les arrestations arbitraires et les "disparitions" n'avaient pas cessé. Par ailleurs, le gouvernement rwandais n'avait guère pris d'initiatives pour traduire en justice les membres de l'Armée patriotique rwandaise (APR) accusés d'avoir, lors des opérations de ratissage de 1996, tué des centaines de civils non armés.

On trouvera résumées dans le présent document les conclusions auxquelles est parvenue Amnesty International à l'issue d'une visite au Rwanda en novembre 1996. Son également présentés ici une vue d'ensemble des dangers encourus par les réfugiés rwandais qui sont rentrés chez eux à la mi-décembre 1996, ainsi que des recommandations quant aux mesures à prendre pour empêcher toute nouvelle atteinte aux droits de l'Homme.

Lors de leur séjour au Rwanda, les délégués d'Amnesty International ont rencontré de hauts responsables du gouvernement. Ceux-ci se sont engagés à faire en sorte que les droits de l'Homme soient respectés, que les réfugiés retournant chez eux n'aient rien à craindre et que des mesures soient adoptées en vue d'améliorer la situation des droits fondamentaux.

La plupart de ces promesses sont pour l'instant restées lettre morte. Pour être véritablement efficaces, ces mesures -attendues depuis déjà longtemps- doivent s'accompagner de réformes en profondeur et à long terme, propres à garantir durablement le respect des droits de l'homme. A défaut, et tant que les violations se poursuivront dans le pays, les craintes de nombreux réfugiés de rentrer chez eux risquent fort de s'avérer fondées.

Considérant que l'amélioration de la protection des droits de l'Homme est une question d'urgence, Amnesty International demande aux autorités rwandaises, aux pays voisins et aux autres gouvernements, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales, de mettre en oeuvre les recommandations qu'elle leur adresse. L'Organisation appelle également la communauté internationale à renforcer à prolonger sa surveillance de la situation des droits de l'Homme au Rwanda. Le retour de centaines de milliers de personnes et la perspective d'un nouvel afflux de réfugiés imposent une évaluation circonstancée et impartiale des dangers qui menacent ces personnes à long terme.


Introduction

On estime à un demi-million le nombre de Rwandais réfugiés au Zaïre qui, entre le 15 et le 19 novembre 1996, sont retournés dans leur pays; au cours des jours suivants, des dizaines de milliers d'autres ont pris le même chemin. Après plus de deux années passées en exil, ces personnes ont finalement dû fuir l'escalade de la violence et les effroyables atteintes aux droits de l'Homme commises par toutes les parties au conflit, conflit qui a éclaté en octobre 1996 dans l'est du Zaïre.

Les délégués d'Amnesty International qui se trouvaient à Gisenyi, dans le nord-ouest du Rwanda, en novembre 1996, ont parlé à de nombreuses personnes dans les heures ou les jours qui ont suivi leur retour. Beaucoup semblaient traumatisées, épuisées et affamées. Certaines ont déclaré qu'elles étaient heureuses d'être de retour dans leur pays, même si elles y avaient été contraintes en raison des violences sévissant au Zaïre. D'autres semblaient avoir peur, ne sachant pas ce qui les attendait au Rwanda.

On trouvera résumées dans le présent document les conclusions auxquelles est parvenue Amnesty International à l'issue d'une visite au Rwanda en novembre 1996. Sont également présentés ici une vue d'ensemble des dangers encourus par les réfugiés rwandauis qui sont rentrés chez eux à la mi-décembre 1996, ainsi que des recommandations quant aux mesures à prendre pour empêcher toute nouvelle atteinte aux droits de l'Homme.

Plusieurs gouvernements étrangers et organisations inter-gouvernementales, dont les organes des Nations Unies installés au Rwanda, ont fait connaître leur relative satisfaction concernant l'opération de rapatriement de novembre 1996. Apparemment encouragé par cette absence de critiques de la part de la communauté internationale, le gouvernement tanzanien a décidé, en décembre, qu'il allait à son tour expulser des centaines de milliers de réfugiés rwandais.

Au cours des opérations de rapatriement organisées tant à partir du sol zaïrois que du territoire tanzanien, il semble qu'on ait oublié un problème plus vaste, celui posé par le non-respect des droits de l'Homme au Rwanda. Pourtant, à la mi-décembre 1996, le nombre de personnes détenues sans jugement tournait autour de 90'000, dont plus d'un millier étaient rentrées du Zaïre ou de Tanzanie. En outre, dans beaucoup de centres de détention, la surpopulation continuait de provoquer des décès parmi les détenus. Enfin, les arrestations arbitraires tet les "disparitions" n'avaient pas cessé. Par ailleurs, le gouvernement rwandais n'avait guère pris d'initiatives pour traduire en justice les membres de l'Armée patriotique rwandaise (APR) accusés d'avoir, lors des récentes opérations de ratissage d'août 1996, tué des centaines de civils non armée*.

En 1995 et en 1996, des représentants d'Amnesty International se sont rendus dans des camps installés au Zaïre et en Tanzanie pour s'y entretenur avec les réfugiés. Ceux-ci ont fait par à l'Organisation de leurs craintes d'être arrêtés arbitrairement, détenus dans des conditions inhumaines, voire tués, s'ils retournaient au Rwanda. Au nombre des facteurs qui les empêchaient de rentrer chez eux, il faut évoquer la propagande politique et les manoeuvres d'intimidation physique et psychique auxquelles se livraient certains dirigeants compromis avec lo'ex-armée rwandaise et l'ancien gouvernement du pays, ainsi que de précédents rapports d'Amnesty International l'ont fait apparaître**. cependant, la crainte d'être victimes d'atteintes aux droits de l'Homme dans leur propre pays expliquait aussi en grande partie pourquoi ces réfugiés se montraient peu disposés à rentrer. Malgré cela, des centaines de milliers d'entre eux ont été contraints en 1996 de retourner au Rwanda -renvoyée du Burundi en juillet et en août, du Zaïre en novembre et de Tanzanie en décembre- sans se voir offrir un quelconque moyen de protection.

Lors de leur séjour au Rwanda, les délégués d'Amnesty International, dont le secrétaire général de l'Organisation, ont rencontré de hauts responsables du gouvernement, notamment le vice-président Paul Kagame, des conseillers du président et du vice-président, ainsi que plusieurs ministres. Ils se sont entretenus avec eux de la situation des droits de l'Homme au Rwanda et en particulier des conditions qui attendaient les réfugiés à leur retour chez eux. Les délégués de l'Organisation ont reçu l'assurance que les droits fondamentaux seraient respectés. Leurs interlocuteurs ont déclaré que des instructions avaient été données pour que personne ne soit arrêté sans qu'il y ait eu préalablement constitution d'un dossier, que certains prisonniers seraient relâchés afin de répondre en partie au problème de la surpopulation dans les centres de détention et que les plaintes individuelles pour atteinte aux droits de l'Homme feraient l'objet d'enquêtes. Certains hauts responsables ont reconnu qu'il y avait eu des arrestations arbitraires, des homicides et des mauvais traitements. Amnesty International a accueilli avec satisfaction l'assurance qui lui a été donnée que les réfugiés n'ont plus rien à craindre en revenant chez eux, ainsi que l'engagement du gouvernement rwandais de prendre des mesures pour améliorer la situation des droits fondamentaux.

Cependant, la plupart de ces promesses sont pour l'instant restées lettre morte. Pour être véritablement efficaces, elles doivent s'accompagner de réformes en profondeur et à long terme, propres à garantir durablement le respect des droits de l'Homme. A défaut, et tant que les violations se poursuivront dans le pays, les craintes de nombreux réfugiés de rentrer chez eux risquent fort de s'avérer fondées.

* Cf supra, le rapport d'Amnesty International du 12 août 1996 intitulé : Rwanda, recrudescence alarmante des massacres
** Cf les rapports d'Amnesty International intitulés : Rwanda et Burundi. Le retour au pays : rumeurs et réalités (index AI : AFR 02/01/96, février 1996) et Rwanda : les auteurs du génocide reçoivent toujours des armes (index AI : AFR 02/14/95, juin 1995).

Les retours massifs en provenance du Zaïre

Le retour en l'espace de quelques jours d'environ 500'000 Rwandais réfugiés au Zaïre n'a pas été volontaire. Il s'agissait pour eux d'une question de survie. A la mi-novembre 1996, des réfugiés qui venaient de traverser la frontière et d'entrer dans la ville de Gisenyi (nord-ouest du Rwanda) ont déclaré à Amnesty International que leurs camps avaient été attaqués par des groupes armés. Leurs témoignages recoupaient ceux recueillis lors de séjours effectués par des représentants de l'Organisation à la même époque au Zaïre et en Tanzanie. Amnesty International a publié quelques rapports sur les graves atteintes aux droits de l'Homme commises par toutes les parties s'affrontant dans l'est du Zaïre*.

Dans la panique, de nombreux réfugiés ont été séparés des membres de leur famille. A ce jour, certains ignorent encore ce qu'il est advenu de leurs enfants, de leurs parents, de leurs frères ou de leurs soeurs. Parmi les centaines de milliers de personnes qui sont rentrées au Rwanda se trouvaient de nombreux enfants livrés à eux-mêmes. Les organismes internationaux ont parfois réuffi à réunir des familles, mais l'on ne sait toujours rien du sort de nombreux réfugiés qui ont fui en s'enfonçant à l'intérieur des forêts de l'est du Zaïre.

Les réfugiés rentrés au Rwanda ont évoqué des affrontements entre les Forces armées zaïroises (FAZ) et le groupe armé tuti (dans la région, on parle des Banyamulenge) qui se fait officiellement appeler Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). Certains ont dit avoir vu en octobre 1996 des soldats de l'APR franchir la frontière à Gisenyi et Cyangugu pour aller prêter main forte à l'AFDL dans l'est du Zaïre. Des journalistes ont également déclaré avoir aperçu des soldats de l'APR qui traversaient la frontière à Gisenyi pour se rendre à Goma.

Des Rwandais revenus dans leur pays ont parlé d'accrochages entre l'AFDL et des soldats de l'ex-armée rwandaise ainsi que des membres de la milice "Interahamwe" ("Ceux qui combattent ensemble"), qui sont en grande partie responsable du génocide de 1994 au Rwanda. Plusieurs réfugiés ont affirmé qu'à la suite des premiers affrontements les soldats de l'ex-armée rwandaise et les Interahamwe s'étaient enfuis vers le Nord ou vers l'Ouest, accompagnés d'un important groupe de réfugiés décrits par certains comme étant des "otages".

Au cours des combats, de nombreux réfugiés rwandais ou des Zaïrois de la région ont trouvé la mort, qu'ils aient été pris entre deux feux ou délibérément tués. L'identité des responsables n'était pas toujours connue. Un réfugié du camp de Mugunga a déclaré qu'il avait vu autour du camp et dans la forêt une cinquantaine de cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants qui, pour la plupart, présentaient des traces de balles. D'autres réfugiés, ainsi que des Zaïrois déplacés, ont été victimes de la faim, de l'épuisement ou de maladies. Quelles que soient les causes de la mort de ces personnes, les groupes ou individus qui ont attaqué les camps et profité des combats pour tuer ou disperser les réfugiés ont fait un grand nombre de victimes et terrorisé des centaines de milliers de réfugiés.

Un autre réfugié de retour au Rwanda a déclaré que sa mère, sa grand-mère et sa soeur de 18 ans avaient été tuées lors des attaques lancées contre le camp de Mugunga.

Dans la préfecture de Gisenyi, les délégués d'Amnesty International ont parlé à des réfugiés qui venaient de rentrer dans leur région d'origine. Dans le secteur de Rusiza, commune de Mutura, un homme assez âgé revenu le 15 novembre a raconté comment il avait fui le camp de Kahindo avec des milliers d'autres personnes, pour s'enfoncer dans la forêt; beaucoup y auraient trouvé la mort. Cet homme a été séparé de sa femme et de ses quatre enfants -le plus jeune avait trois ans-, ainsi que d'un orphelin qui était avec eux. Seul, il a franchi la frontière. Sans nouvelles de sa famille, il craignait que tous ne soient morts et il ne comprenait pas pourquoi les organisations internationales ne faisaient pas plus d'efforts pour tenter de retrouver les personnes dispersées dans la forêt.

Les délégués d'Amnesty International se sont également entretenus, à Cyangugu (dans le sud-ouest du Rwanda) avec des Rwandais rentrant chez eux et des réfugiés burundais. Ces personnes, qui avaient fui le Sud-Kivu (est du Zaïre), ont décrit les attaques contre les camps de réfugiés installés dans cette région, ainsi que les homicides commis sur des réfugiés.

Tharcisse Barutwanayo, réfugié burundais de 22 ans originaire de Kayanza, a fui la région est du Zaïre pour gagner le Rwanda parce qu'il craignait pour sa vie. Cet ancien étudiant avait fui le Burundi fin 1993 pour échapper aux terribles massacres qui s'y perpétraient. Après être resté au Rwanda jusqu'en juillet 1994, il avait fui vers le Zaïre. Il a déclaré qu'à partir du 15 octobre 1996 des combats avaient opposé les Banyamulenge aux forces de sécurité zaïroises près du camp de Luvungi, à proximité d'Uvira. Il avait alors gagné Bukavu en compagnie de nombreux autres réfugiés burundais et rwandais, puis continué jusqu'à Chimanga. Là, il avait été témoin du massacre de réfugiés burundais et rwandais, ainsi que de Zaïrois déplacés, par les forces de l'AFDL. Voici son témoignage :

A cinq heures de l'après-midi, les Banyamulenge ont pénétré dans le camp (...). Ils nous ont dit de nous rendre en un lieu précis du camp pour assister à une réunion, au cours de laquelle ils nous diraient comment rentrer chez nous. Le camp comptait au total 700 personnes. Une centaine environ ont accepté de rejoindre le lieu de la réunion. Nous n'y sommes pas allés, craignant d'être tués. Ensuite, ils ont encerclé le camp; personne ne pouvait s'enfuir. A 5 heures 45, ils ont bombardé l'endroit où ils avaient dit aux gens de se regrouper. Ils leur ont également tiré dessus avec leurs fusils. Entre-temps, les Banyamulenge qui avaient encerclé le camp ont aussi ouvert le feu sur ceux d'entre nous qui n'avaient pas rejoint le lieu de la réunion. Beaucoup sont morts. Près de ma tente, il y avait une vingtaine de cadavres, dont deux membres de notre petit groupe. Sur les 700 personnes qui se trouvaient à l'origine dans le camp, moins d'une centaine ont pu gagner le centre de transit.

Finalement, Tharcisse Barutwanayo a franchi la frontière rwandaise, atteignant la ville de Cyangugu, après avoir marché cinq semaines durant. Il n'avait aucune nouvelle de sa femme, et son jeune enfant était mort des suites d'une maladie. Tharcisse Barutwanayo craignait d'être contraint de retourner au Burundi, où les forces de sécurité et les groupes armés continuent de se livrer à des massacres sur une grande échelle. A la frontière, on lui avait dit que les réfugiés burundais seraient renvoyés dans leur pays. Il a déclaré à Amnesty International : "Nous sommes en permanence entre la vie et la mort".

En raison de la confusion généralisée et de l'absence d'informations sur l'identité exacte des personnes ayant franchi la frontière rwandaise en provenance du Zaïre, les auteurs d'exactions au Zaïre ont pu facilement dissimuler leurs crimes. C'est ainsi que, le 30 novembre 1996, Phocas Nikwigize, ancien évêque de Ruhengeri (Rwanda) a "disparu" à Goma, dans l'est du Zaïre. Cet homme, aujourd'hui âgé de plus de 70 ans, était réfugié au Zaïre depuis 1994. Alors qu'il se dirigeait v ers la frontière rwandaise, un groupe d'hommes armés s'est emparé de lui. Depuis lors, on n'a plus aucune nouvelle de lui, pas plus d'un côté de la frontière que de l'autre, et on craint qu'il ne soit mort.

De nombreux autres réfugiés sont morts dans l'est du Zaïre ou ont "disparu". Durant tout le mois de décembre, Amnesty International a continué de recueillir des témoignages faisant état de massacres de civils dans le Nord et le Sud-Kivu. Ces témoignages donnent à penser que toute l'étendue des atrocités commises dans cette région n'a pas encore été mise au jour.

*Cf les rapports intitulés "Zaïre. Loin des regards de la commkunauté internationale : violations des droits de l'Homme dans l'est du Zaïre" (index AI : AFR 62/29/96, 19 décembre 1996), "Zaïre. Violentes persécutions perpétrées par l'Etat et les groupes armés" (index AI : AFP 62/26/96, 29 novembre 1996) et "Zaïre. Anarchie et insécurité au Nord-Kivu et au Sud-Kivu (index AI : AFR 62/14/96, novembre 1996).

L'organisation du retour des personnes réfugiées au Zaïre

Le retour soudain d'un si grand nombre de réfugiés en un laps de temps si court a posé d'énormes problèmes tant pratiques que logistiques aux autorités gouvernementales et aux organisations humanitaires présentes au Rwanda.

Rien n'a été fait pour enregistrer les centaines de réfugiés au moment où ils franchissaient la frontière pour rentrer au Rwanda. Cette absence de contrôle est peut-être compréhensible en raison de l'afflux de personnes, mais Amnesty International redoute qu'elle ne constitue un sérieux obstacle pour déterminer ultérieurement ce que celles-ci sont devenues. Le fait que les gens ne soient pas enregistrée avant d'avoir rejoint leur région d'origine ouvre la porte aux "disparitions".

Il est rapidement devenu manifeste, aux yeux des représentants d'Amnesty International comme à ceux d'autres observateurs présents à Gisenyi entre le 15 et le 19 novembre, que les autorités rwandaises avaient arraché le contrôle des opérations des mains du HCR et des organisations humanitaires non gouvernementales (ONG). Ainsi, les autorités de Kigali ont réquisitionné les véhicules appartenant aux organes des Nations Unies et aux autres organisations humanitaires. La stratégie du gouvernement visait à faire revenir les réfugiés dans leur région d'origine le plus vite possible, alors même que certaines de ces régions se trouvent fort éloignées de la frontière. Les autorités ont expliqué qu'elles voulaient éviter, pour des raisons de sécurité, que les réfugiés rentrant au pays ne tentent de s'arrêter le long de la route.

Les ONG humanitaires se sont entendu dire qu'elles ne pourraient distribuer de la nourriture à ces personnes que lorsque celles-ci auraient été officiellement enregistrées par les autorités locales de leur région d'origine, un processus susceptible de prendre plusieurs jours. Les rapatriés ont dû survivre en se nourrissant des racines et des feuilles trouvées au bord de la route, ou bien, une fois de retour dans leur région, en se partageant la nourriture offerte par des habitants de leur localité. A partir de la frontière, des distributions occasionnelles de biscuits organisées le long de la route par des organisations internationales ont parfois provoqué des bagarres entre expatriés.

Le 18 novembre, des représentants des autorités rwandaises se sont présentés dans un centre de soins provisoires dressé près de la frontière par la Croix-Rouge et d'autres organismes. Ils ont contraint quelque 350 malades à monter à bord de camions, apparemment sans fournir la moindre explication, puis les ont emmenés à l'ancien centre de transit du HCR à Nkamira, dont des responsables rwandais s'étaient arrogé le contrôle. Parmi les malades figuraient des rapatriés handicapés ou âgés, ainsi qu'une vingtaine de mères accompagnées de leurs nourrissons. Seules les personnes sous perfusion intraveineuse ou soupçonnées d'êtres atteintes de maladies infectieuses graves ont été autorisées à demeurer temporairement dans le centre de soins.

Beaucoup de réfugiés rentrant au Rwanda se trouvaient dans un mauvais état physique après avoir marché des semaines au Zaïre pour échapper aux combats. Cependant, après avoir franchi la frontière, ils n'ont pas été autorisés à se reposer. Les autorités rwandaises les ont obligés à poursuivre leur marche, dans certains cas jusqu'à leur région d'origine, dans d'autres jusqu'à un point de transit situé à plus de soixante kilomètres de la frontière; là, ceux qui habitaient encore plus loin ont pu bénéficier d'un moyen de transport. Dans la nuit du 19 novembre, les représentants d'Amnesty International ont vu des dizaines de milliers de personnes, dont des femmes et des enfants en bas âge, qui se rendaient à pied de Gisenyi à Ruhengeri; les délégués de l'Organisation ont constaté que ces personnes étaient en bien plus grand nombre et marchaient beaucoup plus vite que celles aperçues les nuits précédentes.

Pourtant, un porte-parole du HCR a déclaré le 18 novembre à Gisenyi : "Rien n'indique que le gouvernement oblige délibérément les gens à continuer à marcher". Interrogé par des journalistes sur le fait de savoir pourquoi le HCR n'avait pas protesté contre la fermeture forcée du centre de soins, cet homme a répliqué que ce n'était pas le rôle de cet organisme de le faire. Le lendemain, le porte-parole du HCR a précisé : "Dans l'ensemble, (le rapatriement) sx'est étonnamment bien passé".

Si les journalistes et les représentants des organisations de défense des droits de l'Homme ont pu généralement avoir accès à la zone frontalière et aux différents sites le long du chemin, trois journalistes locaux ont été menacés par des soldats rwandais alors qu'ils photographiaient les rapatriés à Gisenyi, ainsi que des soldats en train de contraindre des rapatriés à s'éloigner du centre de transit de Nkamira. Les soldats ont saisi les pellicules des trois journalistes.


III. Expulsions massives de Rwandais réfugiés en Tanzanie

Début décembre, une déclaration conjointe du gouvernement tanzanien et du HCR indiquait que tous les réfugiés rwandais pouvaient désormais rentrer chez eux en toute sécurité et leur demandait d'avoir quitté la Tanzanie avant le 31 décembre 1996. On estimait alors le nombre de réfugiés rwandais en Tanzanie à plus de 500'000. A l'inverse des réfugiés présents au Zaïre ou au Burundi, les Rwandais ayant trouvé refuge en Tanzanie avaient pu jouir d'une relative sécurité : leurs camps n'avaient pas été la cible d'attaques et ni incidents majeurs en matière de sécurité ni violences généralisées n'avaient été signalés.

A la mi-décembre 1996, au moment où nous rédigions le présent document, plus de la moitié des quelque 550'000 Rwandais réfugiés en Tanzanie avaient, semble-t-ul, déjé franchi la frontière ou s'y apprêtaient. On ne sait rien du sort de milliers d'autres qui ont fui en direction de l'Est ou tenté de gagner les pays voisins.

Amnesty International considère que la déclaration conjointe du gouvernement tanzanien et du HCR, ainsi que le renvoi forcé de centaines de milliers de réfugiés rwandais qui s'en est suivi, contreviennent aux obligations qui sont celles de la Tanzanie à l'égard des réfugiés présents sur son sol, notamment en matière de protection contre l'expulsion, au regard du droit international. La déclaration conjointe, qui a été adressés aux réfugiés, ne faisait aucune allusion à une quelconque possibilité de choix pour ceux qui craignaient toujours d'être victimes d'atteintes aux droits de l'Homme au Rwanda. Il s'agit-là d'une initiative sans précédent si l'on considère l'action menée par le HCR dans d'autres parties du monde, où certaines dispositions ont été prises pour identifier les personnes susceptibles d'être exposées à des dangers dans leur pays d'origine. Les termes employés dans la déclaration ne laissaient aucun doute quant au fait que les réfugiés seraient expulsés de Tanzanie; si, selon certaines informations, il existait une possibilité de mettre en place une procédure de "filtrage" à l'intention des réfugiés craignant de renotrer chez eux, il ne semble pas que celle-ci ait été publiquement reconnue par le gouvernement tanzanien ni par le HCR. Un certain nombre de réfugiés qui ont refusé de partir sont à présent détenus dans un camp fermé à Mwisa. Apparemment, les autorités tanzaniennes n'ont institué aucune procédure de "filtrage" pour examiner leurs demandes d'asile.

L'ultimatum a provoqué la panique parmi les réfugiés. Beaucoup ont fui les camps installés à proximité de Ngara et ont pris, à pied, la direction de l'Est -pour s'^éloigner de la frontière- ou du Nord, vers l'Ouganda. A partir du 14 décembre environ, des milliers de personnes ont été contraintes par les forces de sécurité tanzaniennes à rebrousser chemin vers la frontière rwandaise. Des renforts militaires ont été dépêchés dans cette zone; de plus, des membres des forces de sécurité tanzaniennes auraient pénétré dans certains camps pour forcer les réfugiés à partir. Pendant plusieurs jours, la plupart des organisations humanitaires qui avaient porté assistance aux réfugiés, dont le HCR, se sont vu interdire l'accès aux camps par les forces de sécurité tanzaniennes. En outre, de hauts responsables de l'armée et du gouvernement rwandais auraient été aperçus à proximité des camps installés près de Ngara.

Amnesty International mène actuellement une enquête pour savoir s'il est vrai que des membres des forces de sécurité tanzaniennes ont, comme l'affirment certaines sources, battu des réfugiés dans les régions de Ngara et de Karagwe et incendié une église dans le camp de Benaco afin d'obliger les réfugiés à rentrer au Rwanda.

Quelque 3000 réfugiés -pour la plupart des femmes et des enfants- auraient fui la Tanzanie pour rejoindre l'Ouganda. Amnesty International est préoccupéée par certaines informations selon lesquelles des responsables du gouvernement ougandais -notamment le ministre de l'Administration locale, Jaberi Bidandi Ssali, cité dans l'édition du 18 décembre 1996 du journal "The New Vision"- auraient déclaré que les réfugiés ne seraient pas autorisés à rester en Ouganda et qu'ils seraient expulsés vers la Tanzanie ou vers le Rwanda.

De l'autre côté de la frontière, les autorités rwandaises ont pris des mesures rigoureuses pour restreindre l'accès à la zone frontalière, empêchant de nombreuses ONG d'aider les réfugiés sur le chemin du retour; il semble toutefois qu'il y ait eu moins de problèmes de transport et de distribution de nourriture que lors de l'opération de rapatriement de novembre à partir du Zaïre. Les réfugiés arrivant de Tanzanie n'ont toutefois pas été enregistrée lorsqu'ils ont franchi la frontière rwandaise, ce qui, une fois encore, empêche d'assurer une surveillance efficace et ouvre la porte aux "disparitions". Si l'on concisère que, dans le cas de la Tanzanie, le rapatriement ne se posait pas dans les mêmes ternes d'urgence, il aurait dû être possible de mettre en place un processus d'enregistrement approprié.

Il ne s'agissait pas, pour la Tanzanie, de sa première expulsion de réfugiés rwandais. En effet, le 22 août 1996, sept réfugiés du camp de Lumasi -Gervais Bigirabagabo, Boniface Birekeraho, Jean-Providence Gahutu, Léonidas Munyaneza, Laurent Mishimiyimana, Eugène Tugirezu et Augustin Ukobizaba- ont été arrêtés par des responsables tanzaniens. Ces personnes, des intellectuels ayant joué un rôle proéminent dans le camp, ont été détenues durant deux jours au poste de police de Kabanga avant d'être remises aux autorités rwandaises. Depuis, elles sont détenues sans jugement à la gendarmerie de Kibungo, dans l'est du Rwanda.

Il semble que ces sept réfugiés aient été arrêtés par les autorités tanzaniennes non parce qu'ils auraient participé au génocide de 1994 au Rwanda, mais parce qu'ils avaient réclamé de meilleures conditions de sécurité au Rwanda et l'instauration d'un dialogue entre les réfugiés et le gouvernement rwandais. Ils avaient adressé un mémorandum au président Tanzanien afin de lui demander d'user de son influence pour sortir le Rwanda de l'impasse politique; le mémorandum critiquait aussi la position de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) face à la situation des droits de l'Homme au Rwanda.


IV. Les réfugiés rentrant au Rwanda risquent d'être victimes de violations des droits de l'Homme

Amnesty International a, en maintes occasions, fait part de sa préoccupation concernant les atteintes systématiques aux droits de l'Homme qui sont commises au Rwanda, notamment les arrestations arbitraires, la détention prolongée sans inculpation ni jugement dans des conditions s'apparentant à un traitement cruel, inhumain et dégradant, les "disparitions" et les exécutions extrajudiciaires imputables à des agents du gouvernement ou des membres des forces de sécurité. L'Organisation craint que les personnes rentrant du Zaïre ou de Tanzanie ne soient victimes de ce type de violations ou la cible d'attaques de la part de la population locale.

Les personnes qui retournent au Rwanda ne sont pas forcément plus exposées à des violations que les membres d'autres couches de la population. Beaucoup seront cependant considérées avec suspicion du fait que, dans les camps de réfugiés du Zaïre et de Tanzanie, se trouvaient des responsables du génocide. Il faut donc que des mesures soient prises pour que les personnes n'ayant pas participé au génocide ne soient pas victimes de représailles simplement parce qu'elles ont fui en 1994.

L'un des plus graves problèmes qui attend les réfugiés rentrant dans leur pays concerne les litiges relatifs à la propriété des terres et autres biens. Dans de nombreux cas, les terres et maisons qu'ils occupaient ou possédaient auparavant sont passées aux mains d'autres personnes. Leur retour va donc inévitablement provoquer des litiges touchant aux droits de propriété.

Le gouvernement a mis sur pied un programme de construction de nouvelles habitations et ordonné aux occupants illégalement installés dans les logements existants de partir dans les deux semaines qui suivent le retour des proriétaires; il semble cependant que peu de mécanismes aient été mis en place pour vérifier que cette directive est respectée ou pour régler les litiges. De retour chez elles, certaines personnes sont obligées de partager leur maison avec les occupants illégaux, tandis que d'autres préfèrent aller habiter chez des amis ou des parents. Beaucoup, par peur, n'osent pas réclamer la restitution de leurs biens. En 1995 et 1996, des personnes qui tentaient de les récupérer ont été arrêtées, voire tuées, ou ont tout simplement "disparu". Les auteurs de tels agissements n'étaient pas toujours des agents du gouvernement, mais ce dernier n'a pas fait grand chose pour y mettre fin. Depuis novembre 1996, il semble que, dans certaines régions, les occupants illégalement installés dans des logements laissent ceux qui reviennent reprendre possession de leurs biens; dans d'autres régions, toutefois, certains s'y refuseraient encore.

1. La détention sans inculpation ni jugement et les arrestations arbitraires

On estime à environ 90'000 le nombre de personnes actuellement détenues au Rwanda. La plupart sont accusées d'avoir participé au génocide; beaucoup ont été arbitrairement et illégalement arrêtées, parfois sur la base d'éléments de preuve insignifiants, voire inexistants. Au cours de l'année 1996, Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages concernant des arrestations arbitraires et a pu s'entretenir avec des teénus ou leurs proches. L'Organisation pense que beaucoup de personnes aujourd'hui détenues sont peut-être coupables de crimes commis pendant la génocide, mais que de nombreuses autres sont probablement innocentes.

Au cours de ces derniers mois, des progrès ont été enregistrés dans la esmise sur pied du système judiciaire national rwandais. Il subsiste néanmoins d'importants motifs de préoccupation. Amnesty International a fait part aux autorités rwandaises de son inquiétude face au risque de voir les procès se dérouler de façon inéquitable, notamment en raison de l'absence d'avocats de la défense. L'Organisation a soulevé différentes questions touchant à la compétence, à l'impartialité et à l'indépendance du personnel judiciaire; elle s'est étonnée du refus du gouvernement d'autoriser la collaboration d'experts judiciaires étrangers à certains niveaux de l'appareil judiciaire. L'Organisation a également gà plusieurs reprises fait état de son opposition au recours à la peine de mort*.

Au nombre des cas illustrant le problème des arrestations arbitraires figure celui de l'abbé Jean-François Kayiranga, 34 ans, prêtre du diocèse de Nyundo et ancien enseignant. Cet homme a été appréhendé le 6 novembre 1996 à Kivumu (préfecture de Kibuye) alors qu'il venait se faire enregistrer pour obtenir une nouvelle carte d'identité. L'officier de police judiciaire aurait sur le champ rédigé un mandat d'arrêt à l'encontre du prêtre, pour l'appréhender immédiatement après sur la base d'une accusation non précisée selon laquelle il aurait participé au génocide. D'après plusieurs sources, l'abbé Kayiranga était le seul prêtre du diocèse de Nyundo à n'avoir pas quitté le pays en 1994 et des survivants auraient fait son éloge car il aurait sauvé plusieurs personnes du massacre. L'abbé Kayiranga se trouve actuellement au centre de détention de Gitesi, où règnent des conditions de vie très pénibles. Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1996, 16 détenus y sont morts en raison du manque d'aération et du fort taux de surpopulation**.

En novembre 1996, le gouvernement rwandais a annoncé que des instructions avaient été données aux fonctionnaires concernés pour qu'il soit mis fin aux arrestations arbitraires et pour que personne ne soit arrêté sans qu'un dossier ait préalablement été constitué. Il semble que certains efforts aient été faits pour respecter ces instructions, mais la définition de ce que "dossier" veut dire n'en demeure pas moins vague. Dans de nombreux cas, une simple dénonciation visant telle ou telle personne est apparemment suffisante pour justifier une arrestation, et ce malgré les plus récentes directives du gouvernement.

Le 15 novembre 1996, soit le jour où les réfugiés ont commencé à revenir du Zaèire, une liste portant les noms de personnes tuées pendant les massacres de 1994 avec, en vis-à-vis, ceux de leurs assassins présumés, serait apparue dans les locaux d'au moins une administration communale de la préfecture de Kigali.

En décembre 1996, le gouvernement a publié une liste de 1946 personnes -dénommées suspects de catégorie1-*** soupçonnées d'avoir joué un rôle déterminant dans le génocide. Cette liste a été constituée à partir des renseignements transmis par les procureurs de différentes régions du pays. Plusieurs personnes dont les noms apparaissent sur cette liste auraient été arrêtées. On ignore combien d'éléments de preuve détaillés sont disponibles à l'encontre de chacune des personnes figurant sur la liste.

Au moment où nous rédigions le présent document, plus de 1000 réfugiés revenus du Zaïre ou de Tanzanie auraient été arrêtés. Un grand nombre d'entre eux auraient été maltraités lors de leur interpellation ou en détention. On ignore encore les chefs d'inculpation précis prononcés à leur encontre. Il semble que, durant la première moitié de décembre, le nombre des arrestations de personnes rentrant au pays ait augmenté. Le nom de certaines personnes arrêtées apparaîtrait sur la liste gouvernementale des suspects de catégorie 1. Des sources indépendantes ont confirmé à Amnesty International que, dans la foule de réfugiés retournant chez eux, se trouvaient certains auteurs des massacres de 1994 dont l'identité était connue. Au nombre des personnes appréhendées en novembre et en décembre figuraient plusieurs anciens membres de l'administration locale, tels que des bourgmestres et des conseillers de secteur, d'ex-fonctionnaires de l'Etat, ainsi que d'anciens soldats des forces armées rwandaises. Dans certains cas, les autorités ont déclaré que des personnes avaient été appréhendées pour leur propre sécurité, afin de les protéger contre des représailles; elles ont également affirmé que certaines personnes avaient demandé à être arrêtées.

On peut s'attendre à ce que de nouvelles vagues d'arrestations aient lieu lorsque les rapatriés commenceront à se faire enregistrer afin d'obtenir une nouvelle carte d'identité. En avril et mai 1996, le nombre des arrestations a brusquement augmenté lorsqu'ont débuté les opérations d'enregistrement pour l'obtention d'une nouvelle carte. Tous les citoyens rwandais sont tenus de se rendre dans leur commune d'origine et de se faire enregistrer auprès de l'administration locale pour pouvoir demander la nouvelle cvarte d'identité.

Certains rapatriés auraient été arrêtés sans aucune explication. C'est ainsi qu'un ancien directeur d'école, Origène Rutayisire, 35 ans, a été appréhendé le 10 décembre dans les locaux de l'administration commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri). On ignore le motif de son arrestation. Ancien réfugié du camp de Katale au Zaïre, cette homme était rentré au Rwanda le 22 novembre.

Phocas Habimana, 54 ans, économiste, et sa femme, Gaudence Nyasafari-Habimana, sociologue, sont rentrés du Zaïre au Rwanda en novembre 1996. Dix jours plus tard, Phocas Habimana a été appréhendé. Il est actuellement détenu à Ruhengeri. Peu de temps après son arrestation, le domicile de sa femme a été saccagé par des hommes armés, qui se sont emparés de tous ses biens. Le couple avait occupé des fonctions de conseillers auprès de l'ancien gouvernement rwandais, lui en tant qu'économiste et elle en qualité de directrice de l'Office national de la population.

Les membres de l'ex-armés rwandaise sont tout particulièrement susceptibles d'être regardés avec suspicion. Le 19 novembre 1996, des délégués d'Amnesty International ont assisté à une réunion dans les locaux de l'administzration communale de Rwerere (préfecture de Gisenyi), à laquelle participaient des représentants des autorités civiles et militaires locales et un groupe de 33 anciens soldats des forces armées rwandaises qui venaient de rentrer du Zaïre. Le discours officiel prononcé à cette occasion contenait principalement des messages de réconfort et de réconciliation à l'adresse des 33 soldats, mais il leur était aussi explicitement dit qu'ils seraient les premiers à être suspectés si des violences ou des atteintes à la sécurité venaient à se produire dans la région.

A la suite du retour en juillet et en août 1996 de quelque 75'000 réfugiés rwandais en provenance du Burundi, les autorités rwandaises et les représentants d'organisations internationales ont souligné le fait qu'à leur arrivée "seulement un pour cent" de ces réfugiés avaient été arrêtés et que peu d'entre eux avaient été la cible de violations des droits de l'Homme au Rwanda. A la date de novembre 1996, toutefois, on signalait que plus de 2000 Rwandais rentrés du Burundi étaient incarcérés sans inculpation ni jugement dans des centres de détention fortement surpeuplés. La plupart étaient incarcérés à Butare, où les conditions de détention pouvaient parfois être assimilées à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Parmi les personnes arrêtées figuraient de nombreux intellectuels et anciens fonctionnaires locaux de l'administration précédente.

* Cf. Rwanda : Memorandum to the Rwandese Government. Amnesty International's concerns and recommendations for fair trials in Rwanda (index AI : TG AFR 47/96/09, mars 1996) - Rwanda : Mémorandum adressé au gouvernement rwandais. Les préoccupations d'Amnesty International et ses recommandations pour l'organisations de procès équitables au Rwanda.
** Cf Action urgente d'Amnesty International 258/96 du 8 novembre 1996 (index AI : AFR 47/25/96)
*** Aux termes de la législation spéciale adoptée le 30 août 1996 pour juger les personnes soupçonnées de génocide, les accusés sont répartis en quatre catégories. Dans la catégorie 1 figurent ceux qui ont joué un rôle proéminent dans la planification et l'organisation du génocide, ceux qui exerçaient des fonctions de direction à l'échelon national ou local, dans des partis politiques, au sein de l'armée ou des milices, ainsi que les dignitaires religieux. S'ils sont déclarés coupables, les accusés de la catégorie 1 risqueront la peine de mort.
2. Les conditions de détention s'apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

A mesure que le nombre d'arrestation augmente, les conditions de vie dans les prisons et les centres de détention dispersés à travers le pays se détériorent. Si des mesures ne sont pas immédiatement prises pour diminuer le taux de surpopulation, il est à craindre que de nouveaux décès en détention ne se produisent. A la date de novembre 1996, les conditions de détention dans certaines préfectures telles que celle de Gisenyi, ou la surpopulation carcérale était jusque-là moins dramatique que dans d'autres régions du pays, s'étaient considérablement dégradées. Dans plusieurs autres préfectures, le problème de la surpopulation et du manque d'équipement dans les centres de détention constituait toujours un sérieux motif de préoccupation. Dans la préfecture de Kibuye, 39 détenus sont morts en deux occasions distinctes, aux mois de mai et d'octobre 1996. Des décès de détenus dus à des conditions de vie intolérables ont également été signalés en 1996 dans diverses autres préfectures, notamment dans celle de Kigali (zone rurale), l'une des régions dans lesquelles de nombreux réfugiés reviennent. Fin septembre 1996, trois prisonniers -d'anciens réfugiés rentrée au Rwanda plus tôt dans l'année- seraient mort éouffés dans un centre de détention de Butare, seulement quelques jours après leur arrestation.

Tout au long de l'année 1996, le gouvernement rwandais n'a cessé de promettre que les enfants de moins de 14 ans, les personnes âgées et les malades seraient libérés, mais il n'a toujours pas tenu ses promesses. Certains représentants de l'Etat ont reconnu que les commissions de triage, mises en place dans le but de relâcher les personnes dont la détention ne se justifiait pas en raison de l'insuffisance de preuves à leur encontre, ne fonctionnaient pas; ils ont dit que ces commissions seraient supprimées, mais aucun mécanisme efficace n'a encore été créé pour les remplacer.

Certaines informations indiquent que, dans différentes régions du pays, les membres des forces de sécurité continueraient à maltraiter les détenus, généralement en les passant à tabac. Plusieurs d'entre eux sont morts des suites de mauvais traitements particulièrement violents.

3. Les "disparitions"

En 1995 et en 1996, Amnesty International a recensé un certain nombre de "disparitions". La responsabilité des agents de l'Etat n'est pas clairement établie dans tous les cas. Toutefois, à la connaissance de l'Organisation, les résultats des enquêtes ouvertes par le gouvernement sur ces "disparitions" n'ont pas été rendus publics et les autorités n'ont pris aucune mesure pour empêcher que d'autres agissements de ce genre ne se produisent.

C'est ainsi que Venant Ntirampeba, ressortissant burundais travaillant pour la SINELAC (Société appartenant conjointement aux gouvernements du Rwanda, du Burundi et du Zaïre), a "disparu" le 2 août 1996 à Cyangugu. Il aurait été menacé par plusieurs de ses collègues à la suite du coup d'Etat survenu au Burundi le 26 juillet. Le 2 août, le chef des services de l'immigration à Cyangugu, accompagné de deux soldats de l'APR et d'un collègue, ont emmené Venant Ntirampeba en direction de la frontière, sous prétexte qu'il lui fallait un nouveau visa. Le Burundais n'a pas été revu depuis.

Cyprien Gakuba, père de trois enfants ivant à Kigali, a "disparu" le 4 mai 1996 à Byumba, sur la route qui va de Kigali en direction du Nord. Le bus à bord duquel il se trouvait a été arrêté par des soldats de l'APR; ceux-ci l'ont fait descendre, en même temps que plusieurs autres passagers, puis ils ont ordonné au conducteur de repartir. Depuuis lors, on est sans nouvelles de Cyprien Gakuba.

Le fait que les rapatriée risquent d'être victimes de "disparitions" préoccupe tout particulièrement Amnesty International, étant donné qu'il n'existe aucune procédure d'enregistrement à la frontière ni dans les centres de transit. L'inévitable chaos qui résulte d'un déplacement massif de population ne fait qu'accroître les craintes de l'Organisation.

4. Les homicides

Dans un rapport publié en août 1996 sous le titre "Rwanda. Recrudescence alarmante des massacres", Amnesty International évoquait les centaines de civils sans défense tués par des membres de l'APR ou par des groupes d'opposition armés liés aux soldats de l'ex-armée rwandaise et aux milices à leur solde. A la connaissance de l'Organisation, le gouvernement rwandais n'a publié aucun rapport d'enquête sur les exécutions extrajudiciaires imputables à ses propres troupes. Le commandant de l'APR qui, en juillet et en août 1996, a conduit les opérations de ratissage dans la préfecture de Ruhengeri au cours desquelles plus de 150 personnes ont été massacrées, aurait été muté dans la préfecture de Kibungo, dans l'est du pays, l'une des principales zones où affluent maintenant les réfugiés revenant de Tanzanie.

A la mi-décembre, certaines informations ont indiqué qu'un responsable de l'APR, le lieutenant-colonel Ibingira, était jugé par un tribunal militaire suite au massacre de Kibeho, perpétré en avril 1995, massacre qui avait fait plusieurs milliers de victimes. Amnesty International accueille cette nouvelle avec satisfaction et prie instamment le gouvernement de juger également les responsables de l'APR impliqués depuis cette date dans d'autres massacres de civils.

Les homicides commis par des soldats de l'APR et les attaques attribuées à des groupes armés d'opposition se sont poursuivis de manière sporadique. Judith Mukabaranga, bourgmestre de Nyakabuye (préfecture de Cyangugu), a été tuée le 27 octobre 1996 à son domicile, en même temps que sa jeune soeur Rose, et deux visiteurs de passage -une jeune femme, Francine, et un adolescent de 15 ans, Jean-de-Dieu. On estimait généralement que les auteurs de ces homicides étaient membres de milices opérant à partir du Zaïre ou du Burundi. Les mêmes individus ont attaqué un centre de détention situé à proximité, libérant une centaine de prisonniers. Au moins un soldat de l'APR et deux détenus auraient été tués.

Depuis le retour massif des réfugiés du Zaïre en novembre 1996, Amnesty International a reçu des informations concernant plusieurs homicids commis sur la personne de rapatriés. Le 9 décembre, aux premières heures de la matinée, un soldat est allé voir six familles -apparemment des personnes qui venaient de rentrer du Zaïre- à Kicukiro (préfecture de Kigali) et a ordonné à six hommes de le suivre jusqu'au bureau du secteur. Une fois arrivé là, il leur a tiré dessus. Trois des hommes -Gafaranga, Gatera et Ntihabose- seraient morts sur le coup. Les trois autres -Bagaragaza, Rwabuyonza et Mugar ura- ont été grièvement blessés. Il semble que le soldat les soupçonnait d'avoir participé au génocide. Un militaire aurait été arrêté dans le cadre de cette affaire.

D'autres homicides ont été signalés en novembre et en décembre dans différentes régions du Rwanda ; les victimes étaient soient des rapatriés, soit des habitants tués par des rapatriés. Amnesty International mène des enquêtes sur ces différents cas.

V. La collaboration de la communauté internationale à l'expulsion des réfugiés

Amnesty International est vivement préoccupée par le rôle qu'a joué la communauté internationale, et notamment le HCR, en acceptant que les pays voisins du Rwanda expulsent massivement leurs réfugiés. Le HCR a, dans une plus ou moins grande mesure, collaboré aux opérations de rapatriement des réfugiés du Burundi, du Zaïre et de Tanzanie.

De par ses statuts, le HCR a pour mandat de protéger les réfugiés et d'aider les gouvernements dans les opérations de rapatriement volontaire. De nombreux autres documents, y compris des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies et des conclusions du Comité exécutif du HCR, soulignent combien il est important de s'assurer que le rapatriement est véritablement volontaire. Le HCR lui-même a insisté sur le fait que cet aspect volontaire du rapatriement constitue un point crucial en matière de protection des réfugiés. En participant au rapatriement des réfugiés de Tanzanie, notamment, le HCR a violé ce principe fondamental.

La politique du HCR et d'autres organisations intergouvernementales se fonde sur une évaluation de la situation des droits de l'Homme au Rwanda qui ne tient pas compte de toutes les informations disponibles. Amnesty International pense que le HCR, tout en reconnaissant que des atteintes aux droits fondamentaux étaient commises au Rwanda, n'en a pas moins continué de déclarer que, dans l'ensemble, les réfugiés pouvaient rentrer en toute sécurité, minimisant ainsi les dangers que pouvaient courir certains d'entre eux. Il semble que l'évaluation du HCR repose sur des rapports produits tant par l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda, menée par les Nations Unies, que par ses propres antennes locales. Bien que certains rapports de l'opération de l'ONU contiennent des informations détaillées sur les violations, les déclarations publiques du HCR n'en font pas état. Le fait de n'avoir pas reconnu la véritable ampleur des atteintes aux droits fondamentaux a eu des conséquences dramatiques pour les réfugiés dans les pays voisins, et a finalement abouti à leur expulsion massive.

La situation des réfugiés qui, en juillet et en août 1996, ont quitté le Burundi pour retourner au Rwanda est souvent citée -par les autorités rwandaises, les gouvernements étrangers et les organes des Nations Unies- comme étant la preuve que les rapatriés n'ont rien à craindre à leur retour au Rwanda. Le HCR et l'opération de l'ONU ont reconnu que le premier retour, en juillet 1996, de plus de 15'000 Rwandais réfugiés au Burundi n'avait pas été volontaire, mais ils ont affirmé que le retour suivant, en août 1996, de quelque 60'000 personnes avait été librement consenti.

Amnesty International pense que la grande majorité des réfugiés au Burundi n'avaient guère manifesté le désir de rentrer au Rwanda, jusqu'au moment où plusieurs d'entre eux ont été menacés de violences par les forces de sécurité burundaises et où cinq réfugiés rwandais ont été abattus par des soldats burundais à l'extérieur d'un camp. En outre, 15'000 réfugiés rwandais ont été renvoyés de force par les autorités burundaises avec le plein appui du gouvernement rwandais. Certains réfugiés se seraient entendu dire qu'ils allaient être arrêtés au Burundi s'ils refusaient de partir. Une trentaine d'entre eux étaient déjà en détention, où ils avaient subi des tortures et des mauvais traitements. Auparavant, en avril 1996, le chef du camp de réfugiés de Magara avait "disparu" après avoir été emmené en direction de la frontière. On pense qu'il a pu être tué par les forces de sécurité burundaises.

Amnesty International déplore profondément que, sous la pression des autorités rwandaises, des pays voisins et des gouvernements donateurs, le HCR ait sacrifié ses principes fondamentaux en matière de protection des réfugiés. L'Organisation espère que ce changement de politique ne créera pas un précédent pour l'avenir de la protection des réfugiés, qu'ils soient originaires du Rwanda ou de tout autre pays.

VI. Recommandations

Amnesty International demande aux autorités rwandaises, aux pays voisins et aux autres gouvernements, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales, de mettre en oeuvre les recommandations qui suivent, considérant qu'il s'agit d'une question de première urgence. L'organisation appelle également la communauté internationale à renforcer et prolonger sa surveillance de la situation des droits de l'Homme au Rwanda. Le retour de centaines de milliers de personnes, et la perspectives d'un nouvel afflux de réfugiés, imposent qu'il soit procédé à une évaluation circonstanciée et impartiale des dangers qui les menacent. Une telle évaluation doit se fonder sur la durée. Il n'est pas suffisant de juger du niveau de sécurité en ne prenant pour référence que les quelques semaines qui suivent immédiatement le retour des réfugiés.

1. Au gouvernement rwandais

Amnesty International exhorte le gouvernement rwandais à mettre un terme aux violations des droits de l'Homme et à prendre des mesures pour empêcher qu'elles ne se reproduisent. L'organisation lui demande notamment de :

2. Aux autorités qui accueillent des réfugiés rwandais

3. Aux gouvernements étrangers

4. Au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR)

5. A l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda, menée par les Nations Unies


Procès inéquitables : un déni de justice

Introduction
Le droit à un procès équitable : normes nationales et internationales
Les premiers procès du génocide
Les préoccupations d'Amnesty International au sujet des procès
La peine de mort
Conclusion

Résumé

Les procès des prévenus accusés d'avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda ont commencé en décembre 1996. À la fin du mois de février 1997, au moins 13 de ces personnes avaient été condamnées à mort, six à des peines d'emprisonnement à vie et l'une d'elles avait été acquittée. Ces procès représentent un pas important sur la voie de la justice au Rwanda, mais la manière dont certains d'entre eux ont été menés a fait naître de sérieux doutes quant à leur équité.

Il est extrêmement difficile d'organiser ces procès. Le Rwanda est encore, après le génocide, en train de reconstituer son système judiciaire. Le nombre des prévenus est considérable (100'000 environ), les crimes dont ils sont accusés sont atroces, et les problèmes soulevés par les procès sont extrêmement délicats. Amnesty International estime cependant que, pour que les efforts déployés par le gouvernement et les procès eux-mêmes aient quelque efficacité, ces derniers doivent respecter les normes internationales en matière d'équité.

Le présent document traite en détail des préoccupations de l'organisation concernant la loi régissant les procès relatifs au génocide au Rwanda (Loi organique 8/96), la façon dont les premiers procès ont été menés, le processus d'appel et la peine de mort. Il s'appuie sur les commentaires de délégués d'Amnesty International qui ont joué le rôle d'observateurs dans plusieurs de ces procès et propose aux autorités rwandaises un ensemble de recommandations.

Dans un grand nombre de ces premiers procès les prévenus n'étaient pas assistés par des avocats. Dans certains cas, les demandes de renvoi visant à permettre au prévenu de trouver un défenseur ont été rejetées. Dans d'autres, les prévenus n'ont pas demandé à être défendus par un avocat et ce, peut-être parce qu'ils ignoraient qu'ils y avaient droit.

Dans bien des cas, on n'a pas accordé aux prévenus le temps et les moyens de préparer leur défense. Certains n'ont été prévenus de la date de leur procès ou n'ont eu accès à leur dossier que quelques jours seulement avant son ouverture.

Quant à la composition des tribunaux, elle avait lieu d'inquiéter. La plupart des fonctionnaires de justice ayant pris part à ces procès, notamment les procureurs et les juges, n'ont bénéficié au mieux que de six mois de formation, et beaucoup d'entre eux n'en ont reçu aucune. À entendre les déclarations de certains responsables gouvernementaux et fonctionnaires de justice, il est parfois permis de douter de leur impartialité et de leur indépendance. En outre, plusieurs fonctionnaires de justice ayant participé à des procès relatifs au génocide, notamment des procureurs, des substituts, des juges, ainsi que des avocats, ont été récemment démis de leurs fonctions, menacés, arrêtés, ils ont parfois "disparu", et certains ont même été tués.

La façon dont certains procès ont été menés ne pouvait contribuer à ce quela justice soit rendue de façon véritablement équitable. Lors de deux procès au moins, le tribunal n'a pas empêché le public de conspuer les prévenus. Dans un autre procès, le juge et le procureur ont demandé au prévenu pourquoi il avait besoin d'un avocat. Dans plusieurs procès on a relevé les carences suivantes : une attention suffisante n'a pas été accordée aux demandes de report d'audience formulées par des prévenus ou des avocats pour préparer leur dossier; des témoins à charge n'ont pas témoigné en personne devant le tribunal et n'ont pu en conséquence être interrogés par la défense; le tribunal n'a pas indiqué aux prévenus qu'ils pouvaient faire citer des témoins ou soumettre des éléments pour leur défense. Dans certains procès, une partie des arguments de l'accusation provenait d'une déposition faite lors d'un interrogatoire et l'accusé affirmait que celle-ci lui avait été arrachée sous la torture; or, le tribunal n'a pas ordonné d'enquêtes approfondies sur ces allégations.

En vertu de la Loi organique 8/96, seuls les appels fondés sur des questions de droit ou des erreurs de fait flagrantes sont recevables. En outre, la juridiction statue quant à la recevabilité d'un appel ayant de statuer quant au fond. Amnesty International estime que, de ce fait, le droit de faire appel n'est pas convenablement respecté. Fin février 1997, aucun recours en appel n'avait encore été examiné.

Dans la plupart des procès qui se sont tenus jusqu'ici, des peines de mort ont été prononcées. Amnesty International s'oppose sans réserve à l'application de la peine de mort, dans tous les pays et dans toutes les circonstances. Elle considère cette peine comme une violation approuvée par l'Etat du droit à la vie et du droit à ne pas être soumis à une peine cruelle, inhumaine et dégradante. La situation est particulièrement préoccupante lorsque des personnes risquent d'être condamnées à ce châtiment à l'issue de procès inéquitables. La dernière exécution recensée au Rwanda remonte à 1982; Amnesty International estime qu'une reprise des exécutions constituerait un important pas en arrière en ce qui concerne les droits de l'Homme au Rwanda.

Dans le présent document, Amnesty International propose aux autorités rwandaises un ensemble de recommandations précises et concrètes; l'Organisation leur demande instamment de veiller à ce que, dans toutes affaires en cours de jugement, les normes internationales soient respectées. Le document externe fait ressortir que, au vu de ce qui s'est passé jusqu'ici, certains procès ayant été entachés de nettement moins d'irrégularités que d'autres, il n'est pas irréaliste de penser que des procès équitables peuvent se tenir au Rwanda.


Introduction

Au Rwanda, les premiers procès de personnes accusées d'avoir participé au génocide et à d'autres crimes contre l'humanité se sont ouverts fin décembre 1996. D'autres procès se sont tenus depuis lors, en janvier et en février, et on en annonce encore plusieurs dizaines. Ces premiers procès sont le signe qu'un important pas en avant a été fait au Rwanda dans le sens de la justice et de la fin de l'impunité qui, devenue une véritable institution, a permis que l'on continue pendant des dizaines d'années de commettre des violations des droits de l'Homme de façon massive. Néanmoins, la manière dont certains des premiers procès ont été menés permet de mettre sérieusement en doute leur équité, et l'on craint en conséquence que, dans un avenir proche, de nombreuses personnes ne soient exécutées après avoir été condamnées à mort à l'issue de procès inéquitables.

Le caractère apparemment arbitraire de nombreuses arrestations au Rwanda n'a fait qu'accroître ces craintes. Quelque 100'000 personnes, pour la plupart accusées d'avoir participé au génocide et à d'autres crimes contre l'humanité, sont actuellement détenues dans des prisons et des centres de détention à travers tout le pays dans des conditions équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il se peut qu'une importante proportion des dizaines de milliers d'individus accusés de génocide et qui risquent d'être jugés de façon inéquitable, voire exécutés, soient innocents. Cependant, nombre de ceux qui ont programmé et organisé le génocide et d'autres crimes contre l'humanité continuent d'échapper à la justice.

Les crimes commis pendant le génocide de 1994 ont bouleversé la vie de millions de Rwandais et mis le monde en état de choc. Depuis, la population rwandaise, la communauté internationale et des ONG, dont Amnesty International, demandent que justice soit rendue. Les responsables de la mort violente d'un million de personnes doivent être identifiés et doivent répondre de leurs actes.

Amnesty International accueille avec satisfaction les efforts déployés par le gouvernement rwandais pour traduire en justice les responsables de ces crimes atroces et reconnaît l'ampleur des difficultés auxquelles est confronté un pays qui est encore d'essayer de reconstruire ses institutions après le génocide. Le système judiciaire qui était presqaue réduit à néant manque de moyens, de personnel qualifié, de locaux et d'équipement de base. Le nombre des prévenus est considérable, les crimes dont ils sont accusés sont effroyables, et les problèmes soulevés par les procès sont extrêmement délicats. Dans ces circonstances, organiser la tenue de procès équitables, puis les tenir effectivement, représente un important défi. Cependant, Amnesty International estime que, pour que les efforts du gouvernement portent leurs fruits et pour que les procès soient de quelque efficacité, il est nécessaire que les normes internationales en matière d'équité soient respectées. Sans quoi, on pourra considérer que justice n'aura pas été rendue, et la population continuera à douter du système judiciaire, et le gouvernement aura alors perdu une occasion de montrer sa détermination à respecter les droits de l'Homme. Plus grave encore, certains de ceux qui sont effectivement coupables de génocide et d'autres crimes contre l'humanité risquent d'échapper à toute sanction, alors que des innocents risquent, eux, d'être frappés.

Le respect des normes d'équité revête d'autant plus d'importance que les peines sont lourdes, la peine de mort étant même prévue dans certains cas. Amnesty International estime que l'application de ce châtiment ne ferait que perpétuer le cycle de la violence au Rwanda. La peine de mort est une forme de violence officialisée et ce n'est pas faire justice que de punir en y ayant recours. Un gouvernement qui s'est engagé à mettre fin aux violations des droits de l'Homme doit dépasser l'idée de vengeance, et promouvoir et respecter les droits fondamentaux, tout particulièrement le droit à la vie, quel que soit le crime commis. La peine de mort reste un déni du droit à la vie.

Les préoccupations évoquées dans ce document et les recommandations qu'il contient se fondent sur les constations des observateurs d'Amnesty International qui ont assisté au Rwanda aux procès du génocide fin décembre 1996, en janvier et début février 1997, ainsi que sur l'étude attentive du déroulement des procès dans le contexte plus large de la situation d'ensemble des droits de l'Homme au Rwanda.

Le 30 août 1996, le Rwanda a adopté une nouvelle loi : La loi organique sur l'organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité, commises à partir du 1er octobre 1990 (Loi organique no 8/96). Cette loi régit les procès des personnes accusées d'avoir participé au génocide et à d'autres crimes contre l'humanité. Outre ses préoccupations quant à l'équité des premiers procès, l'Organisation s'inquiète de certains aspects de la Loi organique elle-même. Plusieurs de ces sujets d'inquiétude sont résumés dans ce document.


II. Le droit à un procès équitable : aperçu des normes nationales et internationales

Le Rwanda s'est engagé, au regard du droit international, à respecter les normes internationales relatives à l'équité des procès en ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)* et la charte africaine du droit de l'Homme et des peuples**. Ces obligations internationales que le Rwanda a volontairement accepté de respecter reconnaissent que toute personne a droit à :

En outre, le droit à un procès équitable est affirmé dans de nombreuses normes internationales, notamment dans l'ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, l'ensemble de principes des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, les principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, les principes directeurs des Nations Unies applicables au rôle des magistrats du Parquet, et les principes de base sur le rôle du Barreau. Dans les cas où le prévenu est passible de la peine capitale, les Garanties des Nations Unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort prévoient que :

La peine capitale ne peut être exécutée qu'en vertu d'un jugement final rendu par un tribunal compétent après une procèdure juridique offrant toutes les garanties possibles pour assurer un procès équitable.

En outre, le droit à être présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie est inscrit dans la Constitution rwandaise, à l'article 12m ainsi qu'à l'article 16 du Code de procédure pénale rwandais. Par ailleurs, le droit à la défense est inscrit dans l'article 14 de la Constitution du Rwanda.

* Voir en particulier l'article 14 du PIDCP
** Voir en particulier l'article 7 de la Charte africaine tel qu'il est défini par la résolution de la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples sur le droit aux procédures de recours et à un procès équitable, adopté lors de sa 11ème session en mars 1992.

Le Tribunal International pour le Rwanda

Le premier procès qui s'est déroulé devant le Tribunal International pour la Rwanda s'est ouvert à Arusha, en Tanzanie, en janvier 1997. Ce Tribunal a été institué par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en novembre 1994 afin d'engager des poursuites contre les principaux responsables du génocide et d'autres crimes contre l'humanité au Rwanda. En ce qui concerne certains des accusés, le Tribunal international et les tribunaux rwandais sont également compétents. Les articles 17 à 20, 22, 24 et 25 des statuts du Tribunal comprennent un certain nombre de garanties énoncées dans des normes internationales importantes relatives à l'équité des procès, notamment la plupart des droits reconnus à l'article 14 du PIDCP, tels que le droit d'une personne à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer, à s'en voir attribuer un d'office par le Tribunal. Autre norme importante relative à l'équité des procès, incorporée dans ses statuts : le droit d'une personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

Aux garanties du droit à un procès équitable prévues par les statuts du Tribunal, s'ajoutent plusieurs autres garanties fondamentales contenues dans les règles concernant la procédure et l'élargissement de la preuve et protégeant les droits des suspects pendant l'enquête, tels que le droit du suspect à être informé par le procureur dans une langue qu'il comprend, le droit à avoir l'assistance d'un défenseur de son choix ou à s'en voir attribuer un d'office, le droit à se faire assister gratuitement d'un interprète, ainsi que le droit de ne pas parler. En outre, l'article 42(b) prévoit que

L'interrogatoire d'un prisonnier n'aura lieu qu'en présence d'un défenseur à moins que le suspect n'ait de sa propre volonté renoncé à ce droit à cette assistance.

Les statuts du Tribunal excluent le recours à la peine de mort pour quelque infraction que ce soit qu'il s'agisse de génocide, de crimes contre l'humanité ou de violations graves du droit humanitaire. Ils accordent aux juges une liberté d'appréciation qui leur permet de tenir compte de circonstances aggravantes ou atténuantes, losqu'ils prononcent une peine d'emprisonnement.


III. Les premiers procès du génocide au Rwanda

Fin février 1997, au moins 13 prévenus avaient été condamnés à mort. Six d'entre eux au moins avaient été condamnés à la réclusion à vue. L'un des prévenus avait été acquitté.

Le 27 décembre 1996 avait eu lieu le premier procès : le tribunal de Kibungo jugeait DÉOGRATIAS BIZIMANA, ancien assistant médical, et EGIDE GATANAZI, ancien responsable d'une administration locale, tous deux inculpés de génocide et de crimes contre l'humanité commis en 1994.

Leur procès n'a duré que quatre heures environ. Les prévenus n'ont eu l'assistance d'un défenseur ni pendant la période cruciale de l'instruction menée par le procureur, ni pendant le procès lui-même. Déogratias Bizimana a demandé à être autorisé à présenter sa défense en français, ce qui lui a été refusé, bien que le français soit l'une des langues officielles du Rwanda*. Il a également demandé un ajournement de l'affaire au motif qu'il n'avait pas disposé d'assez de temps pour étudier son dossier, mais cela aussi lui a été refusé, au motif qu'il suffisait d'une journée pour le faire. On n'a pas offert aux prévenus la possibilité de citer à comparaître des témoins à décharge, et on ne leut a pas permis de procéder au contre-interrogatoire des témoins de l'accusation. Dans la salle d'audience, il semble que l'atmosphère était hostile aux prévenus. Ceux-ci auraient été conspués, alors que l'on applaudissait les représentants du ministère public, sans que le président du tribunal intervienne. Le 3 janvier 1997, les deux hommes ont été déclarés coupables et condamnés à mort. Fin février, leur recours n'avait toujours pas été examiné.

Dans un procès qui s'est tenu à Byumba, qui a commencé le 31 décembre et a repris le 9 janvier, l'accusation a requis la peine de mort à l'encontre de François Bizumutima, ancien enseignant accusé d'avoir pris par au génocide et à d'autres crimes contre l'humanité. Quand le prévenu a demandé un avocat, le juge et le procureur lui ont demandé pourquoi il demandait cela. Les témoins qu'il avait cités n'ont pas comparu devant le tribunal. Le 17 janvier, il a été condamné à mort.

Le 10 janvier s'est tenu à Butare le procès de trois autres anciens enseignants accusés de génocide et d'autres crimes contre l'humanité : AUGUSTIN NGENDAHAYO, FAUSTIN NIYONZIMA et IGNACE NSENGIYUMVA. Il a duré quatre heures environ. Aucun avocat n'était présent lors du procès bien qu'apparemment les prévenus aient demandé à un défenseur de les assister durant le procès. Cet avocat aurait demandé que l'affaire soit ajournée, mais sa demande aurait été rejetée. Les trois hommes ont été déclarés coupables des charges retenues contre eux et, le 17 janvier, ils ont eux aussi été condamnés à mort.

Le 13 janvier, CALLIXTE NGENDANIMANA et JAVAN BAVUGAYABUCA ont été jugée à Gisenyi. Le tribunal a refusé d'accorder l'ajournement qu'ils demandaient afin de prendre connaissance de leur dossier et de préparer leur défense. Tous deux ont été condamnés à mort le 21 janvier.

Le 14 janvier commençait dans la capitale, Kigali, le procès de FRODUALD KARAMIRA que l'on considère généralement comme ayant joué un rôle de premier plan dans la préparation et l'exécution du génocide et d'autres crimes contre l'humanité. Il aurait également soutenu activement la milice Interahamwe qui s'est livrée à d'importants massacres de civils tutsi. Froduald Karamira avait été le vice-président du Mouvement démocratique républicain (MDR), en majorité hutu, et un représentant important de la faction dure de ce parti connue sous le nom de MDR-Power. Il était le premier suspect de cette importance à comparaître devant les tribunaux rwandais. Les témoins de l'accusation ont été appelés à formuler brièvement leurs accusations. Lors de la première audience, une partie du public se serait moqué du prévenu et aurait scandé des slogans dans la salle d'audience, sans que les juges leur demandent de cesser. L'avocat de Karamira, Paul Atita, ressortissant béninois, aurait demandé un ajournement de quinze jours pour pouvoir examiner le dossier et préparer la défense du prévenu. La présence d'un avocat a assuré un plus grand respect des règles de la procédure. Le 14 février, Froduald Karamira a été condamné à mort.

Quatre autres prévenus ont comparu à Kigali le 14 janvier. Le procès de trois d'entre eux a été ajourné. Paul Atita a proposé d'assurer la défense du quatrième prévenu, LÉONIDAS NDIKUMWAMI,i, homme d'affaire de nationalité burundaise. On lui a alors signifié qu'il n'était pas officiellement autorisé à défendre l'accusé. Sur quoi il a demandé un ajournement de l'affaire pour obtenir cette autorisation, mais cette requête a été rejetée par le juge. Le procès de Léonidas Ndikumwami s'est cependant poursuivi, sans avocat, et il a été déclaré coupable et condamné à mort le 20 janvier.

Le 28 janvier, deux prévenus ont été jugés à Gikongoro. Ni l'un ni l'autre n'étaient assistés d'un avocat. VÉTUSTE a été condamné à mort après que ses multiples demandes d'ajournement destinées à lui permettre de prendre un avocat eurent été rejetées. Le second prévenu, JÉRÉMIE, a été condamné à une peine de réculsion à vie. Jérémie avait avoué avoir tué deux enfants, mais ses aveux ont été considérés comme incomplets car il n'avait pas dénmoncé ses complices; il a alors été estimé qu'il ne pouvait bénéficier de la procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité et qu'il ne pouvait en conséquence voir sa peine réduite.

D'autres procès qui se sont tenus à Gikogoro se seraient soldés par cinq peines de réclusion à vie et un acquittement : Israël Nemeyimana a été acquitté le 18 février, le juge ayant, semble-t-il, conclu à une absence de preuve à son encontre.

La première femme à être jugée sous l'accusation de participation au génocide et à d'autres crimes contre l'humanité a été VIRGINIE MUKANKUSI. Elle a comparu le 30 janvier devant le tribunal de Gitarama. Son avocat a affirmé qu'il n'avait pas disposé d'assez de temps pour étudier son dossier, mais le procès n'a pas été ajourné. Aucun des témoins à décharge cités par Virginie Mukankusi n'a été appelé à témoigner. Pendant le procès, la prévenue ne semblait pas comprendre les divers aspects de la procédure, et elle s'est contredite à plusieurs reprises pendant qu'elle présentait sa défense. Son avocat a plaidé les circonstances atténuantes au motif que Virginie Mukankusi était une paysanne ignorante et dépourvue d'intelligence. L'accusation a requis la peine de mort, peine à laquelle la prévenue a été condamnée le 28 février.

Plusieurs autres procès ont également eu lieu en janvier et février et certains ont été renvoyée à une date ultérieure. D'autres procès ont été annoncés pour les semaines et mois à venir dans l'ensemble du pays.

* Voir l'article 4 de la Constitution de la République du Rwanda daté du 30 mai 1991

IV. Préoccupations d'Amnesty International au sujet des procès

Les normes respectées lors des procès de personnes accusées de génocide et d'autres crimes contre l'humanité au Rwanda ont considérablement varié d'un procès à l'autre. Amnesty International a constaté avec beaucoup d'inquétude que dans plusieurs des premiers procès -dont certains se sont soldés par la condamnation à mort des prévenus- ni les normes internationales ni la législation rwandaise n'avaient été respectées. Il y a quelque ironie dans le fait que certains des suspects les plus en vue, dont on pense qu'ils ont joué un rôle important dans la préparation du génocide et d'autres crimes contre l'humanité, comme Froduald Karamira, semblent avoir bénéficié de procès qui ont présenté moins d'irrégularités que ceux de prévenus moins connus qui, n'ayant que peu d'instruction ou pas d'instruction du tout, ont pu être moins bien informés de leurs droits et ont été jugés dans des conditions qui étaient loin d'être conformes aux normes internationales d'équité.

Amnesty International fait appel au gouvernement rwandais pour qu'il donne des preuves de son attachement au respect des droits de l'Homme en veillant à ce que tous les individus accusés de génocide et d'autres crimes contre l'humanité soient jugés avec équité, conformément aux obligations qui incombent à ce gouvernement en vertu du droit international, et à ce qu'aucun d'eux ne soit condamné à la peine capitale. L'organisation demande aux autorités rwandaises de prendre des mesures dans les domaines suivants :

a) Les avocats

L'insuffisance, voir même l'absence, d'expérience et d'une formation digne de ce nom chez les avocats des prévenus est encore à présent le facteur qui, plus que tout autre, fait obstacle à l'équité des procès au Rwanda.

On constate des différences frappantes entre les procès où les accusés ont reçu l'assistance d'un défenseur et ceux où ils n'ont pas bénéficié de cette possibilité. Lorsqu'un avocat était présent, le procès se déroulait dans des conditions nettement moins problématiques, ce qui démontre qu'il existe de véritables possibilités de juger des prévenus équitablement à l'avenir, pourvu qu'il existe également une volonté politique et que les moyens et ressources nécessaires soient accordés. Dans les cas où les accusés ont été autorisés à être défendus par un avocat et o?u l'on a accordé à celui-ci assez de temps pour prérarer la défense, les procès ont été marqués par un meilleur respect des règles de procédure. Si la présence d'un avocat n'a apparemment pas modifié l'issue du procès, elle a néanmoins garanti à l'accusé une chance de présenter sa défense dans de meilleurs termes. La présence de défenseurs, lors des procès individuels de prévenus, a assuré une plus grande conformité avec les exigences fixées par les normes internationales, mais elle a aussi donné à la population et aux autorités -et cela avait pour elles, dans un sens plus large valeur d'enseignement- la preuve que la présence d'un avocat ne doit susciter aucune crainte et qu'elle n'entrave pas le cours de la justice. Dans ce sens, des procès tels que celui de Froduald Karamira, retransmis en direct par la radio rwandaise et qui a donc bénéficié d'une très large audience, ont créé un précédent de grande importance au Rwanda.

Mais jusqu'à ce jour, les procès où des avocats ont pu défendre convenablement leur client ont plutôt été l'exception. Dans certains cas, les demandes d'ajournement visant à permettre à un prévenu d'obtenir l'assistance d'un avocat ont été rejetées. Dans d'autres cas, les accusés n'en ont pas fait la demande, mais peut-être ignoraient-ils qu'ils avaient le droit d'être assistés d'un défenseur lors du procès.

Le problème le plus pressant est celui posé par la pénurie de personnel compétent. Près de 100'000 prisonniers attendent d'être jugée, mais le Rwanda ne compte que 16 avocats en exercice. De plus, l'actuel climat d'hostilité envers ceux que l'on accuse de génocide ne fait qu'ajouter aux problèmes existants et peut aussi expliquer le peu d'empressement des avocats rwandais à participer à ces procès. Certains d'entre eux refusent de défendre les individus soupçonnés de génocide et d'autres crimes contre l'humanité en invoquant des motifs idéologiques ou de caractère émotionnel. Des menaces verbales ont été proférées contre plusieurs avocats, et parmi eux au moins un avocat étranger. On les a même menacés de mort s'ils assuraient la défense de prévenus accusés de ces crimes.

Jusqu'à présent, c'est "Avocats sans Frontières" qui a fourni la plupart des défenseurs qui ont participé aux procès. Il s'agit d'une organisation non gouvernementale, dont le siège est en Belgique, et qui a mis sur pied un programme pour le Rwanda afin qu'au moins un certain nombre de ceux qui sont jugés parce que soupçonnée de génocide et d'autres crimes contre l'humanité soient assistés d'un défenseur. Mais on ne peut attendre de ce programme qu'il fournisse et paie des avocats pour les dizaines de milliers de suspects en instance d'être traduits en justice.

Le droit d'être défendu par un avocat demeure l'une des garanties essentielles d'un procès équitable. Il est reconnu aussi bien par le droit rwandais que par le droit international. Il devrait être clair que ce droit est fondamental, en particulier pour les prévenus passibles de la peine capitale.

L'article 36 de la Loi organique 8/96, qui régit les poursuites actuellement engagées, dispose que :

Les personnes poursuivies en application de la présente loi organique jouissent du droit de la défense reconnu à toute personne poursuivie en matière criminelle, et notamment le droit d'être défendues par le défenseur de leur choix, mais non aux frais de l'Etat.

et l'article 14 de la Constitution rwandaise :

La défense est un droit absolu dans tous les états et à tous les degrés de la procédure.

Ces dispositions n'ont pas empêché certains hauts responsables gouvernementaux, dont le ministre de la Justice, de déclarer à Amnesty International, notamment, qu'ils était prêts à voir des procès se tenir même en l'absence de défenseurs.

Lors des premiers procès, les accusés n'ont pas été informés de leur droit, inscrit dans la loi, à être représentés par un avocat. On ne leur a pas demandé non plus s'ils avaient essayé de trouver un avocat, ni s'ils acceptaient d'être jugés sans être assisté d'un défenseur.

La disposition de l'article 36 de la Loi organique 8/96 selon laquelle le gouvernement ne paiera pas les services d'un avocat commis d'office est une violation des engagements pris solennellement par traité par le Rwanda.

Il incombe à l'Etat d'attribuer d'office un défenseur, lorsqu'un accusé n'a pas les moyens de payer ses services, surtout dans les affaires où les accusés sont passibles de la peine capitale. En vertu de l'article 14(3) du PüIDCP le gouvernement rwandais est tenu de se plier à l'obligation d'attribuer d'office un défenseur :

"(...) chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige (...) (et) sans frais si (la personne accusée) n'a pas les moyens de le rémunérer"

Les cas où l'accusé risque d'être condamné à mort répondent à cette condition; comme l'énonce clairement la garantie n° 5 des Garanties des Nations Unies pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, dans tout cas de ce genre, toute personne soupçonnée ou inculpée d'un crime passible de cette peine a droit de "bénéficier d'une assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure".

Dans certains des premiers procès, les accusés pourraient ne pas avoir fait valoir leur droit à être assisté d'un défenseur parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer ses services. Le tribunal n'a pas informé les prévenus de leur droit à être défendu par un avocat et l'Etat a manqué à l'obligation qui lui incombe de leur fournir cette assistance. Les procès où les prévenus risquent une peine de mort ou de réclusion à vie sont à n'en pas douter de ceux "où l'intérêt de la justice (...) exige" que les prévenus reçoivent l'assistance d'un avocat aux frais de l'Etat. Le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies, estimant qu'il y avait dans l'affaire Pinto contre Trinidad et Tobago une violations de l'article 14(3) a statué que :

"L'assistance d'un déàfenseur doit être accordée aux accusés passibles de la peine de mort dans des conditions qui permettent d'assurer que la justice est rendue de façon satisfaisante et efficace" (n° 232/1987)

Afin que l'équité des procès soit assurée, les prévenus devraient pouvoir être assistés d'un avocat pendant leur interrogatoire et avant le procès, disposer d'assez de temps pour préparer leur défense, et se voir accorder toutes les possibilités voulues de s'entretenir de façon confidentielle avec leurs défenseurs. Ceux-ci devraient pouvoir avoir rapidement et dans de bonnes conditions accès aux dossiers et autres documents pertinents et contester la recevabilité d'aveux obtenus sous la contrainte avant le début du procès. Au terme du principe 1 des Principes de base des Nations Unies sur le rôle du Barreau :

"Il incombe aux autorités compétentes de veiller à ce que les avocats aient accès aux renseignements, dossiers et documents pertinents en leur possession ou sous leur contrôle, dans des délais suffisants pour qu'ils puissent fournir une assistance juridique efficace à leurs clients. Cet accès doit leur être assuré au moment approprié et ce sans aucun délai.

La procédure d'aveu et de plaidoyer de culpabilité prévue au Chapitre III de la Loi organique 8/96, et par laquelle le prévenu avoue et plaide coupable, ne peut fonctionner avec efficacité que si des avocats loyaux se sont acquis la confiance de leurs clients et peuvent les conseiller quant à l'intérêt qu'ils ont à plaider coupable. En outre, les avocats doivent veiller à ce que cette disposition ne soit pas utilisée à de mauvaises fins.

Dans les procès qui ont eu lieu à Kibungo, à Byumba et à Butare, le temps accordé pour consulter les dossiers était insuffisant et aucun avocat n'était présent lors des audiences. A Kigali, Paul Atita, l'avocat qui représentait Froduald Karamira, s'est proposé pour assurer la défense d'un autre prévenu, Léonidas Ndikumwami, qui comparaissait devant le même tribunal. La Cour a refusé cette offre au motif que Paul Atita n'était pas offociellement autorisé à représenter le prévenu; elle a aussi refusé d'accorder l'ajournement qui avait été demandé dans le but d'obtenir cette autorisation. Dans l'affaire concernant Vénuste Niyonzima, jugé le 28 janvier à Gikongoro, la demande d'ajournement de l'affaire faite par le prévenu pour trouver un avocat a également été refusée. Au cours du procès, Vénuste Niyonzima a réclamé avec insistance un avocat, protestant qu'il n'avait pas eu suffisamment de temps pour examiner son dossier. Le juge a affirmé qu'il avait eu amplement le temps d'en prendre connaissance (18 jours) et le tribunal a rejeté la demande d'ajournement du prévenu destinée à lui permettre de se procurer un avocat. Le procès a alors commencé et Vénuste Niyonzima a été condamné à mort le 4 février.

Ces cas sont autant d'exemples flagrants de violations du droit à une représentation en justice, violation d'autant plus grave que les prévenus risquaient la peine capitale.

Recommandations

b) Préparation de la défense des prévenus

Le PIDCP, auquel le Rwanda est un Etat partie, prévoit à l'article 14.3.b que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit "à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix". Bien que ces périodes ne soient pas définies dans les normes internationales, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a fait le commentaire suivant dans son Observation générale 13 sur l'article 14 du PIDCP :

"Le "temps nécessaire" dépend des cas d'espèce, mais les facilités doivent comprendre l'accès aux documents et autres éléments de pruve dont l'accusé a besoin pour préparer sa défense, ainsi que la possibilité de disposer d'un conseil et de communiquer avec lui" (no 232/1987)

Le code de procédure pénale rwandais prévoit que les accusés doivent recevoir le détail des charges et éléments de preuve à leur encontre au moins huit jours avant le procès. Huit jours ne suffisent pas à préparer une défense dans une affaire où l'accusé est passible de la peine de mort et où la localisation de tel ou tel témoin à décharge et de certains éléments de preuve également à décharge peut présenter des difficultés.

En ce qui concerne le procès du 27 décembre à Kibungo, Déogratias Biziwana a été prévenu de la date de son jugement le 19 décembre 1996 -seulement six jours auparavant- et n'a pris connaissance de son dossier pour la première fois que la veille du procès, ce qui est extrêmement insuffisant dans une affaire aussi grave où la peine de mort risquait d'être prononcée. Déogratias Biziwana a demandé l'ajournement de son procès, ce qui lui a été refusé. Pendant les audiences du procès, il ne disposait pas d'une copie de son dossier et il a dû se fier à sa mémoire pour répondre aux questions relatives aux éléments de preuve qu'il contenait. Lorsque l'on a demandé au deuxième prévenu, Egide Gatanazi, de présenter sa défense, il a dit qu'il ne se rappelait pas ce que le procureur avait dit. Il ne disposait ni d'une copie de son dossier, ni de quoi écrire.

Lors du procès qui s'est tenu le 10 janvier à Butare, l'aocat des prévenus aurait, avant la date du procès, demandé un ajournement de l'affaire pour avoir le temps d'étudier le dossier qui comportait plus de 100 pages. Sa requête a été rejetée.

De même, dans le procès de Javan Bavugayabuca et de Callixte Ngendahimana qui s'est déroulé le 13 jan vier à Gisenyi, la demande d'ajournement, destinée à leur donner assez de temps pour étudier leur dossier et préparer leur défense, a été rejetée. Le procès a eu lieu, en l'absence d'avocats, et le 21 janvier ces deux hommes ont été condamnés à mort.

Dans quelques affaires plus récentes, telles que le procès de Froduald Karamira, dans lequel l'avocat représentant le prévenu avait demandé que l'affaire soit ajournée afin de préparer convenablement la défense, les dates des procès ont été quelque peu repoussées. Cette évolution a été saluée comme il convient. Plusieurs responsables gouvernementaux ont déclaré à Amnesty International qu'ils ne voyaient aucune raison pour ne pas répondre favorablement à une demande d'ajournement lorsque celle-ci était raisonnable. Il se trouve cependant que jusqu'à présent, la plupart des requêtes émanant de prévenus qui n'étaient pas représentés par un avocat ont été rejetées.

Les difficultés rencontrées par les prévenus dans la préparation de leur défense ont encore été aggravées par les effroyables conditions de détention dans les prisons rwandaises : celles-ci sont surpeuplées, sombres, les prisonniers n'ont pas de quoi écrire, et aucune aide n'est assurée pour ceux qui sont illétrés ou qui n'ont reçu que très peu d'instruction.

Recommandations

Le fait que le gouvernement ne fournisse pas aux prévenus ou à leurs avocats des copies de documents, en raison du manque d'équipements et de moyens, constitue une raison supplémentaire d'accorder aux prévenus et à leurs avocats assez de temps pour lire les dossiers et prendre des notes. Dans les cas où les conditions d'emprisonnement rendent encore plus difficile une bonne préparation de la défense, il conviendrait de mettre à disposition des prévenus des locaux séparés où ils pourraient étudier leur dossier et consulter leur avocat.

2. Il serait certes regrettable que les procès soient encore retardés, mais les avantages que présenteraient une plus grande équité des procès et la possibilité accordée au prévenu de bien préparer sa défense compenseraient les effets néfastes de tout nouveau retard. Etant donné la gravité de ces affaires et la sévérité des peines encourues, toutes les précautions nécessaires doivent être prises pour qu'aucune erreur judiciaire ne soit commise. Des ajournements raisonnables devraient être accordés, surtout lorsqu'il s'agit d'affaires où les prévenus sont passibles de la peine de mort.


c) La composition des tribunaux - absence de garanties de compétence et d'indépendance.

La plupart des représentants de l'appareil judiciaire participant aux procès du génocide, notamment les enquêteurs et les juges, n'ont eu que six mois de formation; beaucoup n'avaient pas même reçu auparavant la moindre formation juridique. Amnesty International se rend compte des difficultés qu'a représenté la reconstruction du système judiciaire entamée en 1994, et prend note des importants progrès réalisés ces derniers mois. Elle demeure cependant préoccupée par le fait que l'on ait recours à des fonctionnaires de justice qui ne sont pas suffisamment formés -aussi sincère qu'ils soient dans leurs intentions d'agir avec équité et en toute indépendance- et craint que l'on ne compromette ainsi gravement le déroulement des procès ainsi que leur issue, surtout lorsque l'on considère la complexité et la gravité des crimes, ainsi que la sévérité des peines encourues. Le manque d'expérience de certains de ces représentants de l'appareil judiciaire est un fait reconnu. Ainsi, le président de l'un de ces tribunaux sépciaux créés pour juger les personnes soupçonnées de génocide a fait part à Amnesty International de son désir d'assister en observateur aux procès du Tribunal international pour le Rwanda à Arusha, en Tanzanie, et à des procès dans d'autres pays, pour pallier son manque de formation juridique. Comme beaucoup d'autres, lui aussi n'avait bénéficié que de six mois de formation.

Par ailleurs, on a pu mettre en doute l'impartialité et l'indépendance de certains responsables du gouvernement et de l'appareil judiciaire qui, à l'époque où s'ouvraient les premiers procès, ont déclaré que les prévenus ne devraient pas demander à être assistés d'un avocat ou qu'ils ne voyaient pas pourquoi les accusés avaient besoin d'un défenseur.

Dans le système juridique rwandais, la procédure commence bien avant le procès proprement dit, lorsque le procureur rassemble les éléments de preuve en interrogeant les témoins et en recueillant leurs déclarations. Le prévenu n'est pas autorisé à assister à cette phaswe de la procédure judiciaire. Le procureur prend également la déposition du prévenu qui, avec celle des témoins joints à d'autres éléments de preuve, constitue le dossier qui est transmis aux juges. En principe, l'accusé n'a accès à ce dossier, qui contient l'ensemble des éléments de preuve pris en considération par le tribunal, que peu de temps avant le procès. Le jour où celui-ci a lieu, le dossier est examiné par les juges et s'il existe suffisamment de preuves de culpabilité, le prévenu est appelé à les réfuter. Comme ce stade de la procédure -la recherche des éléments de preuve- est d'une importance cruciale pour l'issue du procès, il est impératif que les procureurs, responsables de la constitution du dossier, agissent dans la plus stricte indépendance et impartialité. Le procureur a pour tâche non seulement de rassembler les éléments qui apportent la preuve de la culpabilité de l'accusé, mais aussi de trouver les éléments susceptibles de le disculper. Vu le climat qui règne actuellement au Rwanda, les procureurs sont confrontés à de très fortes pressions qui peuvent affecter leur impartialité et leur indépendance.

Comme dans beaucoup d'autres systèmes de justice civile, le prévenu devrait avoir la possibilité de bénéficier d'une assistance juridique lors des investigations du procureur, phase importante de la procédure, et de contester les éléments de preuve et les témoignages que le procureur a pris en considération. La législation rwandaise prévoit que le dossier n'est accessible au'qux parties concernées et non au public. De ce fait, il est difficile de tenter d'évaluer convenablement la régularité de la procédure pendant la phase des investigations.

Durant les annéesa 1995 et 1996, un certain nombre de représentants de l'appareil judiciaire ont été démis de leurs fonctions ou ont dû quitter le pays parce qu'ils craignaient pour leur vie, apparemment du fait de l'ingérence du gouvernement ou de l'armée dans leur travail. Certains de ces responsables, arrêtés et inculpés de participation au génocide, sont actuellement en détention dans l'attente de leur procès. Par exemple, Silas Munyagishali, substitut du procureur de Kigali, accusé de génocide et d'autres crimes contre l'humanité, a été arrêté en février 1996. Son procès, qui a débuté à Kigali le 30 décembre 1996, a été ajourné après qu'il eut été décidé de transférer l'affaire au tribunal de Gitarama. Amnesty International, qui a interrogé Silas Munyagishali dans sa prison de Kigali en 1996, estime que les autorités pourraient l'avoir visé, notamment parce qu'il avait refusé d'autoriser la mise en détention de personnes accusées de génocide contre lesquelles il n'existait pas de preuves. Peu après son arrestation, il s'était plaint du manque d'objectivité et de l'absence de procédure au niveau de la "commission de triage" (créée pour recommander la libération de certains détenus dont le dossier ne contenait pas de preuves suffisantes à leur encontre).

Autre exemple, celui de Célestin Kayibanda, procureur de Butare, arrêté en mai 1996 sous l'accusation de génocide, meurtre et autres crimes contre l'humanité. Peu de temps avant son arrestation, il avait dénoncé l'ingérence de responsables du gouvernement et de l'armée dans le fonctionnement de la Justice.

Il ne s'agit pas là de cas uniques. Plusieurs autres représentants de l'appareil judiciaire, notamment des procureurs, des substituts, des juges, des avocats, ont été menacés, arrêtés, ont "disparu" ou ont même été tués. Des cas semblables ont encore été signalés début 1997. Par exemple, Innocent Murengezi, avocat, qui avait représenté des parties civiles et des accusés dans les procès relatifs au génocide, a disparu le 30 janvier. Selon certaines informations, il avait été arrêté en février, mais à la connaissance d'Amnesty International, début mars, on ne savait toujours pas où il se trouvait et sa famille n'avait encore reçu aucune information à ce sujet.

Recommandations d'Amnesty International

c) La composition des tribunaux - absence de garanties de compétence et d'indépendance.

La plupart des représentants de l'appareil judiciaire participant aux procès du génocide, notamment les enquêteurs et les juges, n'ont eu que six mois de formation; beaucoup n'avaient pas même reçu auparavant la moindre formation juridique. Amnesty International se rend compte des difficultés qu'a représenté la reconstruction du système judiciaire entamée en 1994, et prend note des importants progrès réalisés ces derniers mois. Elle demeure cependant préoccupée par le fait que l'on ait recours à des fonctionnaires de justice qui ne sont pas suffisamment formés -aussi sincère qu'ils soient dans leurs intentions d'agir avec équité et en toute indépendance- et craint que l'on ne compromette ainsi gravement le déroulement des procès ainsi que leur issue, surtout lorsque l'on considère la complexité et la gravité des crimes, ainsi que la sévérité des peines encourues. Le manque d'expérience de certains de ces représentants de l'appareil judiciaire est un fait reconnu. Ainsi, le président de l'un de ces tribunaux sépciaux créés pour juger les personnes soupçonnées de génocide a fait part à Amnesty International de son désir d'assister en observateur aux procès du Tribunal international pour le Rwanda à Arusha, en Tanzanie, et à des procès dans d'autres pays, pour pallier son manque de formation juridique. Comme beaucoup d'autres, lui aussi n'avait bénéficié que de six mois de formation.

Par ailleurs, on a pu mettre en doute l'impartialité et l'indépendance de certains responsables du gouvernement et de l'appareil judiciaire qui, à l'époque où s'ouvraient les premiers procès, ont déclaré que les prévenus ne devraient pas demander à être assistés d'un avocat ou qu'ils ne voyaient pas pourquoi les accusés avaient besoin d'un défenseur.

Dans le système juridique rwandais, la procédure commence bien avant le procès proprement dit, lorsque le procureur rassemble les éléments de preuve en interrogeant les témoins et en recueillant leurs déclarations. Le prévenu n'est pas autorisé à assister à cette phaswe de la procédure judiciaire. Le procureur prend également la déposition du prévenu qui, avec celle des témoins joints à d'autres éléments de preuve, constitue le dossier qui est transmis aux juges. En principe, l'accusé n'a accès à ce dossier, qui contient l'ensemble des éléments de preuve pris en considération par le tribunal, que peu de temps avant le procès. Le jour où celui-ci a lieu, le dossier est examiné par les juges et s'il existe suffisamment de preuves de culpabilité, le prévenu est appelé à les réfuter. Comme ce stade de la procédure -la recherche des éléments de preuve- est d'une importance cruciale pour l'issue du procès, il est impératif que les procureurs, responsables de la constitution du dossier, agissent dans la plus stricte indépendance et impartialité. Le procureur a pour tâche non seulement de rassembler les éléments qui apportent la preuve de la culpabilité de l'accusé, mais aussi de trouver les éléments susceptibles de le disculper. Vu le climat qui règne actuellement au Rwanda, les procureurs sont confrontés à de très fortes pressions qui peuvent affecter leur impartialité et leur indépendance.

Comme dans beaucoup d'autres systèmes de justice civile, le prévenu devrait avoir la possibilité de bénéficier d'une assistance juridique lors des investigations du procureur, phase importante de la procédure, et de contester les éléments de preuve et les témoignages que le procureur a pris en considération. La législation rwandaise prévoit que le dossier n'est accessible au'qux parties concernées et non au public. De ce fait, il est difficile de tenter d'évaluer convenablement la régularité de la procédure pendant la phase des investigations.

Durant les annéesa 1995 et 1996, un certain nombre de représentants de l'appareil judiciaire ont été démis de leurs fonctions ou ont dû quitter le pays parce qu'ils craignaient pour leur vie, apparemment du fait de l'ingérence du gouvernement ou de l'armée dans leur travail. Certains de ces responsables, arrêtés et inculpés de participation au génocide, sont actuellement en détention dans l'attente de leur procès. Par exemple, Silas Munyagishali, substitut du procureur de Kigali, accusé de génocide et d'autres crimes contre l'humanité, a été arrêté en février 1996. Son procès, qui a débuté à Kigali le 30 décembre 1996, a été ajourné après qu'il eut été décidé de transférer l'affaire au tribunal de Gitarama. Amnesty International, qui a interrogé Silas Munyagishali dans sa prison de Kigali en 1996, estime que les autorités pourraient l'avoir visé, notamment parce qu'il avait refusé d'autoriser la mise en détention de personnes accusées de génocide contre lesquelles il n'existait pas de preuves. Peu après son arrestation, il s'était plaint du manque d'objectivité et de l'absence de procédure au niveau de la "commission de triage" (créée pour recommander la libération de certains détenus dont le dossier ne contenait pas de preuves suffisantes à leur encontre).

Autre exemple, celui de Célestin Kayibanda, procureur de Butare, arrêté en mai 1996 sous l'accusation de génocide, meurtre et autres crimes contre l'humanité. Peu de temps avant son arrestation, il avait dénoncé l'ingérence de responsables du gouvernement et de l'armée dans le fonctionnement de la Justice.

Il ne s'agit pas là de cas uniques. Plusieurs autres représentants de l'appareil judiciaire, notamment des procureurs, des substituts, des juges, des avocats, ont été menacés, arrêtés, ont "disparu" ou ont même été tués. Des cas semblables ont encore été signalés début 1997. Par exemple, Innocent Murengezi, avocat, qui avait représenté des parties civiles et des accusés dans les procès relatifs au génocide, a disparu le 30 janvier. Selon certaines informations, il avait été arrêté en février, mais à la connaissance d'Amnesty International, début mars, on ne savait toujours pas où il se trouvait et sa famille n'avait encore reçu aucune information à ce sujet.

Recommandations d'Amnesty International


d) Le déroulement des procès

Suite au génocide, il règne dans le pays un climat de suspicion et d'amertume, et il est probable que, dans ces conditions, nombre de ceux qui sont accusés de génocide et d'autres crimes contre l'humanité seront considérés comme coupables à moins que leur innocence ne soit prouvée; il s'agit là d'une négation du principe fondamental de la justice selon lequel tout prévenu est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie, principe inscrit dans le PIDCP et la Charte africaine. A moins que ce principe ne soit soutenu avec force, quelque soit la force des pressions qu'exerce l'opinion publique, des innocents risquent d'être condamnés et même exécutés.

La façon dont certains des premiers procès ont été menés n'est guère encourageante. Dans deux au moins de ces procès, le tribunal semble ne pas avoir empêché le public de conspuer les prévenus. Dans un autre cas, le juge et le procureur ont demandé au prévenu pourquoi il avait besoin d'un avocat. Une semblable attitude pourrait amener un tribunal à céder à la pression du public, et des prévenus pourraient être condamnés par la vox populi plutôt que sur la foi de preuves irréfutables de leur culpabilité. En outre, lorsque des responsables gouvernementaux déclarent publiquement, dans les moins qui précèdent les procès, que les prévenus sont tous coupables, cela ne fait qu'ajouter au risque de voir des accusés condamnés à tort, et de perpétuer dans l'esprit de la population l'idée que tous ceux qui sont accusés, à tort ou à raison, d'avoir participé au génocide n'ont aucun droit. Il est inévitable, dans ces conditions, que les juges soient soumis à des pressions les poussant à déclarer coupables la plupart des prévenus.

Plusieurs aspects du déroulement des premiers procès ont fait naître des inquiétudes. Comme nous l'avons déjà indiqué, dans plusieurs cas les demandes d'ajournement faites par des accusés ou leurs avocats afin de préparer leur défense n'ont pas été sérieusement étudiées. Le fait que le tribunal de Kibungo ait insisté pour que Déogratias Bizimana présente sa défense en kinyarwanda, alors qu'il l'avait préparée en français, a pu également nuire à l'équité du procès.

Dans plusieurs procès -tels celui de Déogratias Bizimana et d'Egide Gatanazi à Kibungo, celui de Virginie Mukankusi à Gitarama- les témoins à charge n'ont pas témoigné oralement devant le tribunal. Celui-ci semble avoir considéré les témoignages écrits des témoins à charge comme recevables sans même contrôler la crédibilité de ces témoins ou vérifier l'exactitude de leur déposition. Ces témoignages écrits figuraient bien au dossier, mais les accusés ne disposaient apparemment pas d'une copie de ce dossier. Ainsi, les prévenus n'ont pas été en mesure d'interroger les témoins à charge, de les soumettre à un contre-interrogatoire, de leur poser des questions sur certaines contradictions et, plus généralement, de mettre à l'épreuve la fiabilité de leur témoignage. A l'issue du procès, Egide Gatanazi a dit qu'il ne comprenait pas cette procédure qui ne lui avait pas permis d'interroger les témoins. Le tribunal n'a pas non plus accordé suffisamment d'attention aux requêtes de Déogratias Bizimana qui contestait la recevabilité des dépositions de certains témoins à charge.

Dans certains procès, la Cour n'a pas indiqué aux prévenus qu'ils pouvaient faire citer des témoins ou présenter des éléments à décharge. Par exemple, à Gitarama, Virginie Mukankusi a donné les noms de personnes qui pouvaient, selon elle, corroborer ses dires, mais ces personnes n'ont pas comparu devant le tribunal. Les autorités judiciaires se doivent d'aider les prévenus à faire en sorte que les témoins principaux assistent au procès et ce, compte tenu du fait que les prévenus sont en d'tention et que dans la plupart des cas, ils ne sont avisés que peu de temps à l'avance de la date de leur procès. Lorsque le prévenu fait savoir que des témoins à décharge pourraient venir à la barre les innocenter, le tribunal devrait ordonner une suspension d'audience afin de permettre à ces témoins de venir comparaître et d'être entendus.

Ces procès ont donc violé l'article 14(3)(e) du PIDCP, qui prévoit que tous les accusés ont droit :

"A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge".

D'autre part, l'Observation générale 13 du Comité des droits de l'Homme des Nations Unies sur l'article 14 du PIDCP précise que :

"Cette disposition vise à garantir à l'accusé les mêmes moyens juridiques qu'à l'accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous témoins ou les soumettre à un contre-interrogatoire".

De même, ces procès ont violé l'article 7 de la Charte africaine tel que l'interprète la résolution de la Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples relative à la question du Droit aux voies de recours et à un procès équitable, qui prévoit que tous les accusés ont droit :

"A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge".

Amnesty International s'inquiète tout particulièrement de l'absence de témoins lors de certains procès au Rwanda. Elle estime, comme il est dit ci-dessus, que la constitution des dossiers ne peut être considérée comme complète et indépendante dans tous les cas. L'Organisation s'inquiète également de ce que les prévenus et leurs avocats n'ont pas eu accès au dossier les concernant pendant la période consacrée à l'enquête.

Dans certains procès, l'accusation reposait en partie sur un procès-verbal. Dans celui qui s'est tenu à Kibungo, Déogratias Bizimana et Egide Gatanazi ont affirmé qu'on les avait torturés dans le but de les faire passer aux aveux, mais le tribunal n'a pas fait d'enquête sérieuse sur ces allégations. Le président du tribunal a demandé à Déogratias Bizimana s'il avait un certificat médical établi dans un hôpital prouvant qu'il avait été torturé. Le prévenu a répondu que l'hôpital ne délivrait pas de certificats de cette nature, mais qu'il portait toujours les marques visibles des blessures qui lui avaient été faites. Le tribunal n'a cependant pas diligenté une enquête à ce sujet. Au lieu de vérifier la recevabilité des procès verbaux, afin de déterminer si les déclarations avaient été faites librement et de façon spontanée, le tribunal a exigé des prévenus qu'ils démontrent leur irrecevabilité en tant qu'élément de preuve.

François Bizumutima, le prévenu du procès de Byumba, affirme lui aussi qu'il a été régulièrement maltraité pendant sa détention. On ne sait cependant pas de façon précise si les mauvais traitements présumés avaient pour but spécifique de lui extorquer des aveux. Amnesty International a reçu de nombreux témoignages faisant état de mauvais traitements infligés à des détenus dans divers centres de détention rwandais.

L'acceptation par les tribunaux d'aveux sans qu'une enquête digne de ce nom ait été faite sur les déclarations de prévenus affirmant qu'ils ont été obtenus sous la torture constitue une violation de l'article 14(3)8g) du PIDCP qui prévoit que toute personne a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable. Le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies, dans son Observation générale sur l'article 14 du PIDCP, déclarait que cette disposition était liée à l'interdiction de torturer (article 7 du PIDCP) et au droit des détenus à être traités avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (article 10(1) du PIDCP). Le Comité déclarait que :

"La loi devrait prévoir que les éléments de preuve obtenus au moyen de pareilles méthodes (ce qui constitue une violation de l'article 7 ou de l'article 10.1) ou de toute autre forme de contrainte sont absolument irrecevables".

Le fait d'imposer au prévenu la charge de prouver que les aveux qu'il dit avoit été obtenus sous la torture n'étaient pas spontanés est incompatible avec l'obligation faite à l'accusation de tournir la preuve de chaque élément constitutif du crime, et avec le devoir qu'ont les autorités, en conséquence des dispositions de l'article 7 du PIDCP, de mener rapidement des enquêtes impartiales sur les plaintes pour torture.

Recommandations


e) Les voies de recours

Une fois la peine prononcée, les prévenus ont 15 jours pour interjeter appel. Dans la plupart des procès qui ont eu lieu jusqu'ici, les prévenus qui ont été à mort auraient fait appel ou auraient l'intention de le faire. Mais fin février, aucun appel n'avait encore été examiné.

Amnesty International s'inquiète de ce que la Loi organique 8/96 ne prévoie pas de véritable droit d'appel. D'après l'article 24 de cette loi, des appels ne peuvent être fondée que sur des questions de droit ou sur des erreurs de fait flagrantes. Cette disposition donne à la Cour d'Appel la même compétence qu'une Cour de Cassation et limite les questions qu'elle peut prendre en considération pour rendre son jugement. Bien que l'on ne sache pas encore comment la Cour d'Appel interprète cette compétence, l'article 24 peut empêcher qu'une affaire soit prise en considération dans son ensemble. Il se peut par exemple que l'on ne tienne pas compte du fait qu'un prévenu a été ou non avisé de son droit à être défendu par un avocat. En revanche, lorsqu'il est fait appel d'une plainte au civil ou d'une condamnation au pénal résultant de poursuites engagées par une personne privée, la Cour d'Appel évoque de plein droit l'ensemble de l'affaire (6).

En outrel la Cour d'Appel doit statuer quant à la recevabilité d'un appel avant de statuer quant au fond. Si cette cour adopte une vue restrictive de la notion de recevabilité, la plupart des appels peuvent être rejetés dès ce stade de la procédure. La disposition contenue dans l'article 24 de la Loi organique 8/96 n'assure donc pas convenablement au prévenu "le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation", comme le prévoit l'article 14(5) du PIDCP.

Le droit international exige qu'une juridiction supérieure puisse réexaminer les questions de droit et les questions de fait. L'article 24 de la Loi organique 8/96 aux termes duquel seul l'appel fondé sur les questions de droit ou des erreurs flagrantes de fait est recevable, restreint considérablement la possibilité d'appel et ne permet qu'un réexamen partiel de l'affaire. L'article 14(5) du PIDCP stipule que :

Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi (7)

En vertu de la Loi organique 8/96 les prévenus des catégories 1 et 2 encourent automatiquement certaines peines et il est impossible de faire appel de la décision du tribunal de première instance étant donné que ce tribunal ne tient pas compte des circonstances atténuantes. Ne peuvent donc être prises en compte ni les circonstances atténuantes, ni la situation individuelle du prévenu. Une fois qu'un prévenu a été classé dans une catégorie donnée, le sentence s'applique de façon automatique. L'absence de prise en considération des circonstances atténuantes pour ce genre de délit est con traire à la pratique des tribunaux internationaux dans les cas de génocide, d'autres crimes contre l'humanité et de violations graves du droit humanitaire. Les Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo ainsi que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ont tous pris en considération des facteurs pouvant atténuer les peines des personnes déclarées coupables de crimes de cette gravité (8).

Le Chapitre III de la Loi organique 8/96 prévoit une procédure "d'aveux et de plaidoyer de culpabilité" (voir plus haut) qui permet aux prévenus qui recourent à cette procédure de bénéficier d'une réduction de peine s'ils ont admis leur culpabilité. Cette procédure peut donner lieu à des abus étant donné qu'il n'existe aucune garantie contre le recurs à la torture et à la contrainte. Une fois que le prévenu a été déclaré coupable et condamné en verti de cette procédure, il est impossible d'interjeter appel devant une juridiction supérieure, même s'il s'agit de la sentence prononcée par le tribunal du fond (9).

En conséquence, si un prévenu fait des aveux sous la torture et si le tribunal du fond considère ces aveux comme recevables sans ordonner une enquête approfondie sur les allégations de torture, le prévenu ne dispose d'aucun moyen de recours devant la Cour d'Appel pour faire réexaminer la décision du tribunal du fond.

Un prévenu ne peut demander un réexamen de la décision de la Cour d'Appel que s'il a été condamné à mort par cette Cour après avoir été acquitté au premier degré (10). Le Procureur général peut également demander que la Cour de Cassation réexamine toute décision de la Cour d'appel qui serait contraire à la loi (11).

Certains prévenus qui n'étaient pas représentés par un avocat lors du procès -les deux prévenus du procès de Kibungo, par exemple- bénéficieront de l'assistance d'un défenseur en appel mais on peut se demander si, à un stade aussi tardif de la procédure judiciaire, il existe des chances réelles que l'aide d'un avocat change quelque chose au verdict.

Recommandations

a) permettre aux personnes déclarées coupables et condamnées à la suite d'un avez et d'un plaidoyer de culpabilité, de faire appel devant une juridiction supérieure;

b) élargir le champ des questions sur lesquelles peut se fonder un recours en appel, afin de permettre à la Cour d'Appel de statuer sur chaque appel en examinant l'affaire dans son ensemble et de faire en sorte que, dans tous les cas, la décision de la Cour d'Appel puisse être réexaminée par la Cour de Cassation;

c) accorder aux tribunaux plus de latitude en matière de choix des peines en leur permettant de tenir compte des facteurs pouvant atténuer leur sévérité, et permettre aux prévenus de faire appel des peines prononcées par le tribunal du fond.

6) Article 29 de la Loi organique 8/96
7) Voir également articles 24 et 25 du mandat du tribunal international pour le Rwanda qui prévoit des procédures d'appel ou d'opposition et de pourvoi en cassation.
8) Voir la décision très récente de la chambre de jugement dans l'affaire Ministère public contre Edemovic, jugement, affaire no IT-96-22-T, 29 novembre 1996.
9) Voir articles 10(7) et 24 de la Loi organique 8/96.
10) Article 25 de la Loi organique 8/96
11) Article 26 de la Loi organique 8/96

V. La peine de mort

"Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie" (12)

Amnesty International s'oppose sans réserve à l'application de la peine de mort dans tous les pays et quelles que soient les circonstances car elle considère cette peine comme une violation cautionnée par l'Etat du droit à la vie et du droit à ne pas être soumis à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants, droits énoncés dans les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. La situation est particulièrement préoccupante lorsque des personnes risquent d'être condamnées à mort à l'issue de procès inéquitables. La dernière exécution connue au Rwanda remonte à 1982. Amnesty International estime qu'une reprise des exécutions après 15 années consécutives constituerait un important pas en arrière pour les droits de l'Homme au Rwanda.

Des progrès considérables ont été réalisés dans le sens de l'abolition de la peine de mort. Plus de la moitié des pays du globe (99 en tout), dont 13 pays africains, ont aboli la peine de mort dans leur législation ou dans la pratique. En déclarant anticonstitutionnelle la peine de mort, le Tribunal constitutionnel de l'Afrique du Sud déclarait :

"La peine doit dans une certaine mesure être proportionnelle à l'infraction commise, mais il n'est pas exigé qu'elle soit équivalente ou identique à celle-ci. L'Etat n'arrache pas les yeux du personne qui a énuclé sa victime, il ne punit pas un violeur en le castrant ou en le soumettant en prison à la pire des humiliations. L'Etat n'a pas besoin de tuer de sang-froid, et après réflexion, un meurtrier pour exprimer l'indignation morale qui lui inspire la conduite de celui-ci" (13)

La colère et le désir de voir le crime puni impliquent que de nombreuses personnes sont inévitablement favorables à la peine de mort. On argumente parfois que le recours à la peine de mort est l'unique moyen de mettre fin à l'impunité dans ce pays qui a été le théâtre de violations massives des droits de l'Homme. Amnesty International est, elle, absolument convaincue que l'utilisation de la peine de mort ne peut que perpétuer le cycle de violence qui appelle la vengeance, et qu'elle ne saurait apporter au Rwanda la réconciliation et le respect des droits de l'Homme. L'Organisation estime que le gouvernement rwandais devrait, au lieu de recourir à la peine de mort, infliger des peines d'meprisonnement proportionnelles à la gravité des infractions commises à ceux qui sont déclarés coupables de génocide et d'autres crimes contre l'humanité. Le gouvernement devrait saisir l'occasion qui lui est offerte de montrer qu'il est fermement décidé à respecter les droits de l'Homme et à mettre fin à la violence au Rwanda. Amnesty International estime que l'application de la peine de mort est incompatible avec les initiatives visant à parvenir à la réconciliation, après le génocide, et au retour de centaines de milliers de réfugiés.

Le caractère irrévocable de la peine de mort est particulièrement préoccupant dans un pays où le système judiciaire a été pratiquement réduit à néant, où la rancoeur du peuple à l'encontre des prévenus accusés de génocide s'exprime ortement, et où bon nombre des garanties juridiques habituelles n'ont pas encore été mises en place. Amnesty International craint que ceux qui font partie de la première vague d'accusés à passer en jugement ne risquent tout particulièrement d'être condamnés à mort et même exécutés à l'issue de procès inéquitables, car le gouvernement pourrait souhaiter faire de ces premiers procès des exemples de sa ferme volonté de punir les responsables du génocide. Si une personne est exécutée en vertu d'un jugement rendu lors d'un procès inéquitable, cette exécution équivaut à une exécution arbitraire et à une violation du droit à la vie.

L'article 2 de la Loi organique 8/96 prévoit que les personnes poursuivies dans le cadre de procès relatifs au génocide sont réparties en quatre catégories. Les personnes relevant de la catégorie 1 sont condamnées à mort si elles sont déclarées coupables. Celles de la catégorie 2 sont condamnées à la réclusion à perpétuité. D'autres peines sont infligées aux prévenus des catégories 3 et 4. Lorsque le secrétaire général d'Amnesty International s'est entretenu avec des membres du gouvernement au Rwanda en novembre 1996, le Procureur général a soutenu que la peine de mort était pratiquement abolie au Rwanda puisque seuls les prévenus de la première catégorie y étaient condamnés. Amnesty International craint que cette peine ne soit infligée à de nombreux condamnés, étant donnée la définition très large du prévenu de la catégorie 1. Appartient en effet à cette catégorie :

La personne qui a agi en position d'autorité au niveau national, préfectoral, communal, du secteur ou de la cellule, au sein des partis politiques, de l'armée, des confessions religieuses ou des milices, qui a commis ces infractions ou encouragé les autres à le faire.

ainsi que :

Le meurtrier de grand renom, qui s'est distingué dans le milieu où il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l'a caractérisé dans les tueries, ou de la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées.

Amnesty International s'inquiète non seulement de la grande diversité de personnes qui risquent d'être condamnées à mort en vertu de cette loi, mais elle craint en outre que la manière dont sont définis les suspects de la catégorie 1 ne soit utilisée pour attaquer injustement certaines personnes, notamment celles qui étaient en position d'autorité sur le plan local pendant le génocide et les opposant -réels ou présumés- au Front patriotique rwandais, parti qui a accédé au pouvoir en juillet 1994, mais qui n'ont pas pour autant participé aux massacres. Si l'on s'en réfère aux arrestations qui ont été effectuées ces derniers mois, il semble que des personnes qui avaient été en poste, au niveau local ou national, sous le précédent gouvernement sont celles qui risquent le plus d'être accusées de génocide et d'autres crimes contre l'humanité, et arrêtées. Il se peut que leur arrestation ait été justifiée dans certains cas. Mais dans d'autres, il semble bien qu'elles aient été -et qu'elles soient peut-être encore aujourd'hui- effectuées sans tenir compte du rôle que tel ou tel individu a pu jouer ou ne pas jouer par rapport au génocide ou de la fonction qu'il occupait à un moment donné. Une arrestation doit s'appuyer sur des charges et des éléments de preuve plus circonstanciés.

Le 30 novembre 1996, le gouvernement a publié une liste de 1946 noms de personnes relevant de la catégorie 1, liste qui n'est pas exhaustive, d'autres noms pouvant venir s'y ajouter à tout moment. On ignore quels sont précisément les critères qui ont servi à l'établissement de cette liste, par qui elle a été établie, selon quelle méthodologie, et quel est le niveau de précision des charges retenues contre les personnes figurant sur cette liste. Elle a été publiée un mois avant le début des procès. Le fait que cette liste de suspects de génopcide, et celles qui l'ont précédé, ait été largement diffusée est particulièrement préoccupant car cela donne plus encore à penser que les accusés sont présumés coupables à moins qu'ils ne fournissent la preuve de leur innocence et ce, avant même d'être inculpés et jugés en bonne et due forme. Ils risquent ainsi d'être exposés à des actes de vengeance avant même qu'ils aient comparu en justice.

De plus, le fait pour une personne de figurer nommément sur cette liste pourrait avoir une influence sur l'issue de son procès. En vertu de la Loi organique 8/96, les tribunaux n'ont pas de pouvoir discrétionnaire quant à la peine à infliger à des prévenus de la catégorie 1, puisqu'ils ne peuvent que les condamner à mort. Cependant, ceux dont le nom ne figure pas sur la liste ont la possibilité de passer aux aveux et de plaider coupable. D'après l'article 9 de la Loi organique 8/96 :

"(...) la personne qui aura présenté les aveux et une offre de plaudoyer de culpabilité sans que son nom ait été préalablement publié sur la liste des personnes de la première catégorie, ne pourra pas entrer dans cette catégorie, si les aveux sont complets ou exacts. Si les faits avoués devaient faire entrer cette personne dans la première catégorie, elle sera classée dans la deuxième."

Ceux dont les noms figurent déjà sur la liste ne semblent pas pouvoir bénéficier de cette option. Pour ces personnes, en fait, cette liste pourrait constituer une forme de jugement et même, signifier une condamnation à mort.

(12) Article 6 du Pacte international relatif aux droits civile et politiques.
(13) L'Etat contre T. Makwanyaneet M. Mchunu, affaire no CCT/3/94, paragraphe 129, traduction non officielle
Recommandations


VI Conclusion

En dépit des difficultés que présentent les procès des personnes accusées de génocide et du caractère extrêmement délicat des questions qui s'y rattachent, l'expérience montre qu'il est aujourd'hui tout à fait possible au Rwanda de juger ces personnes avec équité, et que cette possibilité n'est pas simplement un souhait irréaliste formulé par des observateurs extérieurs. Amnesty International prie instamment les autorités rwandaises de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que cette possibilité devienne une réalité et pour que le respect des nofmrs internationales d'équité soit assuré dans tous les cas.

Plusieurs responsables gouvernementaux ont reconnu que dans certains cas, la procédure nm'avait pas été respectée. Ils se sont déclarés prêts à essayer d'améliorer cette situation. Amnesty International encourage les initiatives positives telles que celles prises par le ministre de la Justice en vue de faire mieux connaître à la population les problèmes relatifs aux procès et de fournir des informations à la fois sur les droits des accusés et sur ceux des victimes de crimes commis pendant le génocide. Ce ministre a également donné des instructions visant à ce ue les procédures prévues par la loi soient respectées pendant les procès.

Amnesty International s'oppose à l'impunité e ne cesse d'encourager les gouvernements à enquêter sur les atteintes aux droits de l'Homme et à traduire en justice ceux qui en sont responsables, en particulier lorsqu'il s'agit de situations aussi graves que le génocide dont le Rwanda a été le théâtre en 1994. Cependant, on ne viendra pas à bout du problème de l'impunité en violant les droits de ceux qui sont soupçonnés d'avoir perpétré des atteintes aux droits de l'Homme. Ce dont le Rwanda a besoin, c'est de justice et non de vengeance. La justice eige que ceux qui sont accusés de génocide soient jugés équitablement,. conformément aux normes internationales et aux engagements que le Rwanda a spontanément pris en ratifiant des traités internationaux. En outre, il ne fait pas seulement que justice soit rendue, il faut aussi que l'on voie que justice a été rendue, si l'on veut rendre possible la réconciliation, une réconciliation fondée sur la reconnaissance de la responsabilité des personnes, et non des groupes, pour les crimes commis.

C'est précisément parce qu'elle souhaite que les personnes coupables de génocide et d'autres crimes contre l'humanité n'échappent pas à la justice qu'Amnesty International demande instamment au gouvernement rwandais de veiller à ce que tous ces procès respectent les normes d'équité. Le non respect de ces normes risquerait de fournir aux coupables un moyen d'échapper au châtiment en affirmant, avec raison, que leurs procès n'ont pas été équitables. L'autre risque serait de violer les droits de personnes innocentes. Que justice soit rendue est non seulement de l'intérêt du peuple rwandais mais aussi de l'intérêt de l'humanité toute entière. C'est à cette tâche que le système judiciaire rwandais doit s'atteler, c'est à cette responsabilité qu'il doit faire face.


Rwanda : rompre le silence

Rapport d'Amnesty International, 25 septembre 1997

Sommaire


Résumé

Introduction

Des massacres systematiques

Résumé

Au moins 6000 personnes, des civils non armés pour la plupart, auraient été tuées au Rwanda entre janvier et août 1997. Les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés.

En août 1997, les massacres se poursuivaient à un rythme pratiquement quotidien. Les victimes étaient souvent des Rwandais qui s'étaient réfugiés en République démocratique du Congo (RDC) ou en Tanzanie et qui, par centaines de milliers, ont été contraints de retourner dans leur pays en novembre et en décembre 1996. Les soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR), ainsi que des groupes armés qui comprendraient en leur sein d'anciens membres des Forces armées rwandaises (FAR) -l'ex-armée gouvernementale- ou qui collaboreraient avec eux, prennent délibérément pour cible des hommes, des femmes et de jeunes enfants sans défense, les poursuivant jusque dans leur maison. De nombreuses personnes ont "disparu", et leur famille ignore si elles sont encore en vie.

Au cours de l'année 1997, l'APR et des groupes armés d'opposition se sont rendus responsables de massacres dont les victimes étaient des civils non armés. Les témoignages recueillis dans les préfectures du nord-ouest du Rwanda -théâtre de la plupart des violences- indiquent cependant de façon concordante que la majorité des massacres de civils non armés perpétrés au cours des derniers mois sont le fait de l'APR.

Il est difficile dans certains cas d'identifier les auteurs de ces massacres. Les témoins oculaires parlent en général d'"hommes armés en uniforme militaire", mais les témoignages divergent parfois sur la question de savoir s'il s'agit de soldats de l'APR ou de membres des ex-FAR. L'Organisation a des raisons de penser que les deux parties adoptent délibérément une stratégie de confusion permettant à chacune de rejeter la responsabilité des attaques sur l'autre, sans qu'il soit véritablement possible de procéder à une vérification indépendante des faits.

Les combats entre APR et groupes d'opposition armés auraient redoublé d'intensité. Des régions entières du nord-ouest du pays sont devenues pratiquement inaccessibles. Rares sont les observateurs indépendants des droits de l'Homme en mesure de se rendre dans ces régions. En conséquence, les auteurs de violations des droits de l'Homme peuvent commettre des massacres à l'abri des regards d'observateurs indépendants susceptibles d'en rendre compte.

Les homicides, une fois encore, font quasiment partie du quotidien des Rwandais. Les habitants de ce pays vivent dans la terreur, consciente du fait que, quelle que soit leur origine éthnique ou leur affiliation supposée, ils peuvent à tout moment être victimes de la violence arbitraire de l'une ou l'autre partie. La plupart n'osent pas parler de ce qui se passe, de crainte d'être tués. Ceux qui ont la chance de pouvoir s'enfuir et rester en vie risquent l'arrestation arbitraire, les mauvais traitements et la détention prolongée dans des conditions qui mettent leur vie en péril. Le personnel des organisations internationales n'a pas été épargné : plusieurs ressortissants étrangers et citoyens rwandais employés par des organisations internationales ont été assassinés; de ce fait, le travail indispensable réalisé par les organisations humanitaires et les organismes de défense des droits de l'Homme a été gravement compromis, et les populations les plus démunies ne reçoivent pas l'aide dont elles ont besoin.

L'ampleur réelle des atteintes aux droits de l'Homme continue d'être minimisée par les autorités rwandaises, qui affirment contrôler la situation, mais également, semble-t-il, par la communauté internationale. Les médias internationaux ne dont que rarement état de ce qui se passe aujourd'hui au Rwanda dans le domaine des droits de l'Homme, et la plupart des gouvernements étrangers ferment apparemment les yeux sur la dégradation de la situation, continuant de prôner le rapatriement des Rwandais réfugiés dans les pays voisins.

Si Amnesty International publie aujourd'hui le présent document, c'est pour mettre en lumière l'ampleur et la gravité des atteintes aux droits de l'Homme qui se commettent actuellement au Rwanda, et pour qu'en soient informés ceux qui ont le pouvoir d'influer positivement sur l'évolution de la situation. Ce rapport comprend une série de recommandations adressées au gouvernement rwandais, aux groupes armés d'opposition, aux gouvernements étrangers, ainsi qu'aux organisations intergouvernementales.

Amnesty International pense qu'il est essentiel que les autorités rwandaises, avec l'encouragement et le soutien des gouvernements étrangers, entreprennent de mener une action concertée visant à empêcher l'anarchie de se propager et à sauver la vie de milliers de civils rwandais. Il faut que, dans toutes les régions du pays, le plus élémentaire respect des droits de l'Homme soit rétabli afin que les réfugiés rwandais retournant chez eux, tout comme ceux qui n'ont pas quitté le pays, puissent ne plus vivre dans la peur et dans l'insécurité.


"Ici, dans ce maudit pays, on n'a pas de projets. On pousse un 'ouf' de soulagement quand vingt-quatre heures passent puis on s'inquiète pour les vingt-quatre heures qui suivront. On dirait un contrat de vingt-quatre heures."
(Citation extraite d'un témoignage anonyme recueilli au Rwanda en mars 1997)

Introduction

Au moins 6000 personnes, des civils non armés pour la plupart, auraient été tuées au Rwanda entre janvier et août 1997. Les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés. (2)

Le 7 août 1997, l'Organisation a publié un communiqué de presse intitulé "Rwanda. Recrudescence des massacres de civils non armés" (index AI : AFR 47/29/97), signalant qu'au moins 2300 personnes avaient été tuées entre mai et juillet 1997, Les informations reçues de diverses sources depuis cette date font apparaître que le nombre des personnes tuées au cours de ces trois mois est considérablement plus élevé.

Au mois d'août 1997, les massacres se poursuivaient à un rythme pratiquement quotidien. Les victimes étaient souvent des Rwandais qui s'étaient réfugiés en République démocratique du Congo (RDC) ou en Tanzanie et qui, par centaines de milliers, ont été contraints de retourner dans leur pays en novembre et en décembre 1996. Les soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR), ainsi que des groupes armés qui comprendraient en leur sein d'anciens membres des Forces armées rwandaises (FAR) -l'ex-armée gouvernementale- ou qui collaboreraient avec eux, prennent délibérément pour cible des hommes, des femmes et des jeunes enfants sans défense, les poursuivant jusque dans leur maison. De nombreuses personnes ont "disparu", et leur famille ignore si elles sont encore en vie.

Les combats entre APR et groupes d'opposition armés auraient redoublé d'intensité. Des régions entières du nord-ouest du pays sont devenues pratiquement inaccessibles. Rares sont les observateurs indépendants des droits de l'homme en mesure de se rendre dans ces régions. En conséquence, les auteurs de violations des droits de l'Homme peuvent commettre des massacres à l'abri des regards d'observateurs indépendants susceptibles d'en rendre compte.

Lors du retour de la première vague de réfugiés de l'ex-Zaïre, en novembre 1996, des homicides et des arrestations arbitraires ont été signalées dès les premiers jours (3). Ce n'est toutefois qu'au début du mois de janvier 1997 que le nombre des homicides a brutalement augmenté, notamment dans les préfgectures de Ruhengeri et de Gisenyi, dans le nord-ouest du pays (4). On a également assisté à une recrudescence des homicides et des "disparitions" dans d'autres régions du Rwanda. Le nombre des arrestations opérées dans tout le pays n'a cessé de progresser, des cas de mauvais traitements ont été signalés de plus en plus fréquemment, et les conditions de détention ont continué de provoquer la mort de centaines de prisonniers, la population carcérale dépassant un total de 120'000 personnes dans les centres de détention officiellement reconnus. Les procès de ceux accusés d'avoir pris part au génocide ont débuté fin décembre 1996; à la date d'août 1997, plus de 140 personnes avaient été jugées et 65 d'entre elles, au moins, ont été condamnées à mort, souvent à l'issue de procès inéquitables (5).

Les homicides, une fois encore, font quasiment partie du quotidien des Rwandais. Les habitants de ce pays vivent dans la terreur, conscients du fait que, quelle que soit leur origine ethnique ou leur affiliation supposée, ils peuvent à tout moment être victimes de la violence arbitraire de l'une ou l'autre partie. La plupart n'osent pas parler de ce qui se passe, de crainte d'être tués. Ceux qui ont la chance de pouvoir s'enfuir et rester en vie risquent l'arrestation arbitraire, les mauvais traitements et la détention prolongée dans des conditions qui mettent leur vie en péril. Le personnel des organisations internationales n'a pas été épargné : plusieurs ressortissants étrangers et citoyens rwandais employés par des organisations internationales ont été assassinés; de ce fait, le travail indispensable réalisé par les organisations humanitaires et les organismes de défense des droits de l'Homme a été gravement compromis, et les populations les plus démunies ne reçoivent pas l'aide dont elles ont besoin.

L'empleur réelle des atteintes aux droits de l'Homme continue d'être minimisée par les autorités rwandaises, qui affirment contrôler la situation, mais également, semble-t-il, par la communauté internationale. Les médias internationaux ne font que rarement état de ce qui se passe aujourd'hui au Rwanda dans le domaine des droits de l'Homme, et la plupart des gouvernements étrangers ferment apparemment les yeux sur la dégradation de la situation, continuant de prôner le rapatriement des Rwandais réfugiés dans les pays voisins.

Si Amnesty International publie aujourd'hui le présent document, c'est pour mettre en lumière l'ampleur et la gravité des atteintes aux droits de l'Homme qui se commettent actuellement au Rwanda, et pour qu'en soient informés ceux qui ont le pouvoir de faire que cela change. Les informations présentées dans ce rapport reposent d'une part sur les éléments qu'a pu réunir la délégation d'Amnesty International lors de son séjour au Rwanda en janvier et février 1997, et d'autre part sur les témoignages recueillis auprès de diverses sources à l'intérieur comme à l'extérieur du pays au cours des mois qui ont suivi. Les exemples de cas dont il va être question -cas qui, pour la plupart, se sont produits entre janvier et août 1997- ne représentent qu'une faible part du nombre total des atteintes aux droits de l'Homme signalées durant cette période.

(2) Ce chiffre de 6000 correspond à des cas spécifiques portés à la connaissance d'Amnesty International au cours de cette période; il ne tient pas compte des cas au sujet desquels nous manquions de renseignements précis, et ne comprend pas non plus les nombreux autres cas qui peuvent n'avoir pas été signalés.
(3) Cf le rapport d'Amnesty International du 14 janvier 1997 intitulé "Rwanda. Les rapatriements massifs ne tiennent pas compte des droits de l'homme" (index AI : AFR 47/02/97).
(4) Le Rwanda comprend 10 préfectures, qui sont divisées en communes, elles-mêmes subdivisées en secteurs, chaque secteur étant composé de cellules.
(5) Les préoccupations d'Amnesty International concernant les premiers procès qui ont eu lieu au Rwanda ont été exposées dans le rapport du 8 avril 1997 intitulé "Rwanda. Procès inéquitables : un déni de justice" (index AI : AFR 47/08/97)

I.1 Des massacres systématiques

L'année 1996 a été marquée par une série de violations graves et systématiques des droits de l'Homme, au nombre desquelles figurent les centaines d'exécutions extrajudiciaires imputables à l'APR et les homicides délibérés et arbitraires commis par les groupes d'opposition armée (6). En 1997, la situation s'est encore dégradée. Cela est en grande partie dû au retour massif et forcé, en novembre et en décembre 1996, de centaines de milliers de Rwandais réfugiés dans l'ex-Zaïre et en Tanzanie. La plupart de ces derniers appartiennent à l'ethnie hutu. Nombre d'entre eux sont soupçonnés d'avoir participé au génocide de 1994; parmi eux figurent des membres de l'ancien gouvernement ou de l'ancienne armée gouvernementale (ex-FAR) et leur famille, qui sont revenus dans des zones où des milliers de personnes avaient été massacrées durant le génocide de 1994.

Au cours de l'année 1997, l'APR et des groupes armés d'opposition se sont rendus responsables de massacres dont les victimes étaient des civils non armés. Les témoignages recueillis dans les préfectures du nord-ouest du Rwanda -théâtre de la plupart des violences- indiquent cependant de façon concordante que la majorité des massacres de civils non armés perpétrés au cours des derniers mois sont le fait de l'APR.

Il est difficile dans certains cas d'identifier les auteurs des massacres. Les témoins oculaires parlent en général d'"hommes armés en uniforme militaire", mais les témoignages divergent parfois sur la question de savoir s'il s'agit de soldats de l'APR ou de membres des ex-FAR. Nous avons des raisons de penser que les deux parties adoptent délibérément une stratégie de confusion permettant à chacune de rejeter la responsabilité des attaques sur l'autre, sans qu'il soit véritablement possible de procéder à une vérification indépendante des faits.

(6) Cf le rapport d'Amnesty International du 12 août 1996 intitulé "Rwanda. Recrudescence alarmante des massacres" (index AI : AFR 47/13/96)

1.1 Des massacres perpétrés dans le cadre d'un conflit armé : dans le nord-ouest du pays, une guerre qui ne dit pas son nom.

Fréquemment, des témoignages en provenance du nord-ouest du pays font état de batailles entre les forces de l'APR et des groupes d'opposition armés, couramment appelés "infiltrés". Cette appellation d'"infiltrés" recouvrirait les ex-FAR et les milices Interahamwe, dont nombre de membres sont responsables des massacres commis pendant le génocide de 1994 au Rwanda. On rapporte également la présence de groupes de personnes ayant pris les armes pour combattre l'APR et qui agiraient indépendamment des ex-FAR.

De nombreuses sources au Rwanda, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernemenbt, décrivent la situation qui règne dans le nord-ouest du pays comme une véritable situation de guerre. D'autres sources de partagent pas cette analyse et affirment qu'à en juger par les témoignages, la plupart des victimes -dans les deux camps- sont des civils non armés. Quels que soient les termes utilisés pour rendre compte de la situation qui prévaut actuellement, il est évident que les groupes d'opposition armés ont intensifié leurs attaques au cours de l'année 1997 -desgroupes qui parfois se composent de plus de 100 personnes-, et qu'en retour l'APR a adopté une ligne de conduite plus radicale visant à écraser l'insurrection. Dans certains cas, l'APR a été amenée à pratiquer la politique dite de la "terre brûlée", prenant prétexte de la nécessité légitime de combattre les rebelles pour massacrer des civils non armés.

Les populations civiles qui vivent dans les zones touchées par le conflit sont de plus en plus souvent contraintes d'aider l'APR dans ses opérations re recherche des rebelles. Craignant, en cas de refus, d'être tués par l'armée, certains habitants de ces zones auraient entrepris de collaborer avec les autorités dans le cadre de ces opérations; mais cela les expose au risque d'être qualifiés de "traîtres" et de devenir alors la cible des groupes armés d'opposition. Souvent, les autorités régionales civiles et militaires réunissent la population de ces zones pour les avertir de ne pas soutenir ni aider les "infiltrés", mais également pour procéder à des vérifications d'identité -vérifications qui, fréquemment, se soldent par des arrestations massives. Les habitants de la région sont contraints d'assister à ces réunions; ceux qui n'y vont pas sont immédiatement considérés avec suspicion.

Les autorités ont usé de tactiques diverses pour minimiser la gravité de la situation dans le nord-ouest du pays. C'est ainsi que le 15 juillet 1997, l'agence de presse rwandaise a fait savoir que des affrontements qui avaient eu lieu au cours des jours précédents dans la préfecture de Ruhengeri avaient coûté la vie à 100 miliciens et à trois soldate de l'APR. Une déclaration ultérieure du préfet de cette région laissait apparaître qu'au cours de la même période, 40 civils, pris entre deux feux, avaient également été tués. Le 1er août 1997, une délégation de hauts responsables gouvernementaux, accompagnés -à l'invitation du gouvernement- de représentants d'ambassades étrangères, de représentants d'organisations internationales et de journalistes, s'est rendue à Ruhengeri et a présenté sa version des faits concernant les événements récents qui s'étaient produits dans la région. Au dire des responsables gouvernementaux, 1800 Interahamwe ou membres des ex-FAR, 90 soldats de l'APR et entre 200 et 300 civils avaient été tués en mai et en juin. Au cours de cette visite, ces mêmes responsables ont déclaré que la situation dans la région était "calme et stable" (7).

En raison du climat d'insécurité qui règne dans les zones touchées par le conflit armé, Amnesty International n'a pas été en mesure de confirmer l'exactitude des informations faisant état d'affrontements armés entre l'APR et des groupes d'opposition armés, ni n'a pu évaluer le nombre total des victimes dans les différents camps. Les préoccupations de l'Organisation concernent les victimes civiles dénombrées tant au cours de ces affrontements qu'après. Dans les jours qui suivent immédiatement l'annonce qu'un affrontement a eu lieu, la population civile de la région est tout particulièrement exposée au risque d'être prise pour cible de façon indiscriminée par l'APR qui recherche les "infiltrés". C'est la sérue d'opérations militaires lancées en 1996 et 1997 qui a commencé à susciter des craintes. Les autorités n'ont cessé de mettre en garde la population contre la tentation d'abriter ou d'aider de quelque façon des "infiltrés". Cela étant, il n'existe aucune preuve permettant de penser que les civils non armés qui ont été victimes d'exécutions extrajudiciaires auraient aidé des groupes armés.

(7) Cf le rapport (mai-juin 1997) de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda, consacré à la situation des droits de l'Homme au Rwanda et aux activités menées dans le cadre de cette Opération.
1.2 Les exécutions extrajudiciaires commises au cours des opérations militaires de ratissage

Des milliers de civils non armés ont été tués lors d'opérations de ratissage menées par l'APR à la suite d'attaques attribuées à des groupes d'opposition armés ou d'affrontements entre soldats de l'APR et "infiltrés". Pendant ces opérations militaires, qui ont parfois lieu quelques heures après l'attaque et parfois au cours des jours suivants, l'armée commet souvent des homicides à titre de représailles. La grande majorité de ceux qui ont été tués lors de ces opérations étaient des civils non armée qui ne participaient pas au conflit et ne représentaient aucune menace -par exemple des hommes et des femmes âgés, ou de jeunes enfants, qui ont été tués chez eux ou bien à l'extérieur, dans un endroit où les soldats les avaient rassemblés. La stratégie anti-insurrectionnelle de l'ASPR a pour effet de terroriser la population civile qui vit dans les zones où des rebelles sont supposer se cacher. Dans certains cas, des membres de l'APR qui se seraient rendus responsables d'exécutions extrajudiciaires ont été arrêtés, mais jusqu'à présent, de tels cas tendaient à être exceptionnels. Lorsque des exécutions extrajudiciaires ont été signalées, les responsables ont, la plupart du temps, échappé à la justice.

Ce sont dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi qu'ont été recensées le plus grand nombre d'exécutions extrajudiciaires imputables à des soldats de l'APR. Amnesty International a reçu un nombre incalculable d'informations faisant état de civils non armés tués dans cette région par l'APR, à la suite d'attaques qu'auraient lancées des "infiltrés".

Durant le mois de janvier 1997, des massacres ont commencé à être signalés de plus en plus souvent. C'est ainsi que le 4 janvier 1997, au moins 55 personnes auraient été tuées par des soldats de l'APR dans la commune de Nkumba, préfecture de Ruhengeri, lors d'une opération de ratissage de l'armée. Ce massacre survenait aprtès une attaque lancée le même jour par de présumés "infiltrés", attaque au cours de laquelle un soldat de l'APR aurait trouvé la mort. Cependant, la plupart des victimes de la tuerie perpétrée par l'APR à titre de représailles étaient des civils; huit "infiltrés" présumés ont également été tués.

Le 20 janvier 1997, lors d'une opération de ratissage menée dans la commune de Nyamugali (préfecture de Ruhengeri), des soldats de l'APR auraient rassemblé des habitants qui n'étaient pas armés et tué 28 d'entre eux. 24 auraient été tués après que les soldats de l'APR les eurent fait entrer dans un bâtiment et y eurent jeté une grenade.

Au cours des deux ou trois jours qui ont suivi, un grand nombre de personnes -peut-être une centaine- auraient été tuées ou auraient "disparu" dans plusieurs autres communes de la préfectuire de Ruhengeri, notamment dans celles de Kigombe, de Mukingo et de Nyakimana; nombre d'entre elles ont été abattues par l'APR alors qu'elles prenaient la fuite.

Le 3 mars 1997, des civils non armés dont le nombre était au moins de 150 et s'élevait peut-être à 280 ont été tués par des soldats de l'APR lors d'une opération de ratissage dans les communes de Kigombe, de Nyakinama et de Mukingo (préfecture de Ruhengeri), au lendemain d'une attaque lancée par un groupe armé contre la ville de Ruhengeri qui aurait fait plusieurs morts. L'APR a procédé à des opérations de ratissage de grande envergure en plusieurs endroits de la région; des soldats -assistés semble-t-il par des gendarmes- auraient fait sortir les habitants de chez eux pour les regrouper, puis les auraient conduits un peu plus loin avant de leur tirer dessus ou de les battre à mort. Les autorités ont reconnu qu'en ces occasions, il y avait eu usage excessif de la force, et plusieurs officiers soupçonnés d'avoir participé à ces opérations auraient été arrêtés à la suite des massacres.

Entre le 9 et le 11 mai 1997, au moins 1430 civils auraient été tués par l'APR dans les secteurs de Ryinyo, de Kintobo, de Gatore, de Gatovu, de Rukoma, de Gitwa, de Runigi et de Mukamira, située dans la commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri). Amnesty International a reçu une liste, établie par des sources locales, comportant les noms d'environ 525 victimes de ces massacres -dont au moins 90 enfants- qui ont eu lieu principalement dans le secteur de Ryinyo. Il faut ajouter à ces noms les 553 personnes, sinon davantage, qui auraient été tuées dans le secteur de Kinbtobo, plus 127 dans le secteur de Gatovu, 120 dans celui de Rukoma et 114 dans celui de Runigi. Ces tueries auraient été précédées par plusieurs jours de combat entre les forces de l'APR et des groupes armés d'opposition, à proximité de camps militaires de la région.

A peu près à la même époque, 423 personnes auraient été tuées dans la commune voisine de Nyamutera; 123 d'entre elles auraient été brûlées vives dans leur maison délibérément incendiée.

Entre le 3 et le 17 mai 1997, au cours d'opérations militaires, au moins 82 personnes auraient été tuées par des soldats de l'APR en plusieurs endroits situés dans la commune de Karago (préfecture de Gisenyi). A la suite d'affrontements qui auraient eu lieu dans la matinée du 3 mai entre les soldats de l'APR et des rebelles au centre Kadahenda, secteur de Mwiyanike, les soldats de l'APR auraient, dans l'après-midi, tué 26 paysans de la région. Deux jours plus tard -soit le 5 mai- à Rurambo, qui se trouve également dans la commune de Mwiyanike, des soldats de l'APR auraient tué 10 autres paysans. Au cours d'une opération de ratissage menée le 10 mai, 26 personnes ont été tuées à Kinyanja et cinq à Cyamabuye, dans le secteur de Nanga. Le 17 mai, 25 personnes auraient été tuées par des soldats près d'une école de Ruhigiro.

Le 23 mai 1997, environ 170 civils auraient été tués par des soldats de l'APR à la suite d'affrontements avec des groupes armés dans les communes de Mukingo et de Nyakinama (préfecture de Ruhengeri).

Entre la mi-mai et la mi-juin 1997, des centaines d'homicides ont été signalées dans la commune de Cyabingo (préfecture de Ruhengeri). Durant la seconde moitié du mois de mai, plus de 300 personnes auraient été tuées par les soldats de l'APR lors d'opérations de ratissage. Le 6 juin 1997, dans le secteur de Muramba, plus de 115 personnes auraient été tuées par des individus non identifiés. Une semaine plus tard, le 13 juin, 15 enfants de moins de quinze ans auraient été abattus, tandis que d'autres auraient été brûlés vifs; les auteurs de ces atrocités seraient des soldats de l'APR. Des groupes armés opéreraient dans la commune de Cyabingo; il semble cependant que la plupart des personnes tuées par l'APR étaient des civils non armés.

Un grand nombre de civils non armés ont été tués dans des églises. C'est ainsi que le 8 juin 1997, au lendemain d'un affrontement qui aurait opposé soldats de l'APR et "infiltrés", à Birunga, des membres des forces gouvernementales auraient tué au moins 120 personnes dans une église protestante de la cellule de Cyamabuye, dans le secteur de Nanga, commune de Karago (préfecture de Gisenyi). Les soldats ont ensuite attaqué les maisons de deux chefs de communauté et tué 38 autres personnes dans leur propre maison, dont un homme de 85 ans, Bagabo, et une femme de 90 ans, Kaje. Deux autres attaques contre des églises ont également été signalées : l'une en juin 1997 contre une église adventiste du secteur de Myiyanike (commune de Karago, préfecture de Gisenyi), au cours de laquelle un grand nombre de personnes auraient été tuées par des soldats, et l'autre le 3 juin 1997, qui se serait soldée par la mort d'au moins 75 personnes, tuées dans une église du secteur de Gitera, dans la commune de Nkumba (préfecture de Ruhengeri).

Le 10 juin 1997, au moins 200 personnes auraient été tuées par des soldats de l'APR dans les communes de Nyatumera, de Kinigi, de Ndusu et de Gatonde, dans la préfecture de Ruhengeri, après que plusieurs centres de détention de la région eurent été attaqués par des groupes armés non identifiés; on ignore le nombre de personnes tuées par les groupes armés lors de ces attaques.

Des informations provenant de différents endroits situés dans la sous-préfecture de Ngororero (préfecture de Gisenyi) indiquent qu'en jui et juillet 1997, au moins 984 personnes auraient été tuées. D'après des sources locales, 23 personnes ont été tuées le 11 juin dans le secteur de Ntobwe, commune de Kibilira; le 13 juin, une vingtaine de personnes ont été tuées dans le secteur de Rucano, commune de Satinsyi, dont 10 enfants âgée entre 3 et 16 ans et un bébé de 8 mois; le 29 juin, 212 personnes ont été tuées à proximité de la forêt de Ruhunga; le 2 juillet, neuf personnes, dont sept enfants, ont été tuées dans le secteur de Rucano, commune de Satinsyi; le 6 juillet, 349 personnes ont été tuées dans le secteur de Musagara, commune de Satinsyi; le 11 juillet, jour de marché dans la sous-préfecture de Ngororero, 19 personnes ont été tuées; le 12 juillet, 67 personnes ont été tuées dans le secteur de Rugarama, commune de Kibilira. Outre ces faits spécifiques, 149 personnes auraient été tuées dans le secteur de Gitarama, 36 danms le secteur de Ntaganzwa, et une centaine dans ceux de Sovu et de Musenyi. De sources locales, tous ces homicides sont imputables aux soldats de l'APR.

Le 24 juin 1997, au moins 68 personnes auraient été tuées par des soldats de l'APR dans les cellules de Kitabe et de Bitenga, secteur de Rukoko, commune de Kivumu (préfecture de Kibuye). Ces homicides faisaient suite à une embuscade tendue le m'eme jour contre un véhicule qui se rendait de Gitarama à Kibuye, embuscade au cours de laquelle quatre passagers du véhicule avaient été abattus par des hommes armés non idenfiés qui ont ensuite pris la fuire. Les quatre victimes étaient un ingénieur chinois, Chen Ian, deux mécaniciens rwandais, Théoneste Safari Rukundo et Jean-Pierre Hakizimana, et le conducteur rwandais, Denis Ndutiye. Au dire des autorités locales, les auteurs de l'embuscade étaient des membres des ex-FAR ou des Interahamwe. Les soldats de l'APR appelés sur les lieux ont rassemblé un groupe de jeunes gens du voisinage et leur ont demandé de monter la garde auprès du véhicule, à l'endroit même de l'e,mbuscade. Un peu plus tard dans la soirée, un groupe de soldats est revenu en camion sur les lieux et a ouvert le feu sur les hommes postés auprès du véhicule, tuant au moins 29 d'entre eux. Ensuite, les soldats auraient tué d'autres personnes chez elles dans un village voisin, dont des vieillards et de jeunes enfants; parmi les victimes figuraient des membres de la famille de Ntagwabira, de Habiyambere, de Mbanjingabo, de Ngwabije et de Simpunga. Dans le cas de la famille de Simpunga, seuls sa femme et les enfants de celle-ci se trouvaient à la maison; tous ont été tués. Les personnes du voisinage qui ont enterré les corps ont dénombré 68 victimes au total, qui toutes étaient des civils non armés. Ces personnes pensent que le nombre réel de victimes était peut-être plus élevé et que des corps ont pu être transportés ailleurs.

D'autres massacres ont eu lieu en juillet 1997 dans la commune de Nkuli, préfecture de Ruhengeri. Le 13 juillet, Karekezi, un pasteur adventiste, sa femme, un visiteur et deux enfants ont été tués dans le secteur de Gwita, commune de Nkuli. Le 17 juillet, à Jena, situé dans la même commune, un homme nommé Ngirabuho, sa femme et ses quatre enfants auraient tous été tués dans leur maison. Une autre famille -Rurandemba, ses deux enfants et sa belle-fille- a été massacrée la même nuit non loin de là.

Des informations en provenance de la commune de Kanama, préfecture de Gisenyi, indiquent que le 8 août 1997, plusieurs centaines de personnes, dont de nombreux civils, ont été tuées sur un marché très fréquenté de Mahoko et alentour. La tuerie -en grande partie attribuée à l'armée- aurait eu lieu après qu'un groupe d'"infiltrés" armés fut venu piller les échoppes et les étals. L'APR est intervenue et de nombreux civils ont été tués durant les heures qui ont suivi, car les soldats auraient tiré en direction du marché à partir de deux véhicules militaires postés à proximité. Certtaines victimes ont sans doute été tuées du fait qu'elles se trouvaient prises entre deux feux; il semble cependant que d'autres soient mortes parce que les forces de sécurité ont tiré au hasard. Il n'y a pas eu confirmation du nombre exact de victimes, mais d'après un témoignage, ce sont environ 300 corps qui auraient été dénombrés. Certaines personnes ont été tuées sur la place du marché, d'autres dans les rues avoisinantes. Parmi les victimes figuraient François Munyempane, la famille d'un commerçant nommé Védaste, Emmanuel Tuyisenge, représentant d'une organisation non gouvernementale, ainsi que deux inspecteurs de police judiciaire. Un nombre inconnu de commerçants du marché auraient été tués plus tard dans la soirée et le jour suivant par les soldats de l'APR. Entre le 8 et le 10 août, au moins 95 détenus incarcérés dans le "cachot" (centre de détention de l'administration locale) de la commune voisine de Rubavu, ainsi qu'un nombre inconnu de prisonniers du "cahot" de Kanama, auraient été tués par les forces gouvernementales, à la suite d'une attaque d'"infiltrés" qui tentaient de délivrer des détenus.

Amnesty International cherche à rassembler des informations plus précises sur les événements qui se sont produits entre le 8 et le 10 août. Le 16 août, Radio Rwanda a annoncé que 13 membres de l'APR, dont six hauts responsables de l'armée, avaient été arrêtés dans le cadre du massacre perpétré à Mahoko. Le vice-président et ministre de la Défense Paul Kagamé, qui s'est rendu sur les lieux le 15 août, aurait déploré ces comportements répréhensibles et demandé que les coupables subissent un châtiment exemplaire.

Les massacres de civils commis au cours d'opérations de ratissage ne concernent pas la seule région nord-ouest du pays. C'est ainsi que le 5 février 1997, aux premières heures de la matinée, un nombre inconnu de personnes auraient été abattues, tandis que d'autres étaient battues à mort, lors d'une opération de ratissage menée par les soldats de l'APR dans le secteur de Nyarubande, commune de Butamwa, préfecture de Kigali (zone rurale). Certaines personnes ont été tuées dans leurs champs alors qu'elles tentaient de fuir. Parmi les victimes figuraient Kanyagisaka, âgé d'environ 18 ans, Albert, ainsi que sa fille de 17 ans et son fils de 15 ans, et Mulimanyi, qui avait environ 26 ans. Les soldats de l'APR auraient regroupé les habitants du secteur dans divers endroits et les auraient menacés, s'en prenant plus particulièrement à ceux dont des membres de la famille avaient servi dans l'ex-armés rwandaise. Ensuite, un certain nombre de personnes ont été conduites vers des centres de détention, tandis que d'autres recevaient l'ordre de rentrer chez elles. Les autorités locales auraient reçu l'instruction d'ensevelir les corps des personnes qui avaient été tuées.


1.3 Les exécutions extrajudiciaires d'anciens soldats des FAR et de membres de leur famille

Fin 1996 et début 1997, suite au retour massif de réfugiés qui avaient fui dans l'ex-Zaïre, d'anciens soldats des FAR et des membres de leur famille ont commencé à être victimes d'exécutions extrajudiciaires systématiques. De nombreux soldats des ex-FAR ont joué un rôle de premier plan dans l'organisation du génocide et sa mise en oeuvre en 1994. Cela ne signifie cependant pas que chaque homme ayant servi dans les anciennes forces gouvernementales ni ses proches aient participé aux massacres. Même dans les cas où des individus ont effectivement participé à des tueries, cela ne justifie pas qu'ils soient, avec les membres de leur famille -dont de jeunes enfants- à leur tour victimes de nouvelles atteintes aux droits de l'Homme, et notamment d'exécutions extrajudiciaires. Dans les cas que nous présentons ici, il semble que les victimes aient été exécutées de façon sommaire et extrajudiciaire sans qu'il y ait eu aucune tentative formelle pour enquêter sur les accusations précises portées à l'encontre de ces personnes ni pour les traduire en justice.

Le 18 janvier 1997, un chef de bataillon des ex-FAR, Jean de Dieu Bizabarimana, son épouse Perpétue, leurs enfants et plusieurs voisins -soit 16 personnes au total- ont été tuées à leur domicile dans la commune de Nyarutovu (préfecture de Ruhengeri). Ces personnes, qui s'étaient réfugiées dans l'ex-Zaïre, étaient revenues au Rwanda en novembre 1996. Le lendemain, un capitaine des ex-FAR et 11 membres de sa famille -également d'anciens réfugiés- étaient tués dans la commune de Nkuli (préfecture de Ruhengeri). Le 20 janvier, un chef de bataillon des ex-FAR, Bizavarande, quatre membres de sa famille et sept autres personnes auraient été tués dans la commune de Nyarutovu (préfecture de Ruhengeri).

Le 21 janvier 1997, dix membres d'une famille revenue de l'ex-Zaïre ont été tués chez eux dans le secteur de Rucano, commune de Satinsyi (préfecture de Gisenyi). Parmi les victimes figuraient Stanislas Hakizimana, colonel dans les ex-FAR, sa femme Eugénie Mukandinda, leurs filles Espérance Muyawamungu, 21 ans, et Josiane, 15 ans, leurs deux fils Eric Ukoyivuze, 19 ans, et Gilbert Nshimiyimana, 17 ans, et trois de leurs belles soeurs, Médiatrice Muhimpundi, Alphonsine Nyiramahoro et Jacqueline Nyiramana, toutes trois âgées d'une vingtaine d'années. Douze de leurs voisins auraient également été tués le même soir, dont deux jeunes enfants, Alice et Catherine Kalimunda, âgées de 5 et 3 ans.

Le 21 janvier 1997, deux détenus ayant appartenu aux ex.FAR, le lieutenant-colonel Augustin Nzabanita et le sous-lieutenant Innocent Nsabimana, tous deux anciens réfugiés dans l'ex-Zaïre, se seraient suicidés dans un centre de détention de brigade de la commune de Rubavu (préfecture de Gisenyi). Selon les autorités, les deux détenus auraient été retrouvés pendus dans les toilettes. D'après d'autres détenus, ils ont été emmenés dehors par des soldats et n'ont pas reparu; c'est le lendemain qu'ils ont appris que les deux hommes s'étaient suicidés. Le déroulement chronologique des événements tels que décrits par les détenus diffère de celui présenté par les autorités. La description des lieux où les deux hommes ont été retrouvés pendus -description fournie par des personnes qui étaient présentes alors que les cadavres n'avaient pas encore été déplacés- ne correspondait pas avec l'explication officielle des circonstances de leur mort.

Le 22 janvier 1997, un chef de bataillon des ex-FAR, François Xavier Uwimana -également revenu de l'ex-Zaïre- a été tué dans la commune de Nyamyumba /préfecture de Gisenyi) en même temps que ses six enfants et un voisin. Le même jour, un autre chef de bataillon des ex-FAR, Lambert Rugambage, incarcéré dans un centre de détention militaire de la préfecture de Kibungo, aurait été emmené par des soldats; il n'y jamais reparu. Son cadavre a été retrouvé plusieurs jours plus tard à la morgue de l'hôpital militaire de Kanombe à Kigali; il semble qu'il présentait de nombreuses traces de coups. A peu près à la même époque, un capitaine des ex-FAR et sa famille -une dizaine de personnes au total- ont été tués dans la commune de Butaro (préfecture de Ruhengeri).

1.4 Les exécutions extrajudiciaires de détenus

Les exécutions extrajudiciaires de détenus par des membres des forces de sécurité se sont poursuivies dans différentes régions du pays, remplaçant de fait la procédure judiciaire normale. Dans certains cas, des détenus ont été abattus alors qu'ils tentaient, selon la version officielle, de s'évader; il ne semble pas qu'on ait essayé de les retenir en usant de moyens autres que la force meurtrière. Dans d'autres cas, des détenus ont été emmenés hors de leur centre de détention pour être ensuite exécutés. Selon certaines informations, des personnes ont aussi été abattues par des soldats de l'APR au moment de leur arrestation.

Le 14 janvier 1997, 12 détenus -d'anciens réfugiés revenus au pays- ont été abattus par des soldats de l'APR dans le " cahot" de Muyira, dans la préfecture de Butare (sud du pays), alors qu'ils se rendaient, apparemment, aux toilettes. Les soldats ont affirmé que les détenus avaient tenté de s'évader. Le 23 janvier 1997, des soldats de l'APR auraient exécuté plus de 20 détenus incarcérés dans le "cachot" de Gisovu (préfecture de Kibuye) après les avoir fait sortir pour, semble-t-il, les transférer vers un autre centre de détention. Le 14 février 1997, six détenus de la commune de Runda (préfecture de Gitarama) ont été abattus par des soldats lors d'une tentative d'évasion présumée. Les détenus -accusés d'être des "infiltrés" avaient été arrêtés le jour précédent au cours d'une opération militaire dans la région.

Durant la nuit du 7 mai 1997, 10 détenus du "cahot" de Maraba (préfecture de Butare) ont été abattus, et plusieurs autres blessés. Les autorités ont déclaré qu'un gardien avait tiré parce qu'ils tentaient de s'évader; d'après des sources non officielles, cependant, le gardien aurait directement ouvert le feu dans la cellule. Ce gardien -un soldat de l'APR- a été arrêté par la suite. Les représentants d'une organisation locale de défense des droits de l'Homme enquêtant sur ces homicides se seraient vu interdire de parler aux autres détenus et de rendre visite aux détenus blessés à l'hôpital. Le 8 mai 1997, 15 détenus auraient été tués dans la commune de Gatonde, et le 10 mai, six autres ont été tués dans la commune de Ndusu (ces deux communes sont situées dans la préfecture de Ruhengeri).

Entre le 8 et le 10 août 1997, au moins 95 détenus du "cahot" communal de Rubavu et un nombre inconnu de prisonniers du "cahot" de Kanama auraient été tués par les forces de sécurité, après que des affrontements entre soldats de l'APR et groupes armés, le 8 août, eurent fait plusieurs centaines de morts (cf. plus haut, chapitre 1.2). Entre le 8 et le 11 août 1997, huit détenus du "cachot" de la commune de Rutongo, dans la préfecture de Kigali (zone rurale), auraient été abattus par des gardiens lors d'une tentative d'évasion présumée.

1.5 Les exécutions sommaires en public

En décembre 1996 et en janvier 1997 ont été signalés six cas d'exécutions sommaires en public, par des soldats de l'APR, de personnes soupçonnées d'homicide volontaire. Les six exécutions ont eu lieu sur ordre d'officiers de l'armée et en leur présence.

Le 10 décembre 1996, deux hommes et un adolescent ont été sommairement exécutés en public par des soldats de l'APR dans le secteur de Mbuye, commune de Satinsyi (préfecture de Gusenyi), après que la population les eut dénoncés comme étant les auteurs d'un meurtre commis deux jours auparavant. Le 21 décembre 1996, un membre des ex-FAR qui avait été arrêté peu après son retour de l'ex-Zaïre et accusé d'avoir quatre personnes a été attaché à un arbre et abattu par des soldats de l'APR, lors d'une réunion publique, dans la commune de Mubuga (préfecture de Gikongoro). Le 24 janvier 1997, deux hommes accusés du meurtre d'un responsable local le jour précédent ont été exécutés en public par des soldats de l'APR dans la commune de Karengera (préfecture de Cyangugu).

Dans un rapport daté du 27 février 1997, l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda indiquait que des responsables du ministère de la Défense avaient déploré ces exécutions et déclaré que des ordres avaient été donnés pour que de tels faits ne se reproduisent plus*. Toutefois, dans un rapport précédent en date du 24 janvier 1997, l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda faisait état de déclarations de différentes autorités civiles et militaires, qui avaient justifié au nom des circonstances les exécutions commises le 10 et le 21 décembre 1996. L'une de ces autorités aurait ainsi déclaré que le fait d'avoir tué ces trois personnes ne pouvait être qualifié d'infraction pénale**.

* Cf le rapport de situation de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda du 27 février 1997 intitulé "Public extrajudicial executions of two alleged murder accomplices by members of the Rwandese Patriotic Army in Karengera commune, Cyangugu préfecture, on 24 January 1997" (Les exécutions extrajudiciaires en public de deux personnes accusées de complicité d'homicide volontaire par des membres de l'Armée patriotique rwandaise dans la commune de Karengera, préfecture de Cyangugu, le 24 janvier 1997).
** Cf le rapport de situation de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda du 24 janvier 1997 intitulé "Public extrajudicial executions of four murder suspects by members of the Rwandese Patriotic Army" (Les exécutions extrajudiciaires en public de quatre personnes soupçonnées d'homicide volontaire par des membres de l'Armée patriotique rwandaise).

1.6 Les assassinats politiques et les atteintes à la liberté d'expression

En 1997, des journalistes et d'autres personnes qui avaient critiqué les actions des responsables gouvernementaux et des forces de sécurité ont été victimes de violations des droits de l'Homme; certains ont été exécutés de façon extrajudiciaire, d'autres ont été arrêtés.

Le 23 janvier 1997, le directeur de la prison du Gisovu -ouverte depuis peu et située à la frontière des préfectures de Kibuye et de Gikongoro- a été tué par des hommes armés en même temps que son secrétaire, dans la commune de Muko (préfectire de Gikongoro). Cette homme avait été à diverses reprises en conflit avec les autorités; il aurait notamment ordonné la libération d'un certain nombre de détenus et fait part de son désaccord quand aux projets des autorités locales de remplir la prison au-delà de sa capacité réelle.

Le 27 avril 1997, Appollos Hakizimana -un journaliste de 28 ans travaillant pour "Intego", journal indépendant, et fondateur en janvier 1997 d'une nouvelle publication, "Umuravumba", dont il était le rédacteur en chef- a été abattu par des tueurs non identifiés à Nyamirambo, une banlieur de Kogali, capitale du pays, alors qu'il regagnait son domicile. Amnesty International pense qu'Appollos Hakizimana, qui avait été arrêté, maltraité et menacé à plusieurs reprises auparavant, a été tué en raison des critiques qu'il avait exprimées en tant que journaliste. Son collègue Amiel Nkuriza, directeur d'"Intego" et rédacteur en chef d'un autre journal, "Le Partisan", a été arrêté quelques jours plus tard, le 13 mai, et se trouve toujours en prison à Kigali, en attendant d'être jugé. Il devrait répondre de divers chefs d'incitation à la violence éthnique pour des articles qui devaient paraître dans des éditions du journal "Le Partisan", lesquelles ont été saisies par les autorités. Lui aussi avait été, en 1996 et 1997, arrêté et menacé de mort à plusieurs reprises*.

Les faits qui viennent d'être relatés s'inscrivent dans un climat de censure systématique des media rwandais, où les critiques à l'égard de la politique et des pratiques du gouvernement ne sont que rarement tolérées. Un journaliste a ainsi déclaré à Amnesty International : "On est obligé d'écrire avec les mains qui tremblent". Les trois journaux indépendants mentionnés plus haut ne paraissent plus.

Les membres de l'Assemblée nationale qui ont formulé des critiques à l'égard de la politique gouvernementale ont également été pris pour cible. Evariste Burakali, un membre du Parti libéral (PL) âgé d'une trentaine d'années, marié et père de trois enfants, a été abattu le 16 janvier 1997 par un soldat de l'APR à Rutare, préfecture de Byumba, dans le nord du pays. Des soldats ont d'abord encerclé sa maison puis, constatant qu'il ne s'y trouvait pas, ils sont allés le chercher dans un bar voisin. A la suite d'une altercation avec les soldats, une femme qui travaillait dans le bar a été blessée; Evariste Burakali l'a alors conduite au centre de soins local. L'un des soldats l'a suivi, et lorsqu'ils sont arrivés au centre de soins, il a tiré par trois fois sur Evariste Burakali. Ce dernier est décédé un peu plus tard dans la nuit après avoir été transporté dans un hôpital de Kigali. Le soldat qui l'a tué a été arrêté par la suite.

Evariste Burakali avait, semble-t-il, demandé à ce qu'un garde du corps et une escorte lui soit affectés après que sa maison eut été attaquée à trois reprises. Auparavant, il avait eu un garde du corps, mais cette protection lui avait été retirée; la raison invoquée était qu'Evariste Burakali habitait trop loin de la capitale.

A en croire la témoignage d'amis et de gens qui le fréquentaient, Evariste Burakali était quelqu'un de très apprécié, classé parmi les "modérés" et qualifié de personne intègre. Il était connu pour avoir dénoncé les actes de vengeance et l'extrémisme, et s'être déclaré en faveur du pardon. Plusieurs personnes qui le connaissaient ont déclaré à Amnesty International qu'il s'agissait selon elles d'un assassinat politique. Lors de débats à l'Assemblée nationale, Evariste Burakali avait exprimé son désaccord avec plusieurs initiatives, critiquant notamment certains aspects de la loi adoptée en 1996 relative aux procès de ceux accusés de participation au génocide. Il avait également été bourmestre à Rutare d'avril à août 1994, et pourrait alors avoir été témoin d'assassinats commis par les troupes du FPR dans la région pendant cette période.

Le 17 juin 1997, en début de soirée, Eustache Nkerinka, membre de l'Assemblée nationale, a échappé dans le centre de Kigali à ce qui semble bien avoir été une tentative d'assassinat. Alors qu'il rentrait chez lui en voiture, un véhicule avec six hommes à bord -dont au moins deux étaient armés- l'a contraint à s'arrêter. Les hommes sont entrés dans sa voiture, l'ont frappé et lui ont dérobé son argent. Comme l'agression commençait à éveiller l'attention, l'un des hommes aurait dit à ses compagnons qu'il ne fallait pas le tuer immédiatement, mais qu'il ne pourrait leur échapper car ils sauraient toujours où le trouver. Eustache Nkerinka a signalé l'agression à la police. On ignore encore ce que celle-ci a entrepris de faire.

Eustache Nkerinka, membre du Mouvement démocratique républicain (MDR) est connu pour ses critiques à l'égard de certains aspects de la politique gouvernementale, et l'Assemblée nationale a souvent été témoin de son franc-parler lors des débats. Son domicile a été attaqué et fouillé à diverses occasions en 1995, 1996 et 1997. Bien qu'il ait écrit pour se plaindre de ces incidents à divers hauts responsables gouvernementaux et qu'il ait demandé à bénéficier d'une protection, demande qui a été appuyée par le président de l'Assemblée nationale, Eustache Nkerinka ne s'est pas vu accorder de protection contre d'éventuelles nouvelles attaques.

* Pour de plus amples informations sur ces cas, se reporter à l'Action urgente 199/96 du 8 août 1996 et aux Actions complémentaires du 15 août 1996, du 13 septembre 1996, du 30 avril 1997, du 16 mai 1997 et du 30 juin 1997, publiées par Amnesty International.
1.7 Autres assassinats attribués à l'APR

Jean Boseniryo, un patron de restaurant d'une soixantaine d'années, a été tué le 22 janvier dans la ville de Ruhengeri. Il aurait été abattu en pleine rue. L'identité des auteurs de cet assassinat n'a pu être confirmée, mais selon certaines sources à Ruhengeri, il s'agirait de soldats de l'APR. D'après les habitants de l'endroit, les agresseurs se seraient dirigés vers un poste local de l'APR après l'attaque. Ils ont également déclaré que juste avant l'assassinat, ils avaient constaté la présence dans le voisinage d'un nombre inhabituel de soldats. On ignore la raison exacte de cet homicide. Certaines relations de la victime ont avancé qu'un différend d'ordre financier avec un autre homme d'affaires pouvait en être la cause; ces personnes ont également mentionné le fait que la communauté tutsi ne le considérait pas avec bienveillance, car elle lui prêtait des sympathies à l'égard des "extrémistes hutus". D'autres personnes ont affirmé que l'assassinat trouvait son origine dans une réunion locale qui s'était tenue plus tôt le jour même, réunion au cours de laquelle la victime aurait posé une question perçue comme critique vis-à-vis de l'APR.

Euphrasie Nyiramajyambere, ancienne employée de banque de 37 ans, et ses quatre enfants -Arthur-Aimé Rugero, 14 ans, Ange Rugwiro, 12 ans, Natahlie Rugorirwera et Anatole Ruberangabo, des jumeaux âgés de 8 ans- ont été tués en juin 1997 dans le secteur de Mukirangwe, commune de Nyamutera (préfecture de Ruhengeri). Les responsables seraient des soldats de l'APR. On ignore encore les circonstances exactes dans lesquelles ces personnes sont mortes, mais on pense que ces homicides ont été commis au cours d'une opération de ratissage. Les membres de cette famille avaient été des réfugiés dans l'ex-Zaïre; le mari d'Euphrasie Nyiramajyambere était mort en octobre 1996 lors d'une attaque contre le camp de réfugiés de Kibumba. Elle était retournée au Rwanda avec ses enfants à la fin de 1996. Ils vivaient à Ruhengeri, mais possédaient une maison à Kigali. Quelquues mois avant sa mort, Euphrasie Nyiramajyambere s'était rendue à Kigali pour réclamer qu'on lui restitue sa maison, qui avait été occupée, mais elle n'a pas obtenu satisfaction.

Dans la soirée du 5 juillet 1997, 16 personnes ont été tuées dans la commune de Nyakabanda (préfecture de Gitarama). Parmi les victimes figuraient Thaddée Musabyimana, âgé d'une trentaine d'années et directeur d'une école secondaire privée, ainsi que plusieurs membres de sa famille; Jean-Baptiste Nkundabatwaee, un homme de près de 50 ans, coordonateur des Compagnons fontainiers rwandais (COFORWA), organisation non gouvernementale locale, sa femme et cinq de ses enfants, tous tués à leur domicile; Eric Basenge, étudiant en médecine, dont le corps a été retrouvé près de leur maison; Sylvestre Sebazungu, inspecteur d'école primaire, ainsi qu'un deuxième homme nommé Sebazungu qui le raccompagnait chez lui.

Les autorités ont accusé les "infiltrés" d'être les auteurs de ces assassinats. Les habitants de l'endroit estiment cependant que les responsables sont des soldats de l'APR. Une vingtaine de soldats auraient été aperçus non loin des différents lieux où les homicides ont été commis. Lorsque les habitants ont déclaré avoir entendu des coups de feu provenant de la maison de Jean-Baptiste Nkundabatware, les soldats auraient nié qu'il s'agissait de coups de feu et ils seraient partis.

1.8 Homicides délibérés et arbitraires attribués aux groupes d'opposition armés

Depuis décembre 1996, des groupes armés qui seraient composéàs d'anciens membres des FAR et de milices interahamwe ont multiplié leurs attaques en territoire rwandais. Dans certains cas, des particuliers ou des familles entières ont été délibérément visés et tués. Dans d'autres cas, des véhicules sont tombés dans des embuscades, et leurs passagers ont été tués par des hommes armés non identifiés. Il est souvent difficile de vérifier l'identité des auteurs de ces attaques, mais on estime en général qu'ils appartiennent à des groupes d'opposition armés. Les groupes d'opposition armés prennent de plus en plus souvent pour cible des objectifs aussi bien militaires que civils. Dans l'ensemble, les dirigeants et les structures de ces groupes armés demeurent inconnus.

Le 23 décembre 1996 et le 5 janvier 1997, 20 personnes ont été tuées en deux occasions distinctes; à chaque fois, les faits se sont produits dans la cellule de Kazirabonde, secteur de Kagarama, commune de Taba (préfecture de Gitarama). Le 23 décembre 1996, Emmanuel Rudasingwa a été tué dans sa boutique, qui faisait aussi office de bar. Dix autres personnes ont été tuées : sa fille de 12 ans, Angélique Mahoro, et neuf hommes qui se trouvaient là en train de boire. Le 5 janvier 1997, neuf autres personnes ont été tuées dans une maison situés dans la même zone, dont un enfant de trois ans qui était dans son lit. Parmi les victimes figuraient un ancien enseignant, Philippe Bajyagahe, sa femme enceinte Valérie Mukakalisa, leurs fils Roger Mwizerwa et Samuel Niyokwizera, leurs filles Alice Nyirarukundo et Jocelyne Kwizera, deux personnes qui étaient à leur service, Nadine Mukamazimpaka et Ancille Ahiboneye, ainsi que Walter Mutoni, un orphelin dont les parents étaient morts pendant le génocide et dont la famille de Philippe Bajyagahe s'occupait. Les agresseurs, qui étaient puissamment armés, auraient jeté une grenade dans la maison avant de partir.

Il semble que les auteurs de ces atrocités étaient à chaque fois des membres des ex-FAR. Différentes hypothèses sont avancées quant aux motifs de ces assassinats. Deux des victimes avaient fait part de leur souhait de témoigner contre un accusé devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui siège à Arusha, en Tanzanie; certains pensent qu'on a pu les tuer pour les empêcher de déposer. Selon une autre théorie, plusieurs des victimes auraient été considérées comme des traîtres par leurs agresseurs, qui savaient qu'elles collaboraient avec les autorités locales pour identifier et dénoncer, au sein de leur communauté, les membres des milices interahamwe.

Le 11 janvier 1997, un groupe d'une soixantaine d'hommes armés a attaqué un hôpital de Kabaya (préfecture de Gisenyi). Trois malades auraient été tués. Le même jour, une attaque a eu lieu contre le poste de gendarmerie voisin, où des soldats de l'APR sont cantonnés, et contre un centre de détention local à Gaseke. Le 14 janvier, le soldat qui montait la garde devant l'hôpital de Kabaya a été tué par des hommes armés non identifiés.

Le 25 janvier 1997, un groupe d'hommes armés aurait tué au moins 24 civils tutsis -dont des enfants- de neuf familles différentes dans la cellule de Gikeri, secteur de Misanze, commune de Kinigi (préfecture de Ruhengeri). La plupart des victimes ont été tuées chez elles. Parmi elles figuraient Nibagwire, 70 ans, Mukamanzi, 17 ans, Muhorakeye, 13 ans, Batamuliza, 13 ans, Masengesho, 5 ans, Nayihiki et Dusabe, ces deux dernières victimes étant des enfants de quatre ans. Le lendemain, environ 140 civils hutus ont été tués, lors d'une opération de représailles, par des Tutsi armés, qui auraient bénéficié du renfort de soldats de l'APR (voir plus loin, chapitre 1.11).

Le 9 février 1997, trois véhicules auraient été contraints de s'arrêter à un barrage non officiel dans la commune de Tare, préfecture de Kigali (zone rurale). Les agresseurs auraient demandé aux passagers de se regrouper selon leur origine éthnique, puis ils auraient tué au moins 11 civils tutsis, dont trois femmes -Espérance Uzamushaka, Christine Irambona et Jeanne Mukarwanba- et deux soldats de l'APR en civil.

Le 11 mai 1997, un véhicule transportant plusieurs membres des forces de sécurité rwandaises, dont un chef de la police régionale, est tombé dans une embuscade sur la commune de Mabanza (préfecture de Kibuye). Trois hauts responsables de la police, dont le chef lui-même, auraient été abattus alors qu'ils tentaient de fuir. Quelques instants plus tard, un taxi communal avec à son bord une vingtaine de passagers a été contraint de s'arrêter au même endroit. Il semble que cinq passagers seulement aient survécu. Les autres ont été abattus ou brûlés vifs dans le véhicule.

Le 22 août 1997, au moins 130 réfugiés originaires de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), pour la plupart tutsis, ont été tués aux premières heures de la matinée lors d'une attaque contre le camp de réfugiés de Mudende, situé sur la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi); un grand nombre de réfugiés ont en outre été grièvement blessés. La plupart des victimes auraient été tuées à coups de machette et de gourdin; certaines présentaient des blessures par balles ou par éclats de grenade. Le camp accueillait environ 8100 réfugiés qui, en 1995 et 1996, avaient fui les zones de Masisi et de Rutshuru, dans l'est de la RDC, pour échapper aux violences et aux atteintes aux droits de l'Homme commises par des civils armés et par les anciennes forces gouvernementales; ils avaient continué à chercher refuge au Rwanda tant que la situation demeurait peu sûre dans leur région d'origine. A la suite de l'attaque du 22 août, environ 4000 réfugiés ont fui le camp et se sont dispersés. Les auteurs de l'attaque seraient des membres de groupes armés hutus opérant en territoire rwandais. Ils ont également attaqué un poste de l'APR installé non loin du camp et auraient tué au moins trois soldats. Dans une déclaration faite le 26 août, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Anastase Gasana, a fait savoir que les soldats de l'ancienne armée et les milices interahamwe, récemment revenus de la RDC, étaient responsables du massacre. Le ministre a déclaré que les mesures appropriées étaient prises en vue d'assurer la sécurité desa réfugiés restés dans le camp de Mudende. Selon certaines informations, suite à l'attaque de Mudende, un nombre inconnu de civils hutus auraient été tués à titre de représailles par des civils tutsis (cf plus loin, chapitre 1.11), et au moins 17 "infiltrés" présumés auraient été tués par des soldats de l'APR.

1.9 Les attaques contre les établissements d'enseignement

Un certain nombre d'attaques ont eu lieu contre des établissements d'enseignement, au cours desquelles des civils ont été tués. Dans la soirée du 18 mars 1997, six écoliers -des filles pour la plupart- et un gardien ont été tués par balles ou par des grenades à l'école primaire de Nyange, qui se trouve sur la commune de Kivumu (préfecture de Kibuye). L'attaque a été officiellement attribuée aux ex-FAR ou aux Interahamwe. Certaines sources locales pensent cependant qu'elle est à imputer à des soldats de l'APR et faisait suite à un événement qui s'était produit quelque deux semaines auparavant : un groupe de six ou sept soldats de l'APR avaient alors tenté d'emmener des écolières, semble-t-il pour les violer ou les tuer. Le personnel de l'école était parvenu à empêcher les soldats d'entrer dans l'établissement. Les soldats seraient revenus le 18 mars pour se venger des enfants et du personnel. Les survivants auraient d'ailleurs déclaré que certains des assaillants étaient des soldats de l'APR. Par la suite, quatre enseignants -deux hommes et deux femmes- auraient été emprisonnés. Selon des informations non confirmées, un enseignant serait mort des suites de mauvais traitements. Une femmes qui disait avoir reconnu certains des agresseurs aurait été abattue le lendemain de l'attaque.

Dans la nuit du 27 avril 1997, une centaine d'hommes armés au moins auraient attaqué plusieurs établissements d'enseignement et institutions religieuses ainsi que des maisons à Muramba, commune de Satinsyi (préfecture de Gisenyi), tuant 22 personnes, des femmes pour la plupart. Seize étudiantes auraient été abattues dans le dortoir de lé'cole de commerce et d'économie; une jeune fille de 14 ans a été tuée dans le couvent des soeurs Benebikira; en outre, une religieuse belge de 62 ans, Griet Bosmans, l'une des très rares personnes étrangères à être restées dans la région, a été tuée dans l'école primaire dont elle était la directrice. Les assaillants auraient également attaqué un porte militaire de l'APR situé non loin de là. Des sources locales indiquent qu'en dépit de la relative proximité du poste de l'APR, les soldats ne sont pas intervenue pour protéger les victimes durant l'attaque. L'identité des auteurs des massacres de Muramba n'a pas été confirmée. Plusieurs personnes auraient été arrêtées dans le cadre de l'attaque de l'école. Le 2 mai, Radio Rwanda a signalé que 19 personnes soupçonnées d'avoir participé à ces massacres avaient été tuées par les forces de sécurité.

Lors des attaques contres les écoles de Nyange et de Muramba, les assaillants auraient commencé par demander aux élèves de dire à quelle éthnie ils appartenaient; comme ils refusaient, ils ont été abattus.

Depuis mai 1997, d'autres attaques ou tentatives d'attaques se sont produites contre des écoles, et plusieurs directeurs d'école ont été tués dans des circonstances non éclaircies.

1.10 Les attaques contre des ressortissants étrangers et contre le personnel des organisations internationales

Des Rwandais et des ressortissants étrangers travaillant pour le compte d'organisations internationales -qu'il s'agisse d'organisations non gouvernementales ou d'organismes des Nations Unies- ont également été victiumes d'exécutions extrajudiciaires et autres homicides illégaux. Il semble que certaines attaques aient été motivées par le désir de voir toutes les organisations étrangères quitter le Rwanda; les auteurs de ces assassinats ont réussi à instaurer un climat d'insécurité tel que ces organisations internationales ne sont plus en mesure de remplir leur missio, et que les atteintes aux droits de l'Homme peuvent dès lors se commettre à l'abri des regards d'observateurs indépendants. Dans certains cas, il semble que les représentants d'organisations humanitaires aient été tout particulièrement visés au motif présumé qu'ils tendraient à répondre davantage aux besoins des réfugiés revenant dans leur pays qu'à ceux du reste de la population.

I. Les assassinats de citoyens rwandais travaillant pour le compte d'organisations internationales

Le 18 janvier 1997, un conducteur travaillant pour le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) a été battu à mort par trois personnes, un policier, un soldat et un homme en civil, dans la commune de Kigombe (préfecture de Ruhengeri).

Le 19 janvier 1997, dans le secteur de Musanze, commune de Kigombe (préfecture de Ruhengeri), des soldats de l'APR ont tiré sur deux gardiens de l'organisation non gouvernementale "Concern". L'un d'eux, Epimaque Kuradusenge Habyarimana, a été tué; le second a été blessé. Les deux gardiens auraient paniqué en voyant une patrouille militaire s'approcher, et les soldats leur auraient tiré dessus alors qu'ils tentaient de fuir.

Didace Nkezagera, qui travaillait pour le Programme alimentaire mondial (PAM) dans la préfecture de Ruhengeri, sa femme, son jeune enfant et un autre parent ont été tués durant la nuit du 15 juin 1997 à leur domicile dans le secteur de Rubange, commune de Kigome (préfecture de Ruhengeri). Ces personnes étaient restées dans l'ex-Zaïre en tant que réfugiés jusqu'à la fin de 1996. Juste avant sa mort, Didace Nkezagera aurait été interrogé par des soldats de l'APR pendant trois jours consécutifs sur le travail du PAM dans la région. Auparavant, il se serait plaint de ce que l'aide alimentaire était détournée, affirmant que cette aide ne parvenait pas aux personnes à qui elle était destinée.

Egalement employé par le PAM, Jean de Dieu Murwanashyaka était aussi revenu dans son pays après s'être exilé dans l'ex-Zaïre. Cette homme a été arrêté le 9 juin 1997 par des soldats et conduit vers une destination inconnue. Le 13 juin, on a retrouvé son corps mutilé dans la brousse, près de la ville de Ruhengeri. Il avait reçu une balle dans la tête. On lui avait arraché les yeux, et on lui avait coupé les oreilles et les organes génitaux, apparemment en se servant d'une baïonnette. Cet homme laisse une jeune épouse, enceinte de leur premier enfant. A peu près à la même époque, d'autres personnes ont aussi été tuées, dont on ne connaît pas le nombre; les corps ont été retrouvés un peu partout dans la région, certains avaient été enterrés, d'autres brûlés.

Félicien Bucyekabili, un conducteur de 28 ans qui travaillait pour le HCR depuis avril 1997 et avait été auparavant directeur d'une organisation de jeunesse catholique, a été tué le 19 juin avec sa femme, leur fils de sept ans et leur fille de six ans. On leur a tiré dessus à travers les vitres de leur maison, située sur la commune de Kigombe (préfecture de Ruhengeri).

II. Les assassinats de ressortissants étrangers

C'est en janvier 1997 que des ressortissants étrangers ont commencé à être assassinés. Dans la soirée du 18 janvier 1997, trois Espagnols travaillant pour le compte d'une organisation non gouvernementale baptisée "Medicos del Mundo" (MDM) -Manuel Madrazo Osuna, Maria Flores Sirera Fortuny et Luis Valtuena Gallego- ont été abattus à leur domicile dans la commune de Kigombe (préfecture de Ruhengeri). Un quatrième employé de cette organisation -un ressortissant américain- a été grièvement blessé. L'identité des assassins n'a pu être confirmée. Les premières informations fournies par les autorités selon lesquelles plusieurs soldats de l'APR auraient également trouvé la mort à cette occasion ont été démenties ultérieurement. Par la suite, le gardien rwandais travaillant pour MDM qui avait conduit l'Américain blessé à l'hôpital, Jean de Dieu Mbatuyimana, a été arrêté en même temps qu'un autre gardien. Ils ont été incarcérés dans le centre de détention militaire de Muhoza. Le 20 janvier, Jean de Dieu Mbatuyimana a été abattu par des soldats de l'APR, qui ont prétendu qu'il avait tenté de s'enfuir. Cet homme avait été caporal dans les ex-FAR, et il était revenu de l'ex-Zaïre en novembre 1996. Claude Dusaidi, conseiller auprès du vice-président et ministre de la Défense, a déclaré par la suite à l'occasion d'une interview à la radio que MDM avait fait une erreur en faisant travailler des soldats des anciennes forces gouvernementales.

Le soir où les employés de MDM ont été tués, les locaux voisins de deux autres organisations non gouvernementales, "Save the Children Fund" (SCF) et Médecins sans frontières (MSF) ont aussi été attaqués; des coups de feu ont été tirés et des biens dérobés, mais il n'y a eu aucune victime. Les gardiens auraient identifié les personnes ayant attaqué le bâtiment de MSF comme étant des soldats de l'APR. Selon certaines indications, ceux qui ont attaqué les locaux de SCF étaient également des soldats de l'APR.

On ne dispose pas d'éléments de preuve irréfutable quant à l'identité des assassins des employés de MDM. Certaines sources affirment qu'il s'agissait de membres des ex-FAR, tandis que d'autres accusent les soldats de l'APR. Toutes les sources locales confirment qu'il y avait une forte présence de l'APR dans la région; suite aux premiers coups de feu tirés contre les locaux de MSF et de SCF, l'armée avait été alertée et avait entrepris de protéger les ressortissants étrangers vivant dans le voisinage immédiat. Il ne semble pas que le gouvernement ait fourni une quelconque explication officielle concernant ces événements.

Guy Pinard, un prêtre canadien d'une soixantaine d'années, a été tué d'une balle dans le dos le 2 février 1997 lors d'une messe de communion dans la commune de Kinigi (préfecture de Ruhengeri). L'assassin a été identifié par des témoins comme étant un enseignant, ancien soldat de l'APR; il a été arrêté par la suite, mais il aurait été relâché peu après. D'après ceux qui le connaissaient, Guy Pinard, qui vivait au Rwanda depuis plus de trente ans, était une personne au franc parler, qui avait aidé aussi bien des Tutsis que des Hutus à échapper aux massacres. Il avait été le témoin de nombreuses violations des droits de l'Homme, notamment dans la préfecture de Ruhengeri. Il était connu pour ses critiques à l'égard du gouvernement actuel.

Le 4 février 1997, cinq membres de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda -Sastra Chim Chan, de nationalité cambodgienne, Graham Turnbull, britannique, Jean-Bosco Munyaneza et Aimable Nsensiyumvu, deux interprètes rwandais, et Agrippin Ngabo, un employé de bureau rwandais- ont été tués par des hommes armés dans la commune de Karengera, située dans le sud-ouest de la préfecture de Cyangugu, après que leurs véhicules furent tombés dans une embuscade. Ces cinq personnes ont succombé à des blessures par balles; quatre d'entre elles sont mortes sur le lieu même de l'attaque ou à proximité; Agrippin Ngabo est décédé plus tard, alors qu'on le transportait par avion à l'hôpital. Le corps de Sastra Chim Chan a été retrouvé décapité. Ces assassinats ont été publiquement attribués à des groupes armés hostiles à l'APR. Cinq personnes ont été arrêtées dans le cadre de cet affaire, et elles ont avoué avoir pris part à l'embuscade. Deux autres auraient été tuées par des soldats de l'APR, dont le chef présumé du groupe.

Le 27 avril 1997, Griet Bosmans, religieuse belge et directrice d'école, a été tuée lors d'une attaque contre une école de Muramba, préfecture de Gisenyi (cf. plus haut, chapitre I.9).

A tous ces cas, il faut ajouter un certain nombre d'autres faits qui se sont produits dans diverses parties du pays -y compris à Kigali-, au cours desquels du personnel local ou étranger d'organisations internationales a été agressé, frappé ou menacé.

I.11 Massacres commis par des civils tutsi armés

Un grand nombre de Hutus qui étaient revenus dans le pays ont été tués par des civils tutsis, notamment en janvier et en février 1997. Entre le 7 et le 9 janvier 1997, une vingtaine de personnes revenues de Tanzanie ont été frappées ou tuées à coups de machette et de bâton par des civils tutsis de la cellule de Rugarama, et 40 autres par des Tutsis de la cellule de Ruhanga, deux cellules qui se trouvent dans le secteur de Kigina, commune de Rusumo (préfecture de Kibungo). Les victimes étaient des hommes, des femmes et des enfants. Parmi celles tuées dans la cellule de Ruhanga figuraient Rugerinyange et sa femme Bazizane, Paul Biguli, son épouse Alvere Zirakuye et sa soeur Mukantakiye. Dans cette même cellule, le corps d'un jeune garçon de 12 ans, Gapira, a été retrouvé pendu à un arbre, et les corps de Vincent Biramahire et de Gasove, gisaient dans des latrines. Plusieurs personnes auraient été arrêtées à la suite de ces massacres.

Le 26 janvier 1997, dans les secteurs de Musanze, de Rugina et de Kanyamiheto, situés dans la commune de Kinigi (préfecture de Ruhengeri), des civils tutsis armés qui auraient reçu l'aide de soldats de l'APR ont tué quelque 140 civils hutus non armés lors d'une opération de représailles, après qu'au moins 24 civils tutsis eurent été tués dans la région par des groupes armés hutus (cf plus haut, chapire I.8). Il semble que les victimes de cette opération de représailles -des hommes, des femmes et des enfants- aient été tuées au hasard. La plupart ont été battues à mort. Des grenades ont également été utilisées. Certains corps ont été retrouvés sur le lieu même du massacre, d'autres dans une rivière proche ou sur ses rives, d'autres encore dans des latrines.

Le 20 février 1997 vers minuit, 21 membres de deux familles d'ex-réfugiés revenus de Tanzanie en décembre 1996 ont été tués dans le secteur de Nkamira, commune de Birenga (préfecture de Kibungo). Au nombre des victimes figuraient de nombreux enfants, dont un bébé de trois mois. Les assassins étaient, semble-t-il, des civils tutsi armés de fusils.

Au cours des jours qui ont suivi l'attaque du camp de réfugiés de Mudende (préfecture de Gisenyi) le 22 août 1997 (cf. plus haut, chapitre I.8), un nombre inconnu de civils hutus vivant dans le voisinage auraient été tués par des civils tutsi, et leurs maisons incendiées. Selon des sources locales, les soldats de l'APR présents dans la région n'ont pas tenté d'intervenir pour empêcher ces assassinats commis à titre de représailles. D'après certaines allégations, des soldats auraient même pris part à ces massacres.


I.11 Massacres commis par des civils tutsi armés

Un grand nombre de Hutus qui étaient revenus dans le pays ont été tués par des civils tutsis, notamment en janvier et en février 1997. Entre le 7 et le 9 janvier 1997, une vingtaine de personnes revenues de Tanzanie ont été frappées ou tuées à coups de machette et de bâton par des civils tutsis de la cellule de Rugarama, et 40 autres par des Tutsis de la cellule de Ruhanga, deux cellules qui se trouvent dans le secteur de Kigina, commune de Rusumo (préfecture de Kibungo). Les victimes étaient des hommes, des femmes et des enfants. Parmi celles tuées dans la cellule de Ruhanga figuraient Rugerinyange et sa femme Bazizane, Paul Biguli, son épouse Alvere Zirakuye et sa soeur Mukantakiye. Dans cette même cellule, le corps d'un jeune garçon de 12 ans, Gapira, a été retrouvé pendu à un arbre, et les corps de Vincent Biramahire et de Gasove, gisaient dans des latrines. Plusieurs personnes auraient été arrêtées à la suite de ces massacres.

Le 26 janvier 1997, dans les secteurs de Musanze, de Rugina et de Kanyamiheto, situés dans la commune de Kinigi (préfecture de Ruhengeri), des civils tutsis armés qui auraient reçu l'aide de soldats de l'APR ont tué quelque 140 civils hutus non armés lors d'une opération de représailles, après qu'au moins 24 civils tutsis eurent été tués dans la région par des groupes armés hutus (cf plus haut, chapire I.8). Il semble que les victimes de cette opération de représailles -des hommes, des femmes et des enfants- aient été tuées au hasard. La plupart ont été battues à mort. Des grenades ont également été utilisées. Certains corps ont été retrouvés sur le lieu même du massacre, d'autres dans une rivière proche ou sur ses rives, d'autres encore dans des latrines.

Le 20 février 1997 vers minuit, 21 membres de deux familles d'ex-réfugiés revenus de Tanzanie en décembre 1996 ont été tués dans le secteur de Nkamira, commune de Birenga (préfecture de Kibungo). Au nombre des victimes figuraient de nombreux enfants, dont un bébé de trois mois. Les assassins étaient, semble-t-il, des civils tutsi armés de fusils.

Au cours des jours qui ont suivi l'attaque du camp de réfugiés de Mudende (préfecture de Gisenyi) le 22 août 1997 (cf. plus haut, chapitre I.8), un nombre inconnu de civils hutus vivant dans le voisinage auraient été tués par des civils tutsi, et leurs maisons incendiées. Selon des sources locales, les soldats de l'APR présents dans la région n'ont pas tenté d'intervenir pour empêcher ces assassinats commis à titre de représailles. D'après certaines allégations, des soldats auraient même pris part à ces massacres.

I.12 Massacres commis par des tueurs non identifiés

Amnesty International a reçu des informations concernant de nombreux massacres au sujet desquels n'existe aucune indication claire ou preuve irréfutable quant à l'identité des assassins. En voici quelques exemples :

Dans la soirée du 14 février 1997, Vincent Nkezabanganwa, président du Conseil d'Etat et vice-président de la Cour suprême, a été attaqué à son domicile de Gisozi, à Kigali, par des hommes armés portant l'uniforme militaire. Trois autres personnes qui se trouvaient avec lui à ce moment là ont également été tuées : Kamali, un gardien de nuit connu aussi sous le nom de Rubare, Alphonse Ngoga, qui travaillait au cabinet du Premier ministre, et Gasana, chauffeur de son état. Vincent Nkezabaganza a été gravement blessé mais il n'est pas mort immédiatement. Des soldats l'auraient accompagné à l'hôpital. Plus tard, le même jour, sa famille a été informée de sa mort et de ce que son corps avait déjà été transporté à la morgue. Les blessures constatées sur sa dépouille ont été décrites comme étant différentes de celles qu'il avait reçues lors de l'attaque -différentes et plus graves : outre les premières blessures à la cuisse, au bras et au ventre, son corps présentait, semble-t-il, de graves blessures à la poitrine.

Le 11 mai 1997, six personnes en voiture ont été tuées par des hommes armés en uniforme militaire après être tombées dans une embuscade dans la cellule de Gitara, secteur de Coko, commune de Mubuga, près de la frontière séparant les préfectures de Butare et de Gikongoro (sud du pays). Les victimes étaient deux étudiantes, Denise Uwizeye, 24 ans, et Pacifique Kanzayire, deux prêtres de la paroisse de Cyahinda, Pascal Yirirwahandi et Isaïe Habakurama, aide soignant, Jean-Marie Vianney, ainsi qu'une jeune femme, Nyirabazungu. Les soldats de l'APR basés à proximité ne seraient pas intervenus. Plusieurs personnes auraient été arrêtées dans le cadre de cette affaire, mais l'identité des assassins n'est pas confirmée.

Le 5 juillet 1997, deux frères -tous deux hutus, l'un ancien enseignant et l'autre employé de banque, auraient été tués à l'aide d'outils de ferme dans le secteur de Gakarara, commune de Karago (préfecture de Gisenyi). Un troisième homme -un Tutsi- qui partageait leur maison aurait été épargné. On ignore l'identité des auteurs de ces assassinats.

Dans la nuit du 22 juillet 1997, dix personnes -dont Minani, Muhutu et plusieurs membres de leurs familles- parmi lesquels deux femmes enceintes-, ont été tuées par des inconnus en uniforme militaire dans le secteur de Bimomwe, commune de Musambira (préfecture de Gitarama). On ignore qui sont les assassins; d'après certaines sources locales, les homicides auraient pu être commis sur ordre d'un soldat de l'APR locale, peut-être pour venger la mort de plusieurs membres de sa famille.

Un certain nombre de fonctionnaires civils locaux ont également été tués en 1997, notamment plusieurs conseillers de secteur et responsables de cellule, ainsi que le sous-préfet de Ngororero (préfecture de Gisenyi), Maurice Sebahunde, qui a trouvé la mort avec deux autres personnes le 17 mai 1997. Ces assassinats ont en général été attribués à des groupes armés d'opposition. Toutefois, dans la plupart des cas Amnesty International n'a pas été en mesure de confirmer l'identité des auteurs de ces homicides.


Rwanda : Les civils pris au piège dans le conflit armé

(Rapport d'Amnesty International, 19.12.1997)

"Les morts ne se comptent plus"
Témoignage anonyme d'un habitant de Gisenyi, recueilli en novembre 1997

Sommaire


Introduction
L'escalade du conflit dans le nord-ouest du pays
Les massacres de civils non armés depuis octobre 1997
Informations supplementaires sur les massacres perpetres avant octobre 1997
Poursuites judiciaires contre les soldats de l'APR accuses de violations des droits humains
Recommandations

Résumé

Entre le mois d'octobre et le début du mois de décembre 1997, Amnesty International a reçu des informations presque journalières sur des massacres de civils non armés au Rwanda, notamment des exécutions extrajudiciaires imputables aux soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR) et des homicides délibérés et arbitraires perpétrée par des groupes d'opposition armés. Le présent rapport décrit des cas d'atteintes aux droits humains particulièrement graves, commises par les deux camps. Des centaines de civils, peut-être des milliers, sont morts en moins de trois mois. La plupart des massacres ont eu pour toile de fond l'intensification du conflit armé dans le nord ouest du pays. Ce document constitue une mise à jour du rapport publié par Amnesty International le 25 septembre 1997 et intitulé "Rwanda. Rompre le silence" (AFR 47/32/97).

Les tueries décrites dans le document ci-joint ne représentent qu'une partie de celles qui ont été signaliées au Rwanda depuis le mois d'octobre 1997. De nombreux autres massacres ont été portés à la connaissance d'Amnesty International, mais il ne lui a pas encore été possible de vérifier toutes ces informations. Plusieurs régions du Nord-Ouest -théâtre de la plupart des massacres- sont inaccessibles, ce qui complique et ralentit le travail des enquêteurs indépendants. La lenteur avec laquelle le monde extérieur est informé de ce qui se passe aggrave le désespoir des personnes vivant dans ces régions. Elles continuent d'être victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux, sans que personne à l'extérieur, ou presque, ne dise un mot -un désespoir illustré par la réflexion d'un homme vivant à Gusenyi et citée en titre : "On ne peut plus compter les morts".

Amnesty International a décidé de publier sans attendre les informations dont elle dispose, afin de mettre en lumière l'urgence de la situation et d'inciter les autorités rwandaises et les acteurs influents sur la scène internationale à prendre des mesures préventives plus efficaces. Si aucune action n'est tentée, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants risquent de périr à leur tour, victimes de la violence qui anéantit le Rwanda, et en particulier le Nord-Ouest. En attendant, Amnesty International poursuit son action en recueillant des informations détaillées sur les événements décrits dans le présent rapport, entre autres.

Amnesty International lance une fois encore un appel au gouvernement rwandais et aux chefs des groupes d'opposition armés. Elle leur demande de prendre des mesures pour empêcher de nouveaux massacres de civils non armés et d'autres atteintes graves aux droits humains. Ce rapport contient un résumé des recommandations formulées par l'Organisation.

Les gouvernements étrangers -en particulier ceux qui sont en relation étroite avec le Rwanda devraient eux aussi assumer leurs responsabilités en condamnant publiquement les graves violences commises par les forces de sécurité et les groupes d'opposition armés et en assurant la mise en place de mesures visant à rétablir le respect des droits humains.


Introduction

Entre le mois d'octobre et le début du mois de décembre 1997, Amnesty International a reçu des informations presque journalières sur des massacres de civils non armés au Rwanda, notamment des exécutions extrajudiciaires imputables aux soldats de l'armée patgriotique rwandaise (APR) et des homicides délibérés et arbitraires perpétrée par des groupes d'opposition armés. Le présent rapport décrit des cas d'atteintes aux droits humains particulièrement graves, commises par les deux camps. Les événements les plus graves signalés au cours du dernier trimestre de l'année 1997 se sont déroulés pour la plupart dans le nord-ouest du pays, dans la préfecture de Gisenyi* ou dans la préfecture voisine de Ruhengeri. Récemment, des massacres ont également été perpétrés dans les préfectures de Gitarama et de Kigali (zone rurale), situées plus au centre. (...)

Les tueries décrites ci-après ne représentent qu'une partie de celles qui ont été signalées au Rwanda depuis le mois d'octobre 1997. De nombreuses autres massacres ont été portés à la connaissance d'Amnesty International, mais il ne lui a pas encore été possible de vérifier toutes ces informations. (...) plusieurs régions du Nord-Ouest -théâtre de la plupart des massacres- sont inaccessibles, ce qui complique et ralentit le travail des enquêteurs indépendants. Il semble que cela devient même de plus en plus difficile. Il peut s'écouler plusieurs semaines avant que les détails des massacres -à savoir l'identité des victimes et les circonstances exactes des faits- ne soient révélés et confirmés. Il n'a pas encore été possible de déterminer avec certitude les auteurs de certaines tueries. La lenteur avec laquelle le monde extérieur est informé de ce qui se passe aggrave le désespoir des personnes vivant dans ces régions. Elles continuent d'être victimes de graves atteintes à leurs droits fondamentaux, sans que personne à l'extérieur, ou presque, ne dise un mot -un désespoir illustré par la réflexion d'un homme vivant à Gisenyi et citée en titre : "On ne peut plus compter les morts".

Amnesty International a décidé de publier sans attendre les informations dont elle dispose, afin de mettre en lumière l'urgence de la situation et d'inciter les autorités rwandaises et les acteurs influents sur la scène internationale à prendre des mesures préventives plus efficaces. Si aucune action n'est tentée, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants risquent de périr à leur toiur, victimes de la violence qui anéantit une bonne partie du Rwanda. En attendant, Amnesty International poursuit son action en recueillant des informations détaillées sur les événements décrits dans le présent rapport, entre autres.

* Le Rwanda comprend 12 préfectures, qui sont divisées en communes, elles-mêmes divisées en secteurs, chaque secteur étant composé de cellules.

1. L'escalade du conflit dans le nord-ouest du pays

Au cours de l'année 1997, dans le nord-ouest du pays, de violents combats ont continué d'opposer l'APR et les groupes d'opposition armés, qui compteraient parmi eux des membres des anciennes Forces armées rwandaises (ex-FAR) et des milices Interahamwe ayant participé au génocide de 1994. Les attaques perpétrées par les deux camps ont fait de nombreuses victimes parmi les civils non armés. Selon un témoignage recueilli en novembre, une famille entière était décimée en moyenne chaque jour. Des membres des groupes d'opposition armés et des soldats de l'APR ont également trouvé la mort dans ces combats.

Le conflit armé est particulièrement féroce dans la préfecture de Gisenyi, dans le nord-ouest du pays, où toutes les communes sont sévèrement touchées. Cette zone -dont était originaire l'ancien président Juvénal Habyarimana- est peuplée principalement de membres de l'éthnie hutu, et a longtemps été un haut lieu de résistance face au gouvernement formé en juillet 1994 par le Front patriotique rwandais (FPR), à dominance tutsi.

Les habitants des zones affectées par le conflit armé sont terrorisés par les soldats de l'APR et par les groupes d'opposition armés. Ils se plaignent du fait que l'armée n'intervient pas pour les protéger, même lorsqu'ils demande de l'aide. Dans la plupart des cas, les autorités civiles locales semblent dans l'incapacité d'intervenir. Plusieurs responsables locaux ont été assassinés, d'autres arrêtés, d'autres encore, suspendus et non remplacés. Bon nombre des habitants de ces régions ont quitté leur maison, de peur d'être tués. Le nombre de personnes déplacées ne cesse d'augmenter. Elles se réfugient dans la brousse et se déplacent continuellement, ce qui augmente leur risque d'être prises pour cibles par l'une ou l'autre partie au conflit.

Depuis le mois d'octobre, il semble que les groupes d'opposition armés multiplient leurs attaques et se montrent de plus en plus impitoyables. Les assaillants opèrent en plus grand nombre, parfois même, semble-t-il, en groupes de plusieurs centaines de personnes, prenant pour cibles aussi bien des militaires que des civils.

Les forces de l'APR ont continué de mener des opérations de ratissage dans les zones où les groupes d'opposition armés sont supposés être actifs. Pendant ces opérations, dces centaines de civils non armés ont été exécutés de façon extrajudiciaire; des rebelles présumés ont également été tués. Il semble que les auteurs des massacres ne cherchent pas à épargner les civils. Ces derniers sont, au contraire, souvent tués délibérément lorsqu'ils sont présents au moment de l'arrivée de l'armée. La plupart des habitants de ces régions prennent la fuite dès que les soldats apparaissent; nombre d'entre eux ont été abattus alors qu'ils tentaient de fuir.

Les massacres attribués aux soldats de l'APR sont le plus souvent commis lors d'opérations anti-insurrectionnelles. Bien que les groupes d'opposition armés aient multiplié leurs attaques et tué de nombreux civils, les informations recueillies auprès de sources locales indiquent qu'à la mi-décembre, le nombre de civils abattus par les forces de l'APR était toujours plus important que le nombre de ceux exécutés par les groupes d'opposition armés.

En règle générale, les responsables gouvernementaux et militaires ont continué d'affirmer que les victimes exécutées par les forces de l'APR étaient toujours ou presque toujours des rebelles. Interrogées sur le fait que l'on comptait de nombreux civils parmi les victimes, les autorités ont déclaré que les rebelles tentaient parfois de se faire passer pour des civils, ou encore que des civils se mêlaient aux rebelles et qu'il devenait impossible de les distinguer les uns des autres. Au dire de ces mêmes responsables, l'insécurité ne règne pas au Rwanda, contrairement à ce qu'affirment certaines sources. Lors d'une interview diffusée sur Radio Rwanda le 4 décembre, au sujet de la sécurité dans le pays, le porte-parole de l'APR, le Major Richard Sezibera, aurait déclaré : "Les forces armées ont fait du très bon travail".

Dans la préfecture de Gisenyi, dans les communes de Gaseke et Satinsyi par exemple, les groupes d'opposition armés auraient assassiné de nombreuses personnes soupçonnées de collaborer avec les autorités en dénonçant les rebelles. Ils auraient parfois empêché les habitants de prendre part aux "réunions de sécurité" organisées par les autorités ou les auraient contraints -en particulier les autorités civiles locales- à leur fournir logement et nourriture. De ce fait, des responsables locaux, dont plusieurs conseillers de secteurs, ont déménagé pour se rapprocher des camps militaires dans l'espoir d'obtenir une meilleure protection.

Le 8 octobre, des groupes d'opposition armés auraient lancé une attaque contre l'aéroport de Gisenyi. Amnesty International n'est pas en mesure de confirmer les circonstances exactes de cette attaque, ni le nombre de civils qui auraient trouvé la mort lors du violent combat qui aurait opposé les assaillants et les soldats de l'APR déployés dans cette zone. A la suite de cette attaque, un grand nombre d'habitants auraient abandonné les communes environnantes de Rubavu, Rwerere et Mutura.

Vers le 5 novembre, les groupes d'opposition armés et les soldats de l'APR se seraient livré bataille dans le secteur de Matyazo, commune de Satinsyi (préfecture de Gisenyi), pendant environ trois jours. On pense que cette région constitue un des fiefs de l'opposition armés, qui y a mené de nombreuses offensives contre des postes militaires, dont un situé près du collège de Muramba, et qui a mis le feu à des véhicules militaires à plusieurs occasions.

En novembre et en décembre, les groupes d'opposition armés ont libéré des centaines de prisonniers détenus dans plusieurs cachots (centres de détention de l'administration locale) -à Giciye, le 17 novembre, à Rwerere, le 2 décembre (communes situées toutes deux dans la préfecture de Gisenyi), et à Bulinga (préfecture de Gitarama, voisine de celle de Gisenyi), le 3 décembre. Des personnes, dont on ignore le nombre, auraient trouvé la mort lors de ces raids (cf le chapitre 2.3 ci-dessous).

Des milliers de soldats de l'APR auraient participé à des opérations anti-insurrectionnelles, sous le commandement du Colonel Kayumba Nyamwasa, commandant en second de la gendarmerie nationale, désormais responsables des opérations militaires dans le Nord-Ouest. Au cours de la dernière semaine de novembre, des mouvements d'importants contingents de l'APR, se déplaçant avec des chars et des pièces d'artillerie, aux alentours de Gisenyi, ont notamment été signalés. Des témoins ont entendu des tirs d'artillerie et des explosions près de l'aéroport de Gisenyi et auraient vu les troupes de l'APR en train de creuser des tranchées et de dresser des barrages routiers autour de l'aéroport. De nombreuses informations ont signalé que les forces de l'APR utilisaient des hélicoptères destinés à des opérations de surveillance dans les zones touchées par le conflit armé. Plusieurs sources différentes ont, en outre, indiqué que ces hélicoptères étaient aussi utilisés pour attaquer ces mêmes zones (cf le chapitre 2.1 ci-dessous).

Lorsqu'ils cherchaient à dubusquer des rebelles, les soldats de l'APR ont mis le feu aux maisons et aux récoltes, et ont commis de nombreux pillages. Un homme, dont la maison située à Ruhengeri avait été fouillés par les soldats en octobre, a décrit la façon dont ceux-ci avaient détruit les portes et les meubles sous prétexte de rechercher des armes. N'ayant rien trouvé, ils ont mis le feu aux objets de la maison -matelas, vêtements, livres- et sont partis en emportant certains biens.

La population civile n'est pas seulement victime des nombreux massacres, elle souffre aussi cruellement de la pénurie de nourriture et de médicaments entraînée par les pillages et les destructions auxquels se livrent délibérément les soldats de l'armée nationale et les rebelles. Plusieurs centres de soins, dans les communes de Karago et Rwerere (préfecture de Gisenyi) par exemple, auraient été contraints de fermer leurs portes après que leurs réserves de médicaments et d'autres fournitures médicales eurent été pillées. Dans cette région, les personnes atteintes de maladies mortelles sont très souvent laissées sans soins. Les problèmes de santé sont aggravés par la pénurie de nourriture dans les zones touchées par le conflit, les terres n'étant plus cultivées ou les récoltes n'étant plus ramassées après le départ des habitants, chassés par l'insécurité.

Afin d'échapper aux violences persistantes qui font rage dans les régions du Nord-Ouest, des milliers de personnes ont franchi la frontière séparant le Rwanda de la République démocratique du Congo (RDC) -près de Goma, dans la région du Nord-Kivu- surtout depuis octobre. Mais beaucoup d'entre elles ont été appréhendées par les soldats congolais et contraintes de retourner au Rwanda au bout de quelques semaines, voire de quelques jours. Quelque 4500 réfugiés rwandais ont ainsi été expulsés entre le début du mois d'octobre et le début du mois de décembre 1997. La plupart d'entre eux venaient des régions du Rwanda frappées par une grande insécurité : à titre d'exemple, la majorité des 1400 réfugiés reconduits à la frontière le 5 décembre venaient de la préfecture de Gisenyi.

2. Les massacres de civils non armés depuis octobre 1997
1. Les massacres attribués aux soldats de l'APR*

Le 3 octobre, dans la commune de Satinsyi (Préfecture de Gisenyi), les soldats de l'APR auraient tué sept membres de la famille de Pierre Rwanzegushira et cinq enfants de Martin Semaganya, quatre filles et un garçon en bas âge. Les victimes auraient été assassinées chez elles.

Le 30 octobre, dans le secteur de Gihinga (commune de Rushashi, préfecture de Kigali -zone rurale), des civils auraient été tués par les soldats de l'APR. Parmi les victimes figuraient deux soeurs, Glyceria, 18 ans, et Euphrasie, 17 ans, Musabyimana et le bébé qu'elle portait sur son dos, deux jeunes garçons qui conduisaient le bétail, Straton, 10 ans et Nkiriyehe, 12 ans, ainsi que Gaspard, 20 ans. Ces assassinats auraient été commis en représailles du meurtre d'un homme nommé Rukera, supposé être un informateur de l'APR et tué par des inconnus.

Le 31 octobre, lors d'une importante opération militaire organisée dans les secteurs de Rwinzovu, Busogo et Nyabirehe (commune de Mukingo, préfecture de Ruhengeri), par les soldats de l''APR, des centaines de civils auraient été massacrée au hasard. Il s'agissait parfois de familles entières; dans plusieurs cas, les grand-parents, les parents et les enfants ont tous été décimés, chez eux ou alors qu'ils tentaient de fuir.

Le 7 novembre, les soldats de l'APR auraient tué au moins cinq personnes, dont Fidèle Rwangarinde, Jean Rusingizwa, Mathias Zihuramye et sa femme, au cours d'une opération militaire dans le secteur de Bucydende (commune de Gaseke, préfecture de Gisenyi). Toutes ces victimes auraient été trop âgées pour fuir au moment de l'arrivée des soldats. Ces derniers auraient également pillé et brûlé des maisons dans le secteur. Cette opération faisait suite à une attaque lancée la veille, pendant laquelle les groupes d'opposition armés auraient abattu des soldats -dont on ignore le nombre-, à Rwankenke, dans la même commune.

Le 9 novembre, les soldats de l'APR auraient encerclé une zone connue sous le nom de Gashyusha, dans le secteur de Ntaganswa (commune de Kibilira, préfecture de Gisenyi) et tiré au hasard sur les personnes qui se trouvaient là, dont des personnes âgées, des femmes enceintes et des enfants. Ils auraient tué d'autres personnes au moyen de machettes, de couteaux et d'outils agricoles. Selon une liste dressée par les autorités locales, au moins 150 personnes auraient trouvé la mort. Le nombre total des victimes est probablement plus élevé, la première liste ne comportant pas les noms des jeunes enfants, ni les victimes dont les corps n'avaient pas encore été retrouvés. Certains cadavres ont été enterrés dans des charniers, d'autres ont été jetés à la rivière, d'autres encore ont été transportés dans des endroits inconnus. Il est difficile de savoir qui a fait enlever les corps. Amnesty International a reçu les noms de 47 victimes, dont au moins 18 femmes; parmi elles figuraient Claudine, Nyirahabineza, Mukamana, Fortunée, Drocella, Nyiramanzo, Mukarusagara, Françoise, Vestine, Mukamuhire, Stéphanie, Liberata et Mukabalinda.

Dans la nuit du 11 au 12 novembre, une famille de 10 personnes aurait été tuée par les soldats de l'APR dans le secteur de Nyarushamba (commune de Rwerere, préfecture de Gisenyi). Parmi les victimes figuraient Anastasie Nyiramajyambere et ses deux enfants, Nyirandayisaba, Gilbert Nkurunziza, Nkubito, Nyiranzage, Mwiseneza, Kantukimana et une autre femme.

Dans la matinée du 13 novembre, au moins 12 civils, dont des enfants de moins de 2 ans, auraient été abattus par des soldats de l'APR dans une zone commerçante de Gasiza, dans le secteur de Birembo (commune de Giciye, préfecture de Gisenyi). Les groupes d'opposition armés auraient été responsables de la mort de 9 autres civils. Radio Rwanda, qui dépend du gouvernement, affirmait que tous ces meurtres étaient imputables aux "infiltrés". On compterait parmi ces victimes Rucamihigo, Mudeshi, Odette, Nyirimbibi et sa femme, Mupanda, responsable du collège de Kibihekane, sa femme et ses enfants, les enfants du directeur de l'école de Rambura et un conseiller de secteur. Ces meurtres ont eu lieu à la suite d'affrontements entre des soldats de l'APR et des groupes d'opposition armés, les 10 et 11 novembre dans le secteur de Gihira, commune de Giciye, au cours desquels les groupes armés auraient tué plus de 30 soldats de l'APR.

Les 13, 14 et 16 novembre, des hélicoptères militaires auraient ouvert le feu sur plusieurs endroits dans les communes de Gaseke, Giciye, Karago, Kanama et Satinsyi (préfecture de Gisenyi), ainsi que dans les communes voisines de Ndusu et Gatonde (préfecture de Ruhengeri). Un nombre indéterminé de civils seraient morts et de nombreuses maisons, ainsi que d'autres bâtiments, auraient été incendiées. Une école primaire de Birembo (commune de Kanama) aurait été détruite par un hélicoptère militaire le 18 novembre, à la suite d'une embuscade tendue par les groupes d'opposition armés, et qui aurait coûté la vie à de nombreux soldats de l'APR. Le 23 novembre, plusieurs maisons ont été détruites lors d'un raid d'hélicoptères dans le secteur de Rwankenke (commune de Gaseke).

Le 13 novembre, lors d'affrontements entre soldats et groupes armés dans le secteur de Rubare (commune de Giciye, préfecture de Gisenyi), de nombreux civils -hommes, femmes et enfants- auraient été poursuivis par les soldats de l'APR alors qu'ils tentaient de fuir les combats, puis tués au hasard. Les habitants du secteur auraient dénombré les corps de 197 victimes.

Le 15 novembre, les soldats de l'APR ont encerclé le secteur de Gikoro (commune de Mukingo, préfecture de Ruhengeri) afin de retrouver les auteurs d'une attaque qui s'était déroulée deux jours avant à Ruvunda, dans le secteur de Kimonyi (cf le chapitre 2.3 ci-dessous). Les soldats auraient mis le feu à une maison dans laquelle ils avaient convoqué les habitants à une réunion. Quelque 30 personnes auraient péri dans les flammes; d'autres auraient été abattues pour avoir refusé d'assister au rassemblement.

Le 16 novembre, les soldats de l'APR ont investé la cellule de Kirehe dans le secteur de Gahanga (commune de Gatonde, préfecture de Gisenyi) et abattu un grand nombre de ses habitants. Plus de 300 personnes auraient été tuées, et parmi elles, Twizerimana, Ndegeyingoma et sa fille de trois ans Hélène, Agnès Nyirasafari, Epaphrodite Munyentwali, Jeanne Mujawamariya, Gratia Uwamahoro, Alfred Dukundane, Ehprem Karasira, Rukeribuga et 20 membres de sa famille, ainsi que Thadée Munyentwali et ses quatre enfants.

Le 17 novembre, les soldats de l'APR sont entrée dans une église protestante de Vunga (préfecture de Gisenyi) pendant les prières. Ils ont ordonné aux femmes et aux enfants de sortir, puis auraient tué environ 45 hommes dans l'église.

Vers le 17 novembre, des civils tutsi et des soldats de l'APR auraient attaqué des civils des communes de Nkuli et de Mukingo (préfecture de Ruhengeri). Un grand nombre de civils, des Hutu pour la plupart, auraient été tués, notamment à des barrages routiers. Les soldats faisaient descendre les passagers de leur véhicule et tuaient ceux qu'ils supposaient appartenir à l'éthnie hutu. Parmi les victimes figuraient Zirimwabagabo, 47 ans, sa femme Béatrice, 43 ans et leurs enfants Yvonne, 22 ans, et son enfant de 2 ans Bienvenu, Théophile, 13 ans, Tuyishime, 9 ans, et un bébé âgé de 13 mois. Le nombre total des victimes n'est pas encore connu. Cette attaque faisait suite à un massacre de civils essentiellement tutsi perpétré à Mukamira, commune de Nkuli, le 17 novembre, au cours desquels entre 20 et 30 personnes auraient été tuées (cf le chapitre 2.2 ci-dessous). Selon des sources locales, de très nombreuses personnes auraient été abattues à titre de représailles par des civils tutsi et des soldats de l'APR; d'autres sources indiquaient que les victimes étaient si nombreuses qu'il était impossible de les compter. D'autres enfin affirmaient que les survivants de cette attaque avaient organisé des massacres de civils tutsi dans cette zone entre contre-représailles.

Le 21 novembre, plusieurs centaines de civils non armés auraient été tués par les soldats de l'APR dans le secteur de Jenda (commune de Nkuli, préfecture de Ruhengeri). Les victimes étaient aussi bien des hommes, des femmes que de jeunes enfants ou des personnes âgées qaui s'étaient réfugiés dans la forêt par mesure de sécurité. 539 corps auraient été dénombrés, mais le nombre réel des victimes pourrait dépasser 1500.

A la suite d'une offensive menée par des groupes armés le 3 décembre contre un cachot de la commune de Bulinga, préfecture de Gitarama (cf. le chapitre 2.3 ci-dessous), les soldats de l'APR auraient déclenché une vaste opération dans la région. Ils auraient utilisé des hélicoptères militaires pour faire feu, au hasard, sur la population de Bulinga, le 3 ou 4 décembre.

Le soir du 9 décembre, dans la commune de Rutobwe (préfecture de Gitarama), des soldats de l'APR ont demandé à être conduits jusqu'à la maison d'un homme nommé Musafiri. Une fois sur place, ils auraient forcé l'entrée de sa maison et tué tous ceux qui s'y trouvaient, à savoir Musafiri, sa femme et ses enfants, ainsi que l'homme qui les avait conduits jusque là. Les raisons exactes de ces homicides ne sont pas connues avec certitude. Musafiri, conseiller de secteur sous l'ancien gouvernement du Rwanda, avait été arrêté en 1995, incarcéré pendant plusieurs mois, puis relâché.

Le matin du 11 décembre, à la suite du massacre d'environ 300 réfugiés congolais par des groupes d'opposition armés dans le camp de réfugiés de Mudende (cf le chapitre 2.2 ci-dessous), des civils tutsi auraient mené, avec l'aide des soldats de l'APR, une opération de représailles massives dans cette zone de la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi). Ils auraient tué de manière systématique et aveugle les civils hutu non armés qui se trouvaient là. Les victimes ont été attaquées notamment avec des machettes, des armes à feu et des bâtons. Selon une source, plus de 800 personnes ont sans doute été massacrées ce jour là, hommes, femmes, enfants et personnes âgées. Des témoins auraient vu les soldats de l'APR transporter les corps dans des camions militaires. Amnesty International cherche à obtenir de plus amples détails sur ces informations.

* Ce chapitre comporte également des cas d'homicides commis avec l'aide des soldats de l'APR par des civils tutsi ayant pris les armes

Des milliers de personnes tuées dans la grotte de Nyakimana

Entre le 23 et le 28 octobre 1997, de nombreux civils non armés -dont le nombre se situe entre 5000 et 8000 d'après des sources locales- auraient été tués par des soldats de l'APR dans la grande grotte de Nyakimana, dans le secteur de Kayove (commune de Kanama, préfecture de Gisenyi). Au moment de la rédaction de ce rapport, Amnesty International n'était pas en mesure de confirmer le nombre des victimes, l'accès au site étant interdit aux enquêteurs indépendants.

La plupart des victimes seraient des personnes déplacées ayant fui les combats qui faisaient rage dans les secteurs de Bisizi, Kanama, Karambo et Kayove, tous situés dans la commune de Kanama. Des communqutés entières ont abandonné leurs foyers par mesure de sécurité, à la suite d'affrontements entre les soldats de l'APR et les groupes d'opposition armés, et de massacres commis par les soldats de l'APR, ayant fait plusieurs centaines de victimes, entre le 8 et le 18 août, sur un marché de Mahoko (commune de Kanama). D'autres tueries ont également été perpétrées dans les environs les jours suivants*. Depuis ces événements, cette population déplacée -estimée à plusieurs milliers de personnes- vivait dans les secteurs de Kigarama et Mukondo. A la mi-octobre, des soldats de l'APR auraient fait irruption dans le lieu où elles s'étaient installées et auraient voulu les forcer à retourner chez elles. Elles auraient tenté de résister, expliquant que l'insécurité qui les avait poussées à fuir au mois d'août n'avait pas disparu. Les soldats auraient insisté, puis ouvert le feu sur la foule pour les contraindre à partir. Des personnes, dont on ignore le nombre, auraient été abattues sur place et d'autres en chemin. Les soldats auraient ensuite massacré d'autres civils, après les avoir reconduits jusque chez eux, dans le secteur de Kayove.

Pour échapper aux soldats, plusieurs milliers de civils se sont réfugiés dans la grotte de Nyakimana. Selon une source, cette grotte constituait la seule cachette possible, car les militaires avaient dressé des barrages routiers partout afin d'empêcher les gens de s'échapper. Vers le 23 octobre, les soldats de l'APR auraient attaqué la grotte avec des grenades et d'autres explosifs, tuant nombre de ceux qui s'y étaient abrités. Ils auraient ensuite muré l'entrée avec du ciment et des cailloux pour parer à toute fuite éventuelle.

Amnesty International a reçu les noms de quelques unes des victimes qui seraient mortes dans la grotte. Figurent parmi elles 20 membres d'une même famille, pour la plupart des femmes et des enfants, dont Cécile Nyirabalisesa, 57 ans, ses filles Nyiramajyambere, 25 ans, et Marie-Claire Nyirabazimenyera, 29 ans et ses trois jeunes enfants -dont le plus âgé n'avait que 6 ans- et son fils Jean-Bosco Nshimiyimana, 27 ans, sa femme et son bébé âgée de quelques mois. Parmi les autres victimes figuraient trois soeurs, Owimana, 27 ans, Dusabe, 13 ans, et Murora, 8 ans; une femme nommée Dathive, son mari et leurs trois enfants; cinq enfants d'unew autre famille, le plus âgé ayant seulement 12 ans. Amnesty International poursuit ses recherches concernant ce massacre.

Plusieurs personnes ayant pu s'échapper de la grotte aux environs du 23 octobre auraient été arrêtées dans la commune de Kanama, après avoir signalé les faits aux autorités locales. L'une d'elles, Pierre Claver Nzabandora, responsable d'une coopérative d'artisanat locale, a été arrêté alors qu'il sollicitait de l'aide auprès des autorités pour libérer sa famille, dont plusieurs de ses enfants prisonniers dans la grotte. Cet homme, ainsi que deux autres, Justin, chauffeur, et Hakizimana, artisan, seraient toujours incarcérés dans un cachot de Kanama.

Au début du mois de décembre, l'armée bloquait toujours l'issie de la grotte et en interdisait l'accès aux enquêteurs indépendants. Le 8 décembre -suite à l'ampleur que prenait l'événement dans les médias internationaux- les responsables militaires ont organisé une visite jusqu'à l'entrée de la grotte pour les journalistes et les observateurs des droits humains. Ces derniers n'ont cependant pas été en mesure de confirmer ce qui s'était produit à l'intérieur, car l'entrée demeurait solidement gardée par des soldats et bloquée par des rochers et des pierres. Plusieurs d'entre eux ont rapporté qu'ils avaient senti autour du site une forte odeur de cadavres en décomposition, et remarqué que des balles jonchaient le sol et que les champs environnants étaient déserts.

Selon certaines rumeurs, les grottes de cette zone auraient parfois été utilisées comme base par les groupes d'opposition armés. Lorsque le massacre fut pour la première fois révélé publiquement par un groupe rwandais de défense des droits humains basé en Belgique, le commandat militaire de la région a nié connaître l'existence de cette grotte. Mais face à la persistance de ces informations, les autorités militaires ont affirmé, fin novembre, que les personnes cachées dans les grottes étaient des rebelles armés, et que les entrées étaient bloquées dans le cadre d'opérations militaires destinées à empêcher les opposants de fuir. Elles ont affirmé que ces grottes leur servaient de base et d'abri pour stocker armes et nourriture. Les autorités gouvernementales ont nié les informations selon lesquelles des milliers de civils non armés auraient été massacrés dans cette grotte.

Amnesty International n'est pas actuellement en mesure de confirmer si, parmi la population cachée dans la grotte de Nyakimana, se trouvaient des éléments armés. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, les informations obtenues des personnes présentes sur les lieux indiquent que ceux qui ont été tués entre le 23 et le 28 octobre étaient principalement des civils non armés, dont des femmes et de jeunes enfants qui étaient venus se mettre à l'abri.

Si les circonstances de la tuerie et le nombre de victimes avancés par les sources locales sont confirmés, il s'agirait alors du plus important massacre de civils non armés -dont on ait connaissance-, perpétré par les soldats de l'APR depuis plusieurs mois, voire depuis deux ans. Il est probable qu'aux victimes tuées lors de l'attaque se soient ajoutées les personnes mortes de faim par la suite. Amnesty International continue de lancer des appels urgents au gouvernement rwandais et aux autorités militaires afin de débloquer l'entrée de la grotte et de s'assurer que les éventuels survivants seront immédiatement autorisés à sortir sans danger et à recevoir des soins médicaux. L'accès de la grotte devrait être immédiatement accordé aux observateurs des droits humains des Nations Unies et aux enquêteurs des organisations locales de défense des droits fondamentaux, afin de leur permettre de mener une enquête approfondie sur le site et d'interroger les témoins oculaires et les éventuels survivants de façon confidentielle et en toute sécurité.

Si les enquêtes révèlent qu'un survivant appartient aux groupes d'opposition armés, il devra être traduit en justice dans le respect des normes internationales et sans que la peine de mort ne soit requise contre lui.

* Pour plus d'informations sur les massacres du marché de Mahoko et des alentours, veuillez vous reporter au rapport d'Amnesty International publié le 25 septembre 1997 et intitulé "Rwanda. Rompre le silence" (AFR 47/32/97)

Les massacres attribués aux groupes d'opposition armés

Le 14 octobre, 37 civils auraient été tués par des hommes armés dans la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi). Les victimes -pour la plupart des Tutsi revenus au Rwanda après s'être exilés au Zaïre (l'actuelle République démocratique du Congo) pendant plus de trente ans- vivaient dans un camp de personnes déplacées situé tout près d'une grande route.

Le 13 novembre, des groupes d'opposition armés auraient abattu au moins 9 civils dans la zone commerçante de Gasiza, secteur de Birembo (commune de Giciye, préfecture de Gisenyi). Certaines sources ont avancé un nombre de victimes compris entre 20 et 30, mais en fait, au moins 12 d'entre elles auraient été tuées par les soldats de l'APR (cf le chapitre 2.1 ci-dessus).

Le 17 novembre, des groupes armés ont tué 20 à 30 civils appartenant à sept familles différentes, à Mukamira (commune de Nkuli, préfecture de Ruhengeri). Il semble que la plupart des victimes appartenaient à l'éthnie tutsi et étaient revenues au Rwanda après s'être exilées au Zaïre pendant plus de trente ans.

Le 25 novembre, des hommes armés se sont introduits de force dans la maison d'André Ntezilizaza, située dans la cellule de Nyarubuye, secteur de Karama (commune de Mushubati, préfecture de Gitarama) et ont tué sa fille. André Ntesilazaza a, quant à lui, réussi à s'échapper. Il semblerait que cette attaque ait été menée par un groupe d'opposition armé, dont plusieurs membres avaient été tués par les soldats de l'APR quelques semaines auparavant après avoir été dénoncés aux autorités locales par André Ntezilizaza.

Vers le 27 novembre, 8 personnes auraient été tuées au moyen de machettes, de bâtons et d'armes à feu par des groupes armés, près du camp de réfugiés de Mudende, dans la commune de Mutura (préfecture de Gisenyi). Des civils armés, parmi lesquels des réfugiés du camp apparemment, auraient alors vengé leur mort en tuant 18 autres personnes dans les environs. Le camp de Mudende, qui abfrite plusieurs milliers de réfugiés de la RDC, avait déjà été le théâtre d'une attaque le 22 août 1997, durant laquelle des groupes d'opposition armés avaient tué au moins 130 réfugiés congolais, tutsi pour la plupart*.

Aux premières heures du jour, le 11 décembre, des groupes d'opposition armés ont à nouveau attaqué le camp de réfugiés de Mudende, tuant cette fois quelque 300 réfugiés congolais, peut-être plus, dans des circonstances similaires à celles de l'attaque du 22 août**. Parmi les victimes, qui auraient été assassinées au hasard pendant leur sommeil, on comptait de nombreuses femmes, de jeunes enfants et des bébés. Plus de 200 réfugiés auraient été blessés et hospitalisés. Il s'agissait principalement, semble-t-il, de blessures causées par des machettes, mais aussi de blessures par balles. Suite à la première attaque du 22 août, l'APR avait envoyé des renforts pour protéger les réfugiés, mais les soldats auraient été dans l'incapacité de faire face aux assaillants lors de l'attaque du 11 décembre.

On ignore la raison pour laquelle les autorités n'ont pas déplacé les réfugiés dans un endroit plus sûr après la première attaque du 22 août. Le camp de Mudende se trouve à peine à quelques kilomètres de la frontière avec la RDC et dans une zone de la préfecture de Gisenyi qui avait été le théâtre de violentes opérations insurrectionnelles et anti-insurectionnelles. Malgré les appels répétés du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la vulnérabilité évidente de la population du camp de Mudende, les autorités rwandaises n'ont pas pris les mesures nécessaires pour déplacer les réfugiés vers une zone mieux protégée. Le nombre total des victimes du mois de décembre n'a pas encore été confirmé, mais il s'agirait du massacre de civils non armés imputable aux groupes d'opposition armés le plus meurtrier depuis plus de deux ans. Quelques heures à peine après le massacre, des civils tutsi, aidés par des soldats de l'APR, auraient lancé des opérations de représailles massives contre des civils hutus (cf le chapitre 2.1, ci-dessus).

* Cf le rapport d'Amnesty International du 25 septembre 1997 intitulé "Rwanda. Rompre le silence" (AFR 42/37/97).
** Au moment de la rédaction de ce rapport, le nombre total des victimes n'avait pas été confirmé.

3. Les massacres attribués à des individus ou à des groupes non identifiés

Dans les événements relatés ci-après, l'identité de ceux qui ont tué des civils non armés n'a pas encore pu être confirmée. Dans certains cas, les éléments recueillis semblent désigner les soldats de l'APR ou les groupes d'opposition armés, sans qu'il soit possible de définir clairement leur rôle respectif. Dans d'autres, les déclarations des témoins concernant l'identité des auteurs sont contradictoires.

Le 13 octobre, plusieurs paysans ont été tués chez eux, dans le secteur de Bwisha (commune de Nyarutovu, préfecture de Ruhengeri). Parmi les victimes figuraient Gervais Mvunabandi, 72 ans, sa femme Rose Nyampinga, 69 ans, et leur fille Bernadette Kabagema, 36 ans.

Le 5 novembre, des hommes armés non identifiés auraient pénétré dans le marché de Vunga -un important lieu d'échanges commerciaux de Gisenyi-, pillé les étalages et abattu le bétail pour en vendre la viande. Ils auraient ensuite dressé des barrages routiers aux carrefours les plus proches et arrêté les véhicules. Selon certaines sources, les personnes venant de Gitarama n'auraient pas eu le droit de poursuivre leur route; elles auraient été conduites vers une rivière voisine et tuées. Il n'existe aucune explication quant à la raison pour laquelle les personnes originaires de Gitarama auraient été prises pour cibles. Rado Rwanda annonçait que ce jour là, 24 civils avaient été tués par des "infiltrés". D'autres homicides de civils non armés auraient eu lieu à Vunga, le 26 novembre, mais leur nombre demeure inconnu, car les soldats interdisaient apparemment l'accès à cette zone.

Le 13 novembre, cinq véhicules -un taxi public, deux camionnettes et une voiture privée- ont été pris dans une embuscade et brûlés à Ruvunda, secteur de Kimonyi, sur la route allant de Ruhengeri à Gisenyi. On ignore le nombre total des victimes. Certains témoins ont rapporté que les assaillants portaient des uniformes militaires semblables à ceux des soldats de l'APR, mais leur identité n'est toujours pas confirmée*. Plusieurs passagers contraints de sortir de leur véhicule auraient été tués alors qu'ils tentaient de fuir; on compterait au moins trois morts et quatre blessés. Les autres auraient été emmenés vers une destination inconnue.

Dans la nuit du 14 novembre, le directeur d'un collège -l'Institut Député Segatwa Ruhanga- et quatre enseignants ont été tués par des assaillants non identifiée dans la commune de Kibilira (préfecture de Gisenyi).

Lors d'intenses combats qui se sont déroulés sur plusieurs jours, du 16 au 21 novembre, dans la commune de Giciye et aux alentours, entre les soldats de l'APR et les groupes d'opposition armés, des centaines de personnes, dont bon nombre de civils, auraient été tuées. Selon les déclarations officielles, un groupe d'environ 1200 rebelles aurait attaqué un cachot le 17 novembre; 88 détenus pris entre les feux des soldats de l'APR et des rebelles auraient trouvé la mort, tandis que 90 autres se seraient enfuis, laissant la prison déserte. Les autorités ont déclaré que 200 miliciens et deux soldats avaient également été tués.

Les meurtriers des détenus du cachot de Giciye n'ont pas été identifiés. Cependant, Amnesty International et d'autres organisations ont répertorié plusieurs autres cas, entre 1996 et 1997, dans lesquels des détenus ont été sommairement exécutés par les soldats de l'APR dans les mêmes circonstances, à la suite d'attaques de cachots qui auraient été menées par des groupes armés**. Selon une source, lors des affrontements du 17 novembre, environ 80 détenus auraient été emmenés par les soldats de l'APR et contraints d'entrer dans un bâtiment, où ils auraient été fusillés. Selon une autre, les soldats de l'APR auraient attaqué le même jour un autre cachot situé à proximité, et tué 12 détenus.

Le 24 novembre, les corps de six personnes, dont un prêtre, ont été retrouvés dans une forêt du secteur de Nyarutende (commune de Mutura, préfecture de Gisenyi). On ignore l'identité de leurs meurtriers, mais on croit savoir que les victimes avaient été interrogées par des soldats quelques jours plus tôt.

Dans la nuit du 1er décembre, 18 personnes auraient été tuées chez elles, dans le secteur de Nyundo (commune de Kanama, préfecture de Gisenyi). Leurs assaillants étaient munis d'armes à feu, de bâtons et de gourdins.

Le 2 décembre, des groupes armés auraient attaqué un cachot de Rwerere (préfecture de Gisenyi) et libéré une centaine de détenus. Un nombre inconnu de civils auraient été tués, dont un fonctionnaire local.

Le 3 décembre, un nombre inconnu de personnes ont été tuées au cours et à la suite d'une attaque menée par des groupes armés dans la commune de Bulinga (préfecture de Gitarama), qui aursait permis de libérer plus de 500 détenus d'un cachot. Plusieurs bâtiments de la commune ont été brûlés. Au moins dix civils ont été tués : Angélique Mukamana, Marceline Nyirandikubwimana, Marc Ndikubwimana, Judith Mukahigiro, Bernadette Mukangarambe, Janvière Muhimakazi, Dancilla Uwamahoro, Vestine, Grâce et EDmerita Mukashyaka. Trois soldats, deux policiers et quatre membres des groupes armés auraient également été tués. Le 9 décembre, plus de la moitié des détenus qui avaient été libérés sont retournés à Bulinga pour se rendre de leur plein gré aux autorités.

* Dans de tels cas, il est souvent difficile d'établir l'identité des responsables. En règle générale, les témoins les décrivent comme des "hommes en uniforme militaire". On pense cependant que les soldats de l'APR et les membres des groupes d'opposition armés imitent souvent la manière d'opérer de l'autre camp afin de dissimuler leur identité.
** Pour plus de détails, veuillez vous reporter aux deux rapports d'Amnesty International : "Rwanda. Rompre le silence", du 25 septembre 1997 (AFR 47/32/97) et "Rwanda. Recrudescence alarmante des massacres", du 12 août 1996 (AFR 47/13/96).

Informations supplémentaires sur les massacres perpétrés avant octobre 1997

Amnesty International a continué de recevoir des informations concernant les massacres de civils non armés qui se sont produits entre janvier et septembre 1997; certains de ces renseignements portent sur des cas décrits dans son rapport de septembre 1997. L'organisation a notamment recueilli des informations sur deux massacres : les exécutions extrajudiciaires d'un nombre de civils non armés estimé entre 150 et 280 dans les communes de Kigombe, Nyakimana et Mukingo (préfecture de Ruhengeri) les 2 et 3 mars 1997, et les exécutions extrajudiciaires de centaines de personnes sur le marché de Mahoko et aux alentours, dans la commune de Kanama (préfecture de Gisenyi) entre le 8 et le 10 août 1997.

Selon certaines sources, le nombre total de personnes tuées lors des opérations militaires menées dans la préfecture de Ruhengeri les 2 et 3 mars serait plus élevé que le nombre avancé à l'origine. Les habitants ont estimé que 400 à 500 personnes étaient mortes dans la seule commune de Kigombe le 2 mars; parmi elles figuraient Marcel Mundere, Mubewa et ses deux frères Léon et Nambaje. Des soldats auraient conduit un homme dans une plantation de bananes voisine, où ils l'auraient interrogé, soumis à un simulacre d'exécution puis relâché. Par la suite, cet homme aurait été arrêté à nouveau à Kigali.

L'Organisation a également reçu les noms d'autres civils assassinés par des soldats de l'APR au cours des opérations militaires organisées autour du marché de Mahoko, commune de Kanama, les 8 et 9 août. Plusieurs des victimes étaient des commerçants : Nyhimana, son jeune frère Gisaza, leur beau-frère Harelimana, Etienne, Ayigihugu et Rucagu. Emmanuel Burasanzwe, qui avait "disparu" le 10 août après avoir été emmené par les soldats de l'APR, n'avait toujours pas été retrouvé fin novembre. Les enquêtes menées dans toutes les prisons de la région se sont avérées infructueuses; on craint qu'il ne soit mort.

D'autres homicides de civils ont été signalés dans la commune de Kanama. Fin août, par exemple, Nyirabigoli, une femme d'une cinquantaine d'années, aurait été tués à son domicile par les soldats de l'APR, notamment à coup de baïonnette, dans le secteur de Kayove. Des parents ont retrouvé son corps étendu près de la maison. Cette femme a été tuée au lendemain d'affrontements armés qui s'étaient déroulés dans le secteur voisin de Bisizi. De nombreux habitants de Kayove avaient fui pour échapper à la violence, craignant qu'elle ne se propage dans leur secteur. Nyirabigoli était restée seule chez elle. A leur arrivée, les soldats lui auraient demandé pourquoi elle n'avait pas fui comme les autres et l'auraient tuée ensuite.

Fin août également, à la suite du massacre de plus de 130 réfugiés congolais dans le camp de réfugiés de Mudende, le 22 août, des attaques ont été menées à titre de représailles dans la commune de Mutura. Le nombre de personnes tuées lors de ces représailles par des civils tutsi armés est inconnu; selon certaines sources, les soldats de l'APR auraient également participé aux massacres. Parmi les victimes figuraient une jeune femme, Nyirantabire, son mari et plusieurs enfants qui ont péri dans l'incendie de leur maison.

4. Poursuites judiciaires contre les soldats de l'APR accusés de violations des droits humains

Le 12 septembre, un tribunal militaire de Kigali a condamné quatre officiers de l'APR à 28 mois d'emprisonnement, pour le rôle qu'ils avaient joué dans le massacre de plus de 110 civils non armés dans la commune de Kanama (préfecture de Gisenyi) le 12 septembre 1995*. Les accusés ont été acquittés des chefs de meurtre et de complicité de meurtre, et reconnus coupables de non assistance à personne en danger.

Le 31 octobre, huit soldats de l'APR, tenus pour responsables de la mort de leur commandant, on été traduits devant un tribunal de Gitarama. Théoneste Hategekimana, capitaine dans les anciennes Forces armés rwandaises qui avait été intégré dans l'APR en 1995, était commandant de gendarmerie dans la zone de Gitarama-Kibuye. Il a été assassiné par des soldats de l'APR le 24 octobre, à Rugeramigozi, alors qu'il quittait son bureau de la gendarmerie de Gitarama-Kibuye. Il aurait précédemment reçu des menaces de mort et aurait été attaqué physiquement au moins une fois en 1997. Le procureur militaire a requis la peine de mort contre les accusés. Le 20 novembre, quatre d'entre eux ont été condamnés à la détention à perpétuité. Les quatre autres -qui avaient un grade plus élevé- ont été acquittés; parmi eux se trouvait un sous-lieutenant qui, d'après l'accusation, aurait personnellement adressé une menace de mort à la victime. Fait exceptionnel, ce procès a eu lieu très peu de temps après les faits, précisément une semaine après l'assassinat de Théoneste Hategekimana.

Le 1er décembre, six officiers de l'APR ont été jugés par un tribunal militaire de Kigali pour le rôle qu'ils avaient joué dans les tueries de Kigombe (préfecture de Gisenyi), les 2 et 3 mars 1997, au cours desquelles plusieurs centaines de personnes auraient été tuées lors d'une opération militaire (cf le chapitre 3 ci-dessus). Le Major Claver Rugambwa, responsable de l'offensive, a été condamné à 44 mois d'emprisonnement pour ne pas avoir empêché le massacre. Les cinq autres -un lieutenant, trois sous-lieutenants et un sergent- ont chacun été condamnés à cinq ans d'emprisonnement pour recours excessif à la force.

* Pour plus de détails quant aux massacres de Kanama, le 12 septembre 1995, veuillez vous reporter au rapport d'Amnesty International publié en février 1996, intitulé "Rwanda et Burundi. Le retour au pays : rumeurs et réalités" (AFR 02/01/96).

5. Recommandations

Le rapport d'Amnesty International publié en septembre 1997 et intitulé "Rwanda. Rompre le silence" comporte une série de recommandations visant à éviter de nouveaux massacres de civils non armés et d'autres graves atteintes aux droits humains. Elles ont été adressées au gouvernement rwandais, aux chefs des groupes d'opposition armés, aux gouvernements étrangers et aux organisations intergouvernementales. Toutes ces recommandations, qui sont résumées ci-dessous, demeurent valables et urgentes. Une nouvelle fois, Amnesty International prie instamment les parties concernées de les appliquer sans délai.

L'Organisation rappelle notamment au gouvernement rwandais et aux chefs des groupes d'opposition armés opérant au Rwanda que les massacres délibérés de civils non armés ne prenant pas directement part au conflit armé constituent une violation grave des principes de base du droit international humanitaire, tels qu'ils sont formulés dans l'article 3 commun aux CVonventions de Genève de 1949. Il faut que les autorités gouvernementales et militaires, ainsi que les chefs des groupes d'opposition armés, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour que les homicides commis sans discrimination ne soient autorisés en aucune circonstance. La gravité et la brutalité des massacres perpétrés par l'une des parties ne peut en aucun cas justifier les opérations de représailles menées contre des civils par l'autre partie. Les normes internationales exigent que, dans le cadre de l'application de la loi, les civils non armés, et notamment les personnes déplacées pour cause d'insécurité, oient protégés contre les homiciees délibérés et arbitraires.

Le gouvernement rwandais doit en outre autoriser les enquêteurs indépendants des droits humains -à savoir les membres des organisations rwandaises de défense des droits fondamentaux, les journalistes locaux et étrangers ainsi que les membres de l'Opération sur le terrain pour les droits de l'Homme au Rwanda des Nations Unies- à accéder sans restriction et sans danger aux sites qui auraient été la scène de massacres. Le fait que les autorités aient tardé à autoriser, et parfois même aient refusé d'autoriser, les enquêteurs ou les observateurs à se rendre sur les lieux où se seraient produits des atteintes aux droits humains a non seulement empêché que de homicides illégaux fassent l'objet d'une enquête indépendante, mais a peut-être permis aux auteurs des massacres de détruire ou de faire disparaître toute preuve de leurs crimes.

Amnesty International salue le fait que plusieurs soldats de l'APR accusés de violations des droits humains aient été jugés au cours des dernières semaines, et encourage les autorités rwandaises à poursuivre dans cette voie. Afin que de telles mesures soient efficaces à long terme, le gouvernement doit faire en sorte que ces actions en justice ne se limitent pas à quelques cas isolés, mais que tous les membres des forces de sécurité qui auraient ordonné des atteintes aux droits humains, ou qui y auraient participé, fassent systématiquement l'objet de poursuites.

Si les accusés sont reconnus coupables, leur peine devra être proportionnelle à la gravité des faits reprochés. Si les officiers de l'APR qui comparaissent devant le tribunal n'ont pas eux-mêmes exécuté des civils de manière extrajudiciaire ou n'ont pas donné l'ordre de les faire exécuter, les autorités gouvernementales et militaires doivent redoubler d'efforts pour identifier et déférer à la justice les personnes directement responsables de ces exécutions. Amnesty International rappelle au gouvernement rwandais qu'elle s'oppose inconditionnellement à la peine de mort, qu'elle considère être une violation du droit à la vie cautionnée par l'Etat, et lui demande par conséquent de veiller à ce que ce châtiment ne soit ni prononcé ni appliqué.

Les gouvernements étrangers -en particulier ceux qui sont en relation étroite avec le Rwanda- devraient également assumer leurs responsabilités, d'une part en condamnant publiquement les graves atteintes aux libertés fondamentales commises par les forces de sécuroté et les groupes d'opposition armés au Rwanda et, d'autre part, en assurant la mise en place de mesures visant à rétablir le respect des droits humains. Malheureusement, à la date d'aujourd'hui, les gouvernements étrangers proches du gouvernement rwandais n'ont guère pris de mesures efficaces en ce sens, alors qu'ils seraient justement en mesure d'exercer une influence positive. La crise qui continue de sévir au Rwanda est en partie due au fait que ces gouvernements restent passifs et refusent de reconnaître la gravité de la situation des droits humains.

L'ensemble des recommandations d'Amnesty International figurent dans le précédent rapport de septembre 1997, mais les mesures destinées à prévenir de nouveaux massacres de civils sont résumées ci-dessous.

A l'adresse du gouvernement rwandais :

A l'adresse des groupes d'opposition armés opérant au Rwanda :

A l'adresse des gouvernements étrangers et des organisations intergouvernementales :


Amnesty International : Jean-Bosco Barayagwiza ne doit pas échapper à la justice

(AFR 47/20/99, 24 novembre 1999) Amnesty International est préoccupée par le fait que le 3 novembre 1999, la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda a ordonné la libération immédiate de Jean-Bosco Barayagwiza, sans avoir la moindre assurance que les charges retenues contre cet homme, qui est présumé avoir participé au génocide rwandais de 1994, seront examinées par une juridiction nationale. Cette décision pourrait en outre avoir des répercussions considérables sur d'autres affaires dont est saisi le Tribunal.

Amnesty International déplore les irrégularités qui ont entaché la procédure engagée contre Jean-Bosco Barayagwiza, mis en accusation par le Tribunal pour des violations graves du droit international humanitaire, notamment pour génocide et crimes contre l'humanité. En avril 1998, l'organisation de défense des droits humains s'était notamment déclarée préoccupée par le temps considérable qui s'était écoulé sans que sa requête en habeas corpus eût été examinée et sans qu'il eût été présenté à un juge après son transfert au siège du Tribunal, à Arusha, en Tanzanie. (La procédure d'habeas corpus vise à obtenir la comparution immédiate d'un détenu devant une autorité judiciaire, ce qui permet de contester la légalité de la détention et d'envisager ainsi une éventuelle remise en liberté).

Néanmoins, Amnesty International estime que si le procureur devait introduire un recours demandant la réexamen de l'ordonnance de mise en liberté de Jean-Bosco Barayagwiza, la Chambre d'appel pourrait envisager d'autres mesures. Elle pourrait notamment le livrer à des juridictions nationales compétentes pour juger les crimes qu'il est présumé avoir commis. L'Organisation souligne qu'en vertu du principe de juridiction universelle, tout Etat peut poursuivre en justice une personne soupçonnée de génocide ou de crimes contre l'humanité.

Amnesty International croit savoir que Jean-Bosco Barayagwiza est toujours détenu dans le centre de détention du tribunal et s'efforce d'obtenir des éclaircissements sur sa situation juridique.

L'Organisation s'opposerait à ce que Jean-Bosco Barayagwiza soit envoyé dans un pays, quel qu'il soit, où il risquerait de ne pas bénéficier de toutes les garanties prévues par les normes internationales d'équité, et où il encourrait la peine de mort.

Rappel des faits

Jean-Bosco Barayagwiza et plusieurs autres personnes, soupçonnées d'avoir participé au génocide dont le Rwanda a été le théâtre en 1994, ont été arrêtés au Cameroun le 15 avril 1996 à la demande du gouvernement rwandais.

Jean-Bosco Barayagwiza a été l'un des membres fondateurs de la Coalition pour la défense de la République (CDR), parti politique hutu qui affichait des positions extrémistes dans la période précédant le génocide rwandais et dont les sympathisants ont activement participé aux massacres de 1994. Il présidait ce mouvement dans la préfecture de Gisenyi. Il a occupé le poste de directeur des affaires politiques au ministère des Affaires étrangères pendant le génocide, et a été l'un des membres fondateurs de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLMC) qui incitait les Hutu à prendre les armes contre les Tutsi.

En février 1997, les tribunaux camerounais ont rejeté la demande d'extradition de Jean-Bosco Barayagwiza déposée par le Rwanda et ordonné sa libération. Néanmoins, à la requête du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda, il a de nouveau été appréhendé et placé en détention par les autorités camerounaises. Il a ensuite été transféré dans le centre de détention du Tribunal, à Arusha, le 19 novembre 1997, après que six chefs d'accusation eurent été retenus contre lui, notamment ceux de génocide, de complicité dans le génocide et de crimes contre l'humanité.

Jean-Bosco Barayagwiza a contesté la validité des poursuites engagées à son encontre, en faisant valoir que son droit d'être jugé équitablement dans un délai raisonnable avait été violé, et a demandé au Tribunal de déclarer illégales son arrestation et sa détention. La deuxième Chambre de première instance du Tribunal a rejeté cette requête le 17 novembre 1998 et Jean-Bosco Barayagwiza a formé un recours devant la Chambre d'appel du Tribunal. Dans sa décision du 3 novembre 1999, celle-ci a statué que les droits fondamentaux de cet homme avaient été violés de manière répétée, que les poursuites engagées à son encontre devaient par conséquent être abandonnées, et qu'il devait être immédiatement libéré.

En certu de l'accord conclu entre la Tanzanie et les Nations Unies, toute personne libérée du Centre de détention d'Arusha bénéficie d'une période d'immunité de quinze jours durant laquelle il ne peut être de nouveau arrêté par les autorités tanzaniennes. Si Jean-Bosco Barayagwiza est relâché en Tanzanie, les autorités belges pourraient demander son extradition au gouvernement de ce pays.

Amnesty International : La demande de défèrement de Tharcisse Muvunyi et Augustin Ndindiliyimana, émise par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, représente un pas en avant vers la justice

(AI 8.2, AFR 47/04/00) En demandant aux autorités britanniques et belges de lui remettre* respectivement Tharcisse Muvunyi et Augustin Ndindiliyimana, le Tribunal pénal international pour le Rwanda** vient de réaffirmer que les personnes présumées responsables de graves violations des droits humains ne sauraient, où qu'elles se trouvent, se soustraire à la justice, a déclaré le 8 février Amnesty International.

Le lieutenant-colonel Tharcisse Muvunyi, qui était commandant de l'ancienne armée rwandaise dans la préfecture de Butare, dans le sud du pays, a été appréhendé à Londres le 5 février, après que le Tribunal eut émis un mandat d'arrêt international portant ordre de défèrement. Il doit répondre des chefs de génocide et de crimes contre l'humanité.

Cette arrestation succède de peu à celle du général Augustin Ndindiliyimana, ancien chef d'état-major de la gendarmerie. Ce dernier a en effet été interpellé en Belgique le 31 janvier, également à la demande du Tribunal. Il a été inculpé de génocide, de complicité de génocide et de crimes contre l'humanité.

Amnesty International se félicite de la coopération entre les autorités belges et britanniques et le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Elle salue également l'empressement manifesté par les autorités en vue d'exécuter ces mandats d'arrêt.

D'autres pays ont récemment pris des mesures témoignant d'une volonté de renforcer leur coopération avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda. En novembre 1999, l'ancien ministre Jean de Dieu Kamuhanda a été appréhendé en France à la demande du Tribunal et en janvier 2000, la Cour suprême des Etats-Unis a refusé d'examiner un recours contre la remise du pasteur Elizaphan Ntakirutimana à ce même Tribunal. Ces deux hommes demeurent incarcérés, mais n'ont pas encore été transférés au quartier pénitenciaire du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

"Ces arrestations consacrent le principe de justice internationale et illustrent la nécessité de soutenir financièrement, politiquement et moralement le Tribunal pénal international pour le Rwanda et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie", a souligné Amnesty International.

Chacun de ces quatre paxs a adopté une législation permettant d'arrêter et de transférer à ces deux juridictions internationales les personnes accusées des crimes mentionnés. Toutefois, au grand regret d'Amnesty International, la plupart des pays continuent de manquer aux obligations qu'ils ont contractées à cet égard aux termes du droit international. L'organisation demande une nouvelle fois à l'ensemble de ces Etats de se doter d'une législation adaptée.

"L'action menée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, l'arrestation d'Augusto Pinochet à Londres en octobre 1998 et les poursuites pénales récemment engagées au Sénégal à l'encontre de l'ancien président tchadien Hissène Habre témoignent, peut-on espérer, d'une nouvelle détermination des Etats à honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international afin de contribuer à rendre justice aux victimes de violations des droits humains", a conclu l'Organisation.

* Il convient d'établir une distinction entre l'obligation incombant à un Etat, aux termes du droit international, de remettre à une juridiction pénale internationale une personne soupçonnée d'avoir commis un crime internationale, et l'opération consistant à extrader un suspect d'un pays vers un autre. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies portant création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (...), ainsi que le statut de la Cour pénale internationale, font obligation aux Etats d'arrêter et de transférer les individus recherchés par ces tribunaux pour des crimes internationaux, tels que le crime de génocide ou les crimes contre l'humanité. Les Etats ne peuvent se soustraire à ces obligations (...). (en revanche) L'extradition d'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime dans un pays tiers dépend en grande partie de l'existence d'un accord bilatéral. (...) Un Etat peut rejeter une demande d'extradition qui lui a été soumise (...).

** Le Tribunal pénaé international pour le Rwanda, dont le siège se trouve à Arusha (Tanzanie) a été créé en novembre 1994. Il est chargé de juger les individus soupçonnés de s'être rendus responsables de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre en 1994 au Rwanda, où un million de personnes ont été massacrées. A ce jour, ce Tribunal a condamné sept personnes à des peines d'emprisonnement.


Amnesty International : Quand l'armée outrepasse ses pouvoirs

Des civils placés en détention arbitraire et illégale et torturés au camp militaire de Mukamira

(AI AFR 47/01/00) A la fin du mois de septembre 1999, six civils ont été appréhendés par des soldats de l'Armée patriotique rwandaise (APR) et placés en détention au camp militaire de Mukamira, dans la préfecture de Ruhengeri, située au nord-ouest du pays. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, des soldats ont tortuté plusieurs d'entre eux et les ont soumis à d'autres formes de mauvais traitements. L'un des hommes, Frodouald Ngaboyisonga, est mort des suites de ses blessures, et d'autres détenus ont souffert de graves séquelles après avoir été roués de coups. Leur cas est révélateur de pratiques qui ont cours au Rwanda : ainsi, il n'est pas rare que des civils soient détenus de manière illégaler aux mains de militaires, souvent sur de longues périodes, et torturés ou soumis à d'autres formes de mauvais traitements par les soldats de l'APR.

Les six hommes, qui travaillaient à l'usine de traitement de feuilles de thé de Nyabihu dans la commune de Karago, préfecture de Gisenyi, étaient accusés du vol d'une machine survenu le 24 septembre. Ils ont été interpellés par l'APR, alors même qu'aucun élément ne permettait, semble-t-il, de conclure à leur culpabilité, et que l'affaire relevait clairement de la compétence de la gendarmerie ou des autorités civiles rwandaises.

Les arrestations se sont déroulées le matin du 28 septembre. Un membre de l'ASPR s'est rendu à l'usine et a ordonné à cinq employés d'ôter leurs chaussures et de s'asseoir à même le sol. Leur responsable ayant cherché à savoir ce qui se passait, le soldat a expliqué que les cinq hommes étaient en état d'arrestation dans le cadre de l'enquête sur le vol.

Parmi les personnes appréhendées figuraient, outre Froduald Nyaboyisonga, conducteur et mécanicien proche de la quarantaine, Jean-de-Dieu Hakizamana, conducteur auxiliaire, Gakezi, gardien de l'usine, Jean-Bosco Byiringu, opérateur sur machines, et Thomas Ngarambe, conducteur et mécanicien. Le soldat a déclaré aux hommes que même s'ils n'avaient pas eux-mêmes commis le forfait, ils devaient en être complices dans la mesure où ils travaillaient près de la machine au moment de sa disparition. Il a menacé de les faire tuer s'ils ne la restituaient pas et ce, qu'ils l'aient volée ou non. Il aurait été jusqu'à frapper Froduald Nyaboyisonga, avec tant de force que celui-ci serait tombé en arrière.

Les cinq hommes ont passé le restant de la journée assis dehors, pieds nus et privés de nourriture, avant d'être conduits en camion au camp militaire de Mukamira aux environs de 18 heures. Le 29 septembre, un sixième employé de l'usine qui était absent la veille, Cyridion Hakazimana, chauffeur du directeur de l'établissement, a également été appréhendé par les forces armées et emmené au camp de Mukamira.

Sur place, les hommes ont été roués de coups, les soldats exigeant des "aveux". Ils ont subi un traitement particulièrement brutal le 29 septembre au matin : ils ont été conduits séparément dans une salle d'interrogatoire et passés à tabac. Dans un cas au moins, l'interrogatoire a duré environ deux heures et le détenu a été roué de coups de fouet et de verges. Le soldat chargé de l'interrogatoire a affirmé que d'autres ouvriers l'avaient accusé du vol de la machine, mais quand l'homme a demandé à leur être confronté, le militaire a refusé. L'homme a eu beau répéter qu'il ignorait où se trouvait la machine, le soldat lui a dit que ses codétenus et lui risquaient la mort s'ils ne la restituaient pas. A un moment, rendu fou de douleur, l'homme a crié qu'il préférait la mort.

Pendant une bonne partie de sa détention, cet homme a été placé dans une cellule en compagnie de 11 autres personnes, dont deux de ses camarades de travail. Ils devaient utiliser un bidon en guise de toilettes et certains d'entre eux étaient menottés. Lui-même a rapporté avoir été privé de nourriture pendant les quatre premiers jours, et n'avoir reçu que de l'eau. Par la suite, sa famille a été autorisée à lui apporter de quoi manger. L'homme a relaté avoir été interrogé quotidiennement et régulièrement battu par différents soldats, dont celui qui avait procédé à l'arrestation des cinq hommes sur leur lieu de travail.

L'un des six employés de l'usine, Jean-Bosco Byiringiru, a été libéré au bout de deux jours, le 30 septembre. Les cinq autres ont été maintenus en détention près d'un mois durant; ils ont fini par être libérés le 25 octobre. Aucune inculpation n'a été prononcée à leur encontre, et il semble que les autorités judiciaires compétentes n'aient jamais été notifiées de leur arrestation ni de leur détention. Au moment de leur libération, on leur a annoncé qu'ils étaient relâchés faute de preuves, mais que les enquêtes suivraient leur cours. Alors qu'ils quittaient le camp, les soldats les ont de nouveau menacés, leur disant qu'ils seraient emmenés à Ruhengeri "pour y mourir".

Après sa libération, Frodouald Nyaboyisonga a été admis à l'hôpital de Ruhengeri. Selon des témoins, il souffrait de lésions internes et son corps et son visage étaient fortement tuméfiés. Le 11 novembre, quelques jours après avoir quitté l'hôpital, Frodouald Nyaboyisonga est mort à son domicile de Byumba, apparemment des suites des coups qu'il avait reçus au camp de Mukamira.

Après sa libération, Jean-de-Dieu Hakizimana a, quant à lui, continué de ressentir des douleurs à l'abdomen et aux bras; il est incapable de soulever des objets lourds et éprouve encore des difficultés à aller aux toilettes. Cyridion Hakuzimana a eu ce même problème plusieurs jours après sa libération.

La machine volée a fini par être retrouvée à Kabaya, et la gendarmerie a arrêté un ouvrier et un gardien de l'usine. Il semble qu'aucun des employés initialement appréhendés par l'APR n'ait été impliqué dans le vol.

Depuis le mois d'octobre 1999, cette affaire a été soumise directement aux autorités rwandaises, à trois reprises au moins. Toutefois, à la connaissance d'Amnesty International, les autorités n'ont à ce jour pris aucune mesure en vue d'ouvrir une enquête ou de traduire en justice les membres des forces armées présumés responsables.

Le directeur de l'usine s'est plaint de ces arrestations au commandant régional, qui a affirmé ne pas en avoir eu connaissance; à l'occasion d'un autre entretien, cette fois en présence du commndant du camp de Mukamira, le responsable régional a déclaré que les soldats n'étaient pas autorisés par la loi à procéder à des arrestations, que des civils ne devaient pas être détenus dans des établissements militaires ni maltraités, et que les soldats responsables devaient être déférés à la justice. Le commandant du camp de Mukamira a déclaré avoir été absent au moment des faits, mais avoir su que les hommes avaient été incarcérés dans le camp.

Le 18 novembre 1999, des délégués de l'Organisation ont rencontré à Kigali le général Kayumba Nyamwasa, chef d'état--major de l'APR, et ils ont évoqué, entre autres, le cas des six hommes. Le général Kayumba Nyamwasa a reconnu que l'armée n'avait pas à intervenir dans les affaires civiles; il a en outre assuré les délégués d'Amnesty International que l'enquête suivrait son cours et que les soldats responsables auraient à répondre de leurs actes devant la justice. Le 19 novembre 1999, les représentants de l'organisation de défense des droits humains ont également mentionné cette affaire au cours d'une rencontre avec l'Auditeur militaire, le lieutenant-colonel Andrew Rwigamba, qui a convenu que le vol de matériel sur un emplacement civil ne relevait pas de l'armée. Il a déclaré qu'il ne cautionnerait pas les actions de l'APR dans cette affaire et certifié aux délégués d'Amnesty International qu'il veillerait à ce qu'une enquête approfondie soit menée. L'Organisation s'est félicitée des engagements pris par ces deux officiers supérieurs, directement responsables des questions militaires. Toutefois, en janvier 2000, aucune enquête n'avait, à sa connaissance, été ouverte sur les faits survenue à Nyabihu et dans le camp militaire de Mukamira.

D'autres civils (on ignore leur nombre exacvt) seraient illégalement détenus par l'armée dans différentes régions du Rwanda -dans des centres de détention militaires, des casernes ou des lieux de détention non reconnus. Les mauvais traitements et la torture des détenus sont monnaie courante dans les camps militaires. Parmi les personnes détenues par l'armée, nombreuses sont celles qui n'ont pas été inculpées ou dont la détention n'a été soumise à aucune forme de contrôle de la part d'une autorité judiciaire. Depuis 1997, des centaines de personnes ont "disparu" au Rwanda et, bien que le nombre de cas signalés ait diminué en 1999, ils n'ont dans leur majorité jamais été élucidés. Il y a lieu de croire que certains "disparus" sont toujours en vie, incarcérés dans des centres de détention militaires. Dans la plupart des cas, il est impossible de vérifier l'identité ou le nombre exact des personnes détenues aux mains de l'armée, car les autorités militaires ont coutume de les priver de tout contact avec leurs proches et d'interdire les visites d'organisations de défense des droits humains et d'organisations humanitaires -y compris le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

A l'instar d'autres prisons et centres de détention au Rwanda, les conditions de vie dans les centres de détention militaires équivalent dans bien des cas à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des personnes qui avaient été détenues aux mains de l'armée ont fait état de l'insalubrité et du manque de nourriture et de soins médicaux. Au vu de ces mauvaises conditions, auxquelles s'ajoutent les effets des mauvais traitements et les menaces, ainsi que l'interdiction faite aux gences indépendantes de se rendre sur place, Amnesty International éprouve de vives craintes pour la sécurité de l'ensemble des personnes détenues aux mains de l'armée au Rwanda.

Amnesty International exhorte les autorités rwandaises à :


Amnesty International : Le fonctionnement cahotique de la justice rwandaise

(AI AFR/47/015/00) Dans un rapport publié le 26 avril, Amnesty International déclare que, six ans après le génocide de 1994 qui a coûté la vie à près d'un million de personnes au Rwanda, environ 125'000 détenus languissent toujours en prison dans des conditions inhumaines.

"Bien que le gouvernement rwandais ait pris quelques mesures pour régler le nombre considérable de dossiers en attente de jugement, il n'y pas respecté ses engagements de libérer tous les prisonniers contre lesquels il n'existe aucun élément de preuve ou dont la détention est illégale", affirme l'Organisation. "Les autorités ont au contraire introduit à plusieurs reprises, en violation flagrante du droit international, des modifications de textes législatifs prolongeant la durée de la détention provisoire".

Le rapport, qui contient des informations recueillies au cours d'une visite au Rwanda à la fin de 1999, expose les caractéristiques suivantes de la détention dans ce pays :

Le maintien en détention pendant plusieurs années sans jugement

C'est ainsi que, parmi d'autres, Sylvestre Kamali, un ancien diplomate arrêté en juillet 1994, est détenu depuis plus de cinq ans et demi sans jugement dans la prison centrale de Kigali.

L'arrestation de personnes peu après leur remise en liberté, dans certains cas après leur acquittement par un tribunal

C'est le cas, entre autres, de Théodore Munyangabe, un ancien fonctionnaire de l'administraztion locale de Cyangugu qui était incarcéré depuis 1995. Acquitté en juillet 1999, il a presque aussitôt été placé en résidence surveillée avant d'être à nouveau transféré au mois de septembre à la prison centrale de Cyangugu où il reste détenu à ce jour.

Canisius Shyirambere et Aloys Havugimana, anciens employés de l'Office rwandais du tourisme et des parcs nationaux qui avaient été condamnés à mort en octobre 1998, ont été acquittés en appel en août 1999. Ils n'ont toutefois pas été remis en liberté et étaient toujours incarcérés au début de l'année 2000 dans la prison centrale de Ruhengeri.

Les conditions de détention qui constituent souvent un traitement cruel, inhumain ou dégradant

La surpopulation extrême, le manque d'hygiène et de soins médicaux appropriés, continuent de provoquer des maladies et des morts en détention. Les prisonniers détenus dans les cachots communaux ne sont même pas nourris par l'Etat et ils dépendent entièrement de leur famille pour survivre. Dans bien des cas, tous leurs proches sont morts ou sont eux-mêmes incarcérés.

La torture et les mauvais traitements

Ces violations des droits humains sont surtout perpétrées dans les cachots communaux et dans les centres de détention de l'armée où les prisonniers sont régulièrement battus. Les sévices infligés dans ont dans certains cas entraîné la mort des victimes.

C'est ainsi que Félicien Gasana, ouvrier dans une entreprise de bâtiment, est mort en août 1999 des suites des mauvais traitements qu'il a subis dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Nyamirambo à Kigali. Frodouald Ngaboyisonga, chauffeur et mécanicien dans une usine de thé de Gusenyi, est mort en novembre 1999 après avoir été torturé pendant sa détention au camp militaire de Mukamira. Amnesty International a soumis ces cas de torture et de mauvais traitements aux autorités rwandaise mais elle n'a eu connaissance d'aucune mesure visant à traduire les responsables présumés en justice.

La détention illégale de civils par l'armée, éventuellement dans des centres de détention non officiels et secrets.

Les proches des prisonniers ainsi que les membres des organisations humanitaires et de défense des droits humains ne sont pratiquement jamais autorisés à les rencontrer. Parmi les personnes détenues par l'armée figurent des hommes et des femmes arrêtés de l'autre côté de la frontière avec la République démocratique du Congo et accisés d'espionnage en faveur du gouvernement de ce pays*.

Amnesty International a également exprimé sa préoccupation à propos de certains aspects du système judiciaire rwandais et notamment de l'application de la peine de mort à l'issue de procès inéquitables. "Nous appelons le gouvernement rwandais à poursuivre les améliorations de la procédure constatées depuis 1998, à garantir à tous accusés un procès équitable et à proclamer un moratoire sur les exécutions", a-t-elle déclaré.

Le système de gacaca

Le gouvernement envisage d'introduire un nouveau système, appelé "gacaca", au terme duquel seraient traités la majorité des cas de génocide. Ce système serait assez vaguement basé sur ce que les autorités décrivent comme un système traditionnel de justice dans lequel la population locale serait appelée à juger les personnes accusées de participation au génocide.

Même si l'organisation de procès au niveau local selon le système de "gacaca" peut éventuellement encourager des personnes à témoigner sur les faits dont elles ont été les témoins directs pendant le génocide, Amnesty International est préoccupée par le fait que :

"Le projet de loi concernant le système de "gacaca" doit être amendé de façon à empêcher toute nouvelle atteinte aux normes de la justice au Rwanda", conclut Amnesty International.

* L'opposition armée en République démocratique du Congo est soutenue par le Burundi, le Rwanda et l'Ouganda, tandis que les forces gouvernementales ont le soutien de l'Angola, de la Namibie, du Zimbabwe et, selon certaines sources, du Soudan.

RWANDA :

LE COURS PERTURBÉ DE LA JUSTICE

Rapport d’Amnesty International, mai 2000

 

TABLE DES MATIÈRES

Six ans après le génocide et les massacres qui ont coûté un million de vies au Rwanda en 1994, environ 125'000 personnes sont détenues dans les centres de détention et les prisons du pays. La plupart sont accusées de participation au génocide. Les droits fondamentaux d’un grand nombre de ces détenus sont bafoués. Beaucoup ont été arrêtés arbitrairement et illégalement. Certains ont été remis en liberté, mais arrêtés de nouveau au bout de quelques jours ou de quelques semaines. D’autres sont restés en prison alors que les tribunaux les avaient officiellement acquittés. De plus, un nombre indéterminés de civils sont illégalement détenus par des militaires.

Les conditions d’incarcération, dans beaucoup de prisons du Rwanda, équivalent à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Le surpeuplement massif, les mauvaises conditions d’hygiène et la pénurie de soins médicaux, ainsi que la nourriture insuffisante, continuent à entraîner un grand nombre de maladies et des milliers de morts. La torture et les mauvais traitements sont pratique courante, particulièrement dans les centres de détention locaux et les lieux appartenant à l’armée.

Les autorités rwandaises ont pris quelques mesures pour traiter le nombre considérable d’affaires en instance de jugement et pour réduire la population carcérale. Cependant, en dépit de la libération de milliers de prisonniers, le gouvernement n’a pas tenu ses engagements de libérer tous les détenus contre lesquels il n’existe aucun élément de preuve, ni les détenus très jeunes, très âgés ou malades. Au lieu de cela, il a, à plusieurs reprises, prolongé la durée de la garde à vue, ce qui est de toute évidence une infraction au droit international.

Confronté à des problèmes considérables, faisant suite au génocide, le Rwanda a fait des progrès considérables en ce qui concerne le nombre des jugements rendus. Il n’en est pas moins vrai que le nombre de personnes ayant à ce jour été jugées -même rapproché des quelques milliers de personnes remises en liberté- n’a guère fait de différence dans l’ensemble des personnes détenues préventivement. Certains procès au Rwanda ne répondent toujours pas aux normes internationales d’équité. Les accusés ne bénéficient toujours que d’une assistance juridique limitée ; des cas de pression et d’intimidation exercées sur les témoins de l’accusation et de la défense sont régulièrement signalés ; les audiences des procès et des appels sont repoussées à de nombreuses reprises ; et les rescapés du génocide, ainsi que les familles des victimes, n'ont toujours pas obtenu les indemnités que l'Etat leur a promises à de nombreuses reprises. Le mécontentement et la frustration devant ce qui semble être le rythme lent des procès ont été exprimés aussi bien par les rescapés du génocide que par les accusés. Amnesty International est également préoccupée par le fait qu’un grand nombre de condamnations à mort continuent d’être prononcées, même à l’issue de jugements manifestement inéquitables.

Dans une tentative de soulager les tribunaux existants, le gouvernement a récemment proposé de mettre en place un nouveau système appelé gacaca -basé, en théorie, sur un modèle traditionnel de justice participative- destiné à traiter la plus grande partie des affaires de génocide. Mais, à moins que des modifications ne soient apportées au projet de loi sur la gacaca, le système envisagé ne répondra pas aux normes internationales en matière d’équité des procès, ce qui fait craindre que les critères selon lesquels la justice est rendue ne soient encore moins rigoureux.

En publiant le présent rapport, Amnesty International se propose de faire connaître la situation tragique de dizaines de milliers de prisonniers, ainsi que les effets négatifs sur les victimes et rescapés du génocide, qui attendent que justice leur soit rendue, des délais prolongés avant la comparution des suspects devant les tribunaux. Ce rapport comporte un certain nombre de recommandations aux autorités rwandaises, recommandations dont la mise en œuvre rapide et systématique conduirait à diminuer de façon significative l’arriéré des affaires en instance, en traduisant en justice ceux contre lesquels il n’existe pas de preuves ou qui ont été arrêtés et détenus arbitrairement ou illégalement.

Amnesty International ne se prononce pas sur la culpabilité ou l’innocence des personnes accusées de génocide ; ce que cherche l’Organisation, c’est que les victimes du génocide et leurs familles obtiennent que justice leur soit rendue, que les droits des accusés et des détenus soient respectés, et que l’indépendance des instances judiciaires soit confirmée.

 

 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

Justice et droits de l’homme après le génocide

Les procès pour génocide

PRATIQUE SYSTÉMATIQUE DES ARRESTATIONS ET DES DÉTENTIONS

Légalisation des détentions arbitraires

Cas de prisonniers détenus sans procès depuis plusieurs années

Arrestations politiques et arbitraires

Les conditions de détention

Torture et mauvais traitement infligés aux détenus

Détention de civils dans les prisons militaires

PRATIQUE SYSTÉMATIQUE DES LIBÉRATIONS SUIVIES DE NOUVELLES ARRESTATIONS

Contexte des libérations

Les enfants

Les personnes âgées

Après la libération

-arrestations

Nouvelles arrestations après jugement et acquittement

Assassinats de détenus libérés et de leurs proches

IMPOSITION DE LA PEINE DE MORT

LES PROPOSITIONS DE GACACA

RECOMMANDATIONS

Arrestations, détention et libérations

Torture, mauvais traitements et conditions carcérales

Détention militaire

Procès inéquitables et imposition de la peine de mort

Les juridictions de Gaçaça

INTRODUCTION

Justice et droits de l’homme après le génocide

Six ans après le génocide et les massacres qui ont coûté un million de vies au Rwanda entre avril et juillet 1994, environ 125'000 détenus languissent toujours, dans des conditions inhumaines, dans les centres de détention et les prisons du pays. La plupart d’entre eux sont accusés d’avoir participé au génocide. Beaucoup sont détenus depuis plusieurs années sans procès et sans qu’aucune preuve n’ait été retenue contre eux. Un grand nombre d’entre eux ont été arrêtés de manière illégale et arbitraire. Certains ont été libérés et arrêtés de nouveau dans les jours ou les semaines qui ont suivi ; d’autres encore ont été maintenus en prison après avoir été officiellement acquittés par les tribunaux. Beaucoup de détenus ont été maltraités ou torturés. Un nombre indéterminé de civils sont détenus illégalement dans les prisons militaires.

Les autorités rwandaises ont pris certaines mesures pour faire face au grand nombre de procès en attente et pour réduire la population carcérale. Plusieurs milliers de personnes ont été libérées -une décision chargée de signification politique après le génocide. Cependant, le gouvernement n’a pas encore tenu sa promesse de libérer ceux contre qui ne pèse aucune preuve, les très jeunes enfants, les vieillards et les malades. En revanche, à plusieurs reprises, il a allongé la durée de la détention provisoire, violant ainsi le droit international. Le gouvernement a proposé la mise en place d’un nouveau système appelé gacaca -basé en théorie sur un modèle traditionnel de justice participative- pour faire face au nombre considérable de cas de génocide, amplifiant ainsi les craintes de voir bafouer une fois de plus les règles élémentaires de la justice.

Ce rapport insiste sur les inquiétudes entretenues à propos des droits de l’Homme, dans les domaines des arrestations, des incarcérations, du traitement des détenus, des libérations, de la peine de mort et du système judiciaire en général au Rwanda. Ces inquiétudes sont basées sur les informations recueillies par Amnesty International durant la visite qu’elle a effectuée au Rwanda en octobre et novembre 1999, et sur celles qui lui sont parvenues avant et après cette visite. Alors que la situation des détenus a, d’une certaine manière, évolué pendant ces dernières années, elle a, au fond, à peine changé. Quelques uns des cas décrits dans ce rapport datent des années 1994 et 1995 mais requièrent toujours notre particulière attention.

Depuis juillet 1994, le Rwanda a dû faire face à l’énorme défi qui consistait à essayer de rendre la justice en ce qui concerne ce génocide, tout en reconstruisant un système judiciaire déjà faible qui avait été complètement détruit pendant la guerre. L’importance du génocide qui a affecté le pays tout entier et presque tous les citoyens -comme victimes ou comme coupables- a placé le Rwanda devant des obstacles d’une difficulté sans précédent. Des efforts significatifs ont été faits, avec l’assistance de la communauté internationale, pour commencer à relever ces défis. Cependant un pays qui a subi un tel carnage ayant entraîné souffrances et traumatismes ne peut prétendre se relever rapidement.

Dans ce contexte, la question des droits de l’Homme revêt une très grande importance. Depuis 1994, Amnesty International a, à plusieurs reprises, demandé que les coupables du génocide soient traduits en justice, soit devant les tribunaux rwandais, soit devant le TPIR, Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR, International Criminal Tribunal for Rwanda), mis en place par les Nations Unies, et a insisté pour que les gouvernements étrangers et les organisations intergouvernementales assument leurs responsabilités en la matière. AI a aussi demandé au gouvernement rwandais de respecter lui-même les droits de l’homme, à la fois en assurant une justice équitable dans ces affaires de génocide et en se gardant de nouvelles violations des droits de l'Homme.

La plupart des détenus au Rwanda, dont les droits fondamentaux sont actuellement violés, sont accusés d’avoir participé au génocide. Amnesty International ne se prononce pas sur la culpabilité ou l’innocence des personnes ; elle demande que les victimes du génocide et leurs familles reçoivent justice, que les droits des accusés et des détenus soient respectés et que l’indépendance de la justice soit affirmée.

Les arrestations en masse de ceux qui étaient soupçonnés d’avoir participé au génocide ont débuté, dès que le Front patriotique rwandais (FPR) eut formé un gouvernement en juillet 1994, et se sont poursuivies depuis dans des proportions variables. On a constaté le plus grand nombre d’arrestations dans la période qui a suivi immédiatement le génocide, avec pour conséquence un accroissement spectaculaire des incarcérations en 1994 et 1995 et des milliers de décès dus aux conditions de vie inhumaines dans les prisons. Bien que le rythme des accusations ait décru récemment, on enregistre encore des interpellations basées sur l’accusation de participation au génocide.

Aux 125'000 personnes détenues dans les prisons officielles et les centres de détention, s’ajoutent un nombre indéterminé de prisonniers -civils et militaires- qui sont détenus dans des centres militaires. Les conditions de vie dans beaucoup de prisons et de centres de détention au Rwanda constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant infligé à la population carcérale. La surpopulation, l’absence d’hygiène et de soins médicaux, et l’insuffisance de nourriture sont les causes du développement des maladies et de milliers de décès. Les mauvais traitements subis par les prisonniers sont pratiques courantes, spécialement dans les cachots communaux (centres de détention locaux) et les sites militaires.

Amnesty International diffuse ce rapport pour souligner la situation critique de ces dizaines de milliers de détenus, et attirer l’attention sur l’impact désastreux des longs délais qui s’écoulent avant que les suspects ne soient présentés au juge et avant que les victimes et les rescapés du génocide n’obtiennent justice. Ce rapport a pour but aussi d’encourager les autorités à prendre des mesures adéquates et à mettre en place les réformes qui pourraient constituer un réel progrès dans le jugement de ceux contre qui sont relevés de sérieuses preuves de participation au génocide ou à tout autre acte criminel, et permettraient également de relâcher rapidement ceux contre qui n’existe aucune preuve ou qui ont été arrêtés arbitrairement et illégalement et sont toujours détenus.

Les procès pour génocide

Les procès pour participation au génocide ont débuté au Rwanda en décembre 1996. En janvier 2000, plus de 2500 personnes avaient déjà été jugées. Parmi elles, environ 370 ont été condamnées à mort, environ 800 à l’emprisonnement à vie, environ 500 acquittées et le reste condamnées à diverses peines d’emprisonnement. 22 personnes reconnues coupables de participation au génocide ont été exécutées en public le 24 avril 1998.

L’équité des procès a varié au fil du temps et en fonction des différentes régions du pays. Alors que la première vague de procès pour génocide -de décembre 1996 à la presque totalité de 1997- a été caractérisée par de graves violations des normes internationales pour un procès équitable, on a constaté depuis 1998 une amélioration dans le déroulement des procès : par exemple, un plus grand nombre d’accusés ont pu se faire assister d’un avocat ; les tribunaux ont entendu davantage de témoins à charge et à décharge ; les juges ont fait un réel effort pour conduire les débats avec impartialité.

Cependant, un grand nombre de question fondamentales sont toujours posées, en raison du contexte hautement politique dans lequel se déroule l’après-génocide, du nombre impressionnant de cas et de la pénurie dramatique de juges et d’avocats qualifiés et expérimentés. Parmi les principales difficultés : le fait que les accusés ne peuvent obtenir une assistance légale q qu’une fois le procès ouvert - ils ne sont assistés dans aucune des étapes de la procédure d’instruction ; les pressions et les intimidations exercées sur les témoins à charge ou à décharge sont régulièrement signalées ; les procès sont à plusieurs reprises reportés ; la procédure d’appel est souvent très longue ; les rescapés du génocide et les familles des victimes n’ont toujours pas obtenu les dédommagements promis par l’Etat. Le sentiment d’insatisfaction et de frustration face à la lenteur des procès a été exprimé à la fois par les rescapés du génocide et les accusés.

L’un des procès les plus connus à ce jour est celui d’Augustin Misago, évêque catholique de Gikongoro. Il a été arrêté le 14 avril 1999 après que l’ancien président, Pasteur Bizimungo, l’eut accusé publiquement de participation au génocide. Augustin Misago est le membre le plus important de l’église catholique à avoir été arrêté au Rwanda. Son procès a commencé en août 1999 et n’est toujours pas terminé. L’essentiel de la procédure semble avoir été respecté au cours de son procès, à la différence de plusieurs autres procès décrits dans ce rapport et les autres communications d’Amnesty International. Cependant, Augustin Misago sera presque certainement condamné à la peine de mort s’il est reconnu coupable dans le contexte politique qui pourrait influencer le jugement, en particulier le fait qu’il a été dénoncé publiquement par le chef de l’Etat -une déclaration qui pourrait probablement jouer contre la présomption d’innocence et faire pression sur les juges pour qu’il soit condamné.

Amnesty International reconnaît que le Rwanda a fait des progrès significatifs en ce qui concerne le nombre de procès pour génocide, particulièrement au regard des énormes obstacles pratiques, financiers et politiques que le pays avait -et a encore- à surmonter. Néanmoins, le nombre de personnes jugées jusqu’ici, même en comptant les quelques milliers qui ont été libérées, ne représente qu’une petite partie de l’ensemble des détenus en attente de leur procès. Des mesures plus radicales sont nécessaires en urgence pour régler ces problèmes. Ce rapport contient un certain nombre de recommandations qui, si elles étaient rapidement et systématiquement mises en application, permettraient de réduire le nombre de cas en instance, tout d’abord par la libération de ceux qui n’auraient jamais dû être arrêtés, ensuite en prévenant les arrestations et détentions arbitraires. Le gouvernement rwandais lui-même a avancé plusieurs autres propositions dont l’introduction des " juridictions gacaca " pour alléger la charge des tribunaux (voir chapitre V ci-dessous). Amnesty International insiste auprès du gouvernement pour qu'il veille à ce que ces mesures de réforme et toutes autres qu'il pourrait prendre respectent les normes internationales d'un procès équitable et les droits fondamentaux des accusés ou des victimes du génocide.

Il est demandé au Rwanda d’agir conformément aux obligations qu’il a contractées en ratifiant les traités internationaux sur les droits de l’homme. La législation nationale rwandaise et son application doivent être conformes au droit international. Les traités sur les droits de l’homme ratifiés par le Rwanda comprennent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), le Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et la Charte africaine relative aux droits de l’homme et des peuples (Charte africaine).

Alors que le PIDCP prévoit des dérogations durant l’état d’urgence ou dans des situations de guerre, certains droits fondamentaux précisée dans l’Article 4 ne peuvent faire l’objet de dérogation même en temps de guerre ou durant l’état d’urgence. Le droit à un procès équitable, bien que non mentionné dans l’article 4, peut être considéré comme un droit auquel on ne peut déroger, du fait qu’il est protégé par l’Article 3 commun aux Conventions de Genève. Le Rwanda n’a pas sollicité de dérogation aux droits stipulés dans le PIDCP, on lui demande donc de mettre en application toutes ses dispositions. De plus, la Charte africaine ne permet aucune dérogation, même en temps de guerre ou sous l’état d’urgence.

Parallèlement aux tribunaux rwandais, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mis en place par les Nations Unies en novembre 1994, a ouvert des procès à Arusha, Tanzanie, mettant en cause des personnes soupçonnées d’avoir joué un rôle important dans le génocide. En février 2000, 38 personnes, dont plusieurs membres importants de l’ancien gouvernement et des forces de sécurité, étaient détenues dans le centre de détention du TPIR à Arusha, et plusieurs autres étaient emprisonnées dans d’autres pays dont la Belgique, la Danemark, la France, le Royaume Uni et les Etats-Unis en attendant d’être traduites devant le TPIR. Sept procès ont eu lieu à Arusha : cinq accusés ont été condamnés à perpétuité et deux autres à des peines d’emprisonnement allant de 15 à 25 ans.

En novembre 1999, dans une décision très controversée, la Chambre d’appel du TPIR a ordonné la libération de Jean-Bosco Barayagwiza, ancien conseiller politique au Ministère des Affaires étrangères, qui était membre fondateur de la Radio télévision libre des mille collines, une station qui avait incité à la haine raciale contre les Tutsi ; il était aussi leader de la Coalition pour la défense de la République (CDR), parti extrémiste dont les partisans ont participé activement au génocide. La Chambre d’appel a déclaré que les irrégularités de procédure durant la détention provisoire avaient enfreint les droits de l’accusé à un procès équitable. Amnesty International a exprimé ses préoccupations face à une libération décidée sans aucune assurance que les accusations retenues seraient prises en compte par un tribunal national. Le 31 mars 2000, la Chambre d’appel a cassé sa propre décision sur la base de nouveaux faits qui lui ont été présentés. La Cour a décidé qu’il devait être jugé par le TPIR mais que les violations de ses droits devaient être prises en compte.

PRATIQUE SYSTÉMATIQUE DES ARRESTATIONS ET DES DÉTENTIONS

Légalisation des détentions arbitraires

En trois occasions -et tout récemment en décembre 1999- le Rwanda a fait voter des lois ou des amendements (modifications au code de procédure pénale) concernant la durée de la détention provisoire. Pour faire face à la tâche écrasante consistant à poursuivre en justice des dizaines de milliers de personnes soupçonnées de génocide, une loi a été adoptée en septembre 1996 précisant que la détention de toutes les personnes incarcérées devait être légalisée avant la fin de 1997. Cette loi a été amendée le 26 décembre 1997 pour étendre la durée légale de la détention provisoire jusq8’à la fin de 1999. Le 31 décembre 1999, elle a été de nouveau amendée pour permettre un allongement de cette durée de 18 mois, c’est-à-dire jusqu’au 30 juin 2001.

Ces lois et amendements successifs qui ont effectivement légalisé la durée de la détention provisoire qui a été portée à 7 ans constituent une violation flagrante des obligations des traités internationaux. L’article 9(3) du PIDCP affirme que tout individu doit demeurer libre en attendant son procès. " La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle ". Le Comité des droits de l’homme dans son commentaire général 8 a rappelé que " la détention provisoire doit être une exception aussi courte que possible ". De plus, l’article 9(3) du PIDCP rappelle le droit pour toute personne à obtenir d’être jugée dans un délai raisonnable ou d’être libérée. " Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ".

La Charte africaine contient une disposition similaire dans son article 7(1)(d) précisant que tout individu " a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une Cour ou un tribunal en toute impartialité ". De plus, la résolution sur le droit à la procédure de recours et à un procès équitable, adoptée en 1992 par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, stipule que " les personnes arrêtées ou détenues doivent être conduites rapidement devant un juge ou un officier autorisé par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et doivent être jugées dans un délai raisonnable " (Paragraphe 2(C)). Le caractère raisonnable de la durée d’une détention provisoire doit être apprécié au cas par cas. La Commission africaine a estimé qu’un délai de deux ans sans procès, ou date fixée pour ce procès, constituait une violation de l’exigence de l’article 7 de la Charte africaine.

Même si les circonstances du génocide au Rwanda et la période qui a suivi peuvent être considérées comme exceptionnelles, le délai de plusieurs années pour le jugement des personnes placées en détention provisoire est manifestement excessif. La légalisation de la détention préventive est particulièrement inquiétante du fait du grand nombre d’arrestations arbitraires et de la proportion significatives de détenus qui ont été arrêtés sur la base de dénonciations non fondées. Elle a eu également un effet négatif sur d’autres dispositifs concernant le traitement de personnes détenues préventivement et la réglementation des arrestations. Aussi longtemps que, dans le cadre légal, les détentions préventives de longue durée pourront être autorisées, et même justifiées, ceux qui siègent en Chambre du conseil (commissions qui revoient les cas de détention provisoire, voir Chapitre III-I, ou dans d’autres instances, n’ont aucune raison de s’occuper dans l’urgence et efficacement des cas de ces détenus. Par exemple, l’instruction des affaires s’est ralentie après que la durée de la détention provisoire, étendue jusqu’à la fin de 1999, eut entraîné un ralentissement notable de l’activité des Chambres du conseil en 1997. Le fait que l’on sache qu’il est peu probable qu’interviennent des révisions rapides des cas de détention provisoire peut aussi encourager d’autres arrestations arbitraires.

Cas de prisonniers détenus sans procès depuis plusieurs années

Le nombre de prisonniers détenus sans procès -et souvent sans inculpation- depuis plusieurs années demeure important. Les cas ci-dessous sont un simple échantillon illustrant la situation. L’extension répétée de la durée de la détention provisoire ne peut constituer une solution au problème. Les cas des personnes répertoriées ci-dessous -et des milliers d’autres comme elles- doivent être traités sans retard pour qu’elles puissent être libérées, si les preuves relevées contre elles sont insuffisantes, ou alors traduites en justice aussitôt que possible.

Quand une délégation d’Amnesty International a visité la prison centrale de Cyangugu en novembre 1999, beaucoup de prisonniers qui avaient été arrêtés en 1994 ont déclaré qu’ils n’avaient jamais été interrogés. Il s’agissait par exemple de : Samuel Rekeraho, Félicien Nkurunziza, Ezekias Gashema, Jonas Sumba, Philippe Nsanzumuhire et Marc Ngendahayo. Claude Ndayisabye était détenu dans la prison centrale de Cyangugu depuis février 1995. Il n’a reçu copie de son mandat d’arrêt que le 9 octobre 1999. Il a été ensuite interrogé par les autorités judiciaires, on lui a signifié une ordonnance de détention provisoire et dit qu’il devait rester en prison jusqu’à ce que les autorités aient terminé leurs investigations.

Athanase Semana, 37 ans, ancien employé du ministère de la Poste et des Communications, a été arrêté à Kigali en juillet 1994. Il a été libéré en août 1994 et arrêté de nouveau en février 1995 quand il s’est rendu au bureau de la commune pour réclamer ses deux maisons qui avaient été occupées illégalement. Il a été tout d’abord incarcéré à la prison centrale de Kigali, puis à celle de Gikondo, puis encore à celle de Kimironko où il se trouve toujours. Il est accusé d’avoir participé au génocide. Au début de l’an 2000, il ne semblait pas que l’étude de son dossier ait progressé et il n’avait reçu aucune indication sur la date de son procès.

Léon Nsengimana, ancien employé du ministère de la santé, est incarcéré à la prison centrale de Kigali depuis le 19 septembre 1994. En octobre 1999, il déclarait qu’il n’avait reçu aucune information concernant l’étude de son dossier depuis 1995.

Camille Nzabonimana, 46 ans, chercheur universitaire qui plus tard a monté sa propre entreprise, est détenu à la prison centrale de Butare depuis septembre 1994. Ses parents pensent qu’un voisin jaloux de sa réussite se trouvait derrière les accusations de génocide portées contre lui. Depuis presque 5 ans, rien n’a avancé dans son dossier ; en juillet 1999, il a été convoqué à une audience pour apprendre que son affaire était ajournée. Au début de l’an 2000, il n’était toujours pas informé de la date prévue pour une nouvelle audience ou pour son procès.

Sylvestre Kamali, ancien diplomate et ancien président de l’antenne Gisenyi du Mouvement démocratique républicain (MDR) est détenu à la prison centrale de Kigali depuis le 14 juillet 1994. Après plusieurs années marquées par l’absence de tout progrès dans l’instruction de son dossier, il a été interrogé en juillet 1999. On lui a dit, à plusieurs reprises, qu’il allait être libéré provisoirement, dans les semaines à venir (en septembre, puis en octobre 1999), après étude de son cas par le bureau du procureur. Au cours de l’année 1999, il a été confirmé que l’homme qu’il était censé avoir tué était bien vivant ; cet homme s’est présenté en personne au procureur. Le 14 janvier 2000, en réponse aux appels de sa famille, le ministre de la Justice a écrit au procureur pour s’informer sur cette affaire et a demandé que Sylvestre Kamali soit libéré ou déféré à la justice. Cependant, en mars 2000, il était toujours détenu à la prison centrale de Kigali 5 ans et demi après son arrestation.

Des promesses de libération répétées mais non honorées, comme dans le cas de Sylvestre Kamali, provoquent des souffrances psychologiques chez les détenus et leurs familles. La détresse des détenus est aussi réelle lorsqu’ils sont informés de la date de leur procès, repoussée à plusieurs reprises, parfois sans qu’ils en aient été avertis et sans aucune explication. Par exemple, le procès d’André Bimensimana, avocat détenu depuis le 23 septembre 1997 pour participation au génocide -qui lui-même était intervenu, avant son arrestation, comme avocat de la défense dans des procès pour génocide, a été reporté au moins quatre fois depuis le 9 août 1999. Quand Amnesty International l’a rencontré à la prison centrale de Kigali le 25 octobre 1999, il était dans l’attente d’une audience pour le jour même, mais personne n’était venu lui dire pourquoi elle n’avait pas eu lieu. D’autres accusés ont vu leur procès retardés encore plus souvent. De telles décisions sont des violations flagrantes du droit à être jugé dans un délai raisonnable conformément au droit international.

Arrestations politiques et arbitraires

Depuis plusieurs années, Amnesty International a répertorié toute une série d’arrestations arbitraires au Rwanda. De nombreux détenus déclarent qu’ils n’ont jamais été informés des raisons de leur arrestation. De telles pratiques violent l’article 9(2) du PIDCP qui stipule : " Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui ".

Les accusations de participation au génocide sont fréquemment portées contre des personnes sans que soient fournies des preuves évidentes de leur implication personnelle dans les massacres. Plus habituellement, de telles accusations sont utilisées pour arrêter des personnes qui possèdent des propriétés ou des terres et les empêcher de réclamer leurs biens, dans le cas où ils auraient été illégalement occupés, ou encore pour régler des comptes. Amnesty International n’a pas les moyens de juger si des personnes sont coupables ou innocentes au regard des accusations de génocide portées contre elles. Cependant, selon des témoignages provenant de plusieurs sources, dans de nombreux cas, des arrestations ont lieu sans preuves formelles, surtout lorsque des individus ou des familles possèdent des biens. Les autorités ont pris un certain nombre de mesures pour essayer de faire restituer aux propriétaires leurs biens ; cependant, les arrestations dans ce contexte se poursuivent et beaucoup de familles hésitent à réclamer les propriétés illégalement occupées par crainte d’être arrêtées.

Joseph Munyagisenyi et sa femme Domitile Nyirahabimana, tous deux âgés d’environ 50 ans, originaires de la commune de Kaname, préfecture de Gisenyi, ont été arrêtés en octobre 1999, probablement en raison d’un conflit concernant leur propriété. Le 10 octobre, Domitile Nyirahabimana, sa fille Josepha Uwera, âgée de 22 ans, et une autre parente, Goretti Nyirabavakure, sont allées à Kigali pour réclamer la restitution de leurs maisons qui avaient été illégalement occupées. L’une des personnes occupant leurs maisons -un nyumbakumi (chef de 10 familles) -et plusieurs membres de la Force de défense locale auraient intimidé et insulté les trois femmes. Des membres des Forces de défense locales les ont battues, leur ont dit d’oublier leurs maisons et ont menacé de les tuer. Les trois femmes ont été conduites à la brigade (centre de détention de la gendarmerie) de Nyamirambo à Kigali. Quand le commandant a demandé les raisons de leur arrestation, les hommes ont répondu que le mari de Domitile Nyirahabimana avait participé au génocide. Les trois femmes ont été incarcérées à la brigade. Josepha Uwera et Goretti Nyirabavakure ont été libérées trois jours plus tard, le 13 octobre. Cependant, Domitile Nyirahabimana a été détenue pendant plus de deux mois. Elle a été libérés sans inculpation le 22 décembre 1999. Dans le même temps, Joseph Munyagisenyi était arrêté, le 19 octobre, près de son domicile de Kanama à Gisenyi. Il a été d’abord incarcéré au cachot communal de Kanama, ensuite à la brigade de Gisenyi, et transféré enfin à la prison centrale de Gisenyi. Le 7 février 2000, il aurait été transféré à Kigali. Il est accusé de participation au génocide. Les occupants de ses maisons familiales à Kigali ont depuis été chassés par les autorités, mais la famille n’a pas osé réclamer ses biens.

Denys Rwamuhizi, environ 50 ans, originaire de la commune de Karago, préfecture de Gisenyi, qui avait précédemment travaillé dans les services de renseignements de l’ancienne armée rwandaise, a été arrêté le 27 octobre 1999, par un agent de la sécurité locale de Kanombe, près de Kigali, alors qu’il venait réclamer sa maison. Il a été détenu pendant plusieurs jours, d’abord dans le cachot communal, puis dans le camp militaire de Kanombe. Il a été par la suite libéré sans inculpation. Il a déclaré que, durant sa détention, la personne qui avait occupé son domicile lui avait offert une forte somme d’argent pour sa maison mais qu’il l’avait refusée.

On a noté aussi de fréquentes arrestations arbitraires sur la base d’accusations non liées au génocide. Par exemple, le 1er novembre 1999, les autorités communales de Mukingo, préfecture de Ruhengeri, ont tenu une réunion publique en réponse à une série de maladies et de décès que la population locale attribuait à des empoisonnements. Le bourgmestre a demandé à eux qui assistaient à la réunion de révéler les noms des personnes qu’ils soupçonnaient d’en être responsables. Sur la base de leurs dénonciations, et apparemment sans qu’aucune autre enquête n’ait été effectuée, plus de 15 personnes ont été arrêtées et incarcérées au cachot communal de Mukingo. Plusieurs d’entre elles étaient des femmes : Nyiraruhengeri, Mukamana, Ntagahinguka, Bangiriyeyo, Uwimana, Nibagwire et sa fille Tenesi. Quelques unes des personnes arrêtées auraient été battues dans le cachot. Elles ont toutes été libérées à la mi-novembre, sans inculpation.

Dans de nombreux autres cas, des personnes auraient été arrêtées pour des raisons politiques, particulièrement celles considérées comme des opposants ou des détracteurs du gouvernement. Par exemple, Bonaventure Ubalijoro, ancien président du MDR qui a ouvertement critiqué le gouvernement, a été arrêté le 27 février 1999. Plus d’un an plus tard, il demeure toujours incarcéré à la prison de Kimironko à Kigali et attend son procès. En plusieurs occasions, il avait été annoncé que son procès allait s’ouvrir, mais les audiences ont toujours été reportées comme dernièrement au début d’avril 2000. Les accusations portées contre lui ont varié, allant de l’implication dans les massacres des années 60, quand il était le chef des services de renseignements, à ses sympathies pour les groupes armés d’opposition et au détournement de fonds. Amnesty International n’est pas en mesure de juger si ces accusations sont fondées. Cependant, l’Organisation pense que son arrestation est probablement due à des considérations politiques, du fait de ses fréquentes critiques publiques du gouvernement. Par exemple, il a réclamé des élections et a critiqué la politique et l’action du gouvernement, tout particulièrement au cours de débats sur la démocratie et la réconciliation.

Peu après l’arrestation de Bonaventure Ubalijoro, le 9 mars 1999, plusieurs membres MDR de l’assemblée nationale ont été chassés de l’assemblée après un certain nombre de désaccords politiques publics avec des membres du gouvernement. L’un d’entre eux, Eustache Nkerinka, a été assigné à résidence du 22 mars au 24 septembre 1999. Il a été libéré sans inculpation mais a été menacé à plusieurs reprises par des membres de l’armée patriotique rwandaise (APR). On lui a ordonné de renoncer à ses activités politiques et dit qu’il serait tué s’il ne coopérait pas avec le gouvernement.

Un autre parlementaire MDR, Jean-Léonard Bizimana qui avait été expulsé de l’assemblée nationale en même temps qu’Eustache Nkerinka, a été arrêté en juin 1999 pour avoir participé au génocide. En mai 1999, il avait poursuivi en justice trois personnes -dont le bourgmestre de la commune de Rutongo à Kigali Rural -qu’il déclarait l’avoir accusé à tort de participation au génocide. Le 24 juin, Jean-Léonard Bizimana a été arrêté à son domicile, brièvement interrogé, et conduit immédiatement à la prison centrale de Kigali où il se trouvait encore en mars 2000. Les procédures liées à sa plainte concernant les accusations portées contre lui ont commencé au début de l’an 2000. Mais son propre procès, sur sa participation présumée au génocide, n’a pas encore commencé.

Les conditions de détention

Les conditions de détention dans la plupart des prisons et des centres de détention au Rwanda s’apparentent à un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation flagrante du droit international et de ses normes inscrites dans l’Article 7 du PIDCP, de l’article 5 de la Charte africaine et de l’ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

En 1995, les conditions de détention inhumaines dans les prisons du Rwanda ont conduit de nombreux journalistes étrangers à visiter les établissements ; les images diffusées à l’époque ont choqué la communauté internationale. Cinq ans plus tard, on ne parle plus des prisons rwandaises sur les écrans de télévision ou dans les journaux à travers le monde. Mais la population des prisons s’élève officiellement à 125'000 ; des dizaines de milliers de détenus continuent de souffrir de l’extrême surpeuplement, du manque d’installations sanitaires, de nourriture insuffisante et de soins médicaux inappropriés. Les détenus les plus vigoureux survivent au jour le jour, en dépit de tout, tandis que les plus faibles et les malades meurent dans le silence, l’indignation internationale s’étant muée en résignation.

L’importance du surpeuplement continue de susciter les plus grosses inquiétudes, les prisons et centres dépassant de plusieurs fois leur capacité d’accueil. En dépit de quelques améliorations récentes -par exemple, les détenus peuvent quitter régulièrement leur lieu de détention pour aller travailler à l’extérieur- le niveau de surpeuplement et les mauvaises conditions de vie en résultant demeurent inacceptables et entraînent toujours de nombreux décès.

Dans sa résolution 1999/20, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies " renouvelle ses inquiétudes face aux conditions de détention dans de nombreux centres de détention communaux et quelques prisons au Rwanda, fait appel au gouvernement pour qu’il poursuive ses efforts dans le but de s’assurer que les personnes en détention sont traitées d’une façon qui respecte leurs droits fondamentaux, souligne la nécessité d’attacher la plus grande importance à ce problème, et de lui consacrer des ressources, et insiste auprès de la communauté internationale pour qu’elle apporte toute son assistance au gouvernement rwandais ".

Dans beaucoup de prisons et de centres de détention, les prisonniers n’ont pas assez de place pour dormir ; dans quelques cachots communaux, ils doivent dormir à tour de rôle, certains dans la journée et les autres pendant la nuit. Les cachots communaux de la préfecture de Gitarama sont parmi les plus peuplés. Par exemple, dans le cachot de Musambira, la surpopulation était telle en octobre 1999 que certains détenus devaient dormir dans un faux-plafond de fortune, en bois. Dans la prison centrale de Cyangugu, en novembre 1999, quelques détenus devaient ramper sous les couchettes les plus basses, dans un espace étroit surnommé " la mine " où ils pouvaient à peine bouger, pour trouver un coin où s’étendre sur le sol. D’autres devaient coucher à plusieurs sur des planches, trop étroites pour une seule personne.

Les conditions de détention sont particulièrement mauvaises dans les cachots communaux où l’Etat ne fournit aucune nourriture et où l’assistance humanitaire internationale ne parvient guère. Les détenus de ces cachots dépendent entièrement de leurs familles qui leur apportent quelque nourriture. Cependant, dans certains cas, ce n’est guère possible parce que les parents des détenus sont décédés ou sont emprisonnés eux-mêmes, ou encore parce que les familles n’ont pas les moyens de les nourrir. Les détenus ne peuvent donc compter que sur la nourriture que leurs co-détenus voudront bien partager avec eux. Par exemple, dans le cachot de Musambira, préfecture de Gitarama, Jean-Chrysostome Nsanzurwimo, paysan âgé de 47 ans, devait compter sur ses co-détenus pour lui fournir de la nourriture, depuis son arrestation le 1er novembre 1995. Il a déclaré qu’à la suite de son arrestation les personnes qui l’avaient accusé d’avoir participé au génocide avaient chassé de leur domicile sa femme et ses cinq enfants. Il avait entendu dire que sa famille vivait maintenant à 22 kilomètres de là. Pantaléon Gasigwa, 49 ans, n’avait lui non plus aucun parent susceptible de lui fournir de la nourriture. Il est incarcéré depuis le 15 octobre 1996 ; sa femme a été arrêtée en avril 1999. Augustin Mugaragu, 64 ans, détenu depuis le 28 décembre 1995, n’avait pas reçu de nourriture de l’extérieur depuis que le seul visiteur qui avait l’habitude de lui en fournir avait été arrêté.

Les membres des forces de sécurité gardant les cachots ont parfois refusé de recevoir la nourriture apportée par les familles. Et dans certains cas, l’ont prise mais ne l’ont pas distribuée aux détenus.

Torture et mauvais traitement infligés aux détenus

De nombreux détenus des cachots communaux, des centres de détention militaires et de quelques brigades ont été soumis à des tortures et à d’autres formes de mauvais traitements -la plupart ont été régulièrement battus. Les passages à tabac -généralement infligés au moment de l’arrestation ou au début de la période de détention- étaient considérés, du fait de leur fréquence, comme presque normaux par les détenus. La mauvaise santé physique des victimes de la torture ou des mauvais traitements était encore aggravée par les très mauvaises conditions de détention et des soins médicaux inappropriés. Les prisonniers ont confirmé que torture et mauvais traitements s’arrêtaient généralement après leur transfert dans les prisons centrales. La torture et les autres de traitement ou de châtiment cruels, inhumains et dégradants, est interdite par les traités des droits de l’homme que le Rwanda a ratifiés, en particulier l’article 7 du PIDCP et l’Article 3 de la Charte africaine.

Quelques détenus interviewés par Amnesty International, à la fin de 1999, ont déclaré qu’ils souffraient encore des suites des mauvais traitements et de la torture qui leur avaient été infligés plusieurs années auparavant. Par exemple, Jean Baligira, 68 ans, avait été enfermé au cachot de Musambira, préfecture de Gitarama, depuis le 1er octobre 1996. Trois ans plus tard, en octobre 1999, il porte encore des cicatrices dans le dos provenant des passages à tabac subis au moment de son interpellation. Il a déclaré avoir été battu après son arrestation, chaque jour, jusqu’à l’intervention d’un inspecteur de la police judiciaire. Il a ajouté qu’on l’avait jeté dans un fossé et qu’on lui avait lancé des briques ; plus tard, il a été battu à coups de bâton dans le cachot. Au début, il pouvait à peine marcher. Par la suite, il a reçu des soins, mais trois ans plus tard, il ne pouvait guère se déplacer correctement et sa colonne vertébrale était toujours déformée du fait des tortures subies.

Beaucoup d’autres cas plus récents de mauvais traitements infligés dans le cachot de Musambira ont été dénoncés en 1999. Plusieurs détenus ont été torturés ou maltraités lorsqu’ils étaient sortis des cellules pour se rendre au travail. Le 24 octobre 1999, Emmanuel Hakizimana, 26 ans, a été sévèrement battu, avec un bâton et une houe, sur la poitrine, les jambes, les bras et le dos, par un soldat qui le conduisait au travail. Le soldat l’aurait battu parce qu’il marchait trop lentement. A la suite de ce passage à tabac, il avait des éraflures sur la poitrine, vomissait du sang et était incapable de manger. Il a essayé d’obtenir des soins au centre de santé local mais s’est entendu dire que l’on ne disposait pas de médicaments adéquats. François Kanamugire, 43 ans, a été frappé à coups de marteau sur le dos par un policier de service au cachot. Le policier l’aurait accusé d’avoir acheté de l’alcool pendant son travail à l’extérieur, alors que le prisonnier dit qu’il avait acheté du savon.

Au cachot de Musambira, en octobre 1999, il y avait un bloc à part où les détenus qui s’étaient " mal conduits " étaient enfermés pendant plusieurs jours ou semaines. Il y avait là, dans un très petit espace, jusqu’à 30 ou 40 prisonniers. Pendant cette période de " punition " ils ne pouvaient pas sortir de la cellule. Parmi eux se trouvaient en octobre 1999 trois hommes qui avaient été battus par des policiers. Innocent Musoni a été giflé et battu à coups de bâton et de crosse de fusil et portait des blessures à l’oreille et aux genoux. Védaste Kameza avait des cicatrices aux épaules, aux genoux et aux coudes. Jean-Marie Vianney Sakindi a été frappé à coups de pied et de crosse de fusil sur le dos et la mâchoire. Tous les trois ont été " punis " parce qu’on les accusait d’avoir été absents quand les prisonniers ont été conduits à des travaux de construction. Ils ont déclaré qu’ils étaient allés chercher de l’eau et des matériaux pour la construction.

Dans un cas différent, Révérien Nyabyenda, 26 ans, était détenu dans une cellule proche, en isolement, depuis le 22 octobre. Le 26 octobre, il se trouvait dans un état physique très précaire avec des blessures apparentes au coude et au visage après avoir été battu par le responsable de la cellule de Gataraga, secteur de Birambo, à la suite d’une rixe avec son frère. Il aurait été déshabillé avant d’être battu. Le responsable de la cellule l’a ensuite mis directement au cachot où il est resté à l’isolement pendant quatre jours. Du fait de son état physique résultant de ces passages à tabac, il avait été incapable de manger pendant plusieurs jours. L’inspecteur de police judiciaire de Musambira a déclaré ne pas être au courant de l’affaire.

Torture et mauvais traitements sont aussi signalés dans quelques brigades de gendarmerie. Par exemple, un prisonnier détenu dans la brigade de Muhima à Kigali, à la mi-novembre 1999, a dit avoir entendu les cris de douleur des détenus battus pendant la nuit.

 

Décès dus à la torture et aux mauvais traitements

Dans quelques cas, la torture et les mauvais traitements ont été si graves qu’ils ont entraîné la mort des détenus. Par exemple, Félicien Gasana, 35 ans, ouvrier d’une entreprise de construction, est mort, le 10 août 1999, à la suite des mauvais traitements qui lui ont été infligés à la brigade de Nyamirambo, à Kigali. Il avait été arrêté le 6 août sur son lieu de travail par un groupe de cinq personnes, dont un policier et un agent en civil responsable de la sécurité locale, et conduit à la brigade de Nyamirambo. Il a été battu tout au long du parcours et a été vu se déplacer en boitant. Le 10 août, ses parents qui ont essayé de le voir à la brigade ont été informés qu’il avait été transféré au Centre hospitalier de Kigali. Quand ils se sont rendus à l’hôpital, on leur a dit qu’il était décédé la veille. Son corps qui se trouvait à la morgue portait des traces de coups à la tête et à la face. Le 9 août, au cours d’une visite ordinaire à la brigade pour soigner les prisonniers malades, une équipe médicale a constaté que Félicien Gasana était très malade ; elle a demandé qu’il soit immédiatement conduit à l’hôpital. Au moins deux heures plus tard, il était toujours sur place et un militaire de la brigade désirait le renvoyer dans sa cellule. Il a été finalement hospitalisé dans la soirée, mais, selon des témoins -dont l’équipe médicale- il était trop tard pour le sauver.

Le commandant de la brigade de Nyamirambo a déclaré que Félicien Gasana était malade mais qu’il était toujours vivant à son arrivée à l’hôpital. Cependant, selon d’autres sources, il est probable qu’il était déjà mort. Sa famille a dit qu’il était en bonne santé avant son arrestation. Des témoins oculaires ont confirmé que ses blessures avaient été, à l’évidence, causées par les coups reçus. A la connaissance d’Amnesty International, la demande d’autopsie formulée par la famille n’a pas été acceptée.

La femme de Félicien Gasana, Epiphanie Uwitakiye, a été arrêtée le même jour que son mari, alors qu’avec son amie Suzanne Mukamusoni, elles essayaient de récupérer leurs maisons qui avaient été illégalement occupées. Elles ont été arrêtées par un groupe d’hommes composé de civils et d’un soldat. Les deux femmes ont été giflées et battues dans la rue. Epiphanie Uwitakiye a été frappés aux pieds ; pendant que les hommes la battaient, ils lui demandaient où se trouvait son mari et lui ont dit qu’elle ne récupérerait pas sa maison. Les deux femmes ont été d’abord conduites au bureau de secteur à Nyamirambo, puis à la brigade. Le mari de Suzanne Mukamusoni, Blaise Barankohero, un autre ouvrier d’une entreprise de construction, a aussi été arrêté, incarcéré à la brigade et battu.

Epiphanie Uwitakiye a vu son mari dans le coma à la brigade, juste avant qu’il ne soit hospitalisé. Les autorités lui ont refusé le droit d’assister à ses funérailles, le 11 août, bien qu’elle ait accepté d’être accompagnée par des agents de la sécurité. Le 20 août 1999, Epiphanie Uwitakiye, Suzanne Mukamusoni et Blaise Barankoreho ont été incarcérés à la prison centrale de Kigali. Tous les trois ont été accusés de participation au génocide. Cependant, certains pensent que leur arrestation et la mort de Félicien Gasana ont pour cause les tentatives de deux couples pour récupérer leur propriété. Plus de deux mois après le décès de son mari, Epiphanie Uwitakiye n’avait toujours reçu aucune explication sur la mort de son mari, et les autorités n’avaient pas ouvert d’enquête judiciaire sur ce décès.

Froduald Ngaboyisonga, chauffeur et mécanicien, la quarantaine, qui travaillait à l’usine de thé de Nyabihu dans la commune de Karago, préfecture de Gisenyi, est décédé le 11 novembre 1999, apparemment à la suite des tortures qu’il avait subies durant sa détention au camp militaire de Mukamira. Froduald Ngaboyisonga et quatre autres ouvriers de l’usine de Nyabihu -Jean de Dieu Hakizimana, aide-chauffeur ; Gakezi, sentinelle d’usine ; Jean-Bosco Byiringuru, opérateur sur machines ; et Thomas Ngarambe, chauffeur et mécanicien- ont été arrêtés par un soldat du RPA, le 28 septembre 1999, pour un vol qui aurait eu lieu à l’usine. Un sixième homme, Cyridion Hakuzimana, chauffeur du directeur de la fabrique, a été arrêté le lendemain. Les six ouvriers ont été arbitrairement incarcérés au camp militaire de Mukamira. Jean-Bosco Byringiru a été libéré le 30 septembre, mais les cinq autres ont été détenus pendant un mois, sans inculpation, jusqu’au 25 octobre. Froduald Ngaboyisonga et plusieurs de ses camarades ont été sévèrement battus par les soldats de l’APR au camp de Mukamira. A sa libération, Froduald Ngaboyisonga a été conduit à l’hôpital de Ruhengeri où il est resté jusqu’au 8 novembre. Le 11 novembre, il est mort à son domicile à Byumba. En dépit des promesses des gradés militaires d’ouvrir une enquête sur ce cas, au début 2000, aucune investigation ne semble avoir été lancée pour faire la lumière sur la mort de Froduald Ngaboyisonga et les tortures subies par ses camarades

Michel Ngirumpatse, 72 ans, a été détenu, depuis 1996, au cachot communal de Huye, préfecture de Butare. Sa santé était précaire, et à la fin de novembre 1999, il a été libéré provisoirement pour qu’il puisse se faire soigner. Cependant, le 12 décembre 1999, il a été arrêté de nouveau et réincarcéré au cachot communal où il aurait été si sévèrement battu par des policiers, dont le chef de la police de la commune, qu’il en est mort le jour même.

Détention de civils dans les prisons militaires

La pratique de détention illégale de civils dans les centres militaires est toujours une grave préoccupation. Aucune disposition de la loi nationale ne permet la détention, dans ces centres, de civils arrêtés pour des crimes. En plus des cas des ouvriers de l’usine de thé de Nyabihu, cités ci-dessus, beaucoup d’autres, faisant état de torture et de mauvais traitements, sont parvenus à la connaissance d’Amnesty International.

La situation des prisonniers civils et militaires détenus dans ces centres est particulièrement alarmante du fait que, dans la plupart des cas, ils ne sont pas autorisés à communiquer avec leurs familles, leurs avocats, leurs médecins et les organisations humanitaires et des droits de l’homme. En plus de ceux qui sont détenus dans des camps officiels, un nombre indéterminé de prisonniers sont incarcérés dans des centres officieux ou secrets. Cette pratique viole la Déclaration de 1992 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la protection de toute les personnes contre les " disparitions " forcées. En particulier, l’article 10 stipule que " toute personne privée de liberté doit être détenue dans un lieu officiellement reconnu et, en conformité avec la loi nationale, doit être présentée à une autorité judiciaire immédiatement après son arrestation ".

Ce n’est que par les témoignages d’un petit nombre de personnes qui ont été libérées de centres de détention officieux que l’on a pu recueillir des informations sur les conditions de détention, le traitement des prisonniers et l’identité de quelques-uns d’entre eux. Ces informations n’ont souvent pu être obtenues que plusieurs mois après la libération des détenus qui craignaient de témoigner.

En 1997 et 1998, des centaines, sinon des milliers, de personnes ont " disparu " au Rwanda. La plupart sont présumées décédées, mais l’on pense que quelques unes sont encore vivantes, détenues dans des centres militaires. Les succès obtenus dans la recherche d’un petit nombre peuvent laisser quelque espoir pour les autres.

Un ancien prisonnier arrêté le 20 septembre 1998 se trouvait parmi plusieurs centaines d’autres détenus par les militaires dans des conteneurs à Remera, Kigali, à la fin de 1998. Ils avaient été arbitrairement enlevés à Kigali sous le prétexte d’un contrôle d’identité. Ils ont été battus au moment de leur arrestation ; on leur a dit d’ôter leur chemise et on les a attachés les uns aux autres. Au début, ils ont été incarcérés dans ce qui paraissait être un bâtiment scolaire. Le lendemain, sur les ordres d’un militaires, ils ont été mis de force dans un camion et conduits à Remera. Là, ils ont été entassés dans un conteneur, battus de nouveau et abandonnés. L’ancien prisonnier a dit qu’il y avait probablement 100 conteneurs, avec environ 80 détenus dans chacun d’eux.

Cet ancien prisonnier a déclaré qu’il faisait une chaleur extrême à l’intérieur des conteneurs. C’était, a-t-il précisé, comme si l’on cuisait vivant. Les militaires faisaient du feu qu’ils plaçaient contre ou sous les conteneurs qui étaient légèrement au-dessus du sol. Il pensait que beaucoup étaient morts sous cette forme de torture. D’autres seraient décédés à la suite de sévères passages à tabac ; parmi eux au moins 5 étudiants d’un groupe de 45 détenus. Les corps de ceux qui sont morts auraient été mis dans un fossé, arrosés d’un produit chimique destiné à brûler ou décomposer les cadavres.

Un grand trou avait été creusé au dehors pour servir de latrines. Des piquets disposés tout autour permettaient aux prisonniers de se tenir accroupis s’ils voulaient éviter de tomber dans la fosse. Un détenu âgé est, paraît-il, tombé dans le trou.

Les détenus ne recevaient de la nourriture qu’une fois tous les trois jours. Certains étaient obligés de travailler -par exemple à la construction de maisons pour les officiers. D’autres étaient rassemblée et envoyés au front à côté des troupes de l’APR dans la République démocratique du Congo (RDC). Ils étaient conduits à la frontière non dans des camions militaires, mais dans des minibus sans sièges où on les faisait s’asseoir par terre pour qu’ils ne soient pas vus de l’extérieur. Un détenu aurait été tué alors qu’il essayait de s’échapper d’un des conteneurs ; selon un de ses camarades, il avait préféré courir le risque d’être tué sur place plutôt que d’être envoyé sur le champ de bataille en RDC.

Un autre centre militaire officieux utilisé plus récemment est connu sous le non de MULPOC dans la ville de Gisenyi, au nord-ouest du Rwanda. De nombreuses personnes, dont beaucoup de civils, y sont détenues dans des conditions lamentables. Des prisonniers ont déclaré qu’ils étaient souvent privés de nourriture, que certains étaient battus, que le centre était surpeuplé et salle et qu’ils n’étaient pas autorisés à sortir au dehors. L’une des chambres était très sombre, les fenêtres étaient murées et seul un petit rayon de lumière filtrait à travers le plafond.

Dans le MULPOC se trouvaient des réfugiés rwandais qui se trouvaient dans la RDC et des Congolais arrêtés au passage de la frontière, soupçonnés de " collaboration avec l’ennemi ". Par exemple, Francine Ngoy, 22 ans, originaire de Goma et de la RDC, a été arrêtée le 29 mai 1999 à Goma ; elle était soupçonnés de collaboration avec le gouvernement congolais et a été torturée dans une prison militaire. En novembre 1999, elle a été transférée au Rwanda. Elle a été incarcérée à la brigade de Gisenyi pendant environ une semaine, puis libérée, renvoyée à Goma, arrêtée de nouveau trois jours après, incarcérée depuis une semaine environ à Goma, puis finalement renvoyée au Rwanda. Cette fois-là, elle est restée plusieurs semaines au MULPOC. Elle ne savait pas où on l’avait amenée ayant été transférée de nuit au MULPOC. Son lieu de détention au Rwanda est resté inconnu jusqu’à sa libération au début de janvier 2000

Une femme rwandaise de 64 ans, originaire de la commune de Rubavu, préfecture de Gisenyi, a aussi été incarcérée au MULPOC quelques mois plus tôt. A l’époque, elle non plus ne savait pas où elle était détenue car son arrivée au MULPOC et son départ de ce centre avaient eu lieu la nuit. Plusieurs civils étaient détenus avec elle, dont une femme avec son bébé. Les soldats les ont battus avec des fils de fer et la mère était battue quand l’enfant pleurait. Ces femmes étaient accusées de collaboration avec un groupe armé d’opposition.

Depuis le début de Janvier 2000 les détenus du MULPOC ont été progressivement envoyés dans un " camp de solidarité " à Mudende, Gisenyi, où ils ont été autorisés à recevoir des visites de leurs familles. Les détenus congolais ont été apparemment renvoyés dans la RDC. Cependant, en février, il y avait encore environ 30 personnes au MULPOC et 17 autres dans un autre centre officieux de la ville de Gisenyi.

Amnesty International a reçu encore de nombreuses informations faisant état d’arrestations de civils congolais et rwandais dans l’est de la RDC et de leur transfert au Rwanda. On pense que quelques-uns d’entre eux sont détenus sous la garde des militaires ; cependant, dans la plupart des cas, il est difficile de savoir où ils se trouvent exactement et certains sont considérés comme " disparus ".

Quelques Congolais ont été arrêtés au Rwanda même et détenus sur place. Par exemple, Emile Mutanga, médecin originaire de la RDC qui traversait le Rwanda pour retourner à Kinshasa, capitale du Congo, a été arrêté par des soldats de l’APR en juin 1999 et détenu au secret dans un camp militaire de Gikongoro, dans le sud du Rwanda, pendant plus de cinq mois. Durant le premier mois, il a été menotté nuit et jour à l’isolement. Il a été à plusieurs reprises interrogé sur ses relations avec le président congolais, Laurent-Désiré Kabila, et a été accusé d’être un opposant au gouvernement rwandais. Il a quitté le camp militaire de Gikongoro, le 20 octobre, a été conduit à Cyangugu près de la frontière congolaise, puis renvoyé à Bukavu dans l’est de la RDC où il a été finalement libéré. Durant toute sa détention, il n’y pas été autorisé à correspondre avec sa famille qui pensait qu’il était mort. On ne sait pas s’il a fit l’objet d’une inculpation pénale.

Fidèle Uwizeye fait partie du petit nombre de civils transférés d’un centre de détention militaire vers une prison civile. Employé du ministère de l’Intérieur, préfet de Gitarama sous le précédent gouvernement, il a été arrêté le 1er mai 1998 à Kigali, et tout d’abord détenu à la gendarmerie de Remera à Kigali. Quelques jours plus tard, il a été conduit dans un lieu inconnu. On ne savait pas ce qu’il était devenu jusqu’à son transfert à la prison civile de Kimironko, le 17 juillet 1998. On a su, par la suite, qu’il avait été détenu au secret pendant plus de deux mois, dans de très dures conditions, dans un centre militaire de la Garde présidentielle à Kimihurura, Kigali. Tout au long de sa détention, il a été maintenu à l’isolement mais pouvait entendre les autres prisonniers incarcérés dans un bâtiment proche ; il a pu même les entendre crier sous les coups. La cellule dans laquelle il se trouvait était très froide, avec un plafond électrifié ; il devait dormir sur le sol cimenté. Durant les premiers jours, on ne lui a donné que peu de nourriture. Quand on le faisait sortir de sa cellule, pour interrogatoire, on lui mettait un sac sur la tête et le conduisait, de nuit, dans un lieu inconnu. Durant sa détention, il n’a jamais su où il se trouvait ni où on le conduisait pour interrogatoire.

Sa famille n’a pas pu le voir jusqu’à ce qu’il soit transféré à la prison de Kimironko en juillet 1998. Au début, il se trouvait en faible condition physique et pouvait à peine marcher à cause de l’insuffisance de nourriture et de la lumière inappropriée de sa cellule, pendant la période où il avait été incarcéré pendant sa garde à vue aux mains des militaires ; sa santé s’est plus tard améliorée. Le 31 janvier 2000, il a été provisoirement libéré, bien que cette décision n’émanât point d’une autorité judiciaire ; on a exigé de lui qu’il se présente à la Cour suprême une fois par semaine.

Fidèle Uwizeye n’a pas été accusé de participation au génocide mais d’atteinte à la " sûreté de l’Etat ". Quand il a été interrogé en garde à vue par les militaires, on lui a posé, à plusieurs reprises, des questions sur les groupes armés d’opposition et les hommes politiques soupçonnés de collaborer avec ces groupes. Il a aussi été critiqué pour avoir témoigné dans le procès de Jean-Paul Akayesu par le TPIR à Arusha. Après son transfert à Kimironko, un des individus que l’on pensait être derrière les accusations portées contre lui aurait retiré son témoignage, déclarant qu’il l’avait fait sous la contrainte.

 

PRATIQUE SYSTÉMATIQUE DES LIBÉRATIONS SUIVIES DE NOUVELLES ARRESTATIONS

Contexte des libérations

La libération d’individus accusés de participation au génocide a été entourée de controverse au Rwanda. Le souvenir des massacres de 1994 est encore très présent. Tant sur un plan émotionnel que sur un plan politique, la libération de personnes suspectées de génocide ne pouvait manquer de soulever hostilité et détresse parmi les rescapés du génocide et les familles des victimes.

Les protestations les plus véhémentes sont venues d’organisations qui représentent les rescapés du génocide. Au cours de ces dernières années, certaines d’entre elles, et notamment Ibuka, principal groupe d’organisations de rescapés du génocide, ont organisé des manifestations et des protestations lorsque les autorités ont annoncé ou effectué des libérations. Ces protestations ont tendu à être hautement politisées. Pour leur répondre, certains représentants du gouvernement se sont efforcés d’expliquer que la justice doit suivre son cours et que les lois et décisions des tribunaux doivent être respectées.

Des rescapés avec lesquels Amnesty International s’est entretenue au Rwanda ont exprimé fortement le vœu que ceux qu’ils connaissent comme étant responsables de massacres soient traduits en justice, mais n’ont pas fait objection à la libération d’individus contre qui il n’y avait pas de preuves ou qui avaient été acquittés. En vérité, plusieurs d’entre eux ont déclaré vivre sans problème côte à côte avec des détenus libérés et partager leurs maigres ressources avec eux. Mais ils ressentent de l’amertume du fait que d’autres individus, qu’ils avaient spécifiquement identifiés auprès des autorités comme ayant participé au génocide, continuent à jouir de la liberté.

En dépit de la difficulté politique que représente la mise en œuvre d’un programme de libérations, le gouvernement a reconnu qu’un nombre important de libérations seraient inévitables pour réduire l’énorme retard pris par les dossiers. En octobre 1998, le gouvernement a annoncé qu’environ 10'000 détenus seraient libérés, en premier ceux dont le dossier était vide ou contre qui les preuves étaient insuffisantes. Cette annonce a été faite par l’ex-ministre de la Justice, Faustin Ntezilyayo. Auparavant, le gouvernement avait annoncé à plusieurs occasions que les enfants, les personnes âgées et les détenus malades seraient également libérés. Des libérations de personnes appartenant à ces diverses catégories sont intervenues sporadiquement depuis les derniers mois de 1997. A la fin de 1999, le nombre de personnes libérées était estimé aux alentours de 5700, ce qui représente une faible proportion de la population carcérale totale d’environ 125'000 personnes.

Pour autant qu’Amnesty International ait été en mesure de l’établir, le système de traitement et de révision des cas de détention préventive et la libération des personnes illégalement détenues ne semblent pas suivre de critères clairs. De fait, il semblerait que les décisions concernant les personnes à libérer et la date de leur libération soient souvent arbitraires. Par exemple des cas de détenus arrêtés ces deux dernières années ont parfois été revus plus rapidement que ceux de détenus arrêtés en 1994 ou 19095. L’efficacité du système de traitement de ces cas et l’ordre dans lequel ils sont abordés semblerait dépendre dans une large mesure de la bonne volonté, des capacités ou quelquefois des caprices des représentants locaux de la justice. De plus, on sait que des pressions ont été exercées sur ces représentants soit pour libérer soit pour maintenir en détention des prisonniers particuliers.

Les Chambres du conseil des tribunaux de première instance en accord avec l’article 40 du Code de procédure pénale, ont tenu des sessions pour réexaminer la légalité des détentions provisoires et recommander la libération de ceux contre qui les preuves sont insuffisantes ou qui sont illégalement détenus, mais leur fonctionnement s’est révélé erratique. Leur action et leur efficacité varie suivant les régions. Même lorsqu’elles ont paru traiter les cas à un rythme régulier, leur travail n’a eu, au mieux, qu’un faible impact sur le nombre global de dossiers. Vers la fin de 1997 et tout au long de 1998 ou presque, leur travail a paru en arriver à un blocage presque total. En raison du non-respect du droit de représentation juridique dans les audiences des Chambres du conseil, Avocats sans frontières (organisation non-gouvernementale qui fournit la plupart des avocats de la défense aux accusés dans les procès du génocide au Rwanda) a décidé de suspendre ses interventions auprès des Chambres du conseil en mai 1999.

Les enfants

Les autorités n’ont toujours pas tenu leur promesse de libérer tous les enfants qui se trouvent en détention. Plus de 4400 enfants de moins de dix-huit ans, et pour certains moins de 14, au moment du délit dont ils sont accusés, restaient emprisonnée au début de l’an 2000. Environ 311 ont été transférés dans un " centre de ré-éducation " à Gitagata, près de Kigali, depuis 1995.

Lorsque les délégués d’Amnesty International ont visité la prison centrale de Kigali à la fin octobre 1999, il y avait 302 prisonniers âgée de 18 ans ou moins (276 garçons et 26 filles). A la prison centrale de Butare (Karubanda), à la mi-novembre 1999, il y avait 221 enfants (210 garçons et 11 filles). En novembre 1999, trois enfants étaient détenus à la prison Kimironko de Kigali : Théoneste Niyonziza, âgé de 16 ans, accusé de génocide (il n’avait que 11 ans en 1994) détenu depuis le 26 décembre 1996, ainsi que deux jeunes accusés de délits de droit commun, Vénuste Vuguziga, 15 ans, arrêté le 27 octobre 1998, et Ayabagabo, 15 ans, arrêté le 20 août 1998. Des enfants sont également détenus dans des cachots communaux. Par exemple, Marie Uwimana, âgée de 17 ans, arrêtée le 13 juillet 1995, était encore détenue au cachot de Massango, à Gitarama, en 1999.

Jean-Yves Ngabo Bizimungu, fils de Casimir Bizimungu, Ministre de la Santé dans la précédent gouvernement, n’avait que 15 ans quand il a été libéré en mars 1999, et 10 seulement lors de son arrestation dans la préfecture de Butare, au sud, en décembre 1994. Il avait été détenu dans plusieurs prisons et centres de détention différents ici et là au Rwanda, et notamment, au cours des derniers mois, au centre de détention militaire de la Garde présidentielle de Kimihurura, à Kigali. On ignorait où il se trouvait jusqu’à sa libération. Il semblerait que la seule raison de son arrestation était que son père avait été ministre dans le précédent gouvernement. Il n’a jamais été inculpé ni jugé.

L’une des raisons données par les autorités pour le maintien d’enfants en détention est la difficulté de connaître leur âge exact avec certitude. Mais cette raison est avancée depuis plus de deux ans sans aucun progrès significatif du nombre des libérations. De plus, cela n’explique pas pourquoi ceux qui étaient de toute évidence des enfants à l’époque de leur prétendu crime, même si la date exacte de leur naissance peut être difficile à vérifier, restent en prison, en contradiction avec l’article 37 (b) de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant (CDE).

Selon l’article 37 (b) de la CDE, " l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ". Ceci est en accord avec le principe établi dans l’Article 3 de la Convention relative aux Droits de l’Enfant selon lequel " dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ".

La règle 17 de l’ensemble des règles sur la protection des mineurs privés de liberté indique : " Les mineurs en état d’arrestation ou en attente de jugement sont présumés innocents et traités comme tels. La détention avant jugement doit être évitée dans la mesure du possible et limitée à des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, tout doit être fait pour appliquer d’autres mesures. Si toutefois le mineur est détenu préventivement, les tribunaux pour mineurs et les parquets traiteront de tels cas avec la plus grande diligence pour que la détention soit aussi brève que possible. Les mineurs détenus avant jugement devraient être séparés des mineurs condamnés ".

 

Les personnes âgées

La question de savoir si les prisonniers âgés accusés de génocide devaient être libérés a soulevé des controverses au Rwanda, certaines organisations de rescapés du génocide exprimant leur désaccord très net avec cette mesure, déclarant que les personnes âgées, en particulier, avaient joué un rôle dirigeant dans l’organisation du génocide en 1994. Cependant, le gouvernement a annoncé à plusieurs occasions que les détenus âgés seraient libérés. Certains l’ont été, mais d’autres restent en détention, sans qu’il y ait, apparemment, de raison logique qui explique pourquoi certains ont été libérés et pas les autres : par exemple, certains de ceux qui ont été libérés sur la base de leur âge avancé sont plus jeunes que d’autres qui demeurent en détention.

Lorsque les délégués d’Amnesty International ont visité la prison centrale de Cyangugu, en novembre 1999, certains des prisonniers âgés avaient été libérés, mais pas tous. Il y avait eu au moins 50 hommes détenus qui déclaraient avoir plus de soixante-dix ans. Certains étaient emprisonnés depuis 1994 ou 1995. Parmi les femmes âgées détenues, plusieurs déclaraient que leur nom était sur la liste de celles qui devaient être libérées en raison de leur âge mais elles étaient encore en prison en novembre 1999. Parmi elles se trouvaient Anastasie Mukanhagara et Stéphanie Mukangango, toutes deux sexagénaires.

Au cachot communal de Taba, préfecture de Gitarama, qui est l’un des plus grands, avec plus de 1000 détenus en 1999, se trouvaient plus de 20 prisonniers de plus de 70 ans en octobre 1999. L’un d’entre eux, Evariste Munyakazi, âgé de 96 ans, était emprisonné dans une cellule contenant plus de 50 personnes. Au premier semestre de 1999, au cachot communal de Ntongwe, à Gitarama, il y avait plusieurs détenues de plus de 80 ans, emprisonnées depuis 1995, dont Gaudence Nyirabagenzi, 90 ans, et Vérédiana Zaninka et Athanasie Uwicayeneza, 80 ans toutes deux ; ces trois femmes sont en partie aveugles.

 

Après la libération

En octobre et novembre 1999, les délégués d’Amnesty International ont rencontré un certain nombre de prisonniers qui avaient été libérés au cours des semaines ou des mois précédents, dans différentes parties du pays. Plusieurs d’entre eux ont déclaré qu’ils n’avaient été ni menacés ni intimidés depuis leur libération et n’avaient pas éprouvé de difficultés pour réintégrer leur communauté. Cependant certains souffraient encore des séquelles physiques des mauvais traitements subis en détention. Beaucoup d’entre eux ont fait état de graves difficultés économiques, en particulier dans la recherche d’un emploi. D’autres paraissaient avoir été traumatisés par le temps passé en détention et vivaient dans la crainte d’être à nouveau arrêtés ou tués.

Plusieurs de ceux dont la propriété avait été occupée avant ou pendant leur détention n’avaient pas osé la réclamer de crainte de représailles. Par exemple, Dorothée Mukangaramba, âgée de soixante-dix ans, avait été arrêtée en mai 1995 ; elle était accusée de génocide mais pense que la vraie raison de son arrestation est une dispute concernant sa propriété. Elle a été détenue au cachot communal de Muhazi à Kibungo, pendant plus de quatre ans jusqu’à sa libération en juillet 1999. D’autres familles s’étaient approprié pendant sa détention un terrain qui lui appartenait. Plusieurs mois après sa libération, elle ne se sentait pas encore en état de commencer la procédure pour le récupérer car elle avait peur d’être considérée comme perturbatrice et de risquer d’être arrêtée à nouveau.

Innocent Bizimana, potier, âgé de 37 ans, a été détenu trois ans et quatre mois sans inculpation ni procès au cachot communal de Muhazi, préfecture de Kibungo. Il n’y jamais été interrogé et a déclaré qu’il ignorait la raison de son arrestation. Au moment de son arrestation en mars 1996, il a été battu par un responsable local et par un policier. Il a été libéré le 26 juillet 1999 sans aucune explication. Après sa libération il a découvert que sa maison avait été détruite pendant sa détention : les membres de sa famille avaient été forcés par les autorités à détruire la maison de leurs propres mains, en septembre 1997, dans le cadre de la politique nationale de regroupement de la population. Plusieurs mois après sa libération, il souffrait encore de problèmes respiratoires qu’il pensait avoir été causés par les mauvais traitements subis au cours de son arrestation et par les conditions de détention. Il a déclaré qu’il n’avait plus la force physique de reprendre son travail de potier.

Pierre Biyingingo, 72 ans, commerçant, a été arrêté le 2 juillet 1997 dans la ville de Gisenyi, au nord-ouest du Rwanda, sur l’accusation de participation au génocide. Il a été détenu à la brigade jusqu’au 17 avril 1998, puis transféré à la prison centrale de Gisenyi. Le 14 octobre 1999, la Chambre du Conseil a étudié son cas et ordonné sa libération provisoire. Il a été libéré une semaine plus tard, le 21 octobre 1999. L’une des conditions de sa libération stipule qu’il n’est pas autorisé à quitter sa région de résidence. Il n’a pas été autorisé à se rendre dans la capitale Kigali pour y recevoir le traitement médical dont il a besoin, et qui n’est pas disponible à Gisenyi.

Un autre homme de Gisenyi, qui avait été détenu sans inculpation ni procès de mai 1997 à mars 1999, a également connu des problèmes en raison des conditions de sa libération. Il a été incapable de trouver du travail du fait qu’il n’était pas autorisé à quitter sa région de résidence. Plus de huit mois après sa libération il est également dans l’impossibilité de récupérer sa maison qui a été occupée par des parents d’autorités militaires.

Les conditions fixées pour la libération ont également affecté des personnes accusées de délits autres que le génocide. Deux journalistes qui avaient été arrêtés en raison d’articles publiés dans leurs journaux ont été libérés provisoirement en 1999 mais attendent toujours, en théorie, d’être jugés. Amiel Nkuliza, rédacteur en chef du journal Le Partisan, a été arrêté le 13 mai 1997 ; il a été accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat et détenu sans procès dans la prison de Kimironko à Kigali pendant plus de deux ans. Il n’a été interrogé qu’une seule fois, en juin 1997, probablement par un agent des services de renseignements militaires. Il a été libéré sans explication le 18 août 1999. Après sa libération, des représentants du parquet lui ont déclaré à plusieurs reprises qu’il serait jugé " bientôt ", mais qu’il subsistait des doutes sur la date du procès ainsi que sa tenue effective. De même, John Mugabi, chargé de l’actualité au Rwanda Newsline, est en liberté provisoire depuis le 21 mai 1999 ; il avait été arrêté le 26 février 1999 pour diffamation, à la suite d’un article contenant des allégations de corruption mettant en cause une haute personnalité du Ministère de la Défense. Dans le cas de ces deux journalistes, les conditions de leur libération, et notamment l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités et l’interdiction de voyager, sont applicables pour une durée non précisée.

Des pratiques de corruption liées aux libérations ont été fréquemment signalées. Des autorités locales ont couramment accepté ou exigé de l’argent de prisonniers ou de leur famille en échange de la promesse de leur libération. Mais, dans un certain nombre de cas, le paiement de sommes parfois importantes n’a pas suffi à garantir leur libération. Par exemple, dans la commune de Nyarutovu, préfecture de Ruhengeri, en décembre 1999, plusieurs prisonniers avaient versé de l’argent à un policier local qui avait promis d’organiser leur libération. Mais, au lieu d’être libérés, les détenus ont été transférés à la prison centrale de Ruhengeri. Le policier qui avait extorqué l’argent a été arrêté le 17 décembre ; mais le 24 décembre il aurait été libéré sans inculpation.

 

Ré-arrestations

De nombreux détenus contre qui les preuves sont insuffisantes ou dont le dossier est vide ont bénéficié d’une mise en liberté provisoire, sous entendant qu’ils pourraient être arrêtés à nouveau dans le cas où de nouvelles preuves significatives seraient découvertes à leur encontre. Environ 90 % des personnes libérées à ce jour ont été placées en liberté provisoire.

Amnesty International est préoccupée d’un certain nombre de cas dans différentes parties du pays dans lesquelles des gens se trouvant dans cette situation ont été arrêtés à nouveau très peu de temps après leur libération, dans certains cas au bout de quelques jours seulement. Quelques personnes ont été arrêtées, libérées et arrêtées à nouveau en plusieurs occasions au cours de quelques mois ou années, parfois, semble-t-il, sur la base des mêmes accusations.

Par exemple, douze personnes de la commune de Muhazi, préfecture de Kibungo, qui avaient été libérées de la prison de Nsinda le 3 juin 1999 en raison du manque de preuves ou parce que leur dossier était vide, ont été arrêtées au bout de quelques semaines ou même de quelques jours après leur libération, à la suite de protestations venues de la population locale. Parmi eux, Khamis Nsabimana a été à nouveau arrêté quatre jours plus tard exactement, le 7 juin. Six autres, Jean-Bosco Purani, Augustin Gatare, Faustin Habimana, Maurice Musonera, Augustin Nkuranga et Jean-Bosco Mbarushimana, ont été arrêtés à nouveau le 28 juillet ; et quatre autres, Théoneste Mushimiyimana, Jean-Bosco Cyirima, Marc Mujyambere et Augustin Nsengiyumva ont été arrêtés à nouveau le 26 août. L’inspecteur de police judiciaire du lieu a déclaré qu’une nouvelle enquête avait eu lieu et que de nouveaux dossiers avaient été établis avant leur nouvelle arrestation, mais il est difficile d’imaginer comment ces procédures complexes ont pu être menées à bien sur une si courte période. Selon les autorités locales, certaines des personnes arrêtées à nouveau étaient restées au moins trois ans en prison.

Charles Bitotori, 68 ans, de la commune de Kirambo, préfecture de Cyangugu, et Thomas Nayihoranye, 69 ans, de la commune de Gatare, également à Cyangugu, ont tous deux été libérés de la prison centrale de Cyangugu le 10 août 1998. Ils ont été arrêtés à nouveau respectivement les 10 et 20 septembre 1998 alors qu’ils signaient leur billet d’élargissement. Ils se trouvaient encore en prison en novembre 1999.

Manassé Nyilindekwe, de la commune de Masango, préfecture de Gitarama, a été emprisonné de 1997 à 1999 sans être jugé. En décembre 1999, il a été libéré, puis arrêté à nouveau le 4 janvier 2000. En février 2000, il était toujours à la prison centrale de Gitarama.

Venant Rwakana, 49 ans, moniteur agricole et ex-président du parti MRND pour la commune de Gishoma, préfecture de Cyangugu, a été arrêté pour la première fois le 3 janvier 1997, le lendemain de son retour du Zaïre (aujourd’hui la RDC), où il s’était réfugié. Il a été arrêté par des membres de l’armée et détenu au cachot communal jusqu’au 17 décembre 1997. Puis, il a été transféré à la prison centrale de Cyangugu. Il a été accusé de participation au génocide du fait qu’il avait été dirigeant du MRND. Le 23 juillet 1999, à la suite d’une audience à la Chambre du Conseil, il a été placé en liberté provisoire en raison du manque de preuves. Mais le 15 septembre 1999, il a été arrêté à nouveau chez lui par les gendarmes, conduit au parquet, interrogé brièvement, puis ramené à la prison centrale. Au bout d’environ trois semaines, il a de nouveau comparu devant la Chambre du Conseil. On lui aurait demandé de signer une lettre de mise en arrestation provisoire. Mais il aurait refusé du fait qu’il venait de recevoir une mise en liberté provisoire. Il a déclaré qu’il avait été arrêté à nouveau sur la base des mêmes accusations et avec le même dossier. A la fin de 1999, il se trouvait toujours à la prison centrale de Cyangugu.

Callixte Kabalira, professeur âgé de 48 ans, a été arrêté pour la première fois le 18 avril 1997 à la suite de son retour de l’ex-Zaïre. Au début, il a été emprisonné au cachot communal de Gikomero, dans la préfecture de Kigali Rural, puis transféré à la prison centrale de Kigali le 28 février 1998. Le 8 septembre 1999, il a été placé en liberté provisoire. Mais le 10 septembre, il a été arrêté à nouveau et conduit à la gendarmerie de Muhima, à Kigali. Sa femme, qui a déclaré avoir été menacée elle-même après sa libération, n’a été informée de sa nouvelle arrestation qu’au bout d’un mois.

Dans un certain nombre d’autres cas, les autorités locales n’ont pas exécuté les ordres de libération et ont maintenu les individus en détention. Par exemple, en décembre 1999, a été prononcé un arrêt de mise en liberté provisoire de François-Xavier Niyongira, de la commune de Masango, préfecture de Gitarama. Mais les gendarmes de cet endroit auraient déchiré le document ordonnant sa libération. A la mi-février 2000, François-Xavier Niyongira se trouvait toujours emprisonné.

 

Nouvelles arrestations après jugement et acquittement

Un des cas qui préoccupent le plus Amnesty International est celui d’un certain nombre de personnes qui ont été arrêtées à nouveau après avoir été jugées et acquittées. L’article 14 (7) du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule : " Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays. "

Ignace Banyaga, âgé de 46 ans, ex sous-préfet de la préfecture de Kibuye dans l’ouest du pays, a été arrêté pour la première fois le 14 mars 1997 après avoir été dénoncé lors de deux réunions publiques pour sa participation supposée au génocide. Son procès a commencé en novembre 1998. Après de nouvelles investigations, il a été déclaré non coupable et acquitté le 26 avril 1999. Libéré le 27 avril, il a été arrêté à nouveau le lendemain, à la suite d’une protestation soulevée par son acquittement et sa libération. Les autorités judiciaires ont déclaré qu’elles avaient découvert de nouvelles preuves de sa participation au génocide. En mai 1999 un ordre de mise en détention provisoire a été prononcé, basé au moins en partie sur le fait qu’il devait être détenu " pour sa propre sécurité ". Au début de 2000 il était toujours détenu à la prison centrale de Kibuye.

Pierre Rwakayigamba, second gouverneur adjoint de la Banque nationale du Rwanda et conseiller à la Présidence sous le précédent gouvernement, a été arrêté le 1er octobre 1994 et accusé de participation au génocide. Après quatre ans de détention sans jugement, son procès a finalement commencé le 6 octobre 1998. Le 30 août 1999, il a été acquitté. Au début septembre 1999, quelques jours seulement après sa libération, il a été de nouveau arrêté sur l’ordre du procureur de Kigali (juridiction régionale différente de celle qui l’avait jugé). A la fin de 1999, il était toujours détenu à la brigade de Remera, à Kigali.

Théodore Munyangabe, sous-préfet de la préfecture de Cyangugu au sud-ouest du pays, a été arrêté le 10 mars 1995 et accusé de participation au génocide. Son procès a commencé en février 1997. On lui a refusé l’assistance d’un avocat pour sa défense et les témoins de la défense qu’il a cités n’ont pas été entendus par la Cour. Le 26 février 1997, le tribunal de première instance l’a condamné à mort. Le 6 juillet 1999 il a été acquitté par le Cour d’Appel, du fait qu’il y avait eu des erreurs flagrantes sur les faits et dans la procédure au cours de son procès, et parce que les preuves contre lui étaient insuffisantes. Il a été libéré le 8 juillet et placé presque immédiatement en résidence surveillée, apparemment sur l’ordre du Conseil de sécurité (comité composé des autorités civiles et militaires de la préfecture, normalement responsable du maintien de l’ordre, mais non en matière judiciaire). Il semblerait que le Conseil de sécurité ait recommandé de prendre des mesures de sécurité spéciales, probablement pour protéger Théodore Munyangabe des menaces qui avaient suivi sa libération. Pourtant Théodore Munyangabe lui-même a déclaré qu’il n’avait pas été menacé et qu’il n’avait pas demandé de protection spéciale. Pendant plusieurs semaines il a été gardé par des militaires. Le 17 septembre 1999 il a été arrêté à nouveau, sur la base de nouvelles accusations liées à l’assassinat, en 1992, de trois Tutsis qui auraient été arrêtés alors qu’ils essayaient d’introduire clandestinement une mine terrestre dans le pays. En janvier 2000 il était toujours détenu à la prison centrale de Cyangugu, dans l’attente de son procès, à la suite de ces nouvelles accusations.

Déogratias Bazabazwa, 51 ans, enseignant de Cyangugu, a été arrêté pour la première fois le 20 août 1996. Il est resté emprisonné sans procès pendant plus d’un an, six mois à la brigade de Kamembe, puis huit mois à la prison centrale de Cyangugu. En octobre 1997, la Chambre du Conseil a ordonné sa mise en liberté provisoire. En mai 1998, il a été arrêté à nouveau. Il a été détenu pendant un mois au cachot communal de Gishoma, puis transféré à la brigade de Kamembe. Il a été ramené à la prison centrale de Cyangugu en juillet 1998. Lors de son procès, il a été accusé non seulement de participation au génocide, mais aussi de collaboration avec des groupes d’opposition armée. En août 1998, il a été déclaré innocent, acquitté par le tribunal de première instance de Cyangugu, et libéré. Un deuxième accusé jugé au cours du même procès, Jean-Pierre Uwibambe, a été déclaré coupable et condamné à mort.

Le 7 octobre 1999, Déogratias Bazabazwa a été arrêté à nouveau dans l’école où il travaillait sur la commune de Gishoma. Il a été informé que le procureur avait fait appel du jugement du tribunal de première instance, en demandant qu'il soit classé en Catégorie I (accusé d'avoir joué un rôle dirigeant durant le génocide) et en requérant la peine de mort. L’audience de la Cour d’appel s’était déroulée le 30 septembre ; le verdict avait été annoncé le 7 octobre 1999. Il avait été déclaré coupable et condamné à mort par la Cour d’Appel, et Jean-Pierre Uwibambe, son co-accusé qui avait été condamné à mort par le tribunal de première instance, avait été acquitté par la Cour d’Appel.

Les droits de Déogratias Bazabazwa à un jugement équitable ont été gravement violée. Comme il n’avait pas été prévenu à l’avance de la date de l’audience, ni lui ni son avocat n’étaient présents à la Cour d’appel et par conséquent ils n’ont pas eu la possibilité de plaider sa défense. A la fin novembre 1999, il n’avait toujours pas reçu d’explications sur le fait que le verdict du tribunal de première instance avait été complètement inversé par la Cour d’appel. A la fin de l’année, le texte du jugement de la Cour d’Appel n’était apparemment toujours pas disponible. Au jour où nous écrivons, Déogratias Bazabazwa se trouve toujours en détention à la prison centrale de Cyangugu et a l’intention de faire appel devant la Cour de Cassation.

Casinius Shyirambere et Aloys Havugimana, tous deux ex-employés de l’Office Rwandais du Tourisme et des Parcs Nationaux (ORTPN) au Parc National de Birunga à Kinigi, préfecture de Ruhengeri, dans le nord-ouest du Rwanda, ont été arrêtés pour la première fois le 24 novembre 1996 par des membres de l’armée et détenus dans un centre de détention militaire à Kinigi. ;Libérés le 6 décembre 1996, ils ont été arrêtés à nouveau, cette fois encore par l’armée, le 4 janvier 1997. Ils ont été emprisonnée dans le même centre de détention jusqu’au 8 janvier 1997, date à laquelle ils ont été transférés à la brigade de Ruhengeri, puis à la prison centrale le 6 mars 1997. Ils ont été accusés de participation aux massacres des Tutsis du clan Bagogwe en 1991. Le 28 octobre 1998, ils ont été condamnés à mort par le tribunal de première instance de Ruhengeri. Ils n’ont pas été assistés par un avocat pour leur défense. Ils ont fait appel, avec l’aide d’un avocat, et le 18 août 1999, ils ont été acquittés par la Cour d’appel.

Malgré leur acquittement, ils n’ont pas été libérés. En septembre 1998, à la suite de protestations contre leur acquittement, ils ont été maintenus et détention, sans doute pour leur propre protection. Lorsque les délégués d’Amnesty International se sont rendus à Ruhengeri en octobre 1999, ils ont été informés qu’au début du mois avait eu lieu une réunion entre les autorités régionales et les membres de la Commission Nationale des Droits de l’Homme au cours de laquelle il avait été entendu que ces deux hommes devaient être libérés et que ce point devrait être expliqué clairement à ceux qui avaient essayé d’empêcher leur libération. Le préfet a déclaré à Amnesty International que les autorités essayaient de défendre le cour de la justice, mais que la situation était délicate. En dépit de ces assurances, en février 2000, Casinius Shyirambere et Aloys Havugimana étaient toujours détenus à la prison centrale de Ruhengeri.

De tels cas démontrent une absence de respect pour les décisions des tribunaux et la volonté, de la part de certaines autorités, d’ignorer ou d’annuler arbitrairement les décisions des tribunaux. Ils sapent aussi sérieusement l’indépendance du judiciaire. Ceci constitue une évolution particulièrement regrettable car, depuis que les procès pour génocide ont commencé au Rwanda en décembre 1996, un certain nombre d’améliorations avaient été observées en termes d’équité des jugements et d’indépendance des tribunaux. La tendance qui pousse à une nouvelle arrestation de détenus qui ont été acquittés pourrait décourager certains des juges et autres responsables qui ont fait jusqu’ici montre de bonne foi et d’une volonté d’agir équitablement ; dans le climat politique actuel du Rwanda, l’acquittement d’un individu accusé de génocide, même lorsqu’il est clair que les preuves manquent, est une décision courageuse, et un progrès significatif a été accompli dans ce domaine, comme le montre le nombre des acquittements. Cependant, ces jugements risquent de devenir sans valeur s’ils sont si facilement annulés.

 

Assassinats de détenus libérés et de leurs proches

Dans quelques cas, des détenus libérés ou des membres de leurs famille ont été tués après leur libération. Dans certains de ces cas, ces assassinats ont été attribués à des soldats de l’APR, motivés apparemment par la vengeance personnelle. Dans d’autres cas, les victimes semblent avoir perdu la vie en conséquence de disputes avec des personnes privées. Des prisonniers dans certains cachots communaux ont exprimé des craintes pour leur sécurité à la lumière de rumeurs persistantes selon lesquelles certains d’entre eux pourraient être pris pour cible s’ils étaient libérés.

Plusieurs assassinats de détenus libérés ont été annoncés en 1997, 1998 et 1999. Par exemple, le 16 août 1998, quatorze personnes ont été tuées à Nyamagana, près de Ruhango, préfecture de Gitarama, notamment la femme et les enfants d’Emmanuel Gasana, un pasteur anglican qui venait d’être libéré. A la connaissance d’Amnesty International, les responsables de ce méfait n’ont pas été traduits en justice.

Plus récemment, le 5 février 2000, Aloys Rurangangabo, qui faisait partie d’un groupe de personnes acquittées part un tribunal de Byumba le 14 janvier 2000, a été abattu dans le secteur de Gakoni, commune de Murambi, préfecture d’Umutara ; son épouse Aima Ntagorama, son enfant de quatre ans Ishimwe, et leur domestique Mbabajende, alias Buzoyo, ont également été blessés lorsqu’une grenade a été lancée dans leur maison. Trois individus soupçonnés d’avoir participé à cette agression auraient été arrêtés. Mais, deux autres, considérés comme responsables de l’agression, un soldat de l’APR et un autre démobilisé, sont toujours libres ; tous deux auraient exprimé leur mécontentement après les acquittements. Le soldat qui est toujours en service actif avait apparemment accusé Aloys Rurangangabo d’avoir tué son père pendant le génocide. Environ deux semaines plus tôt, dans le même secteur de Gakoni, Claver Sekaziga, accusé au même procès qui avait aussi été libéré, a échappé de justesse à la mort lorsque sa maison a été incendiés.

De pareils assassinats ont été utilisés par certaines autorités pour justifier le maintien de gens en détention " pour leur propre sécurité ". Amnesty International condamne formellement ces assassinats et les menaces pesant sur la sécurité des personnes libérées ; cependant, les informations dont dispose l’organisation ne permettent pas de conclure à l’assassinat systématique de détenus libérés. De plus, de pareils cas ne pourront jamais justifier la prolongation de la détention de personnes qui devraient être libérées. Au lieu de cela, les autorités devraient persévérer dans les efforts déjà entrepris pour accroître la conscience du public concernant la nécessité de respecter les décisions des tribunaux et des autres organes judiciaires, ainsi que le principe de la présomption d’innocence, et devraient faire en sorte que les individus coupables de ces assassinats soient traduits en justice.

 

IMPOSITION DE LA PEINE DE MORT

Amnesty International s’oppose à la peine de mort dans tous les cas, pour la raison qu’il s’agit du plus extrême des châtiments cruels, inhumains ou dégradants, et d’une violation du droit à la vie. Selon les textes internationaux en matière de droits humains, les personnes accusées de crimes passibles de la peine de mort ont droit au plus strict respect de toutes les dispositions assurant un procès équitable et à certaines garanties supplémentaires.

Selon les garanties de l’ONU qui assurent la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, celle-ci ne peut être imposée que lorsque la culpabilité de la personne accusée " repose sur des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre explication des faits ". Parmi les garanties minimum applicables aux cas de peine de mort, les personnes accusées doivent avoir accès à un conseil juridique effectif au cours de leur détention, durant leur procès et en appel, et disposer d’un temps suffisant et de conditions adaptées pour préparer leur défense (Article 14(3) du PIDCP et Paragraphe 2(E)(1) de la Résolution de la Commission Africaine).

Amnesty International s’inquiète toujours de l’imposition fréquente de la peine de mort par les tribunaux du Rwanda, particulièrement après des jugements inéquitables. De nombreuses sentences de mort continuent à tomber, s’élevant au total d’environ 370 au début de l’an 2000. Le pourcentage global des sentences capitales, comparées aux peines de prison et aux acquittements, a diminué depuis le début des procès pour génocide ; mais le nombre des sentences capitales a augmenté en 1999, ceci correspondant à l’augmentation du nombre de personnes jugées. Environ 184 personnes ont été condamnées à mort en 1999, à comparer aux 74 de 1998 et 111 de 1997. Selon la loi Organique numéro 8/96 du 30 août 1996, les accusés de génocide qui sont classés en catégorie I (ceux qui sont accusés d’avoir joué un rôle dirigeant dans le génocide) sont condamnés à mort s’ils sont déclarés coupables.

Bien qu’il n’y ait pas eu d’exécution judiciaire depuis avril 1998, le gouvernement n’a pas annoncé de moratoire sur les exécutions ni fait de déclaration officielle sur son intention de continuer ou non à pratiquer des exécutions. De ce fait, ceux sur qui pèse une sentence capitale risquent d’être exécutés à n’importe quel moment après qu’ils aient épuisé les possibilités d’appel. Les Cours d’Appel ont confirmé le plus grand nombre de peines capitales prononcées par les tribunaux de première instance. Les accusés peuvent en appeler à la grâce présidentielle en dernier recours. Amnesty International n’a pas connaissance de cas où la grâce présidentielle ait été accordée, ni même de cas de commutation de la peine capitale.

De nombreux accusés qui ont été condamnés à mort ont eu un procès inéquitable. C’est le cas de Moïse Niyonshuti, ancien bourgmestre de la commune de Rukira, préfecture de Kibongo, dont le procès a commencé en février 1998. Le 23 septembre 1998, il a été condamné à mort. Il existe des indications très nettes montrant que le jugement a été basé, au moins en partie, sur des déclarations falsifiées. Par exemple, la version écrite de la déclaration de l’un des témoins de l’accusation indique que le témoin avait vu Moïse Niyonshuti dans une réunion ; mais, au tribunal, le même témoin a nié avoir jamais vu l’accusé dans une réunion. Moïse Niyonshuti lui-même n’a pas été entendu par le tribunal. Il s’en est plaint, mais le tribunal a rejeté sa plainte et le procès s’est poursuivi. L’accusé a aussi déclaré que l’un des principaux témoins pour sa défense n’a pas été interrogé. De plus, Emmanuel Rukiramakuba, son co-accusé dans le même procès, a reconnu avoir tué des gens lui-même mais a déposé en faveur de Moïse Niyonshuti. Ses aveux ont été rejetés comme incomplets. Moïse Nyonshuti préparait son appel à la fin de 1999.

Lorsque Amnesty International s’est rendue à la prison centrale de Cyangugu en novembre 1999, ses délégués ont parlé à plusieurs détenues qui avaient été condamnées à mort au cours de procès inéquitables. Marcelline Musabyemariya, âgée de 23 ans, a été arrêtée le 14 février 1997, et accusée d’appartenir à un groupe d’opposition armée. Elle a été jugée le 26 juin 1998 et condamnée à mort. Le 6 juillet 1999, la Cour d’appel a confirmé la sentence de mort. Elle n’a eu d’avocat a aucun moment bien qu’elle ait déclaré que le procureur avait promis de lui en trouver un. Faina Nyabyenda, 49 ans, et Damase Nyanzira, 67 ans, ont toutes deux été arrêtées en 1995, et accusées de meurtre par empoisonnement. Elles ont été condamnées à mort le 26 janvier 1999. Elles n’avaient pas d’avocat. Elles ont déclaré que les témoins de l’accusation et de la défense étaient présents au procès mais que ceux de la défense n’ont pas été interrogés. Ces femmes ont toutes deux fait appel. Astérie Nyirarusatsi a été arrêtée le 25 décembre 1995, et accusée d’avoir tué son mari. Elle a été jugée le 23 février 1999, sans l’assistance d’un avocat, et condamnée à mort.

De nombreux accusés condamnés à mort par les tribunaux de première instance ont dû attendre des mois, parfois des années, avant que leurs appels soient jugés. Les audiences et les jugements des cours d’appel sont souvent reportés.

Par exemple, Callixte Gakwaya, professeur et ancien bourgmestre de la commune de Gisuma, préfecture de Cyangugu, a été arrêté le 8 février 1995 et accusé d’avoir participé aux massacres du stade de Cyangugu en 1994. Son procès a commencé deux ans plus tard, le 8 février 1997. Il a déclaré qu’il n’avait eu que trois jours pour étudier son dossier ; il s’en est plaint à la Cour mais sa plainte a été rejetée. Il n’y pas été assisté d’un avocat, et les témoins de la défense qu’il a cités n’étaient pas présents au procès. Pourtant, les autorisés auraient envoyé un véhicule chercher plusieurs témoins de l’accusation, qui étaient présents au procès. Le 5 mars 1997, il a été. condamné à mort. Il a fait appel, avec l’assistance d’un avocat. L’audience en appel a ensuite été reportée plusieurs fois, jusqu’en juin 1999, date où l’accusation a finalement présenté son cas. Le jugement de la Cour d’appel devait être annoncé fin juin. Le matin du 30 juin, Callixte Gakwaya s’est rendu au tribunal pour s’entendre dire de revenir dans l’après-midi. L’après-midi, on lui a dit que l’audience ne pouvait avoir lieu car l’un des juges était absent. On ne lui a pas fixé d’autre date. Le 6 juillet 1999, il a reçu une sommation à comparaître à l’audience du jugement pour le 5 juillet. Lorsqu’il s’est rendu au tribunal on lui a dit que le jugement avait été prononcé le matin même, 6 juillet. La Cour d’appel avait confirmé la sentence de mort. Ni l’accusé ni son avocat n’avaient été formellement informés. Callixte Gakwaya a déclaré qu’un seul des quatre témoins de la défense qu’il avait cités avait été interrogé par la Cour d’appel.

 

LES PROPOSITIONS DE GACACA

En 1999, pour tenter de résoudre le très grand nombre d’affaires en attente, le gouvernement rwandais a élaboré le projet de transférer de nombreux dossiers liés au génocide à un système appelé gacaca. Au moment où nous écrivons, ces propositions n’ont pas encore été formellement adoptées par le gouvernement et l’assemblée nationale. Selon le ministre de la Justice Jean de Dieu Mucyo, ces propositions devraient aboutir aux alentours de juin 2000. Cependant, dans la pratique, l’adoption de ces lois sur la gacaca et en particulier la mise en œuvre du système risquent de prendre de nombreux mois.

En résumé, le projet de loi sur la gacaca propose un système qui serait basé en gros sur ce que les autorités décrivent comme un système de justice traditionnelle, impliquant des citoyens ordinaires dans le jugement de leurs pairs soupçonnée de participation au génocide. Des tribunaux locaux de gacaca seraient créés dans tout le pays, depuis le plus bas niveau administratif du Rwanda appelé la cellule jusqu’à ceux du secteur, de la commune et de la préfecture. Tous les cas de génocide sauf ceux de la catégorie 1 (personnes accusées d’avoir joué un rôle dirigeant pendant le génocide) seraient jugés par les juridictions gacaca. Les personnes ainsi jugées comprendraient celles accusées d’homicide, d’agression physique, de destruction de propriété et autres délits commis durant le génocide, correspondant aux catégories 2, 3 et 4. Les juridictions gacaca du niveau de la cellule jugeraient les affaires de la catégorie 4 ; celles du niveau du secteur jugeraient les affaires de la catégorie 3 ; et celles du niveau de la commune jugeraient les affaires de la catégorie 2, cependant que les juridictions gacaca du niveau de la préfecture entendraient les appels des cas de catégorie 2 jugés au niveau de la commune. Les accusés en catégorie 1 continueraient à être jugés par les tribunaux ordinaires.

En attendant l’adoption de la loi créant ces juridictions gacaca, le gouvernement rwandais a lancé divers programmes pour préparer le terrain, notamment des visites d’autorités gouvernementales dans diverses parties du pays et une campagne d’information du public sur les nouvelles propositions. Le gouvernement a aussi recherché une aide internationale et un financement du système.

Les délégués d’Amnesty International qui se sont rendus au Rwanda fin 99 ont recueilli des réactions tant positives que négatives à ces propositions de la part de Rwandais de divers milieux. De nombreuses personnes ont exprimé un sentiment global d’espoir et d’optimisme après ces propositions. Cependant certaines familles de victimes du génocide ont exprimé des craintes que les juridictions gacaca aient pour conséquence des sentences extrêmement légères pour des personnes qui ont pu commettre des crimes terribles. Certains des accusés, d’un autre côté, considéraient ces propositions comme une façon de légitimer les châtiments populaires contre les présumés coupables du génocide. Ces deux groupes ont exprimé des craintes que les juridictions gacaca ne soient utilisées comme un moyen de régler des comptes personnels, plutôt que de découvrir la vérité ou d’administrer la justice. Certaines personnes ont soulevé la question de savoir pourquoi les juridictions gacaca ne seraient utilisées que pour juger les cas de génocide, alors que les personnes accusées d’autres crimes continueraient à être jugées selon le système habituel. Malheureusement, une étude plus systématique de l’opinion publique concernant la gacaca prévue par le LIPRODHOR, une organisation rwandaise indépendante en matière de droits humains, n’a pas été autorisée : en octobre 1999, le Ministre de la Justice a écrit à la LIPRODHOR, lui interdisant de réaliser ce sondage jusqu’à ce que la campagne du gouvernement lui-même sur la gacaca soit terminée.

Considérant que le système de justice existant est encore sérieusement dépassé et manque de ressources, Amnesty International estime qu’une gamme d’autres possibilités, conformes aux normes internationales en matière de jugement équitable, doit être envisagée pour que le Rwanda émerge un jour de l’impasse dans laquelle se trouve l’administration de la justice pour le génocide. Pourvu que les normes de jugement équitable ne soient pas négligées, l’introduction des juridictions gacaca pourrait contribuer à alléger l’énorme fardeau qui pèse sur les tribunaux ; elle pourrait aussi représenter une évolution positive en terme d’implication de la population locale dans le processus judiciaire. Le fait d’organiser des procès au niveau local, à la base, pourrait encourager des gens à témoigner sur des événements auxquels ils ont personnellement assisté durant le génocide. Cependant, Amnesty International est préoccupée par un certain nombre d’aspects fondamentaux de ces propositions qui ne sont pas conformes aux normes internationales essentielles pour un jugement équitable.

Le droit à l’assistance juridique

Le projet de loi sur les juridictions de gacaca ne fait aucune référence explicite au droit des accusés à disposer d’un représentant juridique. Au vu des garanties existantes de ce droit dans les textes nationaux et internationaux, l’accusé devrait automatiquement en jouir dans les procès de gacaca. Cependant, plusieurs autorités gouvernementales rwandaises de haut rang, notamment le Ministre de la Justice, ont déclaré explicitement et publiquement que les accusés ne seraient pas autorisés, au cours des procès de gacaca, à être représentés par un avocat pour leur défense. Ceci aurait pour conséquence un sérieux désavantage pour les accusés, en particulier du fait que la majorité risque fort de n’avoir que peu ou pas d’instruction ou de formation, avec une connaissance limitée de leurs droits ou de la manière de se défendre dans un contexte formel ou semi-formel. La question du droit des accusés à une assistance juridique dans la période précédant le procès n’a pas été abordée non plus. D’après les propositions, les accusés eux-mêmes ne seraient même pas présents à l’audience au cours de laquelle leur classement dans une catégorie serait décidée, audience qui affectera fondamentalement la nature de leur sentence s’ils sont reconnus coupables et qui pourrait les conduire à la prison à vue pour ceux qui seraient classés en catégorie 2.

Amnesty International considère que les juridictions gacaca ne respecteraient pas le principe " d’égalité des armes ", critère essentiel pour qu’une cause soit entendue équitablement, et qui garantit que les deux parties jouissent d’une égalité procédurale au cours du procès et sont en position d’égalité pour défendre leur cause. En réponse à cette critique, le gouvernement a nié que l’accusation jouirait d’un avantage inéquitable, du fait qu’elle ne participerait pas au procès. Cependant, il est clair que les cas seraient jugés sur la base de dossiers préparés et transmis par l’accusation. Il serait extrêmement difficile aux accusés, sans l’assistance d’un avocat, de contrer efficacement les accusations déjà contenues dans ces dossiers. De plus, les personnes qui présideraient les tribunaux, n’ayant que peu ou pas de formation juridique (voir ci-dessous), risquent fort de ne pas contester les informations contenues dans le dossier officiel ni le fondement même de ce dossier.

Préoccupations concernant la compétence, l’indépendance et l’impartialité

Amnesty International a de sérieuses préoccupations concernant le manque de formation juridique des membres des juridictions gacaca. Les personnes auxquelles il serait demandé de juger les cas présentés devant les juridictions gacaca seraient élues pour ce rôle par la population locale. Elles n’auraient aucune formation ni antécédents juridiques, et devraient pourtant prononcer des jugements dans des cas extrêmement complexes et sensibles, avec des sentences aussi lourdes que la prison à vie. Elles seraient également responsables de la détermination de la catégorie des accusés, ce qui fixe le cadre des sentences, y compris le classement des accusés en catégorie 1, dans laquelle les accusés déclarés coupables sont condamnés à mort. Même si ces personnes sont consciencieuses et s’efforcent d’agir de bonne foi, il est probable qu’elles seront soumises à des pressions considérables tant de la part des accusés que des plaignants. Les procès qui ont eu lieu à ce jour dans les tribunaux ordinaires du Rwanda ont déjà révélé des difficultés et controverses importantes ; ils ont illustré la nécessité absolue pour les juges d’être capables de résister à des pressions politiques et psychologiques, de savoir distinguer les témoignages authentiques de ceux qui sont faux, et de respecter dans tous les cas les droits égaux de la défense et de l’accusation. Un grand nombre des juges des tribunaux ordinaires n’ont eu que quelques mois de formation. Les personnes qui jugeraient les cas présentés aux juridictions gacaca n’auraient bénéficié d’aucune formation professionnelle, et malgré tout on s’attendrait probablement à ce qu’elles fassent preuve immédiatement d’indépendance et d’impartialité. Les autorités gouvernementales ont indiqué que ces personnes recevraient une formation " de base " et ont demandé une aide internationale pour cela, mais ont également insisté sur le fait que les règles régissant les procès gacaca doivent rester simples.

Le projet de loi prévoit une aide pour ceux qui siégeraient dans les juridictions gacaca, sous la forme d’une assistance par des conseillers juridiques désignés par un service de la Cour Suprême spécialisé pour la gacaca. Aucune autre information n’est fournie sur les critères retenus pour la nomination de ces conseillers juridiques, et il n’y a aucune garantie de leur indépendance. En termes de capacités et de ressources, il serait irréaliste d’espérer que ces conseillers fournissent une assistance à chaque stade de la procédure. Dans les cas où ils interviendraient effectivement comme conseils dans des procès précis, ils risqueraient de pouvoir exercer une influence considérable, du fait que les juges profanes des juridictions gacaca auraient des difficultés pour contester ou rejeter les indications des conseillers de la Cour Suprême qui ont une formation professionnelle dans le domaine juridique.

Préoccupations concernant les procédures d’appel

Le projet de loi ne prévoit qu’un recours limité à l’appel pour les accusés jugés par les juridictions gacaca, et aucune garantie de jugement équitable au niveau de l’appel. Les accusés jugés au niveau de la cellule peuvent faire appel à la juridiction gacaca au niveau du secteur, qui est le niveau immédiatement supérieur. De la même façon, ceux qui sont jugés au niveau du secteur peuvent faire appel au niveau de la commune, et les personnes jugées au niveau de la commune peuvent faire appel au niveau de la préfecture. Amnesty International a les mêmes préoccupations concernant le niveau de l’appel que pour les procès en première instance devant les juridictions gacaca. Ces préoccupations concernent la compétence, l’indépendance, l’impartialité et le refus du droit à une assistance juridique : tout cela s’applique aussi aux procédures d’appel. Amnesty International estime par conséquent que les accusés risquent de se voir refuser un procès inéquitable au niveau de l’appel également.

La recherche de la vérité

L’un des principaux espoir que l’on fonde sur les juridictions gacaca est qu’elles parviendront à faire connaître la vérité, d’une manière qui n’est pas accessible aux tribunaux ordinaires, en tenant des audiences à la base et en encourageant les gens à témoigner sur des événements auxquels ils ont assisté dans leur propre communauté. Cependant, il ne suffira pas de demander aux gens de dire la vérité. La recherche de la vérité est extrêmement importante mais ne doit pas être entreprise aux dépens de la justice. Les garanties qui figurent dans les textes internationaux sont destinées à empêcher l’injustice et à maintenir l’équité des procès. Des garanties doivent par conséquent être dressées contre des condamnations basées sur de fausses dénonciations, et il faut faire des efforts pour respecter la présomption d’innocence. Ces deux démarches représentent des défis importants dans le contexte rwandais : au cours de ces dernières années, la pratique de dénonciations infondées s’est systématisée, et il est devenu presque coutumier d’accuser des gens de participation au génocide comme moyen de régler des comptes. De plus, le principe de la présomption d’innocence n’est toujours pas largement accepté au Rwanda.

Obligations internationales

Si les juridictions gacaca sont créées telles que prévues dans le projet de loi, il est clair que les procès ne respecteront pas les normes internationales fondamentales pour un procès équitable. Les principales préoccupations d’Amnesty International concernant le projet de loi ont trait au droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; au droit de voir sa cause entendue équitablement ; et au droit des accusés à se défendre avec l’assistance d’un avocat. Tous ces droits sont garantis par le PIDCP et la Charte Africaine.

Une garantie primordiale de procès équitable réside en ce que les décisions soient prises par des tribunaux compétents, indépendants et impartiaux. Ceci figure à l’Article 14 (1) du PIDCP ainsi qu’à l’Article 7 de la Charte Africaine. Le Principe 2 des Principes fondamentaux relatifs à l’Indépendance de la Magistrature stipule que : " Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restriction et sans être l’objet d’influences, d’incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit ". Les juges doivent avoir une formation et une expérience en matière juridique (Le Principe 10 des Principes Fondamentaux stipule : " les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de magistrat doivent être intègres et compétentes et justifier d’une formation et des qualifications juridiques suffisantes ") et doivent être impartiaux : une affaire donnée ne doit comporter pour eux ni intérêt ni enjeu, et ils ne doivent pas avoir d’idées préconçues à son sujet.

Parmi les garanties minimum pour un procès équitable, l’Article 14(3) du PIDCP cite le droit de se défendre avec l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit, et le droit d’interroger et de citer des témoins.

Certains défenseurs du nouveau système de gacaca ont avancé l’argument qu’il n’est pas approprié d’appliquer les normes internationales pour un procès équitable dans ce contexte, déclarant que les juridictions gacaca sont des méthodes traditionnelles pour la résolution des conflits, et non un système formel de tribunaux liés par les obligations internationales. Cependant, en pratique, elles seraient les équivalents des tribunaux criminels, mais avec peu ou pas de garanties procédurales contre les erreurs ou les abus. Par beaucoup d’aspects, elles imiteraient les tribunaux ordinaires au niveau local, avec comme principale différence que les juges seraient des profanes, et non des professionnels de la justice. Les tribunaux de gacaca auraient une bonne partie des pouvoirs des tribunaux ordinaires : pouvoir de juger les accusés pour des crimes aussi graves que le meurtre, de les condamner à de longues peines de prison, y compris l’emprisonnement à vie, et d’obliger les témoins à déposer. Ils appliqueraient aussi la législation pénale de l’Etat, et tous ces aspects exigent qu’ils soient conformes aux normes internationales minimum. De plus, les propositions de gacaca ont été conçues et lancées, et seront finalement appliquées, par l’Etat. Elles seront introduites et administrées par une législation d’Etat, et un service spécial de la Cour Suprême sera créé pour superviser les activités des juridictions gacaca.

Dans tous les cas, la description des juridictions gacaca comme un système traditionnel ne signifie pas que les normes internationales pour un procès équitable peuvent être mises de côté. Le Rwanda a ratifié les traités internationaux en matière de droits humains qui prévoient le droit à un jugement équitable. D’après le droit international, il a l’obligation d’adopter des mesures législatives et autres pour rendre effectifs les droits garantis dans ces traités (voir Article 2 du PIDCP ; une disposition semblable figure à l’Article 1 de la Charte Africaine). Selon le Comité des Droits de l’Homme (Commentaire Général 13), les dispositions de l’Article 14 du PIDCP s’appliquent à la totalité des cours et tribunaux.

De plus, la déclaration du Séminaire sur le Droit à un Procès Equitable, organisé par la Commission Africaine sur les Droits de l’Homme et des Peuples à Dakar, au Sénégal, les 9-11 septembre 1999, réaffirme que " Le droit à un procès équitable est un droit fondamental, dont le non-respect sape tous les autres droits humains. Par conséquent, le droit à un procès équitable ne peut souffrir aucune dérogation, notamment parce que la Charte Africaine n’autorise expressément aucune dérogation aux droits qu’elle contient ".Plus loin, elle indique : " Les tribunaux traditionnels n’échappent pas aux dispositions de la Charte Africaine en matière de procès équitable ".

ne garantie primordiale

 

RECOMMANDATIONS

Amnesty International reconnaît que de nombreux problèmes complexes entourent toujours le fonctionnement de la justice au Rwanda six ans après le génocide, et n’ignore pas les défit toujours posés au système judiciaire par l’inadaptation des ressources au traitement d’une aussi énorme quantités d’affaires. L’Organisation insiste auprès du gouvernement rwandais pour qu’il remédie aux abus passés, qu’il accélère les procès sans sacrifier les normes d’équité, et continue à accroître la conscience du public et à encourager le débat au sein de la population concernant les problèmes de justice et de droits humains.

On trouvera ci-dessous une série de recommandations qui se rapportent aux principales préoccupations décrites dans ce rapport. Amnesty International reconnaît qu’il ne sera peut-être pas possible de résoudre immédiatement certains des plus graves problèmes qui persistent à la suite du génocide ; mais l’organisation pense que le mise en œuvre de ces recommandations aurait déjà un impact significatif pour garantir le respect des droits des détenus, des accusés et des victimes du génocide et pour contribuer à plus long terme à une culture de respect de la justice et des droits humains au Rwanda. Beaucoup de ces recommandations sont liées entre elles. Par exemple, les efforts faits pour éviter de nouvelles arrestations arbitraires et libérer ceux qui sont arbitrairement détenus auraient un effet positif immédiat sur les conditions de vie dans les prisons;  ils bénéficieraient aussi aux juridictions gacaca prévues, en réduisant le nombre d’affaires et garantissant que celles qui viendraient devant les juridictions gacaca seraient basées sur des preuves substantielles.

Dans le cadre de toutes les recommandations qui suivent, Amnesty International insiste auprès des autorités nationales pour qu’elles exercent un plus grand contrôle sur les autorités locales ainsi que sur les membres des organismes de justice et de sécurité, afin de garantir le respect des droits humains dans la totalité du pays.

Arrestations, détention et libérations

Eviter de nouvelles arrestations arbitraires et faire en sorte que des arrestations ne soient effectuées que sur la base de preuves substantielles et par des autorités compétentes légalement autorisées à le faire.

Respecter le droit des détenus à être jugés dans un délai raisonnable ou à être libérés en attendant leur procès.

Garantir que toutes les personnes détenues avant jugement aient la possibilité de contester le fondement et la légalité de leur détention.

Libérer sans délai les prisonniers dont le dossier est vide et ceux qui ont été illégalement arrêtés ou détenus.

Procéder à une révision systématique et accélérée des cas de détention provisoire. Déterminer des critères clairs et objectifs pour définir l’ordre dans lequel les affaires seront traitées ; la priorité devrait être accordée aux cas de personnes qui sont détenues depuis le plus longtemps, ainsi qu'à ceux des enfants et des personnes très âgées.

S’assurer que les Chambres du Conseil fonctionnement pleinement et efficacement dans tout le pays.

Informer les autorités judiciaires au niveau local du fait que les personnes libérées de prison ne devraient être arrêtées à nouveau que si de nouvelles preuves substantielles apparaissent et seulement après qu'une enquête complète et indépendante ait été menée. En aucun cas des personnes qui ont été acquittées ne devraient être arrêtées sur la base des mêmes accusations.

Dans les cas où les autorités ont connaissance de menaces potentielles contre des personnes libérées, des mesures devraient être prises pour assurer leur protection. L’existence de telles menaces ne devrait pas être utilisée comme justification du maintien de ces personnes en détention.

Indiquer clairement à toutes les autorités judiciaires que le maintien en détention de personnes dont la libération a été décidée par les Chambres du Conseil et en particulier par les tribunaux après acquittement, est illégal et inacceptable. Les personnes suspectées d’être responsables de détentions illégales devront être traduites en justice et si leur culpabilité est avérée, elles seront empêchées d’exercer des fonctions qui leur permettent de violer les droits des détenus.

Le gouvernement devrait poursuivre et intensifier sa campagne pour augmenter au sein de la population la conscience de l’importance du respect des décisions des tribunaux et des droits des détenus ainsi que des personnes libérées.

Verser des compensations à ceux qui ont été illégalement détenus pendant de longues périodes.

Torture, mauvais traitements et conditions carcérales

Faire en sorte que les membres des forces de sécurité et les gardiens des centres de détentions sachent bien que la torture et les mauvais traitements sur les détenus ne seront pas tolérée et que ceux qui seront suspectés de pratiquer torture ou mauvais traitements perdront leur poste et seront traduits en justice.

Mener une enquête sur chaque allégation de torture et de mauvais traitements, en particulier lorsque la mort résulte de ces sévices, et s’assurer que les personnes suspectées de pratiquer torture ou mauvais traitements soient traduites en justice, en accord avec les normes internationales pour un procès équitable et sans recourir à la peine de mort.

Faire en sorte qu’une autopsie et une enquête judiciaire impartiale et indépendantes soient effectuées dans tous les cas de mort en détention et que les résultats en soient communiqués à la famille de la personne décédée.

Verser une compensation aux victimes de tortures et de mauvais traitement par les agents de l’Etat, ou à leur famille dans le cas où la mort a suivi les mauvais traitement ou la torture.

Garantir que les détenus qui ont été torturés ou maltraités et ceux qui souffrent de mauvaise santé en raison des conditions carcérales soient immédiatement transférés dans un hôpital ou centre médical pour un traitement adapté et bénéficient régulièrement de soins médicaux.

S’assurer que les détenus emprisonnés dans les cachots communaux reçoivent de la nourriture fournie par l’Etat et ne soient pas obligés de dépendre entièrement de leur famille.

Détention militaire

Révéler l’identité de tous ceux qui sont emprisonnés dans les centres de détention militaires.

Faire en sorte qu’aucun détenu ne soit maintenu au secret ou dans un centre de détention clandestin et transférer immédiatement ces détenus vers des lieux de détention officiellement reconnus.

Autoriser, immédiatement et sans restriction, les détenus qui se trouvent sous la garde de militaires, à recevoir des visites de leur famille, ainsi que de médecins, avocats et membres d’organisations humanitaires et des droits humains.

Mettre fin à la pratique de la détention de civils sous la garde de militaires.

 

Procès inéquitables et imposition de la peine de mort

Les accusés qui ont été condamnés après un procès inéquitable, et en particulier ceux qui ont été condamnés à mort, devraient avoir la possibilité d’être à nouveau jugés par le tribunal dans le plein respect de leurs droits. Les personnes accusées de crimes passibles de la peine de mort ont droit au plus strict respect de toutes les garanties en matière de jugement équitable.

Tous les accusés devraient bénéficier d’un avocat pour leur défense au stade de l’enquête et avant le jugement, ainsi que tout au long de leur procès et en appel. Les avocats de la défense devraient avoir accès au dossier tout au long de la période d’enquête et devraient disposer, ainsi que leurs clients, d’un temps suffisant pour préparer leur défense, et être informée en temps utile de la date des audiences, y compris des audiences en appel.

Le gouvernement devrait prendre des mesures pour protéger l’indépendance des juges au niveau national et local et faire en sorte que tous les membres de la profession judiciaire puissent remplir leurs fonctions en toute indépendance, sans interférence, en sachant avec certitude que leurs décisions seront respectées.

Tous les efforts devraient être entrepris pour réduire les délais et les reports de procès, notamment des audiences des Cours d’Appel, sauf lorsqu’il y a une raison légale à ces reports.

Accélérer le processus de compensations aux victimes du génocide et à leurs famille, notamment le paiement de dommages et intérêts accordés à la suite des procès, et créer sans plus de retard le fonds de compensation aux victimes du génocide aux frais de l’Etat.

Instituer un moratoire sur les exécutions en attendant de nouvelles discussions sur l’abolition de la peine de mort au Rwanda. Pendant ce temps, le gouvernement devrait lancer et promouvoir un débat sur la peine de mort au sein de la population, et demander l’intervention des organisations indépendantes des droits humains pour contribuer à augmenter la conscience des questions de droits humains qui sont en jeu.

Les juridictions de Gaçaça

Amnesty International estime que pour que les juridictions gacaca soient efficaces, elles ne devraient pas être considérées isolément, du fait que les résultats de leur fonctionnement dépendront dans une large mesure du fonctionnement plus ou moins correct des autres mécanismes et institutions judiciaires. Bien qu’il puisse être opportun pour le gouvernement de consacrer des ressources considérables à garantir que les juridictions gacaca soient efficaces et équitables, cela ne devrait pas se faire au détriment des autres secteurs du domaine judiciaire. En particulier, l’élan donné aux juridictions gacaca ne devrait pas dissuader de faire des efforts pour l’amélioration du fonctionnement des tribunaux ordinaires, en particulier du fait que ces derniers jugeront toujours les personnes de la catégorie I accusées de génocide. De plus, le temps pris pour la création des juridictions gacaca ne devrait pas entraîner le ralentissement du rythme des procès devant les tribunaux ordinaires. Le processus de création des juridictions gacaca devrait intégrer une évaluation des procès de génocide qui ont eu lieu à ce jour dans les tribunaux ordinaires afin de mettre en application les leçons apprises.

Le projet de loi sur les juridictions gacaca devrait être amendé pour garantir que ces procès se conforment aux normes internationales pour un jugement équitable. En particulier :

Avant que les juridictions gacaca ne commencent à aborder les affaires de génocide, des ressources importantes devraient être consacrées à la formation de ceux qui seront élus pour ces juridictions gacaca, notamment en matière de normes internationales pour un procès équitable.


Région des Grands Lacs :

RÉFUGIÉS PRIVÉS DE PROTECTION

Rapport d’Amnesty International, mai 2000

INTRODUCTION

Dans la région africaine des Grands Lacs, la vie, la dignité et la sécurité de milliers de réfugiés sont de nouveau menacés. En Tanzanie, les normes relatives à la protection des réfugiés sont violées de façon flagrante depuis la fin de 1999 : un grand nombre de réfugiés burundais et rwandais ont été renvoyés de force dans leur pays, en violation de la législation tanzanienne et du droit international, et plus particulièrement de la Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. Pour ne citer qu’un cas particulièrement flagrant de ce type de violation, on évoquera celui de cinq réfugiés rwandais contraints, pour deux d’entre eux, de quitter la Tanzanie, et pour les trois autres le Burundi, et renvoyés, en février 2000, au Rwanda où ils sont depuis maintenus en détention. Par ailleurs, le gouvernement tanzanien n’a pas pris des mesures suffisantes pour assurer la protection des femmes réfugiées.

Amnesty International demande instamment aux gouvernements de la Tanzanie, du Burundi et du Rwanda de respecter les droits fondamentaux des réfugiés et rappelle aux gouvernements de la Tanzanie et du Burundi leur obligation, en vertu des instruments internationaux et régionaux auxquels ils ont adhéré, d’appliquer le principe de non-refoulement, et de prendre sans délai toutes mesures utiles en vue d’empêcher d’autres renvois de réfugiés.

Les réfugiés refoulés de Tanzanie en 2000

Des milliers de réfugiés burundais et rwandais, dont beaucoup ont des parents dans les régions frontalières de la Tanzanie, se sont installée dans des villages de ces régions où ils peuvent trouver de bonnes conditions d’intégration et se livrer à des activités agricoles ou économiques, plutôt que de séjourner dans des camps réservés aux personnes déplacées. Ces camps, qui sont administrés par le ministère de l’Intérieur tanzanien, sont immenses et surpeuplés. La liberté de mouvement et les possibilités de travailler y sont fortement limitées. De nombreux réfugiés qui se trouvent dans les villages vivent en Tanzanie depuis plus de vingt ans et sont pleinement intégrés à la vie communautaire. Lorsque des réfugiés sont exilés pendant d’aussi longues périodes, on considère généralement qu’il est souhaitable, sauf perspective de retour volontaire, de favoriser leur accès à des activités leur permettant de gagner leur vie, afin de les rendre moins dépendants des aides publiques. Cela implique d’ordinaire qu’au moins quelques membres de leurs familles vivent à l’extérieur des camps de réfugiés.

A la fin de 1999, les autorités militaires tanzaniennes de la région de Kagera, dans le nord-ouest du pays, ont publié un communiqué ordonnant à tous les réfugiés burundais et rwandais de se rendre dans les camps de réfugiés. Il n’est pas certain que le nécessaire ait été fait pour que toutes les personnes concernées soient informées de cet ordre. Depuis février 2000, les autorités tanzaniennes chargées de l’immigration ont arrêté, détenu et renvoyé de force dans leur pays des centaines de réfugiés burundais et rwandais qui vivaient dans les villages. Les régions particulièrement concernées sont le district de Biharmulo et Ngara. On sait que plus de 80 Rwandais et de 580 Burundais ont été contraints de retourner dans leur pays d’origine. Un grand nombre d’autres réfugiés seraient détenus en Tanzanie, dans l’attente d’un éventuel retour forcé. On a refusé à la majorité d’entre eux d’entrer en contact avec leurs familles et d’emporter leurs affaires personnelles. De nombreuses familles ont été séparées.

Des gens, qui n’étaient pas en mesure de présenter une carte d’identité ou un certificat de naturalisation tanzanienne, ont été arrêtés, gardés à vue et renvoyés dans leur pays d’origine. Il est pratiquement impossible aux réfugiés, même à ceux qui vivent en Tanzanie depuis des décennies, d’obtenir des papiers d’identité qui seraient de nature à les protéger contre de tels abus. Dans les années ’70, les autorités tanzaniennes avaient tenté de procéder à une opération de recensement des réfugiés mais, faute des moyens nécessaires, celle-ci n’avait pu être effectuée et les documents nécessaires n’avaient jamais été délivrés à ces derniers.

Il apparaît clairement que la volonté politique en Tanzanie n’est plus de favoriser l’accueil des réfugiés, ni même de ceux qui sont installés dans le pays depuis des décennies. L’attitudes des autorités reflète la xénophobie grandissante des habitants et leur hostilité à l’égard des réfugiés, qui sont accusés, à tort ou à raison, d’être responsables de la criminalité qui sévit dans les régions frontalières. Des tensions existent entre les gouvernements burundais et tanzanien, le premier accusant régulièrement le second d’héberger sur son territoire et d’entraîner des membres de groupes d’opposition armés qui combattent l’armée burundaise. Cependant, de telles allégations ne sont pas nouvelles. Selon certains observateurs, les changements de politiques en Tanzanie s’expliqueraient plutôt par l’approche des élections législatives qui doivent avoir lieu en octobre 2000.

En procédant à ces renvois forcés, les autorités tanzaniennes n’ont pas seulement contrevenu à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à la Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, elles ont également violé leur propre législation nationale.

Selon des sources tanzaniennes, le nombre des arrestations et des renvois de réfugiés est en diminution, et aucune expulsion n’a été signalés en mai. Cependant, on sait que plus de 220 réfugiés burundais ont été contraints de retourner au Burundi en avril. Amnesty International est préoccupée par ces violations flagrantes des droits des réfugiés en Tanzanie et estime que la sécurité de ceux qui s’y trouvent encore est loin d’être assurée.

Refoulement de réfugiés burundais

Depuis février 2000, plus de 580 réfugiés burundais ont été contraints de quitter la Tanzanie. Ils ont été envoyés dans la province de Muyinga, dans la nord-ouest du Burundi. Nombre d’entre eux se trouvaient en Tanzanie depuis de nombreuses années -la plupart depuis 1993, certains depuis 1972-, d’autres y étaient arrivés récemment. Dans la plupart des cas, ils n’ont pas eu la possibilité de contacter leurs familles et de réunir leurs affaires personnelles. En février 2000, 22 hommes du village de Rulenge, près de Ngara, ont été renvoyés à la frontière et expulsés sur-le-champ, alors qu’on leur avait dit qu’ils disposeraient d’une semaine pour régulariser leur situation. Les femmes burundaises, et les enfants qui avaient été arrêtés avec eux, ont été envoyés au centre d’accueil de Mbuba.

Amnesty International craint que les Burundais renvoyés de force dans leur pays n’y soient exposés à de graves violations de leurs droits fondamentaux. Quatre hommes ainsi expulsés le 19 février 2000 ont été arrêtés dès leur arrivée sur le territoire burundais et incarcérés dans un centre de détention de la gendarmerie (brigade Muyinga). Amnesty International cherche à se procurer de plus amples informations sur leur cas et à savoir s’ils sont toujours incarcérés. Des conflits armés sévissent dans de nombreuses provinces du Burundi, en particulier celles qui jouxtent la frontière tanzanienne. De graves violations des droits humains y sont fréquentes : meurtre de civils non armés, arrestations arbitraires suivies de torture et de " disparition ". Une grande partie de la population vivant au Burundi est composée de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Depuis janvier 2000, plus de 35'000 réfugiés burundais sont arrivés en Tanzanie, fuyant les combats.

Après le meurtre, en octobre 1999, de deux membres expatriés des Nations Unies dans la province de Rutana, au sud du Burundi, l’ONU et d’autres organisations humanitaires ont considérablement réduit leurs activités au Burundi. Seul a été maintenu le personnel dont la présence n’était pas considérée comme absolument nécessaire. Bien qu’un nouvel accord sur les conditions se sécurité soit intervenu au mois de mai de cette année entre les Nations Unies et le gouvernement du Burundi, les activités du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) sont encore gênées par les problèmes d’insécurité. Ses agents sur place ont tenté de s’occuper des réfugiés rapatriés de force, mais ils n’ont pu, dans la situation actuelle, leur procurer une assistance humanitaire suffisante, ni surveiller les retours d’une manière suivie.

Refoulement de réfugiés rwandais

Depuis février 2000, au moins 80 réfugiés rwandais ont été renvoyés de Tanzanie vers le Rwanda. Une première vague est arrivée le 4 février dans la préfecture de Kibungo, dans l’est du Rwanda. Entre le 4 et le 15 février, au moins 74 autres sont arrivés dans la commune de Rusumo (Kibungo). Ils ont, semble-t-il, été arrêtés au hasard par des membres de la police tanzanienne ou par les services de l’immigration dans les districts de Karagwe, Biharamuro et Bukoba, dans la région de Kagera. Ceux qui ne pouvaient présenter des documents d’identité en cours de validité ou un certificat de naturalisation tanzanienne étaient expulsés, qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants. Certains auraient été détenus en Tanzanie jusqu’à une semaine avant d’être conduits à la frontière.

Parmi les expulsés se trouvaient des Rwandais qui étaient installés en Tanzanie depuis 1960 où, depuis de nombreuses années, ils étaient considérés comme des Tanzaniens (beaucoup de personnes de la jeune génération n’avaient jamais vécu au Rwanda). D’autres étaient venus dans les années 1970 et 1980 pour chercher du travail. D’autres enfin s’étaient trouvés parmi les centaines de milliers de réfugiés qui fuyaient le Rwanda à l’époque du génocide, en 1994, et avaient échappé au rapatriement massif de décembre 1996.

Arrêtés le long des routes ou dans les champs pendant qu’ils étaient occupés à des travaux agricoles, beaucoup ont été séparés de leurs familles et emmenés sans pouvoir rassembler leurs affaires. C’est ainsi que Thérèse Nyirabashumba, 50 ans, a été contrainte de retourner au Rwanda en laissant derrière elle deux de ses enfants, Murekatete, 17 ans, et Ntacyomenyereye, 10 ans. Autre exemple : Francis Malikiyori, 41 ans, qui vivait en Tanzanie depuis 1960 environ, a été séparé de sa femme et de ses cinq enfants au moment de son expulsion.

On ne peut dénier à ces réfugiés le droit de décider eux-mêmes s’il est dangereux ou non pour eux de retourner au Rwanda où la situation des droits humains reste extrêmement préoccupante : On y signale notamment de fréquentes arrestations arbitraires, des détentions illégales, des mauvais traitements et des emprisonnements prolongés, sans inculpation ni jugement ainsi que des " disparitions " et des meurtres.

Cinq Rwandais emprisonnés après leur expulsion de Tanzanie et du Burundi

Le 5 février 2000, cinq hommes qui avaient fui le Rwanda où ils craignaient pour leur vie, ont été contraints de quitter la Tanzanie et le Burundi pour retourner au Rwanda où ils ont été immédiatement arrêtés. Il s’agit de Bertin Murera, officier de l’Armée patriotique rwandaise (APR), d’Innocent Byabagamba, soldat dans l’APR, de Janvier Rugema, soldat démobilisé de l’APR, de Benjamin Rutabana, officier démobilisé de l’APR, musicien et compositeur de chansons, et de François Rukeba, homme d’affaires. En avril 2000, ils étaient toujours emprisonnés au Rwanda.

Bertin Murera et Benjamin Rutabana avaient fui le Rwanda le 24 janvier 2000, après avoir appris que les autorités rwandaises s’apprêtaient à les arrêter, apparemment sous l’accusation d’avoir aidé l’ancien président de l’Assemblée nationale rwandaise, Joseph Sebarenzi Kabuye, à quitter le pays. Ils avaient d’abord demandé l’asile au Burundi, puis estimant qu’ils n’y seraient pas en sécurité en raison des relations étroites existant entre le Burundi et le Rwanda, ils avaient pris la route de Kigoma, en Tanzanie, où ils étaient arrivés le 31 janvier. Le 4 février, la police tanzanienne, accompagnée, dit-on, par un agent des services de sécurité rwandais, avait arrêté les deux hommes à l’hôtel où ils logeaient à Kigoma. Conduits à Ngara, près de la frontière rwandaise, ils avaient été renvoyés de force au Rwanda le 5 février et immédiatement remis aux mains de l’armée.

Les deux hommes auraient été arrêtés à la demande des autorités rwandaises, qui les accusaient, semble-t-il, d’être impliqués dans une affaire de meurtre et de vol qualifié au Rwanda. On ignore si ces accusations sont fondées. Quoi qu’il en soit, après leur retour forcé au Rwanda, ces accusations auraient été remplacées par celles de désertion et de complicité de désertion. Les autorités rwandaises avaient, dans un premier temps, déclaré qu’ils avaient été arrêtés, en exécution d’un mandat d’arrêt lancé par Interpol, à la demande du consulat indien à Kigali, qui les soupçonnait d’être impliqués dans une affaire de meurtre d’un ressortissant indien. Mais le consulat indien a démenti cette assertion. La question du mandat d’Interpol n’a pas été élucidée.

C’est également le 5 février 2000 que Janvier Rugema, Innocent Byabagamba et François Rukeba ont été expulsés du Burundi vers la Rwanda. Janvier Rugema, qui est arrivé au Burundi le 20 janvier ou aux environs de cette date, avait été arrêté le 2 février par des membres de la Brigade spéciale de recherche (BSR) qui l’ont gardé en détention jusqu’au 5 février, date de son retour forcé au Rwanda. Les circonstances dans lesquelles les trois hommes ont été renvoyés au Rwanda sont mal connues. Il semble cependant que François Rukeba et Innocent Byabagamba aient été transportés en avion et Janvier Rugema par voie terrestre. Tous trois ont été remis dès leur arrivée aux autorités rwandaises qui les ont confiés à l’armée. Aucun des trois n’aurait déposé une demande d’asile au Burundi. La date de l’arrivée au Burundi de François Rukeba et d’Innocent Byabagamba n’est pas confirmée. Les personnes détenues à la BSR seraient couramment victimes de tortures et de mauvais traitements. Selon certaines sources, les trois hommes ont été torturés. Bien que, à la connaissance d’Amnesty International, les trois hommes n’aient pas officiellement demandé l’asile, l’Organisation considère qu’ils sont des réfugiés, qui ont fui le Rwanda pour des raisons de sécurité et qui ont de bonnes raisons de craindre d’être victimes de violations des droits humains en cas de retour forcé.

Les cinq hommes ont, dès leur arrestation, été incarcérés dans un centre de détention militaire à Kanombe, près de la capitale Kigali. Amnesty International cherche à vérifier les informations selon lesquelles ils auraient été torturés au moment de leur retour forcé, ou peu après. Au début de mars, ils ont reçu la visite de membres de la Commission nationale des droits humains du Rwanda, selon lesquels ils semblaient en bonne santé. Par la suite, ils ont été autorisés à recevoir des visites de leurs familles. En mars, Benjamin Rutabana, Janvier Rugema et François Rukeba ont été transférés au centre de détention militaire de Mulindi, et Bertin Murera et Innocent Byabagamba dans un autre centre militaire, à Kibungo.

Le 21 mars 2000, en réponse à une Action urgente lancée en leur faveur, Amnesty International a reçu une lettre de l’Auditorat militaire (Bureau du procureur militaire) à Kigali, disant que Bertin Murera et Innocent Byabagamba étaient accusés de désertion et d’avoir, en association avec Benjamin Rutabana, Janvier Rugema et François Rukeba, " volé une voiture appartenant au gouvernement et fui dans des pays voisins ". La lettre précise que les détenus ont été inculpés officiellement et que l’enquête est presque terminée. Elle ajoute que les détenus sont en sécurité et qu’ils reçoivent des visites de leurs familles et de leurs avocats.

Enfin elle conclut : " Dans l’esprit de sa pratique ordinaire en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière, la police tanzanienne, constatant que les intéressés étaient soupçonnés d’infractions pénales dans leur pays, les a remis à la police rwandaise ". Aucune réponse n’est apportée à la question de savoir pourquoi les autorités rwandaises et tanzaniennes ont agi en violation des dispositions du droit international relatives aux réfugiés. Aucune information complémentaire n’est fournie au sujet de l’expulsion des trois hommes du Burundi.

Amnesty International cherche à se renseigner sur l’état de la procédure les concernant et sur la date de leur procès. L’Organisation a reçu des informations selon lesquelles Bertin Murera et Innocent Byabagamba auraient été contraints de signer, sous le menace et par crainte de la torture, des déclarations dans lesquelles ils reconnaissent avoir déserté et emporté des équipements militaires.

Amnesty International reçoit régulièrement des informations faisant état de tortures et de mauvais traitement pendant les gardes à vue dans les centres de détention militaires du Rwanda. Plusieurs cas de décès de détenus lui ont également été signalés. Comme c’est le cas pour d’autres prisons et centres de détention de ce pays, les conditions de détention dans de nombreux centres militaires s’apparentent à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Des civils sont fréquemment détenus dans ces centres. La situation des personnes qui s’y’ trouvent, qu'il s'agisse de civils ou de militaires, est particulièrement alarmante, car, dans la plupart des cas, on leur refuse la possibilité de recevoir la visite des familles, des avocats, des médecins et des membres des organisations humanitaires et de défense des droits humains, y compris du CICR. Dans la plupart des cas, il est donc impossible de vérifier l’identité de ces prisonniers et de connaître le sort qui leur est réservé. La décision prise par les autorités rwandaises d’autoriser les cinq personnes dont il est ici question à recevoir des visites, peut être considérée comme exceptionnelle et doit probablement être attribuée pour une large part à la pression internationale.

Femmes et fillettes réfugiées victimes de viols

De nombreuses femmes et fillettes réfugiées en Tanzanie ont été victimes d’atteintes aux droits humains. Dans beaucoup de campa de réfugiés, la fréquence des violences sexuelles et familiale constitue un problème grave. De telles agressions ont également souvent lieu à l’extérieur des camps lorsque les femmes et les fillettes en sortent pour aller à la recherche de bois à brûler et sont attaquées et violées par des villageois du voisinage. Un certain nombre de mesures ont été prises par le gouvernement tanzanien en collaboration avec le HCR et d’autres organisations pour faire face à cette situation. Cependant, les informations faisant état de viols de réfugiées sont toujours aussi nombreuses et il semble que les victimes ne disposent guère de moyens de protection et de réparation.

Un cas mérite d’être cité à titre d’exemple : en mai 1999, un groupe de réfugiées burundaises a été attaqué et au moins dix d’entre elles, dont au moins une fillette, auraient été violées par des villageois du district de Buhero, près du camp de Mtendeli. Il s’agissait apparemment d’une opération de représailles consécutive au meurtre d’un habitant du village perpétré une dizaine de jours auparavant et attribué à des réfugiés. Par la suite, onze villageois ont été arrêtés et traduits devant un tribunal de la ville de Kasulu. A l’audience du 15 décembre, le procureur étant arrivé avec 75 minutes de retard, le juge a acquitté les 11 prévenus, alors qu'il aurait pu, conformément à la loi, renvoyer la cause à une audience ultérieure. On ignore si le parquet a fait appel de cette décision, comme il est en droit de le faire.

On peut se demander, à partir de cet exemple, si ce type d’affaires est traité avec sérieux. Amnesty International s’inquiète de constater que les autorités tanzaniennes n’ont pas pris les mesures qui s’imposent pour que les auteurs de ces agressions soient jugés. L’Organisation demande instamment au gouvernement de faire en sorte que l’enquête soit à nouveau ouverte et de prendre d’autres mesures propres à assurer une meilleure protection aux réfugiées.

Les réfugiés dans la région des Grands Lacs : aperçu général

Les principes relatifs à la protection des réfugiés ont été gravement bafoués au cours des dernières années dans la région des Grands Lacs, comme ailleurs dans le monde. Le refoulement massif de centaines de milliers de réfugiés rwandais chassés de la République démocratique du Congo (RDC) et de la Tanzanie et l’expulsion de la RDC, fin 1996, de milliers de réfugiés burundais, en sont peut-être l’illustration la plus dramatique.

Plus de 340'000 réfugiés burundais et plus de 13'000 réfugiés rwandais se trouvent en Tanzanie. Après la tentative de coup d’Etat au Burundi en 1993 et le déchaînement de la violence qui a suivi, les réfugiés burundais ont massivement afflué en Tanzanie. Depuis lors, les arrivées n’ont pas cessé, car les gens fuyaient la guerre civile qui se poursuivait et les multiples violations des droits humains qui y étaient commises, pour la plupart attribuées aux forces armées gouvernementales.

La très grande majorité des réfugiés rwandais qui sont arrivés en Tanzanie en 1994 ont été refoulés au Rwanda, en décembre 1996. Le petit nombre d’entre eux qui sont restés sur le territoire se sont intégrés dans des villages ou se sont cachés dans des camps de réfugiés burundais. Depuis 1996, plusieurs milliers de réfugiés rwandais sont arrivés en Tanzanie, fuyant l'insécurité et les violations des droits humains.

La présence en Tanzanie d’un grand nombre de réfugiés burundais et rwandais a causé des tensions avec les populations locales. Ces tensions ont été aggravées par le comportement ce certaines autorités gouvernementales et locales qui ont encouragé les sentiments hostiles aux réfugiés dans la population. A la fin de 1997 et au début de 1998, les autorités tanzaniennes ont obligé des centaines de ressortissants burundais qui vivaient hors des camps de réfugiés à se rendre dans ces camps. Cette politique, caractérisée par des opérations appelées " rafles ", a eu pour effet de déraciner des familles qui, dans de nombreux cas, vivaient en Tanzanie depuis des décennies et étaient bien intégrées dans les communautés locales.

ACTIONS RECOMMANDÉES

Amnesty International demande aux gouvernements de Tanzanie, du Burundi et du Rwanda de respecter les normes internationalement reconnues en matière de protection des droits humains, et, plus particulièrement, de se conformer, en toutes circonstances, au principe de non-refoulement et de veiller à ce qu’aucun réfugié ne soit contraint de retourner dans un pays où il risquerait d’être victime de violations des droits humains. L’Organisation demande également à ces trois gouvernements de veiller à ce que toute personne détenue sur leur territoire et tout réfugié placé sous leur protection soient protégés contre les atteintes aux droits humains, en particulier contre la torture et les mauvais traitements.




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